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1031. (1888) Poètes et romanciers

C’est le pâtre des montagnes qui parle au voyageur, puis c’est la fleur des cimes, le chasseur de chamois, le glacier ; plus haut que la région des hommes, ce sont les facultés lyriques, les voix de la nature qui s’éveillent. […] On a dit souvent que la science détruit la faculté de voir les choses avec illusion. […] Il échappait en même temps aux exigences académiques et il avait dès lors à sa disposition tout le dictionnaire, dont les quatre cinquièmes étaient alors interdits à la poésie, de par La Harpe : « Dès que je me fus rendu compte, dit-il, de la nature de mes facultés et de l’indépendance littéraire que la chanson me procurerait, je pris mon parti résolument ; j’épousai la pauvre fille de joie, avec l’intention de la rendre digne d’être présentée dans les salons de notre aristocratie, sans la faire renoncer pourtant à ses anciennes connaissances, car il fallait qu’elle restât fille du peuple, de qui elle attendait sa dot… — J’étais à l’âge où on ne se laisse pas éblouir par le succès. […] Elles ne font qu’un à cette époque de la civilisation où toutes les facultés de l’homme sont encore confondues, et lorsque, par l’effet d’une disposition vraiment poétique, il se reporte à cette unité première. » Mais le problème est précisément de savoir si cette unité primitive, rompue par le développement isolé des facultés, qu’exigent la constitution même et le progrès de la science, peut jamais être rétablie par un simple effort de la volonté ou par l’effet naturel d’une disposition de l’esprit.

1032. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Dans ce magnifique élan de facultés débridées et débandées qui bondissent à l’aventure et semblent le lancer sans choix aux quatre coins de l’horizon, il y en a une qui prend les rênes, et le précipite contre la muraille où il s’est brisé […] Ce que la civilisation tout entière a développé uniquement chez l’Anglais, c’est la volonté énergique et les facultés pratiques. […] S’il s’est enfoncé dans les arts magiques, ce n’est point par curiosité d’alchimiste, c’est par audace de révolté. « Dès ma jeunesse, mon âme n’a point marché avec les âmes des hommes, —  et n’a point regardé la terre avec des yeux d’homme. —  La soif de leur ambition n’était point la mienne. —  Le but de leur vie n’était pas le mien. —  Mes joies, mes peines, mes passions, mes facultés — me faisaient étranger dans leur bande ; je portais leur forme, —  mais je n’avais point de sympathie avec la chair vivante… —  Je ne pouvais point dompter et plier ma nature, car celui-là — doit servir qui veut commander ; il doit caresser, supplier, —  épier tous les moments, s’insinuer dans toutes les places, —  être un mensonge vivant, s’il veut devenir — une créature puissante parmi les viles, —  et telle est la foule ; je dédaignais de me mêler dans un troupeau, —  troupeau de loups, même pour les conduire1290… —  Ma joie était dans la solitude, pour respirer — l’air difficile de la cime glacée des montagnes, —  où les oiseaux n’osent point bâtir, où l’aile des insectes — ne vient point effleurer le granit sans herbe, pour me plonger — dans le torrent et m’y rouler — dans le rapide tourbillon des vagues entre-choquées, —  pour suivre à travers la nuit la lune mouvante, —  les étoiles et leur marche, pour saisir — les éclairs éblouissants jusqu’à ce que mes yeux devinssent troubles, —  ou pour regarder, l’oreille attentive, les feuilles dispersées, —  lorsque les vents d’automne chantaient leur chanson du soir. —  C’étaient là mes passe-temps, et surtout d’être seul ; —  car si les créatures de l’espèce dont j’étais, —  avec dégoût d’en être, me croisaient dans mon sentier, —  je me sentais dégradé et retombé jusqu’à elles, et je n’étais plus qu’argile1291. » Il vit seul, et il ne peut pas vivre seul. […] Autour de lui, comme une hécatombe, gisent les autres, blessés aussi par la grandeur de leurs facultés et l’intempérance de leurs désirs, les uns éteints dans la stupeur ou l’ivresse, les autres usés par le plaisir ou le travail, ceux-ci précipités dans la folie ou le suicide, ceux-là rabattus dans l’impuissance ou couchés dans la maladie, tous secoués par leurs nerfs exaspérés ou endoloris, les plus forts portant leur plaie saignante jusqu’à la vieillesse, les plus heureux ayant souffert autant que les autres, et gardant leurs cicatrices, quoique guéris.

1033. (1864) Études sur Shakespeare

Telle est la nature de la poésie dramatique ; c’est pour le peuple qu’elle crée, c’est au peuple qu’elle s’adresse, mais pour l’ennoblir, pour étendre et vivifier son existence morale, pour lui révéler des facultés qu’il possède, mais qu’il ignore, pour lui procurer des jouissances qu’il saisit avidement, mais qu’il ne chercherait même pas si un art sublime ne les lui apprenait en les lui donnant. […] C’est du malheur que sort communément cette révélation ; quand le monde manque à l’homme supérieur, il se replie sur lui-même et se reconnaît ; quand la nécessité le presse, il recueille ses forces ; et c’est bien souvent pour avoir perdu la faculté de ramper sur la terre que le génie et la vertu se sont élancés vers les cieux. […] Ce poëte, dont l’esprit et la main marchaient, dit-on, avec une égale rapidité, dont les manuscrits offraient à peine une rature, se livrait sans doute avec délices à ces jeux vagabonds où se déployaient sans travail ses vives et riches facultés. […] L’artiste n’a fait qu’ébranler, dans le spectateur, la faculté de concevoir et de sentir ; elle s’empare du mouvement qu’elle a reçu, le suit dans sa propre direction, l’accélère par ses propres forces, et crée ainsi elle-même le plaisir dont elle jouit. […] Ce n’est point là l’œuvre du poëte appelé à la puissance et réservé à la gloire ; il agit sur une plus grande échelle et sait parler aux intelligences supérieures comme aux facultés générales et simples de tous les hommes.

1034. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Des notes spirituelles, recueillies par son biographe, nous montrent la lutte secrète engagée chez lui entre l’élan de ses facultés littéraires et l’idée sacerdotale qui, de plus en plus, le possédait. […] Seulement, l’auteur de la Terre qui meurt l’applique, cette rare faculté, à sa contrée d’origine, son Anjou. […] Et puis ces facultés mêmes, dont ces Images décèlent le frémissement, n’étaient-elles pas un obstacle ? […] Du moment que tous nos états intérieurs sont commandés par des nécessités inéluctables, à quelle faculté de notre âme s’adresse cet impératif catégorique ? […] Ils restent les chefs de la pensée française, précisément par cette maîtrise de leurs propres dons, par ce contrôle exercé sur leur talent, et pour ne s’être jamais permis l’outrance de leurs facultés.

1035. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

Monçon, condamné par cette même faculté & par l’évêque de Paris, en appelle au saint siège. […] Ils furent assignés pour être ouis avec le syndic de la faculté de théologie, Noël Béda. […] La faculté de théologie étoit aussi animée que les autres. […] Saint-Germain ne consulte aucune faculté : il n’imagine pas même que la chose puisse avoir des suites funestes. […] Ses quatre facultés s’assemblent : elles présentent requête au parlement, & demandent justice de tous les attentats des jésuites.

1036. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Il l’aurait fait naître dans toute sa force, dans le développement accompli de ses facultés physiques et morales, sans aucune de ces gradations de l’âge, sans aucune de ces impuissances, de ces faiblesses, de ces ignorances de l’enfant nouveau-né, qui condamne le nouveau-né à la société de la mère, ou à la mort, si la mère lui refuse la mamelle, si le père lui refuse la protection, la nourriture pour subsister ; et, quand la mamelle tarit pour l’enfant, la mère, elle-même, que deviendrait-elle avec son enfant sur les bras, sans la société du père, que l’amour conjugal et que l’amour paternel attachent par un double instinct de vertu désintéressée à ces deux mêmes êtres dépendants de lui ? […] Vérité ou sophisme, il n’y avait rien à répondre au premier aperçu à cet axiome, du moment qu’on admettait pour convenu cet autre axiome très contestable : L’homme est égal à l’homme devant le champ ; l’enfant plus avancé en âge et en force est égal à l’enfant nouveau venu, dénué d’années, de force, d’éducation, d’expérience de la vie ; l’enfant du sexe faible et subordonné par son sexe même est égal à l’enfant du sexe fort, viril et capable de défendre l’héritage de tous dans le sien ; l’enfant inintelligent est égal à l’enfant doué des facultés de l’esprit et du cœur, privilégié par ces dons de la nature ; l’enfant vicieux, ingrat, rebelle, oisif, déréglé, est égal au fils tendre, respectueux, obéissant, actif, premier sujet du père, premier serviteur de la maison, etc., etc.

1037. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Pour ceux qu’il a tirés de son imagination, et qui sont comme les frères de ceux que lui fournissait l’histoire, leurs actions, si au-dessus qu’elles soient des actions communes, nous paraissent pourtant vraisemblables, grâce à la faculté que Dieu nous a donnée d’être meilleurs dans le jugement que dans la conduite, et de nous reconnaître même dans les vertus dont nous sommes incapables. […] Mais il est une autre vérité bien plus profonde et plus attachante : c’est celle qui résulte de caractères fortement conçus, ou plutôt empruntés vifs à la nature pour la scène, dont les passions, très compliquées au milieu d’événements très simples, ont assujetti à leur empire ou employé à leur service toutes les facultés de l’homme.

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