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227. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Camille Rousset qu’il ne sied point à l’historien d’épouser de telles querelles, de donner dans ces méchants propos et ces soupçons qu’entretiennent et nourrissent les uns contre les autres des contemporains antipathiques ou ennemis. […] Là est le crime de Noailles envers Saint-Simon, et il s’ensuivit la colère, l’animosité, l’impitoyable vengeance de l’ami aliéné et ulcéré, devenu ennemi jusqu’à la mort ; il n’y eut jamais entre eux qu’un faux raccommodement et pour la forme, après bien des années, à l’occasion d’un mariage de famille. […] Ces soupçons, fruit d’une imagination échauffée et d’une haine recuite, n’avaient pu lui venir que longtemps après l’événement ; il s’est fait plus de tort à lui-même qu’à son ennemi, en ne se retenant pas de les exprimer. […] Le marquis d’Argenson n’est pas, comme Saint-Simon, un ennemi personnel du maréchal de Noailles, mais c’est un antipathique, d’une autre race morale, d’une tout autre humeur et d’un caractère tout au rebours.

228. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

L’ennui était son grand effroi, son redoutable ennemi. […] Nous la jugeons trop, en un mot, comme si nous étions du bord de son ennemie, Mlle de Lespinasse, ou de celui de Mme Geoffrin. […] Dans une lettre adressée au poète Gray et qu’il écrivait trois mois après celle que j’ai citée (janvier 1766), il disait, en dessinant à ravir les deux figures rivales de Mme Geoffrin et de Mme Du Deffand : Sa grande ennemie, Mme Du Deffand, a été un moment maîtresse du Régent ; elle est maintenant tout à fait vieille et aveugle ; mais elle a gardé toute sa vivacité, saillies, mémoire, jugement, passions et agrément. […] Son jugement sur chaque sujet est aussi juste que possible : sur chaque point de conduite elle se trompe autant qu’on le peut ; car elle est tout amour et tout aversion, passionnée pour ses amis jusqu’à l’enthousiasme, s’inquiétant toujours qu’on l’aime, qu’on s’occupe d’elle, et violente ennemie, mais franche.

229. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Ernest Renan »

Le Jésus de Renan, ce Jésus romantique, rêveur, paysagiste, exquise personne, âme suave, ennemi de toute religion, qui ne veut que la pureté du cœur, ce Jésus qui est un blasphème vivant contre Notre-Seigneur Jésus-Christ, une insulte hypocrite et profonde à la foi du plus grand nombre des Français encore par ce temps respecté de suffrage universel, a été trouvé généralement charmant, comme dit Renan lui-même. […] L’imagination, dont son système était l’ennemi, ne lui rendit pas le coup pour coup qu’il méritait. […] Évidemment c’était là un fait hors de toute proportion avec la réalité, que de traiter ce petit taquin hypocrite qui tracassait dans les Évangiles comme ces grands ennemis de l’Église, les forts hérétiques de tous les temps, qui n’avaient pas emporté, ainsi que Samson, les portes de Gaza sur leurs épaules, mais qui, du moins, les avaient secouées… La goutte d’encre jetée à la face rayonnante du Christ par un gamin d’Académie ne méritait pas de si saintes colères. […] la pantoufle dont riait Rabelais est écrasée encore d’assez de baisers pour rendre sérieux les ennemis de la papauté.

230. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Sa passion ne l’empêche pas de rendre justice aux ennemis et adversaires quand ils tombent ; et celui qui s’est montré pamphlétaire envenimé dans la Confession de Sancy, implacable insulteur dans Les Tragiques, parle de Charles IX et de Henri III dans son Histoire en des termes qui ne sont que modérés : Voilà la fin de Henri troisième, dit-il après l’assassinat de Saint-Cloud, prince d’agréable conversation avec les siens, amateur des lettres, libéral par-delà tous les rois, courageux en jeunesse, et lors désiré de tous ; en vieillesse, aimé de peu ; qui avait de grandes parties de roi, souhaité pour l’être avant qu’il le fût, et digne du royaume s’il n’eût point régné : c’est ce qu’en peut dire un bon Français. […] Il nous donne aussi cette maxime qu’avait Henri IV, et qui faisait de lui un homme de guerre pratique si excellent, « qu’il se fallait bien garder de croire que l’ennemi eût mis ordre à ce qu’il devait, et qu’un bon capitaine devait essayer les défauts de l’adversaire en les tâtant ». […] Après la mort de Henri IV, d’Aubigné prit tout à fait l’attitude de mécontent, d’homme en disgrâce, d’ennemi déclaré des nouveautés ; la vieillesse seyait à ce visage de plus en plus altier et chagrin.

231. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Comptez les Grecs de la côte, les juifs de Samarie, ceux de Jérusalem, les Mutualis, amis ou ennemis de tous leurs voisins ; les Ansériés, tribu nomade, se glissant entre les groupes plus enracinés dans ces rochers, les Bédouins du désert, insaisissables par leur éternelle mobilité, les Arméniens, ces Génevois de l’Orient, tisseurs de tapis, brodeurs de soie, changeurs d’espèces monnayées, banque vivante de tout l’Orient, peuple qui s’enrichit d’industrie honnête, parce que l’industrie est travail, et que le travail règle et conserve les mœurs ; peuple plus épris d’ordre que de liberté, qui ne trouble jamais l’État par ses turbulences, comme les Grecs de Stamboul, qui n’intrigue point avec l’Europe et qui ne demande à l’empire ottoman que la liberté de son christianisme et la sécurité de son commerce. […] Voyez tout ce Péloponnèse italien livré par votre imprévoyance à son petit roi, votre favori du jour, maître absolu demain d’un empire presque égal au vôtre, incapable de protéger cette péninsule, ces îles, ces ports, ces mers contre les Germains ou contre les Anglais, mais assez puissant pour subir l’alliance obligée de vos ennemis naturels. […] Unifiez l’Italie sous des baïonnettes piémontaises, soulevez la Hongrie et la Bohême, agitez la Styrie et la Croatie, livrez la Saxe à la Prusse, faites de la Bavière et du Wurtemberg des vassalités forcées de Berlin, et vous aurez achevé, vous, Français, engoués par des mots qui sonnent le tocsin de vos périls futurs, la circonvallation de la France par ses ennemis !

232. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Avertissement sur la seconde édition. » pp. 23-54

Car enfin il s’agissoit de prouver au Gouvernement, qu’un Livre dont le but est de réprimer les abus de la Littérature & les scandales de la Philosophie, de rappeler aux loix de la raison & du goût ; qu’un Livre dont tout le crime est de rabaisser tous les Coryphées de la génération nouvelle, & d’attaquer sans ménagement les ennemis de l’ordre & de toute autorité, étoit une œuvre de ténebres, & méritoit l’indignation de l’autorité même. […] Le moyen de ne pas revenir souvent à la charge, quand on rencontre par-tout l’ennemi ! […] Nous avons osé nous déclarer en faveur de la Religion, & ils se sont soulevés contre nous comme contre des sacriléges : nous avons cherché à rétablir la gloire des Lettres, & ils se sont récriés sur nos attentats : nous avons vengé les Grands Hommes, & ils nous ont appelés des* monstres : nous avons humilié les petits, & nous voilà qualifiés d’assassins : nous avons démasqué les ennemis de la Patrie, du véritable honneur de nos Concitoyens, & ils ont eu la mal-adresse de se déclarer les nôtres.

233. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Pour beaucoup de trembleurs furieux qui ont la parole en ce moment, ces réformateurs sont les ennemis publics. […] Un jour, à Florence, dans le jardin de Cosmo Ruccelaï, étant présents le duc de Mantoue et Jean de Médicis qui commanda plus tard les Bandes Noires de Toscane, Varchi, l’ennemi de Machiavel, l’entendit qui disait aux deux princes : — Ne laissez lire aucun livre au peuple, pas même le mien. […] Tout à coup le sublime passe, et la sombre électricité de l’abîme soulève subitement tout ce tas de cœurs et d’entrailles, la transfiguration de l’enthousiasme opère, et maintenant, l’ennemi est-il aux portes, la patrie est-elle en danger ?

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