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222. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre II » pp. 12-29

Quelle que soit la corruption générale d’une grande nation, même d’une grande cour, il s’y trouve toujours quelques familles où se conserve l’honnêteté des mœurs, où la raison, le droit sens, la bienséance exercent leur légitime empire, où les bons principes sont héréditaires, comme certaines conformations : ici est d’ordinaire le privilège des familles nombreuses qui s’entretiennent, par les sympathies mutuelles de leurs membres, dans les traditions de vertus où elles sont nées. […] Admises à partager le plaisir de la conversation, elles l’étaient par cela même à en disputer l’empire, et elles ne devaient pas rester en arrière de cette vocation ; et l’empire de la convention, qui devait leur en assurer un plus étendu, a contribué à étendre le domaine de la conversation elle-même.

223. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Il faudrait également que je caractérisasse à la fois et Delille que nous venons de perdre, et M. de Chateaubriand qui est encore dans la force du talent, doués, l’un d’une immense richesse de détails poétiques, l’autre d’une imagination vaste et féconde, placés tous les deux sur les derniers confins de notre ancien empire littéraire, et venant terminer d’une manière admirable toutes les traditions de notre double langue classique dont le règne va finir : ce qu’il y a de plus remarquable dans l’association que je fais ici de ces deux noms, c’est que leurs ouvrages, honneur éternel de cette époque, sont à la fois des monuments littéraires et des monuments de nos anciennes affections sociales. […] Sans porter un jugement sur les deux littératures qui se disputent aujourd’hui l’empire du monde, et sur lesquelles nous aurons, au reste, occasion de revenir, qu’il nous soit permis de remarquer d’abord que la littérature romantique a pris naissance au sein d’une langue qui est encore, pour ainsi dire, dans le travail de l’évolution ; c’est la langue allemande que je veux désigner. […] Mais je demande si déjà nous n’avons pas besoin de nous rappeler la personne même de Bossuet, et l’assemblée imposante devant laquelle il parlait, et l’autorité de sa parole, fortifiée par le caractère auguste dont il était revêtu, et l’empire irrésistible de doctrines non contestées, et toutes les gloires et toutes les renommées de cette époque si brillante, et tous les souvenirs de la vieille monarchie, pour sentir les éminentes beautés de l’Oraison funèbre du grand Condé.

224. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Et de fait, la garde de Napoléon avait été créée par lui ; elle ne datait que de son Empire ; et quand elle avait une fois donné son sang héroïquement et jusqu’à la dernière goutte, elle n’avait plus rien à donner. […] L’empire du monde appartient aux doux , disent les saints livres. L’empire de la vérité aussi.

225. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Il ne me manque point de vaisseaux, ni de matelots, ni d’un grand nombre d’officiers de zèle, mais il me manque des chefs qui aient du talent, du caractère et de l’énergie. » Le désir, le besoin de Napoléon eût été de susciter quelque part, dans les rangs trop éclaircis de ses flottes, un grand homme de mer et du premier ordre, qui pût tenir en échec la puissance rivale dans cette moitié flottante de l’empire du monde ; mais un tel génie, à la fois supérieur et spécial, se rencontre quand il plaît à la nature, et ne se suscite pas. […] A la fin de 1806, il n’y avait plus de grandes choses à tenter sur mer : l’empire était tout du côté du continent, mais sur le continent tout entier.

226. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Démosthéne, et Eschine. » pp. 42-52

Lorsque Alexandre & Darius combattoient dans les plaines d’Arbelles pour l’empire de l’Asie, Démosthène & Eschine se disputoient dans la Grèce celui de l’éloquence. […] Ils briguoient les occasions de la servir, de jetter les fondemens de cet empire que donnent sur les esprits les talens & la supériorité des lumières.

227. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

« Après ce temps, la chute de l’empire d’Astyage, fils de Cyaxare, renversé par Cyrus, fils de Cambyse, et les progrès des Perses, en occupant la pensée de Crésus d’autres soins, firent taire sa douleur. […] « Astyage, fils de Cyaxare, hérita de l’empire. […] Si, après sa mort, l’empire doit passer dans les mains de sa fille, dont j’aurai fait mourir le fils, à quels dangers ne suis-je pas exposé ? […] Nous devons donc considérer, avant tout, ce qui touche à la stabilité de votre empire ou à la durée de votre existence, et, si nous apercevons quelque danger, ne pas perdre un moment pour vous l’indiquer. […] Les grands du pays, déjà déclarés pour vous, se révolteront et ôteront l’empire à Astyage.

228. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

VIII De toutes ces natures de gouvernement inspirées à l’humanité par cette souveraineté de la nature qui parle dans nos instincts, aucun ne nous semble plus voisin de la perfection que le gouvernement créé ou réformé par le législateur rationnel de l’extrême Orient, le divin philosophe politique Confutzée, dans cet empire de la Chine, plus vaste que l’Europe, plus antique que notre antiquité, plus peuplé que deux de nos continents, plus sage que nos jeunes sagesses. […] L’aristocratie intellectuelle et morale dans le conseil de l’empire, spiritualisme raisonné qui signifie : point de souveraineté sans lumière. […] Gradation ascendante et descendante dans les rangs et les fonctions des magistrats chargés de l’administration de la justice ou de l’administration des intérêts populaires de l’empire ; spiritualisme qui personnifie la conscience et la providence dans une hiérarchie sans laquelle il n’y a ni autorité distributive, ni ordre, ni stabilité dans les institutions. […] XVI Notre contrat social, à nous, le contrat social spiritualiste, au contraire, celui qui cherche son titre en Dieu, qui s’incline devant la souveraineté de la nature, celui qui ne se reconnaît d’autre droit que dans ce titre magnifique, et plus noble que toutes les noblesses, de fils de Dieu, égal par sa filiation et par son héritage à tous ses frères de la création, celui qui ne croit pas que tout son héritage soit sur ce petit globe de boue, celui qui ne pense pas que l’empire de quelques millions d’insectes sur leur fourmilière, renversant ou bâtissant d’autres fourmilières, soit le but d’une âme plus vaste que l’espace, et que Dieu seul peut contenir ou rassasier ; celui qui croit, au contraire, à l’efficacité de la moindre vertu exercée envers la moindre des créatures en vue de plaire à son Créateur, celui qui place tous les droits de l’homme en société dans ses devoirs accomplis envers ses frères ; celui qui sait que la société humaine, civile et politique, ne peut vivre, durer, se perfectionner en justice, en égalité, en durée, que par le dévouement volontaire de chacun à tous, dévouement du père au fils, de la femme à l’époux, du fils au père, des enfants à la famille, de la famille à l’État, du sujet au prince, du citoyen à la république, du magistrat à la patrie, du riche au pauvre, du pauvre au riche, du soldat au pays, de tout ce qui obéit à tout ce qui commande, de tout ce qui commande à tout ce qui obéit, et, plus haut encore que cet ordre visible, celui qui conforme, autant qu’il le doit et qu’il le peut, sa volonté religieuse à cet ordre invisible, à ce principe surhumain que la Divinité (quel que soit son nom dans la langue humaine) a gravé dans le code, dans la conscience, table de la loi suprême ; celui qui sait que, sous cette législation des devoirs volontaires qu’on nomme avec raison force ou vertu, il n’y a ni Platon, ni J. […] Rousseau, ni chimères, ni violences, ni tyrannies, ni multitudes, ni satellites, ni armées, ni bourreaux qui puissent faire prévaloir la société purement matérialiste sur la société spiritualiste, où le commandement est divin, où l’abstention est vertu ; ce contrat social est, disons-nous, indépendamment de ce qu’il est plus vrai, mille fois plus digne du légitime orgueil, du saint orgueil de la race humaine : car il croit fermement (et il a raison de croire) que le contrat social qui commence sur la terre par des individus isolés, sans défense contre les éléments, par des hordes, par des tribus, par des républiques, par des empires, par des révolutions qui brisent ou qui restaurent des nations, n’est ni toute la fin, ni toute la destinée probable de la civilisation divine, ni toute la pensée du Créateur, ni tout le plan infini de Dieu dans sa création de l’homme en société.

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