La nature a donc pris le parti de nous construire de maniere que l’agitation de tout ce qui nous approche eut un puissant empire sur nous, afin que ceux qui ont besoin de notre indulgence ou de notre secours pussent nous ébranler avec facilité. […] De tous les talens qui donnent de l’empire sur les autres hommes, le talent le plus puissant n’est pas la superiorité d’esprit et de lumieres : c’est le talent de les émouvoir à son gré, ce qui se fait principalement en paroissant soi-même ému et penetré des sentimens qu’on veut leur inspirer.
Le premier empire arma, de son côté, en proportion des forces levées contre lui ; il chercha même des ennemis jusque parmi les amis de la France, comme en Espagne. […] Ce peuple, à qui on avait donné, depuis l’Empire, des ambitions vastes comme l’univers, trouvait la France bien petite pour sa taille de géant de la guerre ; et encore cette France si petite était occupée et rançonnée par les garnisaires de la Russie, de la Prusse, de l’Autriche, de l’Angleterre ! […] C’était par là qu’il s’était déjà révélé à quelques esprits d’élite dans ce monde des bons vivants dont le dogme, sous l’Empire, était la Clef du Caveau. […] Le premier Empire, en comprimant par la censure la pensée, qui vit de liberté, et qui quelquefois en meurt, avait respecté et même favorisé la liberté bachique. […] Fournier, nous a restauré hier une de ces ébauches dans le Courrier de Paris ; nous ne la connaissions pas ; elle gisait enfouie dans les éphémérides poétiques des premières années de l’Empire.
Un homme à la fois si ardent et si léger, trivial et si inspiré, si indécis entre le sang et les larmes, si prêt à lapider ce qu’il venait de déifier dans son enthousiasme, devait avoir sur un peuple en révolution d’autant plus d’empire qu’il lui ressemblait davantage. […] Essentiellement spiritualiste, elle n’affecta d’autre empire pour la France que l’empire volontaire de l’imitation sur l’esprit humain. […] Un empire est l’enjeu du monarque. […] « Demander à un roi de détruire l’empire d’une religion qui le sacre, de dépouiller de ses richesses un clergé qui les possède au même titre divin auquel lui-même possède le royaume, d’abaisser une aristocratie qui est le degré élevé de son trône, de bouleverser des hiérarchies sociales dont il est le couronnement, de saper des lois dont il est la plus haute, ce serait demander aux voûtes d’un édifice d’en saper le fondement. […] Il est le roi du culte, de l’aristocratie, des lois, des mœurs, des abus et des erreurs de l’empire.
Si, au moment où vous éprouvez des contrariétés, il vous semble peu généreux de ma part de saisir une occasion de combattre votre faux système en littérature, rappelez-vous le passé, les insultes faites à nos grands maîtres et à tous nous autres vieillards que vous et les vôtres appelez si élégamment les ganaches de l’empire. […] Avec vous notre jeune France s’est mise à l’œuvre ; avec vous elle a voulu détruire ces grands monuments littéraires auxquels nous autres auteurs de l’empire avions enchaîné notre gloire et notre fortune. […] ce beau triomphe bien ordonné en vous couvrant de gloire est devenu pour nous, pauvres auteurs du temps de l’empire, un arrêt de proscription. […] La correspondance qui s’est établie entre les comédiens et les auteurs, pendant la lutte classique et romantique, nous révélerait tous les petits moyens odieux que l’on a employés pour détruire ce que vous appelez avec mépris la littérature de l’empire ; mais elle ne viendra jamais à la connaissance du public. […] Le Journal de l’Empire.
L’entrée en matière de ses Annales fait espérer d’utiles révélations ; en quelques mots profonds et rapides, il montre le monde fatigué des guerres civiles, un besoin général de repos et de sécurité ; Auguste, maître de l’armée par ses largesses, du peuple par ses distributions, des nobles par ses faveurs, de tous par la douce tranquillité de son gouvernement ; les provinces acceptant avec joie cette domination d’un seul homme par aversion pour l’empire du sénat et du peuple, pour les combats des grands, pour l’avarice des magistrats, pour la violence, la corruption et la brigue qui avaient pris la place des lois ; enfin, la République s’effaçant peu à peu du souvenir d’une société qui, sous un sceptre protecteur, goûtait un repos dont elle avait été si longtemps privée. […] Il fait voir la contradiction révoltante qu’il y avait à mettre sous la protection de Néron un poëme soi-disant écrit pour restaurer l’idée de République et de liberté : « Que si les Destins n’ont pas trouvé d’autre chemin pour frayer la route à Néron, s’écrie en commençant le poëte, si les règnes immortels et divins s’achètent toujours cher, et si pour assurer l’empire du Ciel à Jupiter, il fallait les horribles batailles des géants, alors, ô Dieux ! […] Troplong a donc utilement choisi cette période pour en faire le sujet d’une de ces études approfondies, telles qu’il en a déjà donné sur d’autres époques de l’Empire et où il a si bien analysé, avec la précision de son savoir uni aux lumières progressives, les révolutions du droit et la constitution de la société romaine.
Plus les hommes sont médiocres, plus ils mettent de soin à s’assortir ; ils repoussent loin d’eux la raison éclairée, comme quelque chose d’hétérogène avec leur nature, et qui doit être éminemment nuisible à leur empire. […] L’on est un grand écrivain dans un gouvernement libre, non comme sous l’empire des monarques, pour animer une existence sans but, mais parce qu’il importe de donner à la vérité son expression persuasive, lorsqu’une résolution importante peut dépendre d’une vérité reconnue. […] Les vainqueurs redoutent les soldats qui ont conquis leur empire avec eux ; les prêtres ont peur du fanatisme même d’où dépend tout leur pouvoir ; les ambitieux se défient de leurs instruments : mais les hommes éclairés, parvenus aux premières places de l’état, ne cessent point d’aimer et de propager les lumières.
Ne connaissant pas la force de l’empire romain, il pouvait, avec le fond d’enthousiasme qu’il y avait en Judée et qui aboutit bientôt après à une si terrible résistance militaire, il pouvait, dis-je, espérer de fonder un royaume par l’audace et le nombre de ses partisans. […] Jésus ne savait pas assez l’histoire pour comprendre combien une telle doctrine venait juste à son point, au moment où finissait la liberté républicaine et où les petites constitutions municipales de l’antiquité expiraient dans l’unité de l’empire romain. […] Par ce mot : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », il a créé quelque chose d’étranger à la politique, un refuge pour les âmes au milieu de l’empire de la force brutale.