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239. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

L’âme d’un grand homme est celle qui peut mettre en mouvement un million de bras comme les siens propres ; l’âme d’un grand artiste est celle qui peut frémir en un million de sensibilités individuelles et fait la joie et la douleur d’un peupleen. […] Un homme qui peut assister, l’âme paisible, à la torture de ses ennemis, ne ressent pas au moindre degré la douleur qu’il fait souffrir. Si de tels hommes, — et toutes les sociétés antiques primitives, tout le moyen âge en étaient formés — sont amenés graduellement à prendre plaisir aux arts graphiques, au poème épique, au drame, au roman, à la musique, à tout ce qui fait frémir l’âme de douleurs fictives, de compassion et d’admiration pour des semblables, ces sentiments se développeront en eux et modifieront leur conduite. La somme de la douleur qu’ils oseront infliger aux antres hommes se diminuera sans cesse de celle qu’ils peuvent partager.

240. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Les Tristes d’Ovide sont remplies des témoignages les plus faibles d’une douleur abattue, des flatteries les plus basses pour son persécuteur ; et Cicéron, dans l’intimité même de sa correspondance avec Atticus, contient et ennoblit de mille manières la peine que lui cause son injuste bannissement. […] La morale de Cicéron a pour but principal l’effet que l’on doit produire sur les autres ; celle de Sénèque, le travail qu’on peut opérer sur soi : l’un cherche une honorable puissance, l’autre un asile contre la douleur ; l’un veut animer la vertu, l’autre combattre le crime ; l’un ne considère l’homme que dans ses rapports avec les intérêts de son pays ; l’autre, qui n’avait plus de patrie, s’occupe des relations privées.

241. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Chez les anciens peuples du Nord, des leçons de prudence et d’habileté, des maximes qui commandaient un empire surnaturel sur sa propre douleur, étaient placées parmi les préceptes de la vertu. […] Ce que chacun doit faire pour son propre bonheur est un conseil, et non un ordre ; la morale ne fait point un crime à l’homme de la douleur qu’il ne peut s’empêcher de ressentir et de témoigner, mais de celle qu’il a causée.

242. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Greuze » pp. 234-241

Il faut voir la douleur et toute la figure de celui-ci. […] La fille mariée paraît écouter plutôt avec plaisir qu’avec douleur.

243. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Son génie survécut à toutes ces douleurs et la soutint jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans. […] Ce fut elle qui, pendant les intervalles de ses douleurs, prépara pour M. de Surville, son frère, les pièces les plus remarquables de sa grand’tante Clotilde. […] la tombe s’ouvre sans pitié sous les pas de ma jeunesse ; et pendant que je suis en proie aux plus cuisantes douleurs, je cherche à les tromper quelques heures en m’entretenant avec toi. […] Mais les langues ont leur jeunesse ; c’est la naïveté et la passion ; la passion pure d’un amour sans remords qui savoure ses larmes sans y trouver d’amertume et qui est fière de sa douleur parce qu’elle est sûre d’être consolée. […] Jà n’estoy plus environné que d’ombres, Parents, amys, rien que n’eusse perdu ; Tout mon pays plus n’estoit que descombres, Et m’enfuyois solitaire, esperdu, Des Tarentins parmy les forêts sombres ; Quand espuisé, cédant à mon malheur, Prest à finer ugne ingrate carriere, Je succombay d’angoisse et de chasleur : Le doulx sommeil vint clorre ma paulpiere, Et pour ung temps fist trefve à ma douleur.

244. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Mais, d’autre part, il fut séduit par le pittoresque et la variété plastique de l’histoire humaine, par les tableaux dont elle occupe l’imagination au point de nous faire oublier nos colères et nos douleurs. […] Il y a dans le cri de Kaïn une âpreté plus superbe, s’il se peut, que celle du poète de la Nature, et une espérance non plus forte, mais moins vague et plus voisine de son objet, que celle du Titan voleur de feu  La protestation du corps contre la douleur, du cœur contre l’injustice et de la raison contre l’inintelligible, devient, semble-t-il, plus ardente à mesure que l’industrie humaine combat la souffrance, que l’idée de justice passe dans les institutions et que la science entame les frontières de l’inconnu ; comme si l’homme, moins éloigné de son idéal, en subissait plus invinciblement l’attraction et se précipitait vers lui d’un mouvement plus furieux. […] Il marque une aspiration d’un jour, une involontaire concession du poète à « l’illusion qui fait de nous sa pâture »3 et qui, trompant sans cesse les efforts qu’elle suscite, ne permet point à la douleur de s’endormir. […] On peut succomber aux souffrances physiques qui jettent l’homme hors de soi, l’affolent et le font crier ; on peut succomber aux mécomptes qui ont pour objet des personnes ; mais les douleurs purement intellectuelles ne tuent pas, parce que, dans la plupart des cas, à mesure qu’elles croissent, croît aussi notre orgueil. […] Sombre douleur de l’homme, ô voix triste et profonde, Plus forte que les bruits innombrables du monde, Cri de l’âme, sanglot du cœur supplicié, Qui t’entend sans frémir d’amour et de pitié ?

245. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Les sons n’ont pu davantage, à l’origine, signifier les douleurs ou les joies que les mots n’ont pu signifier leurs notions correspondantes. […] Bientôt, s’épandent les nuances ; les émotions deviennent plus subtiles ; à chaque moment correspondent des joies, des douleurs spéciales. […] Sous les modulations faciles, sous les recherches rapides de complications harmoniques, il a. souvent, chanté une douleur aimable, ou des languides gaîtés. […] C’est l’anéantissement en joie et en douleur dans la passion fatale. […] Marne est un vieillard ; il conçoit de l’événement plus de douleur que de colère et sa surprise s’épanche d’autant mieux que nulle sensualité ne souille son cœur royal.

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