Chez le poëte le moins enclin à une intervention fréquente, la délicatesse même engendre des susceptibilités particulières, impossibles à prévoir, des facilités de piqûre et de douleur pour un mot, pour un oubli, pour un silence.
En un endroit, lorsqu’elle apprend brusquement à Mars la mort de son fils chéri Ascalaphus, le dieu terrible dans l’accès de sa douleur se met à frapper violemment ses deux florissantes cuisses de la paume de ses mains : le traducteur met simplement qu’il se frappe le corps de ses mains divines ; il oublie que cette forme expressive de désespoir s’est conservée fidèlement jusque chez les Grecs modernes.
Quant à la liberté, elle eut toujours ses vœux, soit que dans les salons de l’hôtel de Conti, sous Louis XV, il s’écrie avec une douleur de citoyen : Les Anténors vendent l’empire, Thaïs l’achète d’un sourire ; L’or paie, absout les attentats.
Le grand artiste, le prêtre révélateur, qui a la solution sentimentale et sociale de l’époque future, celui-là fonde une religion, parce qu’il a cette solution même, et non, parce que la conception en est accompagnée de symptômes plus ou moins irréguliers ; celui-là est véritablement inspiré, parce qu’il est de son temps l’individu le plus sympathique pour aimer l’humanité, le plus intelligent pour la comprendre, le plus fort pour la transformer ; il pressent et proclame le premier la forme d’association la mieux adaptée, selon le temps, au bonheur du plus grand nombre ; il accouche le présent de l’avenir dont il est gros et si le présent, comme une mère que la douleur de l’enfantement égare, le repousse avec outrage et colère, l’avenir pieux s’incline et le bénit.
Tous les hommes, sans doute, ont connu les douleurs de l’âme, et l’on en voit l’énergique peinture dans Homère ; mais la puissance d’aimer semble s’être accrue avec les autres progrès de l’esprit humain, et surtout par les mœurs nouvelles qui ont appelé les femmes au partage de la destinée de l’homme.
Le pourquoi, le comment, le lieu même du plaisir ou de la douleur, nous n’en avons cure.
Vous connaissez cet autre thème éternel et grandiose : l’impassibilité de la nature opposée à la douleur et à la fugacité de l’homme.