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278. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Quand l’humanité se conduisait instinctivement, on pouvait se fier au génie divin qui la dirige ; mais on frémit en pensant aux redoutables alternatives qu’elle porte dans ses mains, depuis qu’elle est arrivée à l’âge de la conscience, et aux incalculables conséquences que pourrait avoir désormais une bévue, un caprice. […] Je vais jusqu’à dire que, si jamais l’esclavage a pu être nécessaire à l’existence de la société, l’esclavage a été légitime : car alors les esclaves ont été esclaves de l’humanité 171, esclaves de l’œuvre divine, ce qui ne répugne pas plus que l’existence de tant d’êtres attachés fatalement au joug d’une idée qui leur est supérieure et qu’ils ne comprennent pas 172. […] Le nôtre serait supérieur à son maître, parce qu’il sentirait mieux le divin et échapperait par l’amour à l’affreuse réalité. […] Je n’admets pas comme rigoureuse la preuve de l’immortalité tirée de la nécessité où serait la justice divine de réparer, dans une vie ultérieure, les injustices que l’ordre général de l’univers entraîne ici-bas.

279. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Le jeune Alfred-Eugène Cazalis, fils de pasteur, étudiant à la Faculté de théologie de Montauban, soldat au iie d’infanterie, qui va mourir à dix-neuf ans pour la France écrit à ses parents :‌ De plus en plus, en face de ceux qui ont lutté et qui sont morts, en présence de l’effort immense qui a été tenté, je pense à la France qui vient, à la France divine qui doit être. […] Combien aisément il soumet le grand Pan au divin crucifié ! […] La merveille est que ce petit guerrier, qui sait éviter la bassesse sentimentale et l’aveuglement démagogique, conserve une noble humanité dans son âme, et c’est là le miracle de la raison française, la divine souplesse de notre race, quand elle atteint son point de perfection.‌ […] Il dit : « Je m’en vais plein de confiance en la miséricorde divine ; certes, il est dur de faire un tel sacrifice lorsqu’on n’a pas vingt ans.

280. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

En m’asseyant au soleil pour me pénétrer jusqu’à la moelle du divin printemps, j’ai ressenti quelques-unes de mes impressions d’enfance : un moment, j’ai considéré le ciel avec ses nuages, la terre avec ses bois, ses chants, ses bourdonnements, comme je faisais alors. […] Il s’en prend à son âme de ressentir avec tant de vivacité les insinuations et les voluptés de la nature, un jour de divine componction et de deuil, car ce 5 avril était un vendredi saint. […] Car il n’y a pas de milieu ; la croix barre plus ou moins la vue libre de la nature ; le grand Pan n’a rien à faire avec le divin crucifié.

281. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Pourquoi, chez les Grecs en peu d’années, Eschyle, Sophocle et Euripide, comme animés d’un même souffle divin, donnent-ils coup sur coup l’éclat et la perfection à la tragédie ? […] Celle-ci étant réservée pour la fin, on aura donc, avant tout, la suite du peuple de Dieu et de la religion, le peuple juif à tous les moments de son existence, tant qu’il fut le peuple choisi et préféré entre tous, et depuis même qu’il est le peuple rejeté et réprouvé ; la vocation divine longtemps fixée et circonscrite en lui, puis étendue plus tard et transférée à l’immensité des Gentils. […] C’est une vision divine perpétuelle, qu’il développe et révèle à son lecteur.

282. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Et quand il se fut tout à fait réfugié dans l’amour divin, ces formes attrayantes d’un amour profane continuèrent-elles longtemps à repasser dans ses songes ? […] Au pied de l’autel avancée, La douce et blanche fiancée Attendait le divin Époux ; Mais, sans voir la cérémonie, Parmi l’encens et l’harmonie Sanglotait le père à genoux28. […] Il était doux, fleuri, agréablement subtil, épris des antiques chimères, doué des signes gracieux de l’avenir ; et sa prose, encor qu’un peu traînante, ne ressemblait pas mal à ces beaux vieillards divins dont il nous parle souvent, à longue barbe plus blanche que la neige, et qui, soutenus d’un bâton d’ivoire, s’acheminaient lentement au milieu des bocages vers un temple du plus pur marbre de Paros.

283. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

se démêla de ce déluge de métaphores et d’hyperboles, et en sortit, une belle ode à la main, pour célébrer sainte Cécile et le pouvoir divin de la musique : et combien encore, dans cette ode, sous le jeu brillant des images et les marches précipitées du rhythme, un art trop visible dément-t-il l’inspiration, pour laisser voir un calcul de contrastes qui descend quelquefois jusqu’à la puérilité ! […] Dans le milieu est une beauté divine ; son œil la proclame de descendance bretonne, et son port de lion, son visage commandant le respect, et mêlé avec douceur d’une grâce virginale. […] Mais, si quelque étincelle du feu divin de l’âme était là, cette poésie de la geôle cependant ne faisait guère penser à l’art sublime de la Grèce ; elle ne renouait pas, non plus, la tradition brisée et bien fabuleuse pour nous de ces bardes héroïques aperçus dans les nuages par le génie de Gray, rêvant aux pieds des montagnes d’Écosse.

284. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

Ce phénomène de la translation de la pensée de l’esprit de l’un dans l’esprit de l’autre, était nécessaire dans le plan divin pour que l’homme pût se communiquer à l’homme. […] Ainsi, il est évident que quand une philosophie aussi savante et aussi éloquente que celle de Job nous apparaît tout à coup avec le livre qui porte ce nom dans la Bible, cette sagesse, cette expérience, cette éloquence, ne sont pas nées sans ancêtres du sable du désert, sous la tente d’un Arabe nomade et illettré ; il est également évident que quand un poète comme Homère apparaît tout à coup avec une perfection divine de langue, de rythme, de goût, de sagesse, aux confins d’une prétendue barbarie, il est évident, disons-nous, qu’Homère n’est pas sorti de rien, qu’il n’a pas inventé à lui seul tout un ciel et toute une terre, qu’il n’a pas créé à lui seul sa langue poétique et le chant merveilleusement cadencé de ses vers, mais que derrière Job et derrière Homère il y avait des sagesses et des poésies dont ces grands poètes sont les bords ; littératures hors de vue, dont la distance nous empêche d’apprécier l’étendue et la profondeur.

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