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25. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

Il n’a point failli au hasard de son heureuse destinée. […] Si la science a quelquefois recherché les formes de l’arbre dans son germe, il semble qu’on puisse s’expliquer, par cette organisation de Saint-Cyr, la destinée et l’influence de toutes ces femmes qui allaient devenir la tige en fleurs de la société de leur pays et de l’Europe. […] Et, en effet, jamais personne plus digne des respects de l’histoire n’a été plus maltraité par elle que cette grande femme, qui fut pendant trente-deux ans reine de France sous cet étrange nom de Maintenon, qui dit presque sa destinée. […] Il était dans la destinée de madame de Maintenon d’avoir contre elle les deux plus fortes influences qui pussent agir sur la tête d’un pays comme la France : la Philosophie du xviiie  siècle, et, au xviie , la magie du Talent le plus atroce à ses ennemis qui ait peut-être jamais existé ! […] met les lettres de madame de Maintenon bien au-dessous du gracieux caquetage de madame de Sévigné, et cela seul n’est-il pas comme une image de sa destinée et de sa vie ?

26. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Voulez-vous du plaisir pour chaque jour sans le faire concourir à l’ensemble du bonheur de toute la destinée ? […] Si nos facultés, si nos désirs, qui naissent de nos facultés, étaient toujours d’accord avec notre destinée, à tous les âges, on pourrait goûter quelque bonheur ; mais un coup simultané ne porte pas également atteinte à nos facultés et à nos désirs. Le temps dégrade souvent notre destinée avant d’avoir affaibli nos facultés, affaiblit nos facultés avant d’avoir amorti nos désirs. […] Le bruit du vent, l’éclat des orages, le soir de l’été, les frimas de l’hiver ; ces mouvements, ces tableaux opposés produisent des impressions pareilles, et font naître dans l’âme cette douce mélancolie, vrai sentiment de l’homme, résultat de sa destinée, seule situation du cœur qui laisse à la méditation toute son action et toute sa force.

27. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes Ainsi la beauté de chaque partie du poëme, je veux dire la maniere dont chaque scene est traitée, et la maniere dont s’expliquent les personnes, contribuent plus au succès d’un ouvrage que la justesse du plan et que sa regularité ; c’est-à-dire, que l’union et la dépendance de toutes les differentes parties qui composent un poëme. […] Mourir est la destinée de tous les hommes, et finir dans le sein de ses pénates, c’est la destinée des plus heureux. […] Un peu de reflexion sur la destinée des poëmes françois publiez depuis quatre-vingt ans, achevera de nous persuader que le plus grand merite d’un poëme vient de la convenance et de la continuité des images et des peintures que ses vers nous présentent.

28. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Ils ont pour ennemis le besoin qu’a le public de juger et de créer de nouveau, d’écarter un nom trop répété, d’éprouver l’émotion d’un nouvel événement : enfin, la multitude, composée d’hommes obscurs, veut que d’éclatantes chûtes relèvent de temps en temps le prix des conditions privées, et prêtent une force agissante aux raisonnements abstraits qui vantent les paisibles avantages des destinées communes. […] Dans une démocratie, il faut qu’il devance le vœu populaire, qu’il lui obéisse en répondant de l’événement ; qu’il joue chaque jour toute sa destinée, et n’espère rien de la veille pour le lendemain. […] Enfin, nul n’est descendu sans douleur d’un rang qui le plaçait au-dessus des autres hommes ; nul ambitieux du moins, car que sont les destinées sans l’âme qui les caractérise ? […] Les jouissances de la gloire, éparses dans le cours de la destinée, époques dans un grand nombre d’années, accoutument, dans tous les temps, à de longs intervalles de bonheur ; mais la possession des places et des honneurs, étant un avantage habituel, leur perte doit se ressentir à tous les moments de la vie. […] sans que le succès soit élevé plus haut, le revers vous fait tomber plus bas, vous enfonce plus avant dans le néant de votre destinée.

29. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

Les efforts qui peuvent valoir aux hommes de la gloire et du pouvoir, n’obtiennent presque jamais aux femmes qu’un applaudissement éphémère, un crédit d’intrigue ; enfin, un genre de triomphe du ressort de la vanité, de ce sentiment en proportion avec leurs forces et leur destinée : c’est donc en elles qu’il faut l’examiner. […] Mais plus ils sont décidés à juger une femme selon les avantages ou les défauts de son sexe, plus ils détestent de lui voir embrasser une destinée contraire à sa nature. Ces réflexions ne sont point destinées, on le croira facilement, à détourner les femmes de toute occupation sérieuse, mais du malheur de se prendre jamais elles-mêmes pour but de leurs efforts. […] Le hasard amène quelques exceptions, s’il est quelques âmes entraînées, ou par leur talent, ou par leur caractère, elles s’écarteront, peut-être, de la règle commune, et quelques palmes de gloire peuvent un jour les couronner ; mais elles n’échapperont pas à l’inévitable malheur qui s’attachera toujours à leur destinée. […] Celle qui se vouerait à la solution des problèmes d’Euclide, voudrait encore le bonheur attaché aux sentiments qu’on inspire et qu’on éprouve ; et quand elles suivent une carrière qui les en éloigne, leurs regrets douloureux, ou leurs prétentions ridicules prouvent que rien ne peut les dédommager de la destinée pour laquelle leur âme était créée.

30. (1842) Essai sur Adolphe

Il a dévoré dans ses ambitions solitaires plusieurs destinées dont une seule suffirait à remplir sa vie ; il a vécu des siècles dans sa mémoire, et il n’est encore qu’au seuil de ses années. […] « Tous les soirs, en me souvenant de la journée accomplie, en prévoyant la journée prochaine, je bénirai la sérénité harmonieuse de ma destinée, et sur les plaisirs tumultueux des autres femmes j’abaisserai un regard de pitié. […] Serait-il vrai que la destinée humaine répudie, comme un rêve de jeune fille, les dévouements illimités ? […] Déjà fléchissante et ridée, elle sera fière d’avoir été distinguée par un homme destiné à tous les succès du monde. […] Si Ellénore se séparait d’Adolphe le jour où elle est sûre de son abandon, elle pourrait encore espérer sur la terre des jours sereins et paisibles ; si elle acceptait franchement la destinée qu’elle s’est faite, si elle ouvrait les yeux et mesurait la route parcourue, il y aurait encore pour elle des chances de salut ; mais elle sait qu’elle n’est plus aimée, et elle pardonne.

31. (1813) Réflexions sur le suicide

La Volonté de l’homme agit d’ordinaire, il est vrai, concurremment avec la destinée ; mais quand cette destinée devient de la nécessité, c’est-à-dire quand elle prend le caractère de l’irréparable, elle est la manifestation des desseins de la Providence sur nous. […] Il y a un singulier genre d’erreur dans la manière dont la plupart des hommes considèrent leur destinée. […] -C. semble être destinée surtout à confondre ceux qui croient qu’on a le droit de se tuer pour échapper au malheur. […] Qui peut se croire plus sage et plus fort que la destinée, et lui dire : — c’en est trop ?  […] Et tandis que le juste tremble souvent au lit de la mort ; elle se croit assurée de la destinée des bienheureux.

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