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229. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus S’évanouir mon âme et défaillir ma vie ; La cruelle douleur, par degrés assoupie, Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus,    Et de ma pénible agonie Les tourments jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus Que comme dans la nuit parvient à notre oreille Le murmure mourant de quelques sons lointains    Ou comme ces fantômes vains Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille Figure vaguement à nos yeux incertains. […] Claveau, un de nos meilleurs critiques, discutant sur le degré de croyance ou d’incrédulité de l’auteur de Childe Harold, a montré qu’il y a bien des fluctuations chez lui et du va-et-vient. « Après tant d’épreuves, dit-il, il en était revenu à son point de départ, ou plutôt il ne s’en était jamais éloigné ; il n’avait pu dépasser, dans le blasphème et la révolte, ce qu’on peut nommer l’étape des poètes. […] Ce jeune auteur possède à un remarquable degré la faculté du détail ; il est armé d’un instrument d’investigation très-fin, et il a poussé plus d’une fois la précision jusqu’au piquant.

230. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Les nobles, ou ceux qui tenaient à cette première classe, réunissaient en général tous les avantages d’une éducation distinguée ; mais la prospérité les avait amollis, et ils perdaient par degré les vertus qui pouvaient excuser leur prééminence sociale. […] Tout ce qui concernait les anciens obtenait alors un égal degré d’intérêt ; on eût dit qu’il importait bien plus de savoir que de choisir. […] Car il ne faut pas oublier le principe que j’ai posé dès le commencement de cet ouvrage ; c’est que le génie le plus remarquable ne s’élève jamais au-dessus des lumières de son siècle, que d’un petit nombre de degrés.

231. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Ceux qui sous un tel ordre de choses sont nés dans la classe privilégiée, ont à quelques égards beaucoup de données utiles ; mais d’abord la chance des talents se resserre, et à proportion du nombre, et plus encore, par l’espèce de négligence qu’inspirent de certains avantages ; mais quand le génie élève celui que les rangs de la monarchie avaient déjà séparé du reste de ses concitoyens, indépendamment des obstacles communs à tous, il en est qui sont personnels à cette situation ; des rivaux en plus petit nombre, des rivaux qui se croient vos égaux à plusieurs égards, se pressent davantage autour de vous, et lorsqu’on veut les écarter, rien n’est plus difficile que de savoir jusqu’à quel point il faut se livrer à la popularité, en jouissant de distinctions impopulaires ; il est presqu’impossible de connaître toujours avec certitude le degré d’empressement qu’il faut montrer à l’opinion générale : certaine de sa toute puissance, elle en a la pudeur, et veut du respect sans flatterie ; la reconnaissance lui plaît, mais elle se dégoûte de la servitude, et rassasiée de souveraineté, elle aime le caractère indépendant et fier, qui la fait douter un moment de son autorité pour lui en renouveler la jouissance : ces difficultés générales redoublent pour le noble, qui dans une monarchie veut obtenir une gloire véritable ; s’il dédaigne la popularité, il est haï : un plébéien dans un État démocratique, peut obtenir l’admiration en bravant la popularité ; mais si un noble adopte une telle conduite dans un État monarchique, au lieu de se donner l’éclat du courage, il ne ferait croire qu’à son orgueil ; et si, cependant, pour éviter ce blâme, il recherche la popularité, il est sans cesse près du soupçon ou du ridicule. Les hommes ne veulent pas qu’on renonce totalement à ses intérêts personnels, et ce qui est, à un certain points contre leur nature, est déjoué par eux ; de tous ses avantages il n’y a que la vie qu’on puisse sacrifier avec éclat ; l’abandon des autres, quoique bien plus rare et plus estimable, est représenté comme une sorte de duperie ; et quoique ce soit le plus haut degré du dévouement, dès qu’il est nommé duperie, il n’excite plus l’enthousiasme de ceux mêmes qui sont l’objet du sacrifice. […] Si la gloire est un moment stationnaire, elle recule dans l’esprit des hommes, et aux yeux mêmes de celui qui s’en voyait l’objet : sa possession émeut l’âme si fortement, exalte à un tel degré toutes les facultés, qu’un moment de calme, dans les objets extérieurs, ne sert qu’à diriger sur soi toute l’agitation de sa pensée : le repos est si loin, le vide est si près, que la cessation de l’action est toujours le plus grand malheur à craindre.

232. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

« À un crochet peint sur le mur, dit un philosophe anglais, on ne peut suspendre qu’une chaîne peinte sur le mur. » Laissons là les mots, étudions les événements, seuls réels, leurs conditions, leurs dépendances, et certainement, en reprenant le sentier ouvert par Condillac, rouvert par James Mill et ses successeurs anglais, nous arriverons par degrés à faire une science de choses et de faits. […] Par suite, l’on verrait, dans les groupes de sensations rudimentaires dont nous n’avons pas conscience, des âmes rudimentaires ; et, de même que l’appareil nerveux est un système d’organes à divers états de complication, de même l’individu psychologique serait un système d’âmes à divers degrés de développement. […] Enfin, au plus bas degré de l’échelle animale, dans les zoophytes pair exemple, où nul système nerveux ne se montre et où là matière nerveuse n’existe probablement qu’à l’état diffus, la pluralité et la division sont plus grandes encore ; car on peut couper un polype en tous sens et même le hacher ; Chaque fragment se recomplète et fournit un animal qui a toutes les facultés et tous les instincts de l’animal primitif.

233. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Nous méprisions toutes les vexations, mais ce dernier degré de grossièreté faisait toujours rougir ma tante et moi. » Le plus cruel moment pour elle fut celui où, après la mort de son père, après la disparition de sa mère, de sa tante, ignorant le sort définitif de ces deux têtes si chères, dans les semaines qui précédaient le 9 Thermidor, elle entendait de loin son frère, déjà en proie aux corrupteurs, et à qui le cordonnier Simon faisait chanter des chansons atroces : Pour moi, dit-elle, je ne demandais que le simple nécessaire ; souvent on me le refusait avec dureté. […] Son honneur est de n’avoir à aucun degré laissé la littérature, le roman, le drame, s’introduire dans le sanctuaire, à jamais voilé, de sa douleur. […] Elle était aumônière à un degré qu’on ne sait pas, et qu’il est difficile d’approfondir ; ceux qui étaient le plus au fait de ses charités et de ses œuvres en découvrent chaque jour qui sortent de dessous terre, et qu’on n’avait pas connues.

234. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Car de même que la souffrance des bêtes est plus douloureuse à voir que celle des hommes, parce qu’en ces êtres muets et séparés, on n’en mesure ni le degré ni la justice, pour ce témoin distant que fut Dosloïewski, la souffrance humaine parut épouvantable et énorme ; ignorant des causes, et ne sachant des hommes qu’il ne connaît pas, que leur plainte, hagard et apitoyé, il se penche sur la vie avec consternation, et il en dit toutes les horreurs et toute la fange, avec le singulier mélange d’insistance et de pitié, que l’on met à raconter quelque horrible accident, aperçu au hasard rapide d’un passage, noté en sa seule horreur, et retenu sans enquête comme cruellement immérité. […] Par une autre conséquence du même principe, le spectacle de la souffrance humaine, physique et morale, perçue d’ailleurs dans un milieu où l’homme pâtit plus qu’ailleurs, l’affligeait d’un choc plus violent que cela n’a lieu pour le commun de hommes ; car il ne pouvait réfléchir combien les malheureux sont détestables parfois, ni mesurer exactement le degré de leur infortune, qui prend une intensité entièrement différente, selon qu’on néglige ou qu’on compte le fait de l’accoutumance. […] De là, si l’on amplifie ces aptitudes au degré où elles deviennent géniales, le merveilleux dessin de ses personnages ; de là surtout leur caractère charnel, farouche, violent, brutal et inintelligent, que Dostoïewski dut découvrir latent dans sa nature fruste d’homme plus animal que spirituel.

235. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Non, l’être que je sens en moi est un être actif, éternellement tendu, aspirant sans cesse à passer d’un état à l’autre : c’est un effort ou au moins une tendance, à un moindre degré encore une attente, mais toujours quelque chose tourné vers l’avenir, une anticipation perpétuelle d’être, et en quelque sorte une prélibation de l’avenir. […] Ces différents états, susceptibles d’une infinité de degrés, sont comme des passages de la conscience à l’inconscience, sans qu’on puisse affirmer qu’il y ait jamais un état d’inconscience absolue. L’esprit semble ainsi retourner par degrés vers cet état de végétation obscure d’où il est sorti, et par où il se rattache aux êtres inférieurs.

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