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134. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

M. d’Aguesseau aurait préféré, nous dit son fils, rester dans la pure et véritable magistrature, et passer ses jours dans une charge de conseiller au Parlement de Paris, et il ajoute, en des termes qui rappellent l’hôtel Rambouillet plus subtilement qu’il ne convenait à un ami et à un disciple de Boileau : « Les maîtres des requêtes ressemblent aux désirs du cœur humain, ils aspirent à n’être plus ; c’est un état qu’on n’embrasse que pour le quitter… » Or, cette phrase étrange sur les maîtres des requêtes, comparés aux désirs du cœur qui aspirent à n’être plus, serait inexplicable chez un aussi bon esprit sans une phrase de saint Augustin qui dit cela, en effet, des désirs du cœur humain (sunt ut non sint). […] De la modération, du ménagement en toutes choses, une intelligence vaste et tempérée, un sincère et ingénu désir de conciliation, une mémoire prodigieuse, immense, une expression pure, élégante et soignée, cette politesse affectueuse qui naît d’un fonds d’honnêteté et de candeur, c’est ce que témoignent tous ses écrits, et ce qu’on lirait aussi, jusqu’à un certain point, dans les traits de son noble et beau visage, dans ce sourire discret, dans cet œil fin, bienveillant et doux, et jusque dans ces contours si ronds et sensiblement amollis, où rien n’accuse la vigueur.

135. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Le désir et l’espoir me prennent de tirer quelque chose de chacun de ces volumes ; car pour peu qu’il y ait au fond une nature de poète, si incomplète qu’elle soit, on a chance d’y rencontrer tel accent, telle note, telle particularité d’expression et de sentiment qui ne se retrouvera plus. […] Ce que j’ai lu depuis de ce jeune poète me l’a montré de plus en plus en voie de se dégager ; avec la facture dont il dispose déjà habilement, il a un noble désir. […] Ce chevreuil si bien dessiné, qui n’est ni tout à fait apprivoisé ni tout à fait sauvage, et qui ressemble à certains poètes, se sent saisi d’un plus violent désir de liberté dans la saison des amours. […] [NdA] Dans la Revue des deux mondes du 1er mars 1852, je lis, comme en réponse à mon vœu et à mon désir, une belle et large idylle de M. de Laprade, intitulée Les Deux Muses : l’amour y a sa part, bien que le culte de la nature y garde le dessus : selon moi, c’est son chef-d’œuvre, sa pièce la plus accessible et la plus sentie. — Il n’a guère persisté dans cette voie, il a continué de platoniser, d’évangéliser vaguement en vers, en même temps qu’il est quelque peu devenu (depuis surtout son entrée à l’Académie) un homme de coterie religieuse et politique. — Un critique de beaucoup de finesse, mais dont il faut détacher les mots piquants du milieu de bien des fatuités et des extravagances, Barbey d’Aurevilly, comparant un jour les dernières poésies de M. de Laprade avec celles d’un autre poète également moral et froid, concluait en disant : « Au moins, avec M. de Laprade, l’ennui tombe de plus haut. » C’est plus satirique que juste, mais le mot est lâché : l’écueil est là ; gare aux beaux vers qui sont ennuyeux !

136. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Et l’on identifie par surcroît la vérité avec le désir ou l’amour. […] Ainsi s’oriente le monde vers la « sensibilité », vers l’idée d’abord et le désir, peu à peu vers la réelle capacité des plaisirs du sentiment. […] Mais de tous les côtés nous rencontrons les dispositions enthousiastes ou rêveuses, le bouillonnement sentimental du désir ou de la tristesse, je ne sais quelle inquiète projection des sentiments intérieurs sur l’univers environnant.

137. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

Paul Souchon en avant-dire de Phyllis nous fait présenter son désir de créer une tragédie moderne. […] Satire des éternels retours de l’appétit populaire, satire des vices, des désirs de la foule, satire des meneurs d’homme, le Roi Bombance grouille d’une vie innombrable et puissante. […] Édouard Schuré déclare : « Or, parmi les temples nécessaires, il n’en est pas que notre temps appelle d’un plus impérieux désir que le théâtre.

138. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

Le métier qu’a fait Boileau ne se justifie que quand il s’agit d’un mauvais auteur qui jouit de la faveur générale, et par conséquent d’une funeste erreur publique à rectifier ; mais attaquer Pinchène et Bonnecorse, c’est s’accuser soi-même ; car c’est avouer qu’on les a lus, et qui vous forçait à les lire si ce n’est le désir d’y trouver matière à des épigrammes ? Et ce désir n’est pas charitable, et le genre littéraire qui en dérive est le plus méprisable des genres littéraires.

139. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Goriot s’installa chez elle, Mme Vauquer se coucha le soir en rôtissant, comme une perdrix dans sa barde, au feu du désir qui la saisit de quitter le suaire du Vauquer pour renaître en Goriot. […]   « Je cède à ton désir. […] Quoique délaissé par ma mère, j’étais parfois l’objet de ses scrupules, parfois elle parlait de mon instruction et manifestait le désir de s’en occuper ; il me passait alors des frissons horribles en songeant aux déchirements que me causerait un contact journalier avec elle. […] me dit mon hôte en lisant dans mes yeux l’un de ces pétillants désirs toujours si naïvement exprimés à mon âge, vous sentez de loin une jolie femme comme un chien flaire le gibier. […] Cette révélation involontaire rendait pensifs ceux qui ne sentaient pas une larme intérieure séchée par le feu des désirs.

140. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

De la vie de l’instinct et du désir, de la vie des organismes et de la chair, des tragiques conflits de la force, elle s’est détournée avec hauteur, pour s’ensevelir dans la pourpre sombre de sa tristesse. […] La « matière », plus intimement scrutée, a prouvé qu’elle contenait de la vie spirituelle ; la cellule révèle un instinct, une tendance, un désir d’où une finalité, c’est-à-dire une virtualité d’intelligence. […] Les méthodes littéraires de Zola sont celles d’un « parvenu », qui s’est efforcé de pénétrer les choses de l’extérieur, qui ne s’est jamais assis à la table de la vie et qui n’a jamais réellement vécu… »‌ Et le critique ajoute quelques lignes plus loin : « Le jeune homme famélique dont les yeux étaient concentrés avec un désir ardent sur le monde visible a tiré un certain bénéfice de sa chasteté intellectuelle ; il a préservé des choses matérielles sa clarté de vision, une vision avide, insatiable, impartiale… La virginale fraîcheur de sa soif de vie, donne à son œuvre son souffle de vigueur et de jeunesse, son indomptable énergie ». […] Autant je donne mon admiration entière à Zola pour son ardente foi de révolutionnaire, de réaliste et de libre penseur, autant je salue joyeusement son indomptable et âpre désir de vérité, autant je lui reproche d’avoir amoindri l’humanité, d’avoir amputé le monde de la moitié de lui même, d’avoir étriqué de nouveau la vie, d’avoir privé en somme l’univers de son âme lui, le vivant et le robuste, le sincère et le sain à qui semblait réservé un plus vaste rôle. […] Je ne sais si nos désirs et nos appétits deviennent plus conscients, mais nous exigeons toujours plus d’air, toujours plus de réalité, et nous souhaitons pour la France un homme nouveau, aussi puissant que Zola, mais plus largement vital, qui ne s’enchaîne pas à une méthode, qui ne compromette pas sa propre liberté, qui étreigne librement la vie, qui se plie à tous ses aspects, qui rende toutes ses couleurs et toutes ses variétés, qui comprenne d’une façon moins étroite la purification par la science de la pensée.

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