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2099. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

Tel fut le mal — l’irréparable mal — pour Philarète Chasles, le mal au plus profond de facultés superbes et qui les empêcha de fonctionner avec l’éclat, la précision, la gravité, la profondeur, la toute-puissance d’ensemble qu’elles auraient eues s’il eût été élevé par un autre homme que par un père, qui en lit d’abord, le croira-t-on ? […] Il se vieillissait, geignait et se plaignotait avec une manière de dire : Je suis fâ-ti-gué, fâ-ti-gué que je crois entendre encore. […] Comme ce titre pouvait s’appliquer à tous les ouvrages de l’auteur, qui n’a fait que voyager à travers les livres toute sa vie, et qui, même, sans les livres d’autrui, n’en aurait pas probablement écrit un seul, il s’est cru obligé, pour être clair et précis, de donner un sous-titre à son titre, et il a appelé son livre L’Angleterre politique, — ce qui aurait parfaitement suffi, puisqu’il ne s’agit dans ce volume que de l’Angleterre et de quelques écrivains anglais. […] Rien ne montre mieux que le livre de L’Angleterre politique la misère du journalisme qui se croit tout permis, et qui écrit l’histoire de la minute qui passe, et la misère, plus profonde encore, d’une pareille histoire ! […] J’ai toujours cru que Macaulay avait dû beaucoup agir sur Chasles, et doublement : par la similitude des opinions et des natures.

2100. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Je crois qu’en assimilant Ruskin au préraphaélisme, on commet une grave erreur aux dépens de l’esthéticien-philosophe. […] Je ne crois pas. […] S’il a pour but le mensonge, j’avoue le mépriser malgré les plus admirables artifices dont il puisse entourer le mensonge ; s’il doit être au contraire l’expression d’une vérité plus profonde et plus réelle que la vérité courante, comme je le crois, il nous faut avouer que l’artiste doit, en ce cas particulier, céder le pas à l’humble photographe.‌ […] Je n’entends pas dire par là qu’un artiste est moderne parce qu’il inonde sa toile des tons les plus aveuglants, comme quelques-uns le crurent, qui ne produisirent ainsi que des ébauches informes. […] Alors qu’en divers pays, quelques artistes de génie en qui vibrait le souffle de l’esprit nouveau, s’épanouissaient au grand air et à la lumière, refusant d’admettre pour l’art un soleil spécial, d’une autre nature que celui qui nous éclaire, et une atmosphère sans rapport avec celle qui nous nourrit, alors que l’art se replongeait à nouveau dans la vie, les néo-Primitifs s’étouffaient sous mille préjugés moraux, abîmés dans la rêverie, dépourvus de toute saine notion d’ensemble et de nature, fermaient les yeux à tout ce que leur présentait le monde, et croyaient « sublimer » la réalité en la trahissant sans relâche.

2101. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

S’il ne fallait considérer que l’honneur et la vitalité de la race, je ne pourrais le croire. […] « Essayons, se dit-il, peut-être croira-t-on de nouveau en moi, si l’on voit encore ma face… Peut-être croira-t-on encore à ma vigueur éternelle… » Et il parle aux hommes qui le pensaient enseveli dans un éternel silence. […] C’est bien plus la délivrance des cerveaux envahis par la pensée libre que la délivrance du territoire envahi par l’étranger, puisque la cause spirituelle, la libre pensée, a produit l’effet matériel, l’invasion, si j’en crois cette phrase de l’archevêque Guibert : « En punition d’une apostasie presque générale, la société a été livrée à toutes les horreurs de la guerre avec l’étranger victorieux. » C’est une pénitence nationale de l’irréligion, et il n’y a qu’à lire tous les documents pour se persuader que c’est bien là le sens qu’on a voulu donner au « Vœu ». […] Les plans lointains du panorama dessinaient leur succession par une série de bandes horizontales, de plus en plus claires, bordées de lignes sinueuses, et — dans la transfiguration marine que subissait alors, en l’esprit de Victor Charme, le majestueux spectacle, — ces lignes de plans scandaient par larges lames la houle tumultueuse des combles ardoisés, changés en croupes de flots mouvants… « Voyez, dit-il, ne se croirait-on pas au bord d’une falaise ?

2102. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Je le crois ; et j’espère le prouver. […] Vers 1898, à la suite de nombreuses lectures, je crus constater une décadence grandissante du roman français et recueillis une série de notes intitulées « fin du roman ». […] Benedetto Croce s’est élevé avec force, à plusieurs reprises, contre la vieille école qui croit à la réalité des genres littéraires. Les genres, dit-il, sont des abstractions, non des réalités ; ce sont des mots, utiles dans la pratique pour certains groupements passagers et plus ou moins arbitraires, mais des mots dépourvus de toute valeur scientifique ; ils ne répondent à aucune fonction psychologique de l’artiste créateur ; c’est une erreur, et même une erreur ridicule, que de croire à l’existence de ces catégories, que de parler d’une évolution des genres, et que de prétendre en fixer les lois. — Or, nul ne saurait rester indifférent au jugement, aux idées de M.  […] Croit-on vraiment que Mme de Sévigné ait jugé de même ?

2103. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Ne sçauroit-on croire donc qu’il est des temps où dans le même païs, les hommes naissent avec plus d’esprit que dans les temps ordinaires ? […] On peut croire cependant que les sculpteurs les plus habiles y furent employez, quand ce n’auroit été que par égard pour le lieu où l’on l’élevoit. […] Croit-on que les arts fussent sans consideration sous leur regne ? […] On peut donc croire que les marchands, dont la profession étoit de négocier en esclaves, examinoient avec soin et avec capacité, si parmi les enfans qu’ils élevoient pour les vendre, il ne s’en trouvoit pas quelqu’un qui fut propre à devenir un sculpteur habile. […] On a même une autre raison de croire que ces pierres ont été gravées du tems d’Auguste.

2104. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Donc, dans l’hypothèse de la réciprocité, on a au moins autant de raison que le sens commun de croire à un Temps unique : l’idée paradoxale de Temps multiples ne s’impose que dans l’hypothèse du système privilégié. […] On entend par là qu’on n’aperçoit aucune raison de croire le contraire : quand les apparences sont d’un certain côté, c’est à celui qui les déclare illusoires de prouver son dire. […] Maintenant, il est aisé de voir que l’autre simultanéité, celle qui dépend d’un réglage d’horloges effectué par un échange de signaux, ne s’appelle encore simultanéité que parce qu’on se croit capable de la convertir en simultanéité intuitive 32. […] Ce retard me fera toujours croire que le temps mis par la lumière à parcourir l’intervalle est celui qui correspond à une vitesse constamment la même. […] Nous n’irions pas aussi loin ; mais c’est bien dans la direction idéaliste, croyons-nous, qu’il faudrait orienter cette physique si l’on voulait l’ériger en philosophie.

2105. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Jamais esprit, je crois, ne s’est figuré avec un détail plus exact et une plus grande énergie toutes les parties et toutes les couleurs d’un tableau. […] Il pense incessamment et en frissonnant à la chambre où on le croit endormi. […] L’esprit fixé avec une frénésie d’attention sur la porte, il finit par croire qu’on l’ouvre, il l’entend grincer. […] Ne le croyez pas, et si vous le croyez, ne le dites point. […] Croyez que l’humanité, la pitié, le pardon, sont ce qu’il y a de plus beau dans l’homme ; croyez que l’intimité, les épanchements, la tendresse, les larmes, sont ce qu’il y a de plus doux dans le monde.

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