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14. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Fénelon fait tout pour corriger le duc de Chevreuse de cet excès intellectuel, et pour l’en guérir : Je crains toujours beaucoup, lui écrit-il (août 1699), votre pente excessive à raisonner : elle est un obstacle à ce recueillement et à ce silence où Dieu se communique. […] Une lettre souvent citée qui commence ainsi : « Enfant de saint Louis, imitez votre père… », indique en termes généraux quelle largeur de piété et quelle ouverture de cœur il lui souhaitait pour se faire aimer des bons, craindre des méchants, estimer et considérer de tous. […] Le vice et l’orgie, trop muselés sur cette fin de Louis XIV, craignent de l’être encore plus et d’une autre manière sous son petit-fils. […] C’est à lui à faire aimer, craindre et respecter la vertu jointe à l’autorité. […] Habert, à faire un extrait de la vraie doctrine de saint Augustin, le Fénelon qui déclare « que les libertés de l’Église gallicane sont de véritables servitudes », qui craint la puissance laïque bien plus que la spirituelle et l’ultramontaine, et qui redoute le danger d’un schisme tout autant que l’invasion de la France, ce Fénelon n’est pas celui que les philosophes de l’âge suivant ont façonné et remanié à leur gré.

15. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Si j’ai des ennemis parmi vous, je ne crains pas de les prendre eux-mêmes à témoin. […] Je vous respecte beaucoup, mais je ne vous crains nullement, et peut-être pourrois-je me faire craindre si vous en usiez mal ; car autant je suis disposé à rendre justice à la Congrégation sur ce qu’elle a de bon, autant devez-vous compter que je relèverois vivement ses endroits faibles si vous me poussiez à bout, ou si j’apprenois seulement que vous en eussiez le dessein. […] Il rappelle aux supérieurs de la Congrégation leur faiblesse dans l’affaire de la Constitution Unigenitus : « Vous avez reçu si respectueusement la Constitution, que je ne saurois douter que vous ne receviez de même un bref qui vient de la même source. » Il ne craint pas de montrer le bout de l’escopette, de laisser entrevoir au besoin, si on l’y force, toute une série de Provinciales nouvelles, déjà en embuscade, et prêtes à faire feu sur les rangs de la Congrégation : « Il est injuste, dit-il, que les Jésuites en fournissent toujours la matière. » Prevost a du faible pour les Jésuites, quoiqu’il les ait deux fois quittés. […] Tout à côté on rencontre le père Tirman , qui a de l’esprit et de l’érudition ; « mais, comme il n’a pas la tête des plus fortes, on craint qu’à force de la charger la voiture ne se brise. » Il serait piquant de savoir à quel docte confrère des De La Rue et des Montfaucon s’appliquaient ces divers signalements.

16. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Enfin, il faut qu’il évite sans cesse tous les genres de démonstration du vrai ; mais aussi agité qu’un coupable qui craint la révélation de son secret, il sait qu’un homme d’un esprit fin peut découvrir dans le silence de la gravité, l’ignorance qui se compose, et dans l’enthousiasme de la flatterie, la froideur qui s’exalte. […] Si vous supposez, au contraire, à l’homme ambitieux un génie supérieur, une âme énergique, sa passion lui commande de réussir ; il faut qu’il courbe, qu’il enchaîne tous les sentiments qui lui feraient obstacle ; il n’a pas seulement à craindre la peine des remords qui suivent l’accomplissement des actions qu’on peut se reprocher, mais la contrainte même du moment présent est une véritable douleur. […] Quelques-uns d’eux craignent de se tromper, en renonçant au bien qu’il voulait leur faire ; aucun ne peut mépriser ni ses efforts, ni son but ; il lui reste sa valeur personnelle, et l’appel à la postérité ; et si l’injustice le renverse, l’injustice aussi sert de recours à ses regrets. […] Des crimes de tout genre, des crimes inutiles aux succès de la cause, sont commandés par le féroce enthousiasme de la populace ; elle craint la pitié, quel que soit le degré de sa force, c’est par de la fureur, et non de la clémence qu’elle sent son pouvoir. […] Il ne partage point les terreurs que l’ignorance fait éprouver, mais il faut qu’il accomplisse les affreux sacrifices qu’elle demande ; il faut qu’il immole des victimes qu’aucun intérêt ne lui fait craindre, que son caractère souvent lui inspirait le désir de sauver ; il faut qu’il commette des crimes sans égarement, sans fureur, sans atrocité même, à l’ordre d’un souverain dont il ne peut prévoir les commandements, et dont son âme éclairée ne saurait adopter aucune des passions.

17. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Quand ils ont manqué, ils craignent plus qu’il le sache, qu’ils ne craignent qu’on les châtie. L’appréhension de lui déplaire était la seule chose que craignait l’armée romaine ; jamais les soldats ne méprisèrent autant l’ennemi et ne redoutèrent si fort leurs chefs ; jamais ne furent tous ensemble si ders et si dociles, ne se débordèrent avec tant d’impétuosité à la campagne, et ne reprirent leur place dans le camp avec moins d’apparence d’en être sortis. […] … Auguste suivait le conseil de la nature, qui veut que tout ce qui travaille se repose, qui entretient la durée par la modération, et menace la violence de fin… Ce repos, ces distractions sont des besoins de la vie humaine, quelque riche et suffisante à soi-même qu’elle puisse être d’ailleurs… Ce sont, à proprement parler, les voluptés de la raison et les délices de l’intelligence… Un grand philosophe28 n’a pas craint de dire que le repos et le divertissement n’étaient pas moins nécessaires à la vie que les repas et la nourriture… Mais il ne veut pas que les sages passent le temps comme le vulgaire.

18. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

., et je n’ai pas craint de le mettre parce que je suis assurée que vous ne le ferez pas imprimer, quand même le reste vous plairait. […] Nous autres grands auteurs sommes trop riches pour craindre de rien perdre de nos productions… » Notons bien tout ceci : Mme de Sablé dévote, qui, depuis des années, a pris un logement au faubourg Saint-Jacques, rue de la Bourbe, dans les bâtiments de Port-Roval de Paris ; Mme de Sablé, tout occupée, en ce temps-là même, des persécutions qu’on fait subir à ses amis les religieuses et les solitaires, n’est pas moins très présente aux soins du monde, aux affaires du bel esprit ; ces Maximes, qu’elle a connues d’avance, qu’elle a fait copier, qu’elle a prêtées sous main à une quantité de personnes et avec toutes sortes de mystères, sur lesquelles elle a ramassé pour l’auteur les divers jugements de la société, elle va les aider dans un journal devant le public, et elle en travaille le succès. Et d’autre part, M. de La Rochefoucauld, qui craint sur toutes choses de faire l’auteur, qui laisse dire de lui dans le discours en tête de son livre, « qu’il n’aurait pas moins de chagrin de savoir que ses Maximes sont devenues publiques, qu’il en eut lorsque les Mémoires qu’on lui attribue furent imprimés » ; M. de La Rochefoucauld, qui a tant médit de l’homme, va revoir lui-même son éloge pour un journal ; il va ôter juste ce qui lui en déplaît.

19. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 266-267

Mathieu est aussi l’Auteur d’une Tragédie intitulée la Ligue, Tragédie mauvaise, comme on peut le croire, où l’on trouve ces Vers que Racine semble avoir imités : Je redoute mon Dieu, c’est lui seul que je crains… On n’est point délaissé, quand on a Dieu pour pere ; Il ouvre à tous la main, il nourrit les corbeaux, Il donne la pâture aux jeunes passereaux, Aux bêtes des forêts, des prés & des montagnes, Tout vit de sa bonté, &c…… L’Auteur d’Athalie dit : Je crains Dieu, cher Abner, & n’ai point d’autre crainte…..

20. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

D’autres expressions du cru sont moins agréables ; Mme de Gasparin, en général, les prodigue, et je crains même que parfois, excitée qu’elle est et dans son entrain d’émulation, elle ne les force un peu. […] Elle craignait même de lire en sa nouveauté Notre-Dame de Paris. […] J’en ai remarqué un avec ces mots : Crains Dieu ! Ces mots sont bien placés dans ces grandes œuvres divines, sur ces puissants arbres qui vous disent de craindre la main qui les a plantés. » Tout cela est pur, net, distinct, bien vu, bien dit, rapidement conté ; c’est classique, c’est attique et irréprochable. […] Mais Eugénie de Guérin craignait l’excès ; elle n’appuie pas, elle ne tâche pas : elle avait du goût51.

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