Son maître, dont ce n’était pas le compte, l’enferma vivant dans un coffre pour l’y faire mourir : « Nous allons « voir pour le coup, disait-il, à quoi te serviront tes « Muses maintenant. » Mais quand il rouvrit le coffre, au bout d’une année, il le trouva tout rempli de rayons de miel ; c’était l’œuvre des abeilles, messagères des Muses, qui étaient venues de leur part nourrir le prisonnier.
… XXXVIII Quoiqu’il en soit, le 20 mars 1835, après avoir entendu dans la soirée de la veille le Requiem de Mozart, chanté, à sa prière, par deux Allemands musiciens de sa connaissance ; après avoir donné quelques coups de pinceau à son tableau et après avoir lu en silence quelques versets de sa Bible, il était monté à son atelier, où son frère, en entrant, le trouva sans vie au pied de son chevalet.
Les volets battent contre les murs ; un soleil pâle entre dans les enclos par dessus les haies ; les enfants jouent sur l’herbe au seuil de l’habitation de leurs mères ; tout présente à l’œil des visiteurs étonnés l’aspect d’une guinguette morte des environs de Paris, enclavée par hasard dans une enceinte, et où le silence et le recueillement d’un couvent ont succédé tout à coup au tumulte des fêtes, au cliquetis des verres et au bruit des instruments et des danses du peuple.
Non, les jugements du premier coup sont des impressions et non des jugements ; autrement il faudrait convenir que l’existence, la réflexion, l’expérience des hommes, sont de vains mots qui n’ont aucune influence, aucun amendement, aucun progrès à nous apporter, et que Dieu, en nous accordant le temps, ce grand révélateur de la vérité en tout genre, ne nous a donné qu’une déception dont nous n’avions aucun besoin pour être plus éclairés et plus sages qu’à notre premier mot dans la vie.
Il sait trahir et frapper à mort, sans qu’on voie la main d’où partent les coups.
Mais quel prix ces vérités satiriques, lancées d’une main si sûre et si légère, ne donnent-elles pas à des mots comme celui-ci sur nos soldats, les fils de ceux que César mit dix ans à vaincre : « Ils se présentent aux coups avec délices, et bannissent la crainte par une satisfaction qui lui est supérieure !
Rousseau a beau qualifier d’avance de « menteur et d’hypocrite » quiconque osera dire « que la peinture d’une jeune personne honnête qui se laisse vaincre à l’amour, et qui, étant femme, redevient vertueuse, est scandaleuse et n’est pas utile » ; il a beau dire, dans sa correspondance, que « quiconque, après avoir lu la Nouvelle Héloïse, la peut regarder comme un livre de mauvaises mœurs, n’est pas fait pour aimer les bonnes » ; sous le coup de cette double menace, je me risque à dire, avec tout le monde, que la Nouvelle Héloïse n’est ni un livre utile ni un livre de bonnes mœurs.