Et pourtant l’Académie a subsisté, a revécu du moins, et sans trop se modifier encore ; elle a peu dévié de l’esprit de sa fondation, elle y est revenue dès qu’elle a pu ; elle a même gardé de son prestige, et le mot de d’Alembert, dans son ingénieuse préface des Éloges, qui répond d’avance à tout, reste parfaitement vrai : « L’Académie française, dit-il, est l’objet de l’ambition secrète ou avouée de presque tous les gens de lettres, de ceux même qui ont fait contre elle des épigrammes bonnes ou mauvaises, épigrammes dont elle serait privée pour son malheur, si elle était moins recherchée101. » Montesquieu, Boileau lui-même, Charles Nodier, avaient commis bien des irrévérences contre le corps ou contre les membres immortels, et ils en ont été ; et, chose plaisante ! […] Échapper toujours aux ridicules littéraires, c’est beaucoup, c’est difficile pour un corps ; mais surtout ne jamais donner accès aux vices littéraires, voilà le possible et l’essentiel. […] Il y a enfin dans l’Académie le grand corps de l’État, — je passe et m’incline.
Autour des organes officiels et des corps constitués, une foule d’individus faisaient la guerre de partisans : en général, ils déployèrent plus d’animosité que de talent. […] Transposons ces termes violents en langage impartial : il est très vrai que l’Encyclopédie fit des philosophes un parti, et des idées individuelles un corps de doctrine. […] Mais il n’y a en somme qu’une œuvre de Marmontel qui appartienne aujourd’hui à ce que j’appellerais la littérature vivante : ce sont ces Mémoires si naïfs, où il nous décrit sa carrière de beau gars limousin lancé à travers la plus libre société qui fût jamais, où il promène avec un si parfait contentement de soi-même sa robuste médiocrité parmi les cercles les plus distingués de ce siècle intelligent : corps, esprit, moralité, tout est solide, massif, insuffisamment raffiné chez ce paysan parvenu de la littérature.
Et c’est un tel corps qui serait en décadence ? […] Son influence présente est plutôt fâcheuse ; la faute en est moins à elle-même, qui agit sans discernement, ainsi que tous les corps constitués actuels, qu’au snobisme de la jeunesse. […] Ils sont au port d’attache, et rivés à leurs corps mort, sans aucun souci de prendre désormais le large.
Mais les Pensées comme les Maximes vivent par le fond ; et c’est faute de vue ou d’impartialité qu’on prend pour des figures peintes des corps pleins d’embonpoint et de vie. […] Tenez pour vraie toute chose qui prend ainsi possession de vous, qui fait corps avec vous ; tenez pour mal écrit tout ce que vous oubliez. […] Plongez les yeux plus avant, et regardez, dans cette échauffourée, les luttes des ambitions rivales, leur accord passager au détriment de la puissance publique, les illusions, les haines, les préjugés des partis, les entraînements des corps, les convoitises ; c’est une image en raccourci des révolutions.
Le Cyprien des Sœurs Vatard, le Cyprien et l’André de En Ménage, le duc Jean de A Rebours semblent être, en fin de compte, des couples d’yeux montés sur des corps mobiles, aboutissant à de formidables, ganglions optiques, qui pénètrent toute la masse cérébrale de leurs fibrilles radiées. […] Assurément cette phrase peut rivaliser avec les pigments qu’elle décrit : « Des branches de corail, des ramures d’argent, des étoiles de mer ajourées comme des filigranes et de couleur bise, jaillissent en même temps que de vertes tiges supportant de chimériques et réelles fleurs, dans cet antre illuminé de pierres précieuses comme un tabernacle, et contenant l’inimitable et radieux bijou, le corps blanc, teinté de rose aux seins et aux lèvres, de la Galatée, endormie dans ses longs cheveux pâles ». […] Et toutes ces propriétés cachées d’une âme muette, se manifestent en ce corps des intelligences littéraires, le style.
La dureté du bronze n’est ni dans le cuivre ni dans l’étain ni dans le plomb qui ont servi à le former et qui sont des corps mous ou flexibles ; elle est dans leur mélange. […] La pression exercée par un ou plusieurs corps sur d’autres corps ou même sur des volontés ne saurait être confondue avec celle qu’exerce la conscience d’un groupe sur la conscience de ses membres.
La prétendue incapacité était fondée sur le défaut corporel : « Le sieur de Pons a un corps bossu et contrefait ; il est moins homme que nain ; la singularité de son extérieur frappe de surprise et peut scandaliser les faibles. » — Je ne sais, répliquait l’abbé de Pons dans un factum plein de convenance, si l’amour-propre m’a fasciné les yeux, mais il me paraît que mon peintre n’a pas flatté son modèle, et que je puis à présent me montrer avec confiance. […] Le petit abbé au corps infirme s’était attaché de bonne heure à l’ingénieux aveugle, et sans doute par une secrète sympathie, le voyant également et diversement affligé.