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469. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 8-23

Le grand Corneille sembloit avoir fixé sur lui tous les suffrages, & épuisé l’admiration par la force, la hauteur & la fécondité de son génie, qui, comme un souffle impétueux, avoit tout fait plier devant lui ; Racine ne craignit pas de paroître sur la Scène, &, prenant une autre route, il se montra bientôt digne de le remplacer : la tendresse, l’harmonie, une connoissance profonde du cœur humain, furent les nouveaux ressorts de sa Muse tragique, & le conduisirent rapidement aux mêmes succès. […] Par cette heureuse facilité d’animer tout ce qu’il dit, par l’heureux talent de parler intimement au cœur, de l’attendrir, de lui faire éprouver, par des charmes aussi doux que puissans, tous les mouvemens des passions, il s’est rendu maître de la Scène tragique, en maniant, avec une supériorité sans égale, le plus intéressant de ses ressorts, la pitié. […] Par-tout une poésie noble, tendre, harmonieuse, toujours conforme aux regles du langage & de la versification, présente des charmes aussi séduisans pour l’oreille, qu’ils l’ont été pour le cœur. […] Nous répondrons qu’il faut toujours choisir, pour émouvoir le cœur, ce qui peut l’élever, l’agrandir ; non ce qui l’abaisse & l’énerve. […] Il ne dut ses progrès dans la Poésie qu’à l’étude des Auteurs Grecs & Latins, qu’il commença par traduire & apprendre par cœur, afin de se former le goût en se nourrissant de leur substance.

470. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Le charme et la grandeur de celles qui ont été nos mères étaient d’envelopper encore plus leurs cœurs que leurs visages dans ces mystérieux voiles de la pudeur qui vont si bien à tous les deux. […] Tout est à peu près fini de la société forte qui forçait les femmes à rester chastes d’attitude, quand elles ne l’étaient plus de cœur. […] Si elle était restée femme comme elle était née, ses souvenirs n’auraient jamais quitté son cœur. […] Assurément la passion a dû chauffer parfois cette organisation de bas-bleu enragé qui n’a pas toujours vécu, comme elle le raconte, de la vie de l’écritoire, quoique l’écritoire, le livre, le cahier, l’idée de faire son petit roman ne la lâchent jamais, même dans les débris de son cœur. […] Elle aurait gardé, sans le donner à risée ou à mépris sérieux, le souvenir touchant de ce fou à elle et fait par elle ; mais pour cette Prudence et ses pareilles, la question n’est ni l’honneur de Chateaubriand, ni leur propre honneur de cœur.

471. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

Arrivé dans ce bas séjour, Comme j’ai le cœur assez tendre, Je résolus d’abord d’apprendre Comment on y traitait l’amour. […] Lorsque je vivois, j’étois belle, Mais rien ne pouvoit me toucher ; J’étois fière, j’étois cruelle, Et j’avois un cœur de rocher. […] On a beau lui faire l’éloge De ceux qui l’aiment tendrement, Cœurs françois, gascons, allobroges, Ne la tentent pas seulement. » « — Que je plains, dit l’ombre étonnée, Cette belle au cœur endurci !

472. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Les hommes avec qui nous vivons, nous laissent presque toûjours à deviner le véritable motif de leurs actions, et quel est le fond de leur coeur. […] Il arrive donc souvent que nous nous trompions nous-mêmes, en voulant deviner ce que pensent les hommes, et plus souvent encore ils nous trompent eux-mêmes dans ce qu’ils nous disent de la situation de leur coeur et de leur esprit. […] Quelle résolution ne forme-t-on pas de ne point traiter les affaires qui nous tiennent trop au coeur dans ces instans, où il est si facile que l’explication aboutisse à une querelle ? […] Il est vrai qu’il est des poëtes dramatiques ignorans dans leur art, et qui sans connoissance des moeurs, représentent souvent le vice comme une grandeur d’ame, et la vertu comme une petitesse d’esprit et de coeur.

473. (1813) Réflexions sur le suicide

Un frissonnement intérieur obscurcit la nature entière, quand le cœur avec lequel se confondait notre existence, repose glacé dans le tombeau. […] En effet, dans le malheur que cause l’infidélité de ce qu’on aime, c’est bien le cœur qui reçoit la blessure, mais l’amour-propre y verse ses poisons. […] On peut le demander à ces êtres vertueux, que les afflictions ont visités, que de fois ne leur est-il pas arrivé d’éprouver au fond du cœur un calme inattendu ? […] L’éloquence et l’inspiration du talent raniment ce qui existait souvent dans le cœur des individus les plus obscurs, et ce qu’étouffaient en eux l’apathie ou les intérêts vulgaires. […] J’ai craint de n’être plus résignée ; vous l’avez vu, mon cœur a trop d’attachement au bonheur, il n’y fallait pas retomber.

474. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

— Mon petit Serge, dit-elle, je t’aime de tout mon cœur. […] Et cela m’humiliait ; son regard paternel m’oppressait le cœur. […] Je n’avais pas prévu cette destruction et je sens mon cœur se serrer davantage. […] Leur cœur. — 1893. […] Du cœur, du cœur !

475. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

La critique naturaliste, qui analyse la passion d’un livre et sa vérité de cœur, a exalté l’auteur de Fanny outre mesure, et cela devait être. […] Il eût été plus beau, et d’une vérité bien autrement fière, de montrer qu’on ne se démarie pas, et que le mariage est d’essence indissoluble, et plus fort que toutes les révoltes du cœur et ses imbéciles divorces ! […] Or, la passion qui ne s’ensanglante pas elle-même contre le devoir dans nos cœurs n’est plus qu’un désir assez ignoble, fait de sens et de vanité. […] Il est une règle dans l’observation du cœur humain et de l’art qui l’exprime ; il est une règle qu’il ne faut jamais perdre de vue. […] Ce ne sont pas les actes de ces personnages qui me révoltent, moi, c’est eux-mêmes… Voilà pour le fond, pour le cœur même du roman.

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