/ 1848
194. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Ce n’est jamais un but pour nous seuls, mais un but pour tous que notre haute pensée poursuit.

195. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

L’enjambement, autrefois constamment nécessaire, est devenu un moyen d’expression nullement distinct des autres et ne sera plus employé que dans un but prévu, et par exception : l’analyse logique peut dorénavant coïncider avec le vers sans amener l’uniformité, car elle s’unit au rythme désinvolte et primesautier, et chaque ligne nouvelle (ou presque !) […] Ces trois éléments doivent rester dans une dépendance réciproque et rigoureuse sans se nuire ; mais l’unité qui les assemble possède une élasticité plus grande qui permet au poète de les faire plus sûrement converger vers leur but de Beauté. […] Que le vers ne suive plus aveuglément la mesure, qu’il l’abandonne aussi souvent qu’il le faudra, mais non pas sans retour et non pas absolument au hasard ; et lorsqu’il s’en dégage sous la poussée victorieuse du rythme, que ce soit fréquemment pour un but immédiat où se glorifie l’exception. […] Si le rythme se développe dans les harmonies, l’âme devient et se révèle par ses images ; elle l’enseigne au songeur et lui aide à retrouver le But dont son génie ressent l’attirance divine. […] René Ghil a des considérations très différentes de celles-ci, — quant à leur but surtout ! 

196. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

La voici telle qu’un témoin délicat et sûr l’a recueillie de sa bouche et l’a écrite aussitôt : « En 1814, M. de Talleyrand était à la tête d’une espèce de conspiration, dont le but d’abord fut de faire passer l’empire à Napoléon II, sous la régence de Marie-Louise ; puis, le but se transformant, il se prit à travailler au retour des Bourbons. […] m’écriai-je, il n’y a que Rovigo qui remplisse « mon but. » Je cours chez le ministre de la police. […] » — Et ici le duc pouvait songer confusément la mort du duc d’Enghien. — « Je crois, monseigneur, que le moment est venu… » — « Monsieur, je vais expédier un courrier à Sa Majesté l’Empereur pour le consulter à cet égard. » — J’avais manqué le but.

197. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Quelque déguisement qu’il prenne, cette pensée est toujours sa pensée favorite et inspiratrice : c’est elle qui met en œuvre son imagination, qui donne un but à ses fictions les plus folles, qui relève et ennoblit ses peintures de la vie la plus triviale, qui a dicté ses recherches purement scientifiques, ses ouvrages de critique et d’esthétique, comme ses plus bizarres rêveries et ses plus obscures conceptions. […] * * * L’homme doit tendre à de nobles buts ou se proposer de grands modèles, autrement il perdra sa vertu ; de même que l’aiguille aimantée, longtemps détournée des pôles du monde. […] * * * Notre activité sans but, nos mouvements dans l’espace, doivent paraître à des êtres supérieurs comme ces étreintes des mourants qui saisissent leur couverture. […] Mais encore une fois ce n’est pas son but ; et quand il arrive au génie, il oublie ses deux images, il brise ses deux miroirs, et, au lieu de contempler son objet spirituel dans un emblème physique, il change d’inspiration, il se sert d’expressions abstraites ; il parle des accès d’une sainte manie , de l’ardeur qui le possède  ; il prend ses figures à toutes sources : rien n’est suivi ; c’est une manière fragmentaire et hachée.

198. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

« Jugements de valeur et jugements de réalité » En soumettant au Congrès ce thème de discussion, je me suis proposé un double but : d’abord, montrer sur un exemple particulier comment la sociologie peut aider à résoudre un problème philosophique ; ensuite, dissiper certains préjugés dont la sociologie, dite positive, est trop souvent l’objet. […] De même, la pure spéculation, c’est la pensée affranchie de toute fin utilitaire et s’exerçant dans le seul but de s’exercer. […] Et si, de toute évidence, on ne peut se passer d’économie, s’il faut amasser pour pouvoir dépenser, c’est pourtant la dépense qui est le but ; et la dépense, c’est l’action. […] En même temps, les forces qui sont ainsi soulevées, précisément parce qu’elles sont théoriques, ne se laissent pas facilement canaliser, compasser, ajuster à des fins étroitement déterminées ; elles éprouvent le besoin de se répandre pour se répandre, par jeu, sans but, sous forme, ici, de violences stupidement destructrices, là, de folies héroïques.

199. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

La complexité, qui est l’essence même de cet esprit distingué, fait aussi le cachet de son œuvre, et a pu faire hésiter quelquefois le lecteur superficiel sur son but véritable. […] Dans ses lettres à M. de Kergorlay on le voit de bonne heure tracer le plan de sa vie, s’assigner un but élevé et se confirmer dans la voie dont il n’a jamais dévié : « À mesure que j’avance dans la vie, écrivait-il (6 juillet 1835) âgé de trente ans, je l’aperçois de plus en plus sous le point de vue que je croyais tenir à l’enthousiasme de la première jeunesse : une chose de médiocre valeur, qui ne vaut qu’autant qu’on l’emploie à faire son devoir, à servir les hommes et prendre rang parmi eux. » Il est déjà en plein dans l’œuvre politique, au moins comme observateur et comme écrivain, et malgré tout, en présence du monde réel, il maintient son monde idéal ; il se réserve quelque part un monde à la Platon, « où le désintéressement, le courage, la vertu, en un mot, puissent respirer à l’aise. » Il faut pour cela un effort, et on le sent dans cette suite de lettres un peu tendues, un peu solennelles. […] Ces formes de la langue indiquent bien et accusent l’état et, pour ainsi dire, la posture habituelle de l’âme : la sienne était toute bandée, comme dirait Montaigne, vers un but relevé et hautain.

200. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

Ils sont agiles, mais prompts à se rebuter, et veulent arriver au but en trois pas. […] Il ne nous propose point de règle bien stricte, ni de but bien haut. […] Nous ne savons pas nous associer, comme les gens d’Outre-Manche, poursuivre un but avec conduite, patiemment, légalement, par calcul et conscience.

/ 1848