Elle en avait tout perdu : la beauté, la jeunesse ; elle n’en avait jamais eu l’abandon ; mais elle en avait gardé le génie. […] Madame de Maintenon l’emportait trop par la raison, par le caractère, par la dignité dans la vie, par le sentiment religieux qui planait perpétuellement sur son âme, et teignait ses mots et ses actes de ses reflets les plus graves et les plus solennels, pour avoir ce que l’on appelle de la grâce, ce joli mouvement des natures légères… Littérairement, il est resté d’elle des choses d’une beauté rare, une correspondance qu’aucune femme d’aucun temps ne recommencerait.
Mais il mourut jeune, à temps, avec la beauté d’une espérance que la mort a trompée, mais que la vie n’a pas trahie. […] Il eut la naissance, la beauté, la santé, le succès, la gloire de bonne heure, une femme qui l’aimait et qu’il n’aimait pas (deux profits : il était adoré et il était tranquille), toutes les bonnes fortunes et la grande : la fortune de l’ambition, des millions, des décorations, une vieillesse illustre, la chapelle ardente de madame Récamier, et enfin un tombeau préparé à l’avance, comme un arc de triomphe, en face de cette mer qu’il avait tant aimée, si jamais il aima quelque chose !
Mais il mourût jeune, à temps, avec la beauté d’une espérance que la mort a trompée, mais que la vie n’a pas trahie. […] Chateaubriand avait tout, lui, pour être heureux, Il eut la naissance, la beauté, la santé, le succès, la gloire de bonne heure, une femme qui l’aimait et qu’il n’aimait pas (deux profits ; il était adoré et il était tranquille), toutes les bonnes fortunes et la grande, la fortune de l’ambition, des millions, des décorations, une vieillesse illustre, la chapelle ardente de Mme Récamier, et enfin un tombeau préparé à l’avance comme un arc de triomphe, en face de cette mer qu’il avait tant aimée, si jamais il aima quelque chose !
Ils rachètent par d’incontestables beautés les incohérences et les confusions, — ces épouvantables confusions qui embarbouillent parfois jusqu’au génie de Shakespeare lui-même, cet albatros qui dort trop souvent dans les nuages, mais qui s’y réveille avec de si sublimes cris ! Malheureusement, il n’y a pas de ces cris-là, il n’y a pas de ces beautés dans l’œuvre posthume qu’on a publiée de Charles de Rémusat, tête, en somme, de peu de poésie, lettré philosophique à sang blanc et froid, et dont la froideur et la blancheur se retrouvent dans l’Abélard du drame comme dans l’Abélard du traité qui porte ce nom.
II Elle y est, en effet, cette manie, un des derniers gestes de la décrépitude d’une société tout à la fois curieuse et blasée… Vieux de race, hébétés de civilisation, énervés, blasés, ennuyés, dégoûtés, ayant besoin pour nous secouer d’une originalité dont nous n’avons plus la puissance, nous ne comprenons plus rien à la beauté de la ligne droite dans les choses humaines, et nous la courbons, nous la tordons, nous la recroquevillons en grimaçantes arabesques, pour qu’elle puisse donner une sensation nouvelle à nos cerveaux et à nos organes épuisés… La simplicité du génie et de ses procédés nous échappe. […] Les mœurs adoucies, restées longtemps féroces et insolentes (voir l’histoire de Vardes et de Bussy, pages 61 et 69), l’état moral, la corruption de la justice et celle des femmes, — qui n’ont rien d’ailleurs de commun avec la justice, — la désorganisation du clergé, telle que la plupart des prêtres ne savaient plus la formule de l’absolution et que saint Vincent de Paul raconte que, seulement à Saint-Germain, il a vu huit prêtres dire la messe de huit façons différentes, tous ces honteux et dégradants côtés du xviie siècle sont arrachés ici aux solennelles draperies dont Bossuet, Voltaire et Cousin ont couvert successivement une époque qui n’a eu — ainsi que je l’ai dit plus haut — toute sa force et toute sa beauté que sous la toute-puissante compression de la main de Louis XIV, — de ce Louis XIV qui pouvait également dire : « L’État, c’est moi !
Et, de résultat, il n’a pas non plus, cet enfant, la beauté de l’impuissance de Gœthe ! […] Et de fait, elle y est (il ne faut nier la beauté nulle part) ; mais qui l’y voit tant cesse, pour son compte, d’être pathétique, et fait douter de la sincérité d’une poésie qui pleure comme on met du fard, et rappelle le mot affecté de cette femme qui disait : « C’était là le bon temps, le temps où j’étais malheureuse !
On a beau être un artiste redoutable, au point de vue le plus arrêté, à la volonté la plus soutenue, et s’être juré d’être athée comme Shelley, forcené comme Leopardi, impersonnel comme Shakespeare, indifférent à tout, excepté à la beauté comme Gœthe, on va quelque temps ainsi, — misérable et superbe, — comédien à l’aise dans le masque réussi de ses traits grimés ; — mais il arrive que, tout à coup, au bas d’une de ses poésies le plus amèrement calmes ou le plus cruellement sauvages, on se retrouve chrétien dans une demi-teinte inattendue, dans un dernier mot qui détonne, — mais qui détonne pour nous délicieusement dans le cœur : Ah ! […] Hugo, mais condensée et surtout purifiée ; si a quelques autres, comme La Charogne, la seule poésie spiritualiste du recueil, dans laquelle le poète se venge de la pourriture abhorrée par l’immortalité d’un cher souvenir : Alors, ô ma beauté !