Ce sont d’autres souvenirs du pays et de la famille, des noces singulières, des retours de vacances, des adieux et de tendres envois d’un fils à sa mère, de calmes et riants intérieurs de félicité domestique ; ce sont par endroits des confidences obscures et enflammées d’un autre amour que celui de Marie, d’un amour moins innocent, moins indéterminé et qui peut se montrer sans rivalité dans les intervalles du premier rêve, car il n’était pas du tout de même nature ; ce sont enfin les goûts de l’artiste, les choses et les hommes de sa prédilection, le statuaire grec et M. […] Si je l’osais dire, je trouverais dans ces comparaisons de l’artiste quelque secret rapport de conformité avec sa propre et intime organisation, avec ses sauvageries bretonnes, sa pureté un peu farouche, et cette ombrageuse vigilance qu’il nous a lui-même si délicatement accusée : J’aime dans tout esprit l’orgueil de la pensée Qui n’accepte aucun frein, aucune loi tracée, Par delà le réel s’élance et cherche à voir, Et de rien ne s’effraye, et sait tout concevoir : Mais avec cet esprit j’aime une âme ingénue, Pleine de bons instincts, de sage retenue, Qui s’ombrage de peu, surveille son honneur, De scrupules sans fin tourmente son bonheur, Suit, même en ses écarts, sa droiture pour guide, Et, pour autrui facile, est pour elle timide. […] Il faut en conclure seulement, peut-être, que par moments, dans le détail de l’expression, il s’est laissé aller en pur artiste à un caprice d’énergie exorbitante qui distrait et donne le change sur l’ensemble de sa pensée ; mais l’intention générale, la philosophique moralité de son inspiration n’est pas douteuse ; elle ressert manifestement de ses compositions les plus importantes, de la Curée, de la Popularité, de l’Idole, de Melpomène ; elle est écrite en termes magnifiques, au début et à la fin du volume, dans les pièces intitulées Tentation et Desperatio ; car ce livre, né de la révolution de Juillet, pour plus grande analogie avec elle, entr’ouvre le ciel d’abord et nous leurre des plus radieuses merveilles ; puis de mécompte en mécompte, il tourne au désespoir amer et crève sur le flanc comme un chien.
L’introduction contient la méthode générale de l’historien grec, et les quatre chapitres, en suivant, — les harangues, les récits et les descriptions, — l’art de Thucydide, et enfin, le fond de l’art et de l’artiste, son génie et son originalité. […] Et il n’a pas même l’air de se douter qu’il est des raisons pour admettre l’emploi de tel procédé ou de telle manière, en dehors de toute tradition, que tout artiste trouve au fond de sa capacité esthétique et qui en marque même la profondeur. […] À le bien prendre, ce grec d’Athènes ne fut qu’un artiste comme on l’était à Athènes du temps de Périclès et de Phidias.
Comme un de ces grands artistes lapidaires du Moyen Âge, il a incrusté de pierres précieuses le tabernacle… Mais c’est moins un but d’adoration et de rayonnement splendide qu’il a eu en vue, que la pensée plus mâle de la propagation des idées et des faits qui sont pour nous la vérité. […] Le catholicisme, en effet, est essentiellement imagier, comme il est essentiellement artiste. […] L’artiste catholique note de pareils cris quand il les entend, et le penseur sait ce qu’ils contiennent… Les gravures du livre de l’abbé Brispot, au nombre de cent vingt-huit, représentent les scènes les plus solennelles et les plus pathétiques du passage du Fils de Dieu sur la terre.
Cette grâce, cette expression douce et légère qui embellit en paraissant se cacher, qui donne tant de mérite aux ouvrages et qu’on définit si peu ; ce charme qui est nécessaire à l’écrivain comme au statuaire et au peintre ; qu’Homère et Anacréon eurent parmi les poètes grecs, Apelle et Praxitèle parmi les artistes ; que Virgile eut chez les Romains, et Horace dans ses odes voluptueuses, et qu’on ne trouva presque point ailleurs ; que l’Arioste posséda peut-être plus que le Tasse ; que Michel-Ange ne connut jamais, et qui versa toutes ses faveurs sur Raphaël et le Corrège ; que, sous Louis XIV, La Fontaine presque seul eut dans ses vers (car Racine connut moins la grâce que la beauté) ; dont aucun de nos écrivains en prose ne se douta, excepté Fénelon, et à laquelle nos usages, nos mœurs, notre langue, notre climat même se refusent peut-être, parce qu’ils ne peuvent nous donner, ni cette sensibilité tendre et pure qui la fait naître, ni cet instrument facile et souple qui la peut rendre ; enfin cette grâce, ce don si rare et qu’on ne sent même qu’avec des organes si déliés et si fins, était le mérite dominant des écrits de Xénophon. […] Depuis peu de temps la grâce avait introduit dans les ouvrages des artistes ces formes douces et arrondies, et cette expression de la nature, qui plaît dès qu’on peut la connaître. […] Les grâces dans le même temps avaient, au rapport des anciens, embelli l’esprit, le caractère et l’âme de Socrate ; il allait quelquefois les étudier chez Aspasie : il en inspirait le goût aux artistes, il les enseignait à ses disciples, et probablement Xénophon et Platon les reçurent de lui ; mais Platon, né avec une imagination vaste, leur donna un caractère plus élevé, et associa pour ainsi dire à leur simplicité un air de grandeur ; Xénophon leur laissa cette douceur et cette élégante pureté de la nature qui enchante sans le savoir, qui fait que la grâce glisse légèrement sur les objets et les éclaire comme d’un demi-jour ; qui fait que peut-être on ne la sent pas, on ne la voit pas d’abord, mais qu’elle gagne peu à peu, s’empare de l’âme par degrés et y laisse à la fin le plus doux des sentiments : à peu près comme ces amitiés qui n’ont d’abord rien de tumultueux, ni de vif, mais qui, sans agitation et sans secousses, pénètrent l’âme, offrent plus l’image du bonheur que d’une passion, et dont le charme insensible augmente à mesure qu’on s’y habitue.
Henry, qu’elle est belle, la vie d’artiste ! […] La première règle de cette méthode, c’est que l’artiste doit se borner à représenter, sans prétendre à conclure… L’artiste est dans le monde comme le Dieu de Spinoza. […] Un artiste, oui, mais inégal, incomplet, et, somme toute, subalterne. […] Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée ! […] Seuls les artistes munis d’une forte culture arrivent à faire vrai.
Aujourd’hui je le juge en lui-même dans son développement entier et continu, dans sa nature d’artiste complète. […] Je me demande, — je commence à me demander (et cette question je me la ferai plus d’une fois en relisant Gautier poète) pourquoi, tandis que les poésies parallèles de Musset, les moindres couplets de Marcloche, de Namouna coururent aussitôt le monde, la jeunesse plus ou moins viveuse et lettrée, et finirent même par gagner assez tôt les salons, le succès de Gautier s’est longtemps confiné et se renferme encore dans un cercle d’artistes et de connaisseurs. […] Il a décrit, en tête d’un article sur Marilhat50, l’une des scènes de cette vie d’artiste qu’il menait en commun avec Camille Rogier, Gérard de Nerval et Arsène Houssaye, ses proches voisins, et où venaient prendre journellement leur part Bouchardy, Célestin Nanteuil, Jean ou Jehan Duseigneur ; Petrus Borel le Lycanthrope ; Dondey qui, par anagramme, se faisait appeler O’Necldy, à l’irlandaise, et qui lançait un volume de vers intitulé : Feu et Flamme ; Auguste Maquet qu’on appelait, lui, Augustus Mac-Keat, à l’écossaise. […] Son premier voyage en Espagne, qui est de 1840, et qui fut dans sa vie d’artiste un événement, lui avait fourni des notes nouvelles d’un ton riche et âpre, bien d’accord avec tout un côté de son talent ; il y avait saisi l’occasion de retremper, de refrapper à neuf ses images et ses symboles ; il n’était plus en peine désormais de savoir à quoi appliquer toutes les couleurs de sa palette. […] Je n’ai pas présents tous les noms de la vraie Bohême, et il en est sorti, je le crois volontiers, plus d’un artiste et d’un écrivain qui a sa valeur.
Au reste, il prétendait l’aire œuvre, non pas d’archéologue, mais d’artiste. […] Une dizaine de volumes, dont trois ou quatre sont des chefs-d’œuvre, voilà l’œuvre de Flaubert, et il faut lui compter cette sobriété, qui révèle l’artiste difficilement satisfait de sa production. […] Flaubert n’était encore qu’un artiste : M. […] Dans leur œuvre laborieuse, ils ont réussi surtout à exprimer certains types de détraqués et de déclassés, gens de lettres, artistes, acrobates ; ils ont rendu avec une singulière originalité les formes d’âmes les plus factices qu’une civilisation trop raffinée fait éclore, la jeune fille du grand monde parisien, par exemple, dans ce roman de Renée Mauperin, qui demeurera, je pense, l’une des œuvres caractéristiques de notre temps. […] Les études sérieuses sont éparses surtout dans Monsieur de Camors (1867), Histoire d’une Parisienne (1881), la Morte (1886), les Amours de Philippe (1887), et quelques traits dans Honneur d’artiste (1890). — Edition : Romans, Calmann Lévy, 14 vol. in-18 ; Théâtre, 5 vol. in— 18.