/ 3057
1089. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

Il porte la croix de la vie moderne sans la rejeter et sans la maudire, et il est plus calme, ce fils des preux, qui a tout perdu, fors l’honneur, et qui, par la poésie ou l’art, rentrera peut-être quelque jour dans l’héritage de gloire des ancêtres, il est plus calme que ce va-nu-pieds d’Hégésippe, qui n’a jamais rien eu que ses beaux pieds nus de pasteur grec. […] Et si les hommes à regarder font trop de peine, regardez les choses, et dites, entre le Réalisme en art et en littérature et le Positivisme en philosophie, si l’Idéal peut encore tomber ! […] Nous aimons à louer avec ferveur et sympathie, un talent très-réel, très-ému, très-naturel et aussi très-cultivé, mais il faut bien reconnaître que M. de Châtillon, triple artiste, peintre, sculpteur et poète, qui n’est pas un jeune homme sans expérience, et dont le début pour le public n’est pas un début pour la Muse, n’a pas su préserver un talent d’une inexprimable délicatesse des épaisseurs et des grossièretés de l’art de son temps.

1090. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

L’art a maintenant des obligations qu’il n’avait pas, — du moins au même degré, — au temps de Cervantès, du Bandello et de Boccace. […] Charles Didier devait publier ses récits d’aujourd’hui sans les lier entre eux et sans leur demander l’effet d’ensemble qui est le but le plus élevé de l’art, ou, les liant et voulant les ployer et les embrasser dans une unité qui les contienne et les concentre, il était tenu, de rigueur, à nous donner un livre bien autrement construit que celui qu’il nous a donné. […] Jamais l’art et la passion du conteur ne se sont unis à plus de profonde vérité.

1091. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

Il traduit et change parfois heureusement son texte ; il sait l’orner et le réchauffer avec un art incontestable ; mais il n’a pas le don de métamorphose qui abolit Phèdre ou Boccace, par exemple, au sein même de l’imitation qu’il en fait, et ne laisse plus voir que La Fontaine. […] La seule chose qui appartienne bien à Feuillet, c’est le sentiment, sinon très sincère, au moins très bien joué (en art c’est identique), qui circule à travers les combinaisons qu’il n’a pas faites ; c’est le style, qui anime et colore toutes ces combinaisons. […] Mais La Fontaine n’est pas le seul écrivain qui ait laissé ses influences sur Feuillet, sur cet étonnant caméléon intellectuel qui écrit des contes aujourd’hui et qui demain peut-être nous écrira quelque livre d’art ou d’histoire.

1092. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

La physique, l’histoire naturelle, les langues, les médailles, les monuments, l’histoire, les arts, il avait tout embrassé, et avait des connaissances sur tout. […] Jamais peut-être cet Auguste si vanté, et les trois quarts et demi des souverains n’ont autant fait pour les progrès des arts. […] Dès le seizième siècle nous eûmes des éloges des savants, mais écrits en latin : c’était alors, comme nous l’avons déjà vu, la langue universelle des arts.

1093. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Il pensait vaguement : « La matière est indifférente, l’art est tout. […] — « Renoncer à l’art, jamais !  […] L’art veut ces études impartiales et ces contrastes, qui sont dans la vie. […] Cela fait quelque chose d’extraordinairement inégal, de bizarre aussi, parce que l’auteur a l’air de quelqu’un qui, tour à tour, pratique très savamment l’art du style et se moque volontairement de l’art du style. […] Il faut s’entendre sur cet « art puéril ».

1094. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

L’art de la guerre a existé de tout temps, a dit Jomini ; mais les traités sur l’art de la guerre sont récents. […] Ses relations « critiques et dogmatiques » sont des plus intéressantes ; il a fait l’histoire critique de quelques-unes des campagnes de son temps en s’appliquant à juger les opérations selon les principes de l’art et « à mettre en lumière les rapports des événements avec ces principes ». […] Aucun sentiment étranger à la pure raison et à l’amour de son art ne perce dans ces critiques du précurseur de Saint-Cyr et de Jomini. Un professeur d’art militaire, tel par exemple que M. de La Barre Duparcq qui a tracé un si juste portrait de Catinat, pourrait faire, j’imagine, du thème de ces deux batailles un sujet d’exercice pour les jeunes théoriciens.

1095. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

En ce temps-là, la femme est aussi active que l’homme246, dans la même carrière, et avec les mêmes armes, qui sont la parole flexible, la grâce engageante, les insinuations, le tact, le sentiment juste du moment opportun, l’art de plaire, de demander et d’obtenir ; il n’y a point de dame de la cour qui ne donne des régiments et des bénéfices. […] Il réfléchit et répondit : Je lui écrirais : Je suis charmé que le ciel ait enfin béni notre union ; soignez votre santé, j’irai vous faire ma cour ce soir. » — Il y a vingt réponses semblables, et j’ose dire qu’avant de les avoir lues on n’imagine pas à quel point l’art social peut dompter l’instinct naturel. […] Pour que le monde ait tant d’empire, il faut qu’il ait bien de l’attrait ; en effet, dans aucun pays et dans aucun siècle, un art social si parfait n’a rendu la vie si agréable. […] Tous les soirs, dans chaque salon, on servait des bonbons de cette espèce, deux ou trois avec la goutte d’acide, tous les autres non moins exquis, mais n’ayant que de la douceur et du parfum. — Tel est l’art du monde, art ingénieux et charmant qui pénètre dans tous les détails de la parole et de l’action pour les transformer en grâces, qui impose à l’homme, non la servilité et le mensonge, mais le respect et le souci des autres, et qui en échange extrait pour lui de la société humaine tout le plaisir qu’elle peut donner. […] Des réformateurs, des moralistes font entrer l’art théâtral dans l’éducation des enfants ; Mme de Genlis compose des comédies à leur usage et juge que cet exercice est excellent pour donner une bonne prononciation, l’assurance convenable et les grâces du maintien.

/ 3057