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1240. (1887) George Sand

C’est alors qu’elle devint tout à fait poète par la tournure de son esprit et par la sensation aiguë des choses extérieures, mais poète sans s’en apercevoir, sans le savoir. […] On avait aperçu, parmi les premières lignes, quelques mots de funeste augure, je ne sais quelle théorie de la connaissance, de la sensation et de leur rapport qui est le sentiment, et l’on tremblait que M.P. […] Mais regardez de plus près dans le cœur, vous y apercevrez un sensualisme délicat ou violent qui gâte les plus nobles aspirations. […] C’est là l’œuvre de l’artiste, qui n’invente pas, à proprement parler, mais qui ajoute à la réalité humaine la conscience, par laquelle elle s’aperçoit, et la voix, par laquelle elle se rend compte d’elle-même en se traduisant aux autres. […] Elle s’aperçut clairement que même au point de vue purement littéraire, en dehors des questions de fond, pendant que je lui parlais de mes impressions, j’y mettais des réserves.

1241. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Si je ne l’avais pas franchement avoué d’abord, on s’en serait toujours aperçu et l’on tirerait avantage contre moi, avec une triomphante et facile ironie, d’un égoïsme transparent. […] Mais ces grands maîtres du cœur humain en connaissent mieux que nous les détours et les replis, et savent découvrir des pièges de l’amour-propre où nos yeux n’aperçoivent que la surface unie d’une intention droite et honnête. […] À voir les choses de haut, l’éminent penseur du xixe  siècle n’aperçoit pas, au fond, de différence entre la destinée des érudits et celle des philosophes et des écrivains. […] On n’aperçoit clairement dans l’histoire de l’art ni progrès ni même continuité. […] La multitude myope continue à travailler au fond du fossé où elle périt sans gloire, pendant que le grand homme aperçoit le gué et passe le premier.

1242. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

J’espère que vous vous en apercevrez : mais je vous préviens que, si mon résumé est exact et pieux, ce n’est toutefois qu’un résumé, et auquel manqueront le geste, et la voix, et l’accent, et la neige de la barbe, et les roses du teint, — et le ventre. […] Asta s’en aperçoit ; et alors elle lui révèle (par d’anciennes lettres de leur mère) qu’elle n’est pas même sa demi-sœur : ce qui ne paraît guère fait pour retenir Allmers. […] Une méfiance lui vient sur un devoir si avantageux… Naguère, à propos d’une pièce où se posait je ne sais plus quel cas de conscience, je me souviens d’être arrivé à cette conclusion : « Lorsque tu hésites entre deux devoirs contraires, choisis le plus désagréable. » Edouard s’aperçoit bientôt que cette règle est sûre. […] Le laquais de d’Artagnan, ayant eu l’idée d’aller tirer du vin à l’une des barriques, s’aperçoit avec épouvante que c’est de la poudre qui a coulé dans son pot. […] Car nulle part nous n’avions aperçu, dans son vice médiocre ou même dans sa charnelle amourette d’inconsciente poupée, les germes possibles d’une si belle et si furibonde transformation morale.

1243. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Personne ne vint, et je m’aperçus que la grille n’était pas fermée. […] Rien n’est plus vrai, et, par bonheur, je ne suis pas le premier à m’en apercevoir. […] Le cordelier s’aperçut bien, en vieillissant, qu’il n’avait pas changé le train du monde. […] Je m’aperçus alors que ce que je prenais pour les lois de la nature n’était que de vaines formules. […] … Je m’en aperçus dès le jour où mes yeux s’ouvrirent.

1244. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

C’était une de ces figures qu’on n’oublie plus, ne les eût-on aperçues qu’une fois. […] En trébuchant contre les pierres et les poutres nous parvînmes au domicile de nos amis guidé par la lueur intermittente qui s’échappait des soupiraux de la caverne — pour eux c’était une véritable caverne dans l’île de Juan-Fernandez et non une cave rue Fontaine-au-Roi, — nous descendîmes quelques marches et nous aperçûmes Petrus pâle et superbe, plus lier qu’un Richomme de Castille, assis près d’un feu de bouts de planche dont Vabre agenouillé, le corps porté en avant sur les mains, les joues gonflées comme l’Éole classique, avivait la flamme avec son souffle, ce qui produisait cette anhélation de lumière qu’on apercevait de dehors. […] Il avait neigé là-haut, sur les monts ; la poivrière et la salière s’étaient mêlées sur les barbes ; des nez avaient rougi ; des joues unies hier, s’étaient sillonnées de rides, et, à travers quelques-uns des convives que nous n’avions pas vus depuis longtemps, nous apercevions la silhouette de leur jeunesse. […] Dans un coin, entre deux camarades de Nanteuil, vers la fin du dîner, quand déjà l’on quittait sa place pour aller causer à l’autre bout de la table, nous aperçûmes un homme dont la tournure ne nous était pas inconnue. […] Victor Hugo, après un long séjour à la place Royale, avait transporté, rue de la Tour d’Auvergne, dans une vaste, calme et solitaire maison propice à la rêverie et au travail, et des fenêtres de laquelle on aperçoit Paris en panorama, espèce d’Océan immobile qui a sa grandeur comme l’autre.

1245. (1890) Nouvelles questions de critique

travaux trop laborieux, d’un caractère encore trop littéraire, travaux enfin où les idées générales, et ce que Sainte-Beuve appelait l’aperçu risqueraient de prendre trop de place ? […] Le Petit ne se soit pas aperçu. […] Les avocats en sont un peu blessés ; — et on s’en aperçoit bien dans l’Avant-propos, emphatique, et cependant amer, du livre de M.  […] Ou bien, enfin, c’est d’avoir accrédité de l’autorité de son nom des théories et des erreurs qu’il a fallu plus de temps et de travail pour détruire qu’il ne lui en eût fallu à lui-même pour en apercevoir le caractère décevant. […] Mais s’ils s’en aperçoivent un jour, qu’ils ne rendent pas au moins M. 

1246. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

. — J’avais aperçu là-bas, répondis-je, une forme fine et blanche dans l’ombre, et je croyais que c’était vous ; mais ce n’était qu’un lis, un grand lis, que d’ici, à sa taille élancée et à sa blancheur dans le sombre de la verdure, on prendrait pour la robe d’une jeune fille. — Ah ! vous cherchez maintenant à raccommoder cela avec votre lis, s’écriait-elle vivement et d’un air de gronder ; je veux bien vous pardonner pour cette fois d’avoir passé si près sans m’apercevoir ; mais prenez garde ! […] Au bruit qui se fit alors, une belle dame qui était dans la berline mit la tête à la portière, aperçut le jeune homme aux cheveux noirs, et tout aussitôt l’invita à prendre place sur le siège de sa voiture, à côté de sa levrette qui s’y prélassait ; ce que fit Julien sans trop de honte. […] Moins occupé de son travail que de sa maîtresse, Saint-Julien s’aperçut que l’économie politique elle-même a ses dangers dans un tête-à-tête ; des étincelles d’amour jaillissaient de cette cendre aride et glacée, comme les fusées d’un volcan. […] Quintilia se réveille sans trop de surprise, aperçoit Julien ; puis, s’avisant qu’elle avait la poitrine nue, elle n’en témoigne pas un grand trouble et dit : « Mon cher enfant, je te prie de me donner un schall, et puis tu m’expliqueras ce qui t’amène. » Au lieu d’un schall, Saint-Julien, toujours trompé par les apparences, lui jeta ses bras autour du cou… Cette erreur finale faillit lui coûter la vie ; la princesse résista ; puis, comme l’erreur de Saint-Julien se prolongeait fâcheusement, elle y mit fin avec un coup de poignard qui par hasard ne le tua pas.

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