Bussy appartient à cette génération des Saint-Évremond, des La Rochefoucauld, des Retz, tous trois plus âgés que lui de quelques années à peine, génération qui était déjà produite et mûrie avant la majorité de Louis XIV. […] Jusqu’aux huit dernières années de sa vie, il avait été plus circonspect qu’entreprenant… sa prudence venait de son tempérament, et sa hardiesse de son expérience36. […] Les dernières années de sa vie, il fut honnête (c’est-à-dire accueillant, affable) et bienfaisant ; il se fit aimer et estimer également des officiers et des soldats ; et, sur la gloire, il se trouva enfin si fort au-dessus de tout le monde, que celle des autres ne pouvait plus l’incommoder. […] En l’année 1648, Bussy s’était lancé dans une singulière affaire, et qui n’avait pas peu contribué à sa réputation d’aventurier et d’audacieux en amour comme en toute chose. […] Treize mois de Bastille, une carrière brisée, dix-sept ans d’un exil contraint, dix autres années d’un exil soi-disant volontaire, une disgrâce perpétuelle, dans laquelle il mourut en 1693, telles furent les suites de cette grave faute morale et littéraire, qui, par le malheur et les résultats, a fait comparer la destinée du pauvre Bussy à celle d’Ovide.
Comme les années changent les générations. […] Allons, je serais attaqué et nié jusqu’au jour de ma mort, et même peut-être quelques années après. […] * * * — Une erreur de 3 centimes, dans le compte d’une année, il y a cinq ou six ans, a fait passer, m’a-t-on assuré, cinq jours et cinq nuits, aux sept employés de la fortune privée de Rothschild. […] Un pensionnat, où il mourut de faim et de froid, une seule année, soixante élèves, et dont le maître et la maîtresse de pension faillirent être pendus. […] Mardi 2 décembre Le mois de décembre a été toujours un mois néfaste pour moi ; il se solde, cette année, par une session aux assises, pendant le temps le plus froid de l’hiver le plus glacial.
Les mieux doués à cet égard sont ces voyageurs solitaires qui ont vécu pendant des années au fond des bois, au milieu des vertigineuses prairies, sans autre compagnon que leur fusil, contemplant, disséquant, écrivant. […] Si un artiste produit cette année une œuvre qui témoigne de plus de savoir ou de force imaginative qu’il n’en a montré l’année dernière, il est certain qu’il a progressé. […] Cette année, il a profité très-légitimement de l’occasion de montrer une partie assez considérable du travail de sa vie, et de nous faire, pour ainsi dire, réviser les pièces du procès. […] — Il est curieux de remarquer que Justinien composant ses lois et le Christ au jardin des Oliviers sont de la même année), l’Évêque de Liège, cette admirable traduction de Walter Scott, pleine de foule, d’agitation et de lumière, les Massacres de Scio, le Prisonnier de Chillon, le Tasse en prison, la Noce juive, les Convulsionnaires de Tanger, etc., etc. […] Je suis fâché que le Sardanapale n’ait pas reparu cette année.
Rosny pourtant n’est pas de ceux qui la souhaitent en toute circonstance, et, quand il voit l’année suivante le duc de Savoie venir en France (1599) et essayer de tromper la générosité de Henri IV, il est le premier à conseiller au roi de reconduire ce duc astucieux avec une escorte de quinze mille hommes et de vingt canons jusqu’à la frontière, sauf à s’en servir aussitôt après. […] On a devant soi neuf belles et pleines années (1601-1610) : la vie de Rosny devient l’histoire de Henri IV, ou du moins une très grande partie de cette histoire, il devient difficile de l’en séparer par une biographie distincte et réduite à de justes mesures. […] Certains projets, tels que celui d’une confédération entre les États chrétiens et d’une sorte de grande république européenne, semblent avoir pris dans le souvenir de Sully et sous la plume de ses secrétaires, pendant les années de retraite et d’exil, plus de consistance et d’enchaînement qu’ils n’en durent jamais avoir dans ces libres conversations du monarque ; l’on ne saurait y voir de la part de Henri IV que des saillies et des souhaits tels qu’un roi de grand esprit en jette en causant. […] Sire, répliqua celui-ci, je ne la voudrais faire pour tous vos trésors. » Henri IV disait, et avec raison, à Sully : « Dès l’heure que vous ne me contredirez plus aux choses que je sais bien qui ne sont pas selon votre humeur, je croirai que vous ne m’aimerez plus. » Il a jugé son ministre dans la dernière année (1609) sans complaisance, sans faveur, et d’une voix qui est déjà celle de la postérité. […] Il lui reproche de manquer de vue, de conseil, et, dans de telles circonstances, de n’avoir songé qu’à sa situation privée, à ses charges et aux dédommagements qu’il pouvait exiger en se retirant : « Il est vrai, dit Richelieu, qu’on n’avait autre intention que de lui faire un pont d’or, que les grandes âmes souvent méprisent, lorsqu’en leur retraite ils peuvent eux-mêmes s’en faire un de gloire. » Richelieu eut aussi, mais par nécessité seulement, ses heures et ses années de souplesse où, bon gré mal gré, la gloire fut subordonnée à d’autres soins : quand il fut au complet et qu’il put donner toute sa mesure, reconnaissons qu’il eut autrement de généreux orgueil et de grandeur d’âme.
Taine est un des jeunes critiques dont le début a le plus marqué dans ces derniers temps, ou, pour parler sans à-peu-près, son début a été le plus ferme et le moins tâtonné qui se soit vu depuis des années en littérature. […] Il a écrit quelque part dans un de ses derniers articles, ces paroles qui, bien qu’ayant un sens plus général là où il les dit, expriment évidemment l’impression qu’ont dû lui laisser les années pénibles de l’apprentissage : Aujourd’hui la lutte est partout, et aussi le sérieux triste. […] Qu’on veuille bien se représenter ce que doivent produire de pensée intense et active, de pensée accumulée, trois ou quatre années de séminaire philosophique intellectuel chez de jeunes esprits ardents et fermes, lisant tout, jugeant tout. […] Quoi qu’il en soit de ces légères erreurs et de ces séductions dont les plus méfiants ne savent pas toujours se garantir, quiconque a la noble ambition de se distinguer et de percer à son tour trouve là, durant ces années recluses, tout le loisir de méditer sa propre force, ses éléments d’invention ou d’arrangement, ses formes de jugement et de compréhension, de combiner fortement son entrée en campagne et sa conquête. […] Taine a choisi le fabuliste pour sujet de sa thèse française ; mais, depuis quelques années, les brillants candidats au grade de docteur nous ont habitués, le lendemain matin de leur réception, à lire des livres plutôt que des thèses proprement dites : il a suffi pour cela que le brocheur enlevât la page finale où se lisait le visa de M. le doyen.
Né à Versailles, dont il est resté le poète chéri, où il a vécu tant d’années et où il est mort69, fils d’un père savoisien et patriarcal, de qui il a prétendu tenir toute sa poétique, bien différente, dit-il, de celle des Marmontel et des La Harpe, et d’une mère, bonne femme humble et antique ; d’abord secrétaire de maréchaux et de généraux, il fit la guerre et la vit de près, sans en tirer grand profit pour son observation de poète : « Ducis a fait la guerre de Sept-Ans avec nous, dit le prince de Ligne. […] Ducis, avec qui il avait quelque parenté de talent et d’origine, a dit dans un portrait qu’il a donné de lui : « Il aimait passionnément Molière, Montaigne et Shakespeare ; il y trouvait ce fonds immense de naturel, de raison, de force, de grâce, de variété, de profondeur et de naïveté qui caractérise ces grands hommes ; aussi, était-il né avec un sens exquis et une âme excellente : c’était tout naturellement qu’il voyait juste, comme c’était tout bonnement qu’il était bon. » On est sous Louis XVI, aux premières et belles années, sous un jeune roi plein de mœurs et de bon sens. […] Ducis qui, en ces années de crise, s’est fait son conseiller, son directeur ami, et qui est plus fait que personne pour comprendre cette espèce d’inquiétude indéfinissable, lui prescrit les remèdes qu’il estime les plus salutaires pour le corps et pour l’âme : nous assistons à toute une cure morale : « Versailles, 25 juillet 1775 « Votre tristesse opiniâtre m’afflige, mon ami. […] Les deux filles de Deleyre allaient y fleurir au bord et au murmure du ruisseau « comme deux beaux lis du désert. » Deleyre s’y installe pour quelques années. […] Thomas, plus jeune de quelques années, est plus malade de corps que ce dernier, mais il a l’esprit tranquille, bien que souvent découragé ; lui, il ne se plaint pas : « Il semble que les âmes douces habitent dans des corps douloureux, où elles supportent leur détention sans murmure et sans emportement. » Ducis prévoit le malheur prochain de le perdre : « Nous ne vivons qu’une minute ; et, dans cette minute, que de secondes pour la douleur !
Villars de son lit de souffrance, envoyant au roi des drapeaux pris sur l’ennemi, put écrire sans trop de fanfaronnade : « Si Dieu nous fait la grâce de perdre encore une pareille bataille, Votre Majesté peut compter que ses ennemis sont détruits. » Ce qui reste vrai et ce qui est reconnu pour exact par les historiens militaires et les gens du métier les plus compétents, c’est que Villars, avec une armée inégale, recevant d’une telle vigueur le choc de ces énormes forces combinées des généraux alliés, et leur mettant plus de trente mille hommes hors de combat, garantit cette année-là nos frontières et obligea la Coalition à de nouveaux efforts qui demandaient du temps. […] L’année qui suivit Malplaquet, dans la campagne de 1710, Villars, assez mal remis, de sa blessure, eut d’abord pour adjoint le maréchal de Berwick, comme il avait eu l’année précédente le maréchal de Boufflers. […] L’entrée en jeu cependant n’était plus tout à fait la même pour la campagne de 1712 que pour les années d’auparavant ; un grave affaiblissement avait atteint les forces alliées : Marlborough était tombé en disgrâce. […] Les nuits, à cette époque de l’année, sont fort courtes.