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526. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Tout homme et tout animal, à tout moment de sa vie, possède ainsi une certaine provision d’images nettes et aisément renaissantes, qui, dans le passé, ont pour source un confluent d’expériences nombreuses et qui, dans le présent, sont nourries par un afflux d’expériences renouvelées. […] Si dans l’un des deux états les images ont des associations très exactes et très délicates, si, comme on le voit chez plusieurs somnambules66, des aptitudes supérieures se déclarent, si, comme on le remarque dans l’ivresse et après plusieurs maladies, les passions prennent un autre degré et un autre tour, non seulement les deux personnes morales seront distinctes, mais il y aura entre elles des disproportions et des contradictions monstrueuses. — Sans doute, quoique, chez les somnambules, les personnes hypnotisées et les extatiques, des contrastes semblables opposent la vie ordinaire à la vie anormale, leurs deux vies ne sont point nettement ni entièrement séparées ; quelques images de l’une s’introduisent toujours ou presque toujours dans l’autre ; et la supposition que nous avons faite reste, quand il s’agit de l’homme, une simple vue de l’esprit. — Mais dans les animaux elle rencontre des cas où elle s’applique avec exactitude ; tel est celui des batraciens et des insectes qui subissent des métamorphoses.

527. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

La faim et la soif, la satisfaction charnelle des besoins physiques, la part plus ou moins grosse de grain ou de chair dans cette crèche humaine où ce bétail humain broute sa gerbe ou dévore sa ration de sang des animaux, la lutte incessante de force brutale contre force brutale, force mesurée, non à la justice divine, mais à l’équilibre arithmétique entre les convoitises et les résistances de l’individu à l’individu, de nation à nation, toutes ces clauses notariées par de prétendus législateurs constituants, toutes ces garanties nominales des hommes contractants contre des hommes sans cesse intéressés à violer ou à déchirer le contrat social, tout cela n’a ni sacrement, ni sanction, ni raison d’être, ni raison de durer, ni raison d’autorité, ni raison d’obéissance, ni raison de respect, ni raison de commandement ; tout le monde peut dire tous les jours : Je n’accepte pas ce contrat chimérique imposé au faible par le fort, ou je ne l’accepte que de force, c’est-à-dire par la plus vile des sujétions. […] Dieu l’a déposée dans les instincts des premiers-nés de la terre appelés hommes, et même dans les instincts organiques des animaux.

528. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Même variété parmi les femmes, ou plus grande encore : Bérénice, tendre, élégiaque, mélancolique, avec des réveils d’énergie pour ressaisir l’arme féminine de la coquetterie ; Phèdre, malade d’amour à mourir, et voulant mourir sans parler, parlant quand, trompée par son malheur, elle se croit libre, consentante alors à sa passion débordée, atterrée par le retour de Thésée, et laissant par honte, pour cacher la faute déjà faite, se consommer un plus grand crime, ramenée par le remords pour démentir la calomnie, replongée plus profondément dans le mal par une crise effroyable de jalousie, et, aussitôt que l’irréparable est consommé, repentante, enfin se rachetant par la confession publique et la mort volontaire ; Roxane, plus simple, sensuelle, et féroce, qui sans cesse donne à choisir à son amant entre elle et la mort, sans esprit, sans âme, animal superbe et impudique. […] Et dans ces trois sujets, que de formes d’âmes nouvelles et variées : Ulysse, le politique froid, qui ne recule jamais devant les moyens, quand il a choisi le but, point insensible pourtant, mais rassuré par la conscience qu’il a de ne voir que le bien public ; Agamemnon, père tendre, faible ambitieux, qui voudrait les fruits du crime sans le crime, et qui ne peut se résoudre à sacrifier sa fille à son égoïsme, ni son égoïsme à sa fille, plus sympathique que le Félix de Corneille, parce qu’il est plus déchiré ; Clytemnestre, la « mère », qui ne connaît plus ni patrie, ni dignité, ni mari, dès que sa fille est en péril, en qui, mieux qu’en aucune amplification romantique, apparaît le sentiment primitif, animal, de la maternité ; c’est la bête défendant son petit.

529. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Nous n’y renoncerons que quand il nous sera donné de constater dans la nature un fait spécialement intentionnel, ayant sa cause en dehors de la volonté libre de l’homme ou de l’action spontanée des animaux. […] J’ajouterai même envers les animaux.

530. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Juillet Les tueurs d’animaux de la campagne, avant le quiqui du matin, boivent un verre de sang. […] — Quel animal préférez-vous ?

531. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Il emploie à changer le moins possible toutes les ressources de son intelligence. « C’est ainsi que la plupart des inventions primitives, celles de l’habillement, celles qui touchent à l’alimentation, ont eu pour but, par des modifications artificielles des circonstances ambiantes, de permettre à l’homme de conserver ses dispositions organiques, son aspect, ses habitudes, en dépit de certaines variations contraires naturelles des mêmes circonstances31. » Les hommes, en passant d’un climat chaud dans un climat froid, se sont couverts de fourrures, et non d’une toison comme certains animaux ; les tribus frugivores ont transporté avec elles le blé dans toute la zone de cette céréale ; l’homme primitif, en fuyant devant les gros carnivores, au lieu de développer des qualités extrêmes d’agilité et de ruse, comme tous les animaux désarmés, a inventé les armes.

532. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Il est, en effet, bien rare que les espèces animales soient nécessitées à prendre des formes imprévues. […] Elles sont donc connues ou peuvent l’être, puisqu’elles se sont déjà réalisées dans une multitude de cas ; par suite, on peut savoir à chaque moment du développement de l’animal, et même aux périodes de crise, en quoi consiste l’état normal.

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