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1636. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

Relisons-le pour nous complaire et nous attendrir sur ces amours de deux êtres innocents, dans un jardin redevenu inculte, forêt vierge pour ce couple virginal de la rue Plumet, site que Bernardin de Saint-Pierre est allé chercher à l’île de France pour Virginie, Chateaubriand en Amérique pour Atala, et que Hugo a su découvrir tout fait et peindre en grisaille sans couleurs dans un vil faubourg de Paris, Éden dépaysé dont il est le Milton, le Théocrite, le Bernardin de Saint-Pierre et le Chateaubriand, avec plus de vérité, de larmes, de passions, de couleur et de lumière dorée que ces grands modèles. […] et, se pressant en tumulte autour de moi et du groupe formé à l’instant par Cellarius et ses amis pour me protéger contre l’enthousiasme populaire, firent retourner peu à peu de la place encombrée la foule du côté opposé à la grande revue, et la précipitèrent sur mes pas avec une pression et des clameurs d’amour que m’avaient values en ce moment ma résistance toute fraîche aux sommations armées et réitérées que m’avait adressées la démagogie à l’Hôtel-de-Ville. […] La porte, il m’en souvient, est ferrée, épaisse et forte comme la porte d’une citadelle : nous la refermerons sur moi, et le peuple, resté dehors, respectera la maison du grand poète. » XIV La manœuvre que j’avais indiquée à Cellarius réussit, et nous nous trouvâmes un moment isolés dans la petite rue de secours conduisant à la place Royale ; mais bientôt les fenêtres et les portes s’ouvrirent au bruit du tumulte qui s’élevait à mon nom devant et derrière moi, et la foule, quoique rétrécie par l’obstacle, déboucha avec nous sur la place, aux mêmes cris d’amour et de délire répétés de proche en proche par ceux qui avaient débouché des petites rues latérales. […] Les deux enfants grandissent en s’aimant, sans savoir ce que c’est que l’amour.

1637. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Rentré maintenant en possession de notre liberté, et nous souvenant de la fidélité, de la dignité et du zèle avec lesquels il nous prodigua, à notre plus grande satisfaction, ses utiles et empressés services, nous croyons qu’il importe non moins à notre justice qu’aux intérêts de l’État de le rétablir dans cette même charge de notre secrétaire d’État, autant pour lui donner un public témoignage de notre estime particulière et de notre amour, que pour mettre de nouveau à profit ses qualités et ses lumières qui nous sont si connues. […] Me souvenant de la promesse que j’ai faite à mon bien-aimé frère André au lit de mort, lorsque, dans les derniers moments de sa vie, il me demanda qu’en signe du très tendre amour qui nous avait unis dans la vie, nos corps fussent unis dans la mort et renfermés dans le même sépulcre, je veux que si, à ma mort, ce sépulcre ne se trouve pas déjà préparé par moi, mon héritier en fasse faire un très modeste, et qui contiendra le cercueil de mon frère et le mien. » Après avoir pourvu aux besoins de son âme, réglé sa sépulture et spécifié avec une attention toute particulière les prières qu’il exige pour son salut, le cardinal Consalvi détermine les legs qu’il accorde à ses serviteurs. […] Ce ne sont ni les hommes de la religion, ni les hommes de la liberté : ce sont les hommes de la personnalité jalouse ; l’amour même n’est chez eux qu’une réaction. […] Le cardinal, tel que nous venons de le dépeindre, quoiqu’il eût à cette époque soixante ans, avait mieux que la beauté : il avait tout le charme que la renommée, le génie, l’attrait physique et moral pouvaient inspirer à une femme lasse d’amour, mais non d’empire.

1638. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

À propos de la lumière électrique, il y aurait un très joli emploi à en faire dans l’amour. […] * * * — La communication que j’ai eue, ces temps-ci, du journal de Mlle ***, du journal des amourettes d’une cervelle de seize ans, me donne la certitude absolue, que la pensée de la jeune fille, la plus chaste, la plus pure, appartient à l’amour, et qu’elle a tout le temps un amant cérébral. […] Jeudi 31 mai Chez les Sichel, quelqu’un ayant habité longtemps le Japon, disait que le baiser n’existait pas, pour ainsi dire, dans l’amour japonais, et que l’amour était tout animal, sans la tendresse de la caresse humaine.

1639. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Où l’amour dilaté dans toute créature Se resserre en foyer pour couver des berceaux, Goutte de sang puisée à l’artère du monde Qui court de cœur en cœur toujours chaude et féconde, Et qui se ramifie en éternels ruisseaux ! Chaleur du sein de mère où Dieu nous fit éclore, Qui du duvet natal nous enveloppe encore Quand le vent d’hiver siffle à la place des lits, Arrière-goût du lait dont la femme nous sèvre, Qui même en tarissant nous embaume la lèvre, Étreinte de deux bras par l’amour amollis ! […] Resserre autour de nous, faits de joie et de pleurs, Ces groupes rétrécis où de ta providence Dans la chaleur du sang nous sentons les chaleurs ; * Où, sous la porte bien close, La jeune nichée éclose Des saintetés de l’amour, Passe du lait de la mère Au pain savoureux qu’un père Pétrit des sueurs du jour ; Où ces beaux fronts de famille, Penchés sur l’âtre et l’aiguille, Prolongent leurs soirs pieux : Ô soirs ! […] Je colle mon front contre la pierre qui me sépare seule de leurs cendres, je m’entretiens à voix basse avec elles, je leur demande de nous envelopper dans nos aridités d’un rayon de leur amour, dans nos troubles d’un rayon de leur paix, dans nos obscurités d’un rayon de leur vérité.

1640. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 371-373

L’amour sur-tout, considéré comme affection de l’ame, naissant en nous d’elle-même, & précédant toute détermination à la volonté, y est développé dans tous ses mouvemens, & réduit à une théorie aussi lumineuse qu’utile.

1641. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Tu n’es point connue là où le Plaisir est adoré, cette chancelante déesse à la ceinture dénouée et aux yeux errants, toujours appuyée sur le bras de la Nouveauté, son volage et fragile soutien ; car tu es tendrement patiente (meek) et constante, haïssant le changement, et trouvant dans le calme d’un amour éprouvé des joies que les orageux transports ne donnent jamais. […] Quelques-uns de ceux même qui ont eu l’idée d’introduire chez nous des images de la poésie familière et domestique, et qui y ont réussi à certain degré, n’en ont pas eu assez la vertu pratique et l’habitude dans la teneur de la vie ; ils en ont bientôt altéré le doux parfum en y mêlant des ingrédients étrangers et adultères, et l’on a trop mérité ce qu’un grand évêque (Bossuet) a dit : « On en voit qui passent leur vie à tourner un vers, à arrondir une période ; en un mot, à rendre agréables des choses non seulement inutiles, mais encore dangereuses, comme à chanter un amour feint ou véritable, et à remplir l’univers des folies de leur jeunesse égarée. […] Rousseau est certainement l’écrivain qui, en France, au xviiie  siècle, a le premier senti et propagé avec passion cet amour de la campagne et de la nature que Cowper, de son côté, a si tendrement partagé : à cet égard, nous aurions peu à envier à nos voisins.

1642. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Le sujet est une passion pour une vestale, et l’auteur, qui appelle cette pièce un accident de l’amour, avait dû y peindre quelque ardeur réelle qu’il éprouvait alors, et à travers peut-être une grille de couvent. […] On me flattait sur les détails de cette pièce : en effet, c’était le premier essor d’une âme tout étonnée des sentiments qu’elle éprouve la première fois, la pure fleur du sentiment qui paraît exagéré quand on ne l’a pas connu, et qui est pourtant l’amour. […] En effet, dans le Discours de M. de Morville, nous lisons, et les assistants purent entendre ces paroles : Il y a longtemps, monsieur, que votre amour pour les lettres est célèbre dans cette compagnie ; les applaudissements que vous y recevez aujourd’hui ne vous sont pas inconnus ; vous y devez être accoutumé, et vous les avez obtenus dans un âge auquel on ferait un mérite d’en concevoir l’espérance.

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