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833. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Les Touâreg du Sud, appartenant à l’Afrique centrale, ont été l’objet il y a quelques années, d’une exploration attentive de la part du docteur Barth, de Berlin, que notre jeune homme appelle « son savant ami et protecteur », et dont il s’attache à suivre la trace et les méthodes dans sa courageuse entreprise23. […] Au moment d’y entrer, le cheik Othman, son protecteur et son grand ami, qui s’était chargé de le conduire chez les Touareg, lui fit quatre recommandations : « 1° S’armer de beaucoup de patience et de résignation ; — 2° Ne pas intervenir dans les discussions des guides ou khebir, relativement à la marche de la route ; — 3° Faire provision de beaucoup d’eau ; — 4° Être libéral envers les guides, envers ses serviteurs et ses compagnons de voyage. »   Ces guides du Sahara sont des personnages respectés. […] Duveyrier s’est appuyé sur cette corporation amie ; le grand maître auquel il avait été recommandé crut avec raison qu’il le protégerait mieux à distance par un signe visible émanant de lui ; il lui conféra en conséquence le titre de frère et le revêtit du chapelet de l’Ordre. […] Ce cheik Othman, ami et promoteur de la civilisation, l’un de ces hommes qui, à travers toutes les distances de races et de croyances, permettent de penser que les hommes sont frères ou qu’ils le deviendront, disait à ses disciples à sa sortie des Tuileries : « Chacune des religions révélées peut élever la prétention d’être la meilleure : ainsi nous, musulmans, nous pouvons soutenir que le Coran est le complément de l’Évangile et de la Bible ; mais nous ne pouvons contester que Dieu ait réservé pour les chrétiens toutes les qualités physiques et morales avec lesquelles on fait les grands peuples et les grands gouvernements. » M.  […] Duveyrier, salut à l’ami des hommes, au bienfaiteur du désert !

834. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Ce que Boileau disait en confidence ce jour-là à Racine, M. de Valincour, l’ami particulier de tous deux, va nous le répéter ; c’est là l’endroit piquant, neuf, et la trouvaille de M.  […] Fournier part de là pour faire le procès à Valincour et pour dire : « Il faut se souvenir que l’académicien qui va parler était d’un genre d’esprit assez semblable à celui de Boileau, son ami, et, par conséquent, très-différent de celui de La Bruyère ; haut guindé sur le savoir-vivre, volontiers pédant, grand liseur des auteurs anciens, se plaisant à le faire voir… ; grand citateur, ainsi que sa lettre va du reste nous le prouver… » Raisonner ainsi, c’est tordre beaucoup trop un témoignage curieux et qu’il suffit de prendre pour ce qu’il est. […] Gustave Flaubert, au sujet de Salammbô, nous nous étions ainsi querellés à cœur ouvert, que je l’avais critiqué, qu’il m’avait répondu, et que nous n’en étions pas moins restés bons amis, « ce qui est, disais-je, d’un bon exemple », j’ajoutais : « Je serais tenté de vous obéir et d’aller sur le terrain à quelques-uns des endroits que vous me signalez. […] Fournier a cru en trouver une raison fine : ce serait le prénom d’un mari dont la veuve était fort amie de La Bruyère, et l’on pouvait supposer qu’il remplaçait le défunt. […] Voici le portrait que trace de M. de Valincour Saint-Simon qui, d’ordinaire, ne flatte guère son monde : « C’était un homme d’infiniment d’esprit, et qui savait extraordinairement ; d’ailleurs, un répertoire d’anecdotes de Cour où il avait passé sa vie dans l’intrinsèque, et parmi la compagnie la plus illustre et la plus choisie ; solidement vertueux et modeste, toujours dans sa place, et jamais gâté par les confiances les plus importantes et les plus flatteuses : d’ailleurs très-difficile à se montrer, hors avec ses amis particuliers, et peu à peu, très-longtemps, devenu grand homme de bien.

835. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Il n’y avait guère d’ailleurs que Mme de Duras qui pût convenir à cette position mixte par sa qualité, les charges et le crédit du duc de Duras, ses manières à elle, son esprit délicat et simple, sa générosité qui la portait vers tout mérite, et jusque par ce sang ami de la liberté, ce sang de Kersaint qui coulait dans ses veines, et qui, à certains moments irrésistibles, colorait son front ; — et puis tout cela ramené vite au ton conciliant et modérateur par l’empire suprême de l’usage. […] En 1820 seulement, ayant un soir raconté avec détail l’anecdote réelle d’une jeune négresse élevée chez la maréchale de Beauvau, ses amis, charmés de ce récit (car elle excellait à raconter), lui dirent : « Mais pourquoi n’écririez-vous pas cette histoire ?  […] Le jour où quelque personne intime, en 1824, la surprenait le plus vive contre les projets de M. de Villèle, tenant en main la brochure du comte Roy sur le 3 pour 100, s’en animant comme en connaissance de cause, et présageant par cette noble faculté d’indignation, qui était restée vierge au milieu du monde, la rupture inévitable de son éloquent ami, ce jour-là peut-être elle avait médité le matin sur l’une des Réflexions chrétiennes qu’elle s’efforçait de mûrir. […] Comme, à propos d’une de ces saillies de premier mouvement, un ami lui faisait remarquer qu’elle avait bien droit d’être ainsi libérale, fille qu’elle était de M. de Kersaint : « Oh ! […] On lui en voulait en certains cercles fanatiques pour l’éclat de son salon, pour ses opinions libérales, pour l’espèce de gens, disait-on, qu’elle voyait : ses amis recevaient quelquefois d’odieuses lettres anonymes.

836. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Le temps n’était plus des soupers brillants de Potsdam, dont Voltaire avait vu et avait fait les derniers beaux jours : les convives familiers d’alors, les amis de jeunesse du roi étaient morts à cette seconde époque ou avaient vieilli. […] D’Alembert reste sage, il reste philosophe et ami jusqu’au bout, et fidèle à Mlle de Lespinasse. […] Les plus spirituels de ces plats courtisans et de ces faux amis, tels que l’abbé Bastiani, se vengeaient sous main du roi en le dénigrant auprès des étrangers. […] Ce cœur de géomètre, si sensible à l’amitié, ne craint pas de s’épancher dans l’âme de Frédéric, d’y verser son affliction et presque ses sanglots, et le roi lui répond en ami et en sage, par deux ou trois lettres de consolation philosophique, qu’il faudrait citer tout entières. Un haut et tendre épicuréisme y respire, celui d’un Lucrèce parlant à son ami : Je compatis au malheur qui vous est arrivé de perdre une personne à laquelle vous vous étiez attaché.

837. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Soumis, résigné et comme délivré, d’Aguesseau jouit en paix de lui-même, il converse avec sa propre pensée et il en disserte au plus avec quelques amis. […] Un de ses correspondants les plus ordinaires était M. de Valincour, cet ancien ami de Boileau et de Racine, amateur de toutes sciences et de toutes belles-lettres, esprit délicat, un peu singulier, d’une religion extrême, et qui, par la sévérité dont il était à l’égard de la métaphysique (tout en la possédant très bien), forçait souvent d’Aguesseau à en prendre la défense. […] Il combat Hobbes, il combat d’avance Bentham, il réfute son ami janséniste M. de Valincour, qui refusait à la raison de l’homme, sans la Grâce, cette faculté de justice. […] M. d’Aguesseau aurait préféré, nous dit son fils, rester dans la pure et véritable magistrature, et passer ses jours dans une charge de conseiller au Parlement de Paris, et il ajoute, en des termes qui rappellent l’hôtel Rambouillet plus subtilement qu’il ne convenait à un ami et à un disciple de Boileau : « Les maîtres des requêtes ressemblent aux désirs du cœur humain, ils aspirent à n’être plus ; c’est un état qu’on n’embrasse que pour le quitter… » Or, cette phrase étrange sur les maîtres des requêtes, comparés aux désirs du cœur qui aspirent à n’être plus, serait inexplicable chez un aussi bon esprit sans une phrase de saint Augustin qui dit cela, en effet, des désirs du cœur humain (sunt ut non sint). […] À un ami qui faisait de la métaphysique à la veille du mariage, il écrivait finement : « Vous êtes peut-être le premier homme qui, à la veille de se marier, n’ait été occupé que de la spiritualité de l’âme. » Au cardinal Quirini, qui le visitait à Fresnes, et qui lui disait dans sa bibliothèque : « C’est donc ici qu’on forge des armes contre le Vatican ? 

838. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Après 1815, on eut le Paul-Louis Courier soi-disant vigneron, ancien canonnier à cheval, ayant son rôle, sa blouse, son fusil de paysan et, peu s’en faut, de braconnier, tirant au noble et au capucin, guerroyant à tout bout de champ derrière la haie ou le buisson, ami du peuple, et le louant, le flattant fort, se vantant d’en être, enfin le Paul-Louis que vous savez. Avant 1815, on a un autre Courier, qui a devancé l’autre et qui l’explique, mais qui n’a rien encore de l’homme de parti ; soldat déjà trop peu discipliné sous la République, devenu incompatible et tout à fait récalcitrant sous l’Empire, mais curieux de l’étude, amateur du beau en tout ; un Grec, un Napolitain, un Italien des beaux temps, le moins Gaulois possible ; s’abandonnant tant qu’il peut à tous les caprices de sa libre vocation ; indépendant avec délices ; délicat et quinteux ; misanthrope et pourtant heureux ; jouissant des beautés de la nature, adorant les anciens, méprisant les hommes, ne croyant surtout pas aux grands hommes, faisant son choix de très peu d’amis. […] Envoyé à Rome pendant l’occupation de 1799, témoin de cette émulation de rapines que le gouvernement du Directoire propageait partout dans les républiques formées à son image, il écrit à son ami Chlewaski qu’il a laissé à Toulouse : Dites à ceux qui veulent voir Rome qu’ils se hâtent, car chaque jour le fer du soldat et la serre des agents français flétrissent ses beautés naturelles et la dépouillent de sa parure… Les monuments de Rome ne sont guère mieux traités que le peuple. […] Ma philosophie là-dessus est toute d’expérience, il y a peu de gens, mais bien peu, dont je recherche le suffrage : encore m’en passerais-je au besoin. — Je passe ici mon temps assez bien, écrivait-il encore de Rome à Clavier (octobre 1810), avec quelques amis et quelques livres. […] Il y a plaisir avec les livres, quand on n’en fait point, et avec des amis, tant qu’on n’a que faire d’eux.

839. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Le prêtre est un ami, mais un ami qui hausse les âmes, qui apporte aux soldats les promesses et les secours de la religion. « Après tout, si tu meurs, tu ne perdras qu’une vie matérielle précaire pour trouver une vie de meilleure qualité. » Voilà le soldat plus tranquille. […] Adjudant au 69e d’infanterie, il a obtenu une superbe citation à l’ordre de l’armée, la croix de guerre, la médaille militaire et la médaille anglaise. « Prie Dieu, écrit-il à un ami, pour que je porte allègrement la croix qui donne droit à la vraie récompense, la croix de souffrances, celle du Christ. » Telle est leur sublime ambition secrète. […] Le Père de Gironde, sous-lieutenant de réserve au 81e d’infanterie, tué le 7 décembre 1914 dans la bataille d’Ypres, s’écrie : « Mourir jeune, mourir prêtre, en soldat, dans une attaque, en marchant à l’assaut, en plein ministère sacerdotal, en donnant peut-être une absolution ; verser mon sang pour l’Église, pour la France, pour mes amis, pour tous ceux qui portent au cœur le même idéal que moi, et pour les autres aussi afin qu’ils connaissent la joie de croire… Ah ! […] Dans tout le chapitre sur les catholiques, je me suis borné à échantillonner de quelques touches magnifiques ma froide esquisse ; pourtant, à la minute (janvier 1917) où je corrige mes épreuves, la lettre d’un bien cher ami m’apporte un fait charmant, et je l’épingle sur mon feuillet.‌

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