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335. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Il importe de savoir quels livres étrangers sont lus, admirés, discutés, traduits, étudiés dans les classes, quelles pièces venant des temps et des pays voisins ou lointains sont représentées devant un public pour lequel elles n’ont pas été composées. […] Pour ne parler que de la France, elle n’a pas été seulement au xiiie et au xviie  siècle la nation-reine qu’on admire et imite ; presque en tout temps, elle a été pour ses voisines une fournisseuse inépuisable. […] On ne peut donc bien connaître la littérature dans une époque donnée sans déterminer quelles sont les époques de son passé qui revivent alors d’une vie posthume, qui sont admirées ou détestées, en tout cas discutées et par cela même présentes aux souvenirs.

336. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

c’est-à-dire qu’il n’avait jamais admiré. […] Il suppose avec tranquillité des choses extraordinaires et qui pourront bien arriver un jour : Nous serons un jour des anciens nous-mêmes, remarque-t-il, et il faut espérer qu’en vertu de la même superstition que nous avons à l’égard des autres, on nous admirera avec excès dans les siècles à venir : « Dieu sait avec quel mépris on traitera en comparaison de nous les beaux esprits de ce temps-là, qui pourront bien être des Américains. » C’est ainsi que Fontenelle, l’esprit le plus dégagé de soi-même, de toutes ces préventions qui tiennent aux temps et aux lieux, se propose des perspectives, des changements à vue dans l’avenir, et s’amuse à les considérer avec des yeux indifférents. […] Mais n’admirez-vous pas les oppositions des esprits ?

337. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

J’ai voulu glisser cette réserve parce que j’admire toujours à quel point les natures étroites et négatives sont empressées de dire à tout génie supérieur : « Tu n’as fait que ceci dans ta vie jusqu’à présent ; la fortune t’a empêché de t’essayer dans une plus large et plus ouverte carrière, donc tu n’aurais pu faire autre chose. » Ces gens-là ont besoin, de temps en temps, de recevoir quelques démentis comme celui que leur donne, par exemple, un Dumouriez aux défilés de l’Argonne. […] Venons au détail. » N’admirez-vous pas ce début à la Bossuet, ou, si vous aimez mieux, à la Montesquieu ? […] Même depuis Saint-Simon, rien n’a pâli dans cette galerie de Retz, et on admire seulement la différence de manière, quelque chose de plus court, de plus clair, de plus délié en coloris, mais qui ne pénètre pas moins dans le vif des âmes ; M. le Prince à qui « la nature avait fait l’esprit aussi grand que le cœur », mais à qui la fortune n’a pas permis de montrer l’un comme l’autre dans toute son étendue et qui n’a pu remplir son mérite ; M. de Turenne à qui il n’a manqué de qualités « que celles dont il ne s’est pas avisé », et à qui il ne faut jamais en refuser une, « car qui le sait ?

338. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Quand on lit ces notes écrites jour par jour, ces réflexions qu’il tirait de chaque événement, quand on y joint la lecture des instructions diplomatiques qu’il adressait dans le même temps à ses ambassadeurs et agents dans les diverses cours, on ne peut s’empêcher d’admirer, du sein des carrousels et des fêtes, le caractère appliqué, solide, prudent et tenace de ce jeune ambitieux. […] Il voudrait que son fils, au lieu de s’arrêter en chemin, et de regarder autour de lui et au-dessous de lui, ceux qui valent moins, reportât ses regards plus haut : Pensez plutôt à ceux qu’on a le plus sujet d’estimer et d’admirer dans les siècles passés, qui d’une fortune particulière ou d’une puissance très médiocre, par la seule force de leur mérite, sont venus à fonder de grands empires, ont passé comme des éclairs d’une partie du monde à l’autre, charmé toute la terre par leurs grandes qualités, et laissé depuis tant de siècles une longue et éternelle mémoire d’eux-mêmes, qui semble, au lieu de se détruire, s’augmenter et se fortifier tous les jours par le temps. […] Une certaine justesse et une certaine hardiesse d’esprit : n’admirez-vous pas le choix excellent et la rencontre heureuse de ces paroles, et quelle grande et noble manière il porte naturellement dans ces choses simples ?

339. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Une lettre écrite au début de ses voyages montre qu’il eut un instant l’idée de devenir ambassadeur et d’être employé dans les cours étrangères ; mais le plus sûr est qu’il soit resté ce que nous le savons et ce que nous l’admirons, le grand, l’immortel investigateur, souvent hasardeux mais toujours fécond, de l’esprit de l’histoire. […] Une de ses pensées m’a toujours frappé : « Fontenelle, a-t-il dit, autant au-dessus des autres hommes par son cœur qu’au-dessus des hommes de lettres par son esprit. » Je lis et relis cette pensée, et, me rappelant ce qu’a été Fontenelle, je crois d’abord qu’il faut lire : « Fontenelle autant au-dessous des autres hommes par son cœur que…, etc. » Mais non : il paraît bien que c’est un éloge que Montesquieu a voulu faire de Fontenelle ; il lui reconnaît ailleurs une qualité excellente pour un homme tel que lui : « Il loue les autres sans peine. » Montesquieu admirait réellement en Fontenelle l’égalité, l’absence d’envie, l’étendue et la prudence, l’indifférence même peut-être. […] admirez, mais ne pleurez pas.

340. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

L’un ne voit dans ce livre qu’une œuvre de réalisme, la peinture brutalement exacte d’un lieu et d’une classe ; les autres admirent en plus de surprenantes qualités poétiques, le don du grandiose, l’amour passionné de la force et de la masse. […] Le teint clair et le pouls calme de la belle Lisa sont admirés dans le Ventre de Paris, comme l’insolent bien-être de Louise Méhudin et de sa mère. […] Autant cet écrivain nous paraît piètre penseur, mal renseigné et peu spéculatif, autant nous l’admirons pour son génie incomplet mais puissant.

341. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Il y a là, comme partout, des écrivains à fantaisie et à système, plus capables d’admirer le passé que de dire ce qui conviendrait au présent ; mais l’Allemagne n’est pas plus catholique que jamais et que le reste de l’Europe. […] Hurter était un esprit fort calme alors, très érudit, que la grande figure d’Innocent III, très calme aussi, devait naturellement attirer, et qu’il admira bonnement, dans toute la candeur d’une pensée honnête. […] Nous nous résumerons donc par ce que nous ayons dit en commençant : l’amour de l’ordre a entraîné Hurter à naïvement admirer une société plus organisée que la société européenne de nos jours, qui n’est pas, elle, encore constituée, qui le sera peut-être, mais à d’autres conditions que le Moyen Âge, Dieu merci !

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