Beyle y apprend le premier à la France le nom de certains chefs-d’œuvre que notre nation mettra du temps à goûter ; il exprime à merveille, à propos des Cimarosa et des Mozart, la nature d’âme et la disposition qui sont le plus favorables au développement musical. […] Il commence cette petite guerre qu’il fera au caractère de notre nation, chez qui il veut voir toujours la vanité comme ressort principal et comme trait dominant : « La nature, dit-il, a fait le Français vain et vif plutôt que gai. » Et il ajoute : « La France produit les meilleurs grenadiers du monde pour prendre des redoutes à la baïonnette, et les gens les plus amusants. […] » À tout moment il a des retours plus ou moins offensifs de notre côté, du côté de la France. […] Beyle, depuis son retour en France, était sur la rive droite du fleuve et, à cette date, en pays à peu près ennemi : il s’en tira par de hardies escarmouches. […] La Vie de Mozart est réellement tirée d’un ouvrage de Schlichtegroll, auteur très connu en Allemagne, et qu’on a eu le tort, en France, de prendre pour un nom supposé.
Il y eut en France, dans la première moitié du xviie siècle, des essais nombreux de perfectionnement et de culture pour la langue, des essais naturels et spontanés de petites sociétés ou coteries grammaticales et littéraires. […] — Tout cela est bien vague, et cette espèce de Collège de France renouvelé et agrandi, ce prytanée ou sénat académique, conservateur et directeur, je ne me le figure pas avec assez de précision, surtout à côté de l’ancienne Université, pour en pouvoir rien dire. […] Car en France, notez-le bien, on ne veut pas surtout s’amuser et se plaire à un ouvrage d’art ou d’esprit, ou en être touché, on veut savoir si l’on a eu droit de s’amuser et d’applaudir, et d’être ému ; on a peur de s’être compromis, d’avoir fait une chose ridicule ; on se retourne, on interroge son voisin ; on aime à rencontrer une autorité, à avoir quelqu’un à qui l’on puisse s’adresser dans son doute, un homme ou un corps. […] À un autre endroit, d’Olivet, parlant de La Bruyère, a dit : « Tout est mode en France : Les Caractères de La Bruyère n’eurent pas plutôt paru que chacun se mêla d’en faire » ; et M. […] Et puisque j’en suis sur ce sujet de l’Académie, un des sujets les plus nationaux en France, dont tout le monde parle, qu’il est, ce semble, si aisé de connaître, et dont pourtant on raisonne si souvent à faux, je demande à rappeler quelques faits et à présenter quelques observations sans beaucoup de suite et dans le pêle-mêle où elles me viendront.
Quoiqu’une Revue édifiante et de salon, le Correspondant, et le petit canapé qui la compose, en fasse son affaire depuis quelque temps et poursuive sans désemparer l’entreprise de cette réputation, ils sont encore nombreux en France ceux qui ne savent pas même la première syllabe de ce nom que bien de jolies bouches, dans la bourgeoisie savante, se sont déjà essayées de leur mieux à prononcer. […] D’une familledistinguée, sans être très-noble, et appartenant au vieux fonds moscovite, elle montra de bonne heure un goût marqué pour l’étude, pour les lectures les plus sérieuses et les plus approfondies ; et ressentit de l’attrait pour la France, pour sa société et sa littérature. […] Cette conversion rendant moins agréable etmoins facile sa résidence à Pétersbourg, elle vint en France dès la fin de l’année 1816 ; elle avait trente-quatre ans. […] Cela me rappelle que, dans son Histoire de saint Pie V, le même M. de Falloux veut louer cepontife d’avoir envoyé des brefs d’encouragement aux hommes lettrés qui, en France, prenaient parti pour la cause catholique ; le poëte Ronsard est de ce nombre : il s’est engagé dans une querelle avec les protestants, et de part et d’autre on en est vite venu aux injures les plus grossières, notamment à celles qui ne manquent jamais au XVIe siècle, et qui consistaient en de dégoûtantes allusions au mal apporté d’Amérique. […] Un salon où l’on ne peut suivre ou rejoindre la femme qu’on préfère, la distraire d’un groupe qui l’environne, l’entretenir à l’ombre et à demi-voix quelques instants, lui adresser une partie de la conversation plus générale où l’on se surprend à briller et dont on est récompensé d’un regard, n’est pas un salon pour moi : ne disparaissez jamais du salon français, soins animés et constants, vil désir de plaire, grâces aimables de la France !
Par exemple, n’est-il pas honteux qu’un fils de France signe par-devant notaire un acte par lequel il achète de Mme de Langeac, maîtresse de M. de La Vrillière, une forêt que ce ministre avait attrapée au feu roi par Mme du Barry ? […] On pourra sourire de quelques détails qui sentent la maman. — Ayez plus soin de vos dents, on dit que vous les négligez. — Mettez un corset, crainte, comme on dit en allemand, d’élargir et de paraître déjà la taille d’une femme sans l’être. — Le monter à cheval gâte le teint, et votre taille à la longue s’en ressentira et paraîtra encore plus. — Les premières lettres sont remplies de ces prescriptions qui tiennent au corps, à la santé, et qui ont des conséquences morales aussi pour les personnes en évidence et dont toute la vie se passe en public : « Je vous prie, ne vous laissez pas aller à la négligence ; à votre âge cela ne convient pas, à votre place encore moins ; cela attire après soi la malpropreté, la négligence et l’indifférence même dans tout le reste de vos actions, et cela ferait votre mal ; c’est la raison pourquoi je vous tourmente, et je ne saurais assez prévenir les moindres circonstances qui pourraient vous entraîner dans les défauts où toute la famille royale de France est tombée depuis longues années64 ; ils sont bons, vertueux pour eux-mêmes, mais nullement faits pour paraître, donner le ton, ou pour s’amuser honnêtement, ce qui a été la cause ordinaire des égarements de leurs chefs qui, ne trouvant aucune ressource chez eux, ont cru devoir en chercher au dehors et ailleurs. […] Mais il n’y avait pas moyen d’en agir ainsi ; la France aime les coups de théâtre, les changements à vue, et il y a des moments irrésistibles. […] Si l’on s’apercevait, surtout en France où on épluche tout et tire tout à conséquence, que vous n’entriez en rien, vous seriez bientôt déchue de tous ces applaudissements qu’on vous prodigue à cette heure. […] Nous assistons depuis quelque temps, en France, à une véritable croisade des éditeurs et des biographes en l’honneur et pour l’entière glorification de Marie-Antoinette.
Puisqu’on connaît le portrait de Mlle de Liron, puisque j’ai osé citer un passage de Mlle Aïssé malade, qui, en donnant une incomplète idée de sa personne, laisse trop peu entrevoir combien elle fut vive et gracieuse, cette aimable Circassienne achetée comme esclave, venue à quatre ans en France, que convoita le Régent, et que le chevalier d’Aydie posséda ; puisque j’en suis aux traits physiques des beautés que Mlle de Liron rappelle et à l’air de famille qui les distingue, je n’aurai garde d’oublier la Cécile des Lettres de Lausanne, cette jeune fille si vraie, si franche, si sensée elle-même, élevée par une si tendre mère, et dont l’histoire inachevée ne dit rien, sinon qu’elle fut sincèrement éprise d’un petit lord voyageur, bon jeune homme, mais trop enfant pour l’apprécier, et qu’elle triompha probablement de cette passion inégale par sa fermeté d’âme. […] Dans la première, une femme de qualité établie à Lausanne, la mère de la jolie Cécile dont nous avons cité le portrait, écrit à une amie qui habite la France les détails de sa vie ordinaire, le petit monde qu’elle voit, les prétendants de sa fille et les préférences de cette chère enfant qu’elle adore ; le tout dans un détail infini et avec un pinceau facile qui met en lumière chaque visage de cet intérieur. […] On quitte Lausanne pour la campagne, et on se dispose à venir visiter la parente de France : voilà la première partie. […] M. de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople, acheta en 1698, d’un marchand d’esclaves, une jolie petite fille d’environ quatre ans. […] Il la ramena en France, la fit très-bien élever, abusa d’e le, à ce qu’il paraît16, dès qu’il la crut en âge, et mourut en lui laissant une pension de 4,000 livres.
Barnave donne le petit tableau suivant, qui est curieux en ce qu’il offre une sorte de statistique ou d’échelle de la popularité dans cette première période révolutionnaire : Necker est le premier qui, de notre temps, en France, ait joui de ce qu’on appelle popularité. — Elle s’attacha à La Fayette, lors de la création de la Garde nationale. […] Celui-ci, en effet, a écrit une Relation de ce retour de Varennes, relation encore manuscrite, et dont j’ai pu lire une copie dans le cabinet de l’ancien et toujours gracieux chancelier de France, M. […] Maubourg connaissait beaucoup Mme de Tourzel (gouvernante des Enfants de France), et on ne peut se dissimuler que Barnave avait déjà conçu des projets. […] Ce qui arriva tout naturellement et inévitablement, c’est que la reine, en femme qu’elle était, reconnut à l’instant dans Barnave l’attitude, l’accent, les égards de ce qu’on appellera toujours en France un homme comme il faut ; elle se sentit, de sa part, l’objet d’une pitié respectueuse et discrète ; elle comprit que, dans une certaine mesure, elle pouvait compter sur lui. […] Mais en ce qui est de la France, de la connaissance des partis, du jeu des divers éléments, de leur qualité et de leur force relative, il est juge excellent.
Jusqu’à l’âge de quarante-huit ans, il vécut en France, à la Cour, à l’armée, d’une existence brillante et active ; estimé des plus grands généraux, il était en passe d’une assez haute fortune militaire. […] Saint-Évremond, averti à temps, quitta la France, se réfugia en Hollande, puis en Angleterre, et vécut quarante-deux ans encore d’une vie de curieux et de philosophe, très goûté, très recherché dans la plus haute société, voyant ce qu’il y avait de mieux dans les pays étrangers, et supportant avec une fierté réelle et une nonchalance apparente sa disgrâce. […] Il y avait à cette époque, en France, une école d’épicuréisme et de scepticisme qui se représentait dans la science par Gassendi et La Mothe Le Vayer ; dans les lettres et dans le monde, par Des Yveteaux, Des Barreaux, et bien d’autres. […] La Fare, le délicat voluptueux, disait d’elle : Je n’ai point vu cette Ninon dans sa beauté ; mais, à l’âge de cinquante ans et même jusqu’au-delà de soixante, elle a eu des amants qui l’ont fort aimée, et les plus honnêtes gens de France pour amis. […] Il paraît que, lorsqu’il se sauva de France en 1664, elle lui devait cent pistoles.