Victor Hugo était, sans les lamentables déraillements de sa vie, destiné à nous donner un poème épique, cette grande chose militaire qui manque à la France, à qui pourtant les hommes épiques comme Charlemagne et Napoléon n’ont pas manqué. […] Seulement, sur le chemin de l’énorme où il s’élance avec l’aveuglement d’un taureau fou, quelquefois — les bons jours pour ses qualités toutes-puissantes, quand elles parviennent à s’équilibrer, — il rencontre tout à coup le grandiose, et alors il devient le poète énorme encore, mais sans difformité, qui pouvait seul donner à la France ce poème épique qu’elle n’a pas, et dont elle s’est toujours moquée parce qu’il lui a toujours manqué. […] un poème épique… Être le poète épique de la France, telle était pour moi, et j’y reviens malgré moi, la vraie destinée de Victor Hugo ! […] Mais il est d’une mélancolie plaisante de voir les vers grandiloquents de Hugo, que l’admiration de ce siècle appellerait volontiers Hugomagne, comme on dit : « Charlemagne », ne plus servir qu’à exprimer des idées que le chansonnier Béranger, ce polisson de France, qui, du moins, était gai, a exprimées d’une façon moins pleurarde, moins pompeuse et moins pédantesque.
Décidément les séances d’Académie française sont plus en vogue que jamais ; et ces sortes de joûtes de beaux esprits semblent devenues une fête aussi nationale en France que les combats de taureaux peuvent l’être en Espagne.
C’est un Allemand, né en France, dont l’érudition est allemande, la science allemande et qui a la naïveté allemande de croire nous donner des poèmes épiques en français.
L’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres a couronné deux de ses Ouvrages, dont l’un est l’Histoire philosophique & politique des Loix de Licurgue : l’autre roule sur cette question : Quel fut l’état des personnes en France sous les deux premieres Races, &c. ?
La France a produit peu d’Auteurs aussi laborieux & aussi féconds.
Né à Caen en 1555 d’un père magistrat, d’une famille plus noble que riche, l’aîné de neuf enfants, ayant fait d’ailleurs des études assez variées et de gentilhomme sous la conduite d’un précepteur, tantôt à Caen, tantôt à Paris, et pendant deux ans aux universités d’Allemagne, il quitta tout à fait la maison paternelle à vingt et un ans pour s’attacher au service du duc d’Angoulême, fils naturel de Henri II, et grand prieur de France. […] Comme elle venait régner en France, il en aurait tiré un augure favorable pour les arts et la littérature de ce pays. […] Rendant hommage aux poètes français du xvie siècle, à ceux que Malherbe avait eu le tort de trop dépriser, et leur faisant jusqu’à un certain point réparation, Godeau, dans le discours qui servait de préface à la première édition de Malherbe, ajoutait pourtant : « La passion qu’ils avaient pour les anciens était cause qu’ils pillaient leurs pensées plutôt qu’ils ne les choisissaient. » Et il fait sentir que la méthode habile et combinée, cette méthode d’abeille par laquelle Horace imitait les Grecs, a succédé en France, grâce à Malherbe, à l’imitation confuse, à l’importation trop directe et trop entière des originaux grecs eux-mêmes.
En France, trop de science chez les femmes, et surtout l’affiche et le diplôme qui y serait attaché, nous a toujours paru contre nature : « Nous avons bien de la peine à permettre aux femmes un habit de muse, disait Ginguené en parlant de celles qui font honneur à l’Italie : comment pourrions-nous leur souffrir un bonnet de docteur ? […] Il y avait en France, comme répandu dans l’air, un goût de Quinault et d’Opéra. […] Et, dans une comparaison spirituelle, elle suppose qu’Hélène, cette beauté sans pareille chez Homère, est morte en Égypte, qu’elle y a été embaumée avec tout l’art des Égyptiens, que son corps a été conservé jusqu’à notre temps et nous est apporté en France ; ce n’est qu’une momie sans doute : On n’y verra pas ces yeux, pleins de feu, ce teint animé des couleurs les plus naturelles et les plus vives, cette grâce, ce charme qui faisait naître tant d’amour et qui se faisait sentir aux glaces mêmes de la vieillesse ; mais on y reconnaîtra encore la justesse et la beauté de ses traits, on y démêlera la grandeur de ses yeux, la petitesse de sa bouche, l’arc de ses beaux sourcils, et l’on y découvrira sa taille noble et majestueuse… C’est en ces termes véridiques et modestes que Mme Dacier annonçait sa traduction, et elle n’a rien dit de trop à son avantage.