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22. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Or, l’exemple de tous ceux qui ont voulu traduire en alexandrins des poëtes étrangers, prouve que ce genre de vers nécessite des circonlocutions continuelles. […] La tragédie allemande la fait ressortir avec non moins de force par l’apparition d’une troupe de personnages étrangers à l’action, et qui n’ont avec elle aucun rapport ultérieur. […] Toutes les fois que les tragiques français ont voulu transporter sur notre théâtre des moyens empruntés des théâtres étrangers, ils ont été plus prodigues de ces moyens, plus bizarres, plus exagérés dans leur usage, que les étrangers qu’ils imitaient. […] Elles ont certainement quelques-uns des inconvénients que les nations étrangères leur reprochent. […] Les spectateurs français n’auraient pu tolérer dans une jeune fille cette exaltation, cette indépendance, d’autant plus étrangère à nos idées, qu’il ne s’y mêle aucun égarement, aucun délire.

23. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre II. Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion »

Or, il arrive que chez l’homme, la conscience possède la propriété, à un degré beaucoup plus élevé que chez toutes les autres espèces, de refléter, en même temps que l’image des sentiments, des pensées, des actes individuels, l’image aussi des sentiments, des pensées, des actes étrangers. […] On voit aussitôt comment l’individu court le risque d’être égaré, de prendre le change, de se concevoir autre qu’il n’est à l’instigation de celles de ces images qui furent projetées dans sa conscience par des activités étrangères. […] La conscience de l’homme, a-t-on dit, se distingue de celle de toutes les autres espèces animales par un pouvoir beaucoup plus grand de refléter des images de sentiments, de pensées, d’actes étrangers. […] En est-il autrement, les notions et les images étrangères sont-elles représentées dans le miroir de la conscience, sous des dehors plus séduisants, avec plus de force et plus d’éclat, que les images et les notions appropriées aux aptitudes héréditaires, l’énergie va se trouver divisée avec elle-même. Sollicitée en deux sens contraires, d’un côté par l’instinct, de l’autre par l’exemple, elle va hésiter, elle va pâtir, quelle que soit d’ailleurs l’issue du conflit qui dépend de la force plus ou moins grande de la personnalité héréditaire, en même temps que de l’assaut plus ou moins grave qu’elle subit du fait des images étrangères enfermées dans la notion.

24. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Au lieu de rendre des arrêts par prétention, au lieu de se borner à omettre, dans un dictionnaire inconnu du public et déjà démodé quand il paraît, les mots de figure trop étrangère, elle agirait dans le présent, et les formes refusées ou bannies par elle seraient proscrites de l’écriture et du parler. […] Livrées à elles-mêmes, soustraites aux influences étrangères ou savantes, les langues ne peuvent se déformer, si on donne à ce mot un sens péjoratif. […] Devenus les esclaves de la superstition scientifique, nous avons donné aux pédants tout pouvoir sur une activité intellectuelle qui est du domaine absolu de l’instinct ; nous avons cru que notre parler traditionnel devait accueillir tous les mots étrangers qu’on lui présente et nous avons pris pour un perpétuel enrichissement ce qui est le signe exact d’une indigence heureusement simulée. Il n’est pas possible qu’une langue littérairement aussi vivante ait perdu sa vieille puissance verbale ; il suffira sans doute que l’on proscrive à l’avenir tout mot grec, tout mot anglais, toutes syllabes étrangères à l’idiome, pour que, convaincu par la nécessité, le français retrouve sa virilité, son orgueil et même son insolence.

25. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

Or nous ne pouvons pas reconnoître aussi facilement la nature quand elle paroît revêtuë de moeurs, de manieres, d’usages et d’habits étrangers, que lorsqu’elle est mise, pour ainsi dire, à notre façon. […] Plaute et Terence, dira-t-on, ont mis la scene de la plûpart de leurs pieces dans un païs étranger par rapport aux romains pour qui ces comedies étoient composées. […] Ceux qui transplantent quelqu’art que ce soit d’un païs étranger dans leur patrie, en suivent d’abord la pratique de trop près, et ils font la méprise d’imiter chez eux les mêmes originaux que cet art est en habitude d’imiter dans les lieux où ils l’ont appris. […] Horace le plus judicieux des poëtes sçait beaucoup de gré à ceux de ses compatriotes qui les premiers introduisirent dans leurs comedies des personnages romains, et qui délivrerent ainsi la scene latine d’une espece de tyrannie que des personnages étrangers y venoient exercer. […] Je ne parle point des comedies heroïques de Moliere, parce qu’il songea moins en les écrivant à faire des comedies, qu’à composer des pieces dramatiques qui pussent servir de liaison aux divertissemens destinez à former ces spectacles magnifiques que Louis XIV encore jeune donnoit à sa cour, et dont la memoire s’est conservée dans les païs étrangers autant que celle de ses conquêtes.

26. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Demandez à M. et à Mme de Noailles, en l’exigeant même, sur tous les cas, ce que, comme étrangère et voulant absolument plaire à la nation, vous devrez faire, et qu’ils vous disent sincèrement s’il y a quelque chose à corriger dans votre maintien, dans vos discours, ou autres points. […] Los étrangers et ceux qui ne l’ont pas vue depuis six mois sont frappés de sa physionomie qui acquiert tous les jours de nouveaux agréments. […] Le portrait est juste ; il n’a rien de satirique ; il est impartial ; deux ou trois petits mots semblent y déceler une plume étrangère, quoique tout y soit, d’ailleurs, d’une observation bien française. […] Elle néglige pourtant souvent les distinctions à l’égard de ceux qui sont le plus dans le cas d’en attendre, tels que les grands, les ministres, les ambassadeurs et ministres des Cours étrangères, et les étrangers particuliers, auxquels elle ne dit presque jamais rien. […] Ce pays-là : c’est donc un étranger qui écrit.

27. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — III. La tête de mort »

» L’étranger poursuit son chemin. […] L’étranger va avec eux et leur montre la tête : « La voilà, leur dit-il. — Tête, demandent les envoyés, est-il vrai que tu aies parlé ?  […] Les envoyés s’en retournent vers le chef : « Nous avons interrogé la tête, lui rapportent-ils et elle ne nous a rien répondu. — « En ce cas, dit le chef, ramenez l’étranger près de la tête et tuez-le à cet endroit ».

28. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Nul ne veut avoir l’air d’être vaincu par des étrangers, nul n’aime ces étrangers ». […] Je vous proteste que, s’il y avait un prince étranger assez riche, assez habile, assez audacieux, vous verriez en France une révolution semblable à celle de 1688 en Angleterre. […] L’indépendance de Mallet du Pan dans les conseils qu’il donne aux princes de la maison de Bourbon est donc manifeste : elle n’éclate pas moins dans son attitude et son procédé à l’égard des ministres étrangers qui le consultent. […] Qu’on reconnaisse le roi ou non, cela ne vaut pas six liards ; c’est de la France, et non d’étrangers battus, conspués, haïs, qu’il doit se faire adopter. […] Dans sa brochure publiée à Bruxelles en 1793, nous l’avons vu s’adresser plutôt aux chefs des cabinets et aux princes français qu’à la France même : ici, c’est le contraire ; il désespère de l’étranger, et c’est pour la France qu’il écrit, c’est pour ceux du dedans qu’il s’agit de ramener.

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