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15. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Il arriverait la même chose qu’à la musique Italienne chantée par des étrangers ou par des Italiens. Les Italiens trouvent, et avec raison, que les étrangers l’écorchent ; un Français ou un Anglais qui chantent devant eux leur musique, leur font grincer les dents ; cependant ces étrangers, tout en écorchant la musique italienne, y éprouvent un certain degré de plaisir, et même assez vif pour affecter beaucoup ceux d’entre eux qui ne sont dénués ni de sentiment ni d’oreille. […] La plupart des étrangers qui savent le français, sentent-ils le mérite de nos chansons ? […] Cependant combien peu d’étrangers qui l’écrivent avec pureté et avec élégance ? […] C’est comme si on disait : un étranger très médiocrement versé dans la langue française, s’apercevra aisément que le style de nos vieux et mauvais poètes n’est pas celui de Racine ; donc cet étranger sera en état de bien écrire en français.

16. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

La signification du mot étranger a profondément évolué de l’antiquité classique jusqu’à nos jours.‌ […] Pour le petit monde hellénique, comme plus tard pour le monde romain, étranger était synonyme d’ennemi. […] Pour nous désormais, entre l’étranger et l’ennemi, existe une différence profonde. […] Et cependant, malgré cette distinction fermement établie et nettement admise de nos jours, entre les deux termes d’étranger et d’ennemi, chaque peuple semble se comporter comme s’il les confondait encore. […] Le jour où, dans un cerveau d’homme, ce doute est né, que l’étranger n’était peut-être pas forcément un ennemi la conscience humaine s’est élargie soudainement.

17. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M.  […] Sayous est la suite de celui qu’il publia, il y a quelques années, sur la Littérature française à l’étranger pendant le xviie  siècle. […] Enfin, il faut bien en convenir, il y a des étrangers qui écrivent en français du même droit que nous et sans être Français, tout simplement parce que c’est leur langue propre et maternelle. […] Il y a donc des branches de littérature française qui sont chez elles et en pleine terre, tout en étant à l’étranger. […] Elle portait autrefois plus d’hommes distingués qu'elle n’en pouvait contenir, elle en envoyait de tous côtés à l’étranger.

18. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Préface »

Préface Les essais qui forment ce livre sont consacrés à six écrivains de nationalités diverses, introduits, accueillis et devenus célèbres en France pendant ces cinquante dernières années et qui marquent ainsi un des traits particuliers de l’histoire de notre littérature : l’influence qu’y ont exercée des auteurs étrangers de race, de langue, de tournure d’esprit à tout ce que l’on considère comme le propre du génie gallo-latin. […] Le succès est venu d’abord aux écrivains nationaux qui se réclamaient de modèles étrangers. […] Il faut croire qu’à diverses périodes, ces œuvres, et celles qui en ont été inspirées, ont mieux satisfait les penchants d’un nombre notable de lecteurs français que les œuvres véritablement du terroir ; qu’en d’autres termes la littérature nationale n’a jamais suffi, et aujourd’hui moins que jamais, à exprimer les sentiments dominants de notre société, que celle-ci s’est mieux reconnue et complue dans les productions de certains génies étrangers que dans celles des poètes et des conteurs qu’elle a fait naître. […] Considérant ensuite l’œuvre de chacun d’eux comme compréhensible et admirable seulement pour des esprits dont elle exprime les penchants et qui se trouvent être ainsi dans une certaine mesure, les pareils moralement de son auteur, nous saurons à la fois et ce qu’ont de particulier les écrivains que nous sommes allés adopter à l’étranger, et ce que signifient les adhésions qu’ils ont recueillies eux et les artistes qui les imitent en France ou qui leur ressemblent.

19. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Elle avait préparé une terrible trahison contre les étrangers. […] Ainsi donc, étrangers que nous sommes, défendons-nous bien. […] Les étrangers se vengèrent de tout ce qui leur était arrivé. […] Bientôt les étrangers tuèrent encore plus d’un guerrier. […] Les nobles étrangers étaient surveillés par leurs ennemis.

20. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VIII »

Il est indifférent que des mots étrangers figurent dans le vocabulaire s’ils sont naturalisés. […] Si l’on descend au xixe  siècle, la figure des mots étrangers, même les plus usuels, change et se barbarise. […] Mais c’est en étudiant l’anglais dans le français que l’on comprendra le mieux les dommages que peut causer à une langue devenue respectueuse, un vocabulaire étranger. […] Que de mots, que de locutions d’une pureté de son admirable : étrace, étambot, misaine, hauban, bouline, hune, beaupré, artimon, amarres, amures, laisser en pantenne, haler en douceur ; voici deux lignes de vraie langue marine83 : « On cargue la brigantine, on assure les écoutes de gui ; une caliourne venant du capelage d’artimon est frappée sur une herse en filin… » Très peu de mots marins appartiennent au français d’origine ; ils ont été empruntés aux langues germaniques et scandinaves, au provençal, à l’italien ; mais leur naturalisation est parfaite, et presque tous peuvent servir de modèle pour le traitement auquel une langue jalouse de son intégrité doit soumettre les mots étrangers. […] La tendance au néologisme est assez forte chez les étrangers parlant français et n’ayant naturellement qu’un vocabulaire restreint à leur disposition.

21. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Il a cru devoir insister sur cette guerre atroce, que quelques-uns avaient qualifiée d’inexpiable, et il en a tiré une leçon politique sur les dangers qu’il y a pour un État à se servir de troupes étrangères, surtout quand elles sont comme celles-ci, confuses et ramassées de toutes parts. Giscon, général carthaginois, gouverneur de Lilybée, chargé du commandement après la démission du général en chef Hamilcar, avait prévu le danger, et, pour le conjurer, il n’avait renvoyé de Sicile en Afrique les troupes étrangères, qu’on allait licencier, que partie à partie et par détachements ; mais les Carthaginois, au lieu de payer ces nouveaux arrivants au fur et à mesure, et de les éloigner avant qu’ils fussent en nombre, avaient retardé le paiement de la solde sous plusieurs prétextes ; et bientôt ces étrangers, se trouvant concentrés dans Carthage, y commirent des désordres qui forcèrent de prendre un parti. […] Les officiers sont impuissants à maintenir l’ordre ; plusieurs y périssent : dans ces cohues d’étrangers de toute nation, il n’y avait, nous dit Polybe, que le mot frappe qui fût entendu de tous indistinctement et qui semblât de toute langue, parce qu’il était sans cesse en usage et pratiqué. […] Les Mercenaires, tout étrangers qu’ils étaient à Cartilage, renfermaient dans leurs rangs beaucoup d’Africains ; ils trouvèrent moyen d’intéresser les provinces d’Afrique à leur ressentiment. […] Les deux villes restées jusqu’alors fidèles à Carthage, Utique et Hippone-Zaryte, se livrèrent aux étrangers.

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