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235. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

La douleur trouble la digestion, la joie l’active, la peur dessèche la langue et cause une sueur froide ; le cœur, les poumons, la glande lactée chez les femmes ressentent le contre-coup des émotions ; la glande lacrymale qui secrète constamment son liquide, le laisse échapper avec plus d’abondance, sous l’action des émotions tendres. […] Son étude sur les émotions qui sera exposée plus tard, excellente dans le détail, n’est qu’une suite de fragments dont la connexion ne paraît pas assez clairement ; et ce défaut, c’est ici, croyons-nous, qu’en est la source.

236. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

Barre ne nous donne, sur le seuil du mystère, cette émotion de pensée qui fut, n’en déplaise à M.  […] De là l’effort de Verlaine pour fondre en sentiment et en musique tout le descriptif et l’oratoire, pour substituer à un développement qui déploie l’émotion une répétition qui l’accumule insensiblement. […] des successions de longues et de brèves équilibrées selon le mouvement et l’émotion, des assonances et des allitérations, parmi lesquelles la rime est comprise, et il diffère de la prose dans la mesure où il maintient un emploi continu, avec des retours, de ces éléments.

237. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Nous donnons ce même nom de beauté littéraire à des sources d’émotion fort différentes, tellement qu’il y a là un abus de langage. […] Est-ce donc imiter que d’avoir été ému et d’incorporer à son œuvre un peu du souvenir de son émotion ? […] Dans la vie, ce principe n’est valable qu’associé à des émotions qui le corrompent. […] Peut-être pourrait-on dire qu’il est plus artiste que poète, car chez lui l’émotion est rare et toujours fort discrète. […] Un beau vers porte avec lui son émotion propre, qui est l’émotion esthétique.

238. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Si vous raillez devant eux, songez que vous parlez à des hommes attentifs, concentrés, capables de sensations durables et profondes, incapables d’émotions changeantes et soudaines. […] Leur tempérament vous demande des émotions fortes ; leur esprit vous demande des démonstrations précises. […] La réflexion est l’attention concentrée, et l’attention concentrée centuple la force et la durée des émotions. […] À la moindre émotion, ses larmes coulent, ses sentiments frémissent, comme un papillon délicat qu’on écrase dès qu’on le touche. […] Dès la première scène, on est pénétré de l’émotion modérée et noble qu’on gardera jusqu’au bout du volume.

239. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

C’est une demi-résurrection de mon expérience ; on pourra employer divers termes pour l’exprimer, dire qu’elle est un arrière-goût, un écho, un simulacre, un fantôme, une image de la sensation primitive : peu importe : toutes ces comparaisons signifient qu’après une sensation provoquée par le dehors et non spontanée, nous trouvons en nous un second événement correspondant, non provoqué par le dehors, spontané, semblable, à cette même sensation quoique moins fort, accompagné des mêmes émotions, agréable ou déplaisant à un degré moindre, suivi des mêmes jugements, et non de tous. […] Avec une certaine éloquence, il passait de la description d’une torture à celle d’une autre ; à la fin, emporté par une émotion insurmontable, il ne put émettre, pendant plus d’une minute, qu’une succession de cris ou sons inarticulés20. » Évidemment, pendant cette minute, sa vision mentale avait tous les caractères d’une vision physique ; il avait devant lui son enfer imaginaire comme un enfer réel, et il croyait à ses fantômes du dedans comme à des objets du dehors. […] La tête tombée, il voit l’exécuteur la prendre pour la mettre dans le panier… Il déclare qu’il a eu alors une émotion très profonde ; au moment où il a vu arriver le condamné, le cou nu et dépouillé de ses vêtements, il a été pris d’un tremblement nerveux qu’il n’a pu maîtriser, et, longtemps après l’exécution, l’image de cette tête sanglante qu’il a vu jeter dans le panier le poursuivait sans cesse. […] L’abcès mental commence par une image terrible accompagnée d’une émotion extrême. — L’image renaît incessamment et devient obsédante. — Elle s’accroche à l’idée du moi, et S… imagine un cas où il pourrait bien être lui-même en danger. — Cet accroc devient définitif, et, en rêve, il se voit conduit à la guillotine. […] Elle est la sensation elle-même, mais consécutive ou ressuscitante, et, à quelque point de vue qu’on la considère, on la voit coïncider avec la sensation. — Elle fournit aux mêmes combinaisons d’idées dérivées et supérieures : le joueur d’échecs qui joue les yeux fermés, le peintre qui copie un modèle absent, le musicien qui d’après son cahier entend une partition, portent les mêmes jugements, font les mêmes raisonnements, éprouvent les mêmes émotions que si l’échiquier, le modèle, la symphonie frappaient leurs sens.

240. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

. —  Variété de ses émotions et de ses sujets. —  Sa curiosité littéraire et son dilettantisme poétique. —  The Dying Swan. […] Il composait dans tous les tons et se plaisait à éprouver les émotions de tous les siècles. […] Il y a chez les personnages de la Princesse, comme chez ceux d’As you like it, un trop plein d’imagination et d’émotions. […] Les jeunes filles pleurent en l’écoutant ; certainement quand, tout à l’heure, on lisait la légende d’Elaine ou d’Enide, on a vu des têtes blondes se courber sous les fleurs qui les parent, et des épaules blanches palpiter d’une émotion furtive. Et que cette émotion est fine !

241. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Cette chaleur prétendue d’un interêt renaissant, n’auroit pas tout l’effet qu’il en espere, parce que le coeur une fois refroidi, c’est à recommencer pour le remettre au point d’émotion où il étoit. […] L’insensibilité auroit à cet égard, quelque chose de monstrueux : or quand on émeut tout le monde à la fois, l’émotion de chacun croît encore, à la vûë de celle des autres ; et l’on ressent bien plus vivement ce que l’on voit que tout le monde sent avec nous. […] D’attendrissement en attendrissement, vous la pouvez conduire jusqu’aux larmes : mais si vous tardez trop à exciter les premieres émotions, vous n’aurez peut-être pas le tems d’arriver aux grands effets. […] On demeure d’autant plus froid qu’on s’est promis en vain plus d’émotion. […] Il faut que l’intérêt soit continu, parce qu’autrement le spectateur languiroit dans les intervalles, et qu’il ne reprendroit que foiblement une émotion interrompuë.

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