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164. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « De la peinture. A propos d’une lettre de M. J.-F. Raffaëlli » pp. 230-235

Raffaëlli à Jersey ; l’entretien vint à porter sur les articles que l’on a pu lire dans la Vie Moderne ;  ils se résumaient en somme en une prédilection marquée pour les peintres émotifs, si l’on peut dire ainsi, les peintres donnant une émotion de couleur, et pour leur représentant, M.  […] Étant donné que toute œuvre d’art ne vaut que par l’émotion qu’elle produit, ce peintre désire exciter la sympathie de ses spectateurs par l’exactitude minutieuse et il faut le dire, magistrale, avec laquelle il reproduit ses types ; par leur choix généralement excellent et notable ; par leurs occupations et manières d’être parfaitement appropriées à leur extérieur ; en d’autres termes, par sa pénétration dans une série de caractères, d’âmes, de natures humaines ; et par sa faculté de nous les faire pénétrer, de nous les révéler.

165. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Si le goût est une chose de caprice, s’il n’y a aucune règle du beau, d’où viennent donc ces émotions délicieuses qui s’élèvent si subitement, si involontairement, si tumultueusement, au fond de nos âmes, qui les dilatent ou qui les serrent, et qui forcent de nos yeux les pleurs de la joie, de la douleur, de l’admiration, soit à l’aspect de quelque grand phénomène physique, soit au récit de quelque grand trait moral ? […] C’est lui qui réfléchit et qui voit dans l’arbre de la forêt, le mât qui doit un jour opposer sa tête altière à la tempête et aux vents ; dans les entrailles de la montagne, le métal brut qui bouillonnera un jour au fond des fourneaux ardents, et prendra la forme et des machines qui fécondent la terre et de celles qui en détruisent les habitants ; dans le rocher, les masses de pierre dont on élèvera des palais aux rois et des temples aux dieux ; dans les eaux du torrent, tantôt la fertilité, tantôt le ravage de la campagne ; la formation des rivières, des fleuves ; le commerce, les habitants de l’univers liés, leurs trésors portés de rivage en rivage et de là dispersés dans toute la profondeur des continents ; et son âme mobile passera subitement de la douce et voluptueuse émotion du plaisir au sentiment de la terreur, si son imagination vient à soulever les flots de l’océan.

166. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Quelque saillant en effet que fût ce mérite sous le rapport de l’exécution et du drame, il semblait facile à la critique (la critique aujourd’hui s’étant raffinée à proportion du reste) de discerner dans Indiana la portion des souvenirs et celle de l’invention, de conjecturer jusqu’à quelle page l’auteur était allé avec sa part d’émotions propres et de confidences plus ou moins déguisées. […] À vrai dire, toute personne qui, dans sa jeunesse, a vécu d’une vie d’émotions et d’orages, et qui oserait écrire simplement ce qu’elle a éprouvé, est capable d’un roman, d’un bon roman, et d’autant meilleur que la sincérité du souvenir y sera moins altérée par des fantaisies étrangères : il ne s’agirait pour chacun que de raconter, sous une forme presque directe et avec très-peu d’arrangement, deux ou trois années détachées de ses mémoires personnels. […] J’aurais mieux aimé incomparablement entendre ce que se seraient dit l’un à l’autre, tout éveillés et en proie à leurs seules émotions naturelles, les deux amants durant cette nuit de périls, d’angoisses et de délices peut-être.

167. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Toutes ces impressions d’une âme sympathique avec l’esprit nouveau des temps, cette croyance à une philosophie plus réelle et plus humaine, cette liberté morale reconquise, cette spontanéité reconnue, cette confiance accordée aux facultés les plus glorieuses et les plus désintéressées de notre être, toutes ces qualités et ces vues de madame de Staël, en passant dans les livres d’art qu’elle composa, leur donnèrent un tour unique, une originalité vraiment moderne, des trésors de chaleur, d’émotion et de vie, une portée immense quoique parfois hors de mesure avec la réalité. […] Les vagues émotions religieuses et les rêveries de cœur qu’ils savaient communiquer aux âmes, et qui étaient comme une maladie sociale de ces dernières années, leur conciliaient bien des suffrages de jeunes gens et de femmes que la couleur féodale ou monarchique, isolée du reste, n’aurait pu séduire. […] La mission, l’œuvre de l’art aujourd’hui, c’est vraiment l’épopée humaine ; c’est de traduire sous mille formes, et dans le drame, et dans l’ode, et dans le roman, et dans l’élégie, — oui, même dans l’élégie redevenue solennelle et primitive au milieu de ses propres et personnelles émotions, — c’est de réfléchir et de rayonner sans cesse en mille couleurs le sentiment de l’humanité progressive, de la retrouver telle déjà, dans sa lenteur, au fond des spectacles philosophiques du passé, de l’atteindre et de la suivre à travers les âges, de l’encadrer avec ses passions dans une nature harmonique et animée, de lui donner pour dôme un ciel souverain, vaste, intelligent, où la lumière s’aperçoive toujours dans les intervalles des ombres.

168. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

De cette constitution immuable de notre nature sort la nécessité qui s’impose à l’artiste et à l’écrivain de découper dans le monde immense et divers des formes et des pensées un fragment de médiocre dimension, formant un tout homogène, capable d’être supposé indépendant et isolé du reste, présentant un rapport des parties facilement intelligible à l’esprit, et fournissant une diversité d’impressions facilement réductibles en une émotion dominante. […] Mais jamais ces émotions dissonantes ne seront dominantes et poussées jusqu’à faire obstacle à l’émotion supérieure, qui est propre au genre.

169. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Si par délicatesse nous nous détachons du naturalisme, et qu’aux tableaux donc évoqués sans fidélité ni coloris, ni émotion naturiste, nous dénions toute arrière-signification, toute « correspondance » saisissable, que reste-t-il, et est-ce assez ? […] Ajalbert, on trouve un scepticisme attendri, un réalisme sentimental, une mélancolie boulevardière, bref des contraires savamment dosés en vue de l’émotion distinguée à communiquer. […] Des personnages symboliques, à noms typiques, baron Sinaï, Madame de Transpor, Madame de Fryleuse, les Granton, s’agitent en des schèmes de passions, ne montrent que des projections d’aventures, planes, sans émotion, mais en une déformation systématique, saccadée et briseuse.

170. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Girard et comme Thucydide, cette poétique ne crée qu’un art insuffisant aux besoins de pensée, de sentiment et d’émotion des sociétés qui n’en sont plus à la civilisation de Périclès, ce ne sera plus un avantage d’être si Grec. […] Jules Girard, qui finit par se dépraver dans ces accointances grecques, conclut au nom de cette raison, dont l’art, pour lui, relève, que l’émotion, la plus noble émotion de l’homme, n’est rien dans la recherche du vrai et dans l’histoire de l’humanité !

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