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514. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Il est pourtant un côté qu’il importe de bien mettre en vue et de reconnaître : Bourdaloue, vivant et parlant, eut beaucoup plus de variété et d’à-propos que l’on ne suppose, et, s’il ne semble appliqué qu’à semer le bon grain dans les âmes, il est à remarquer qu’il savait pénétrer dans ces âmes et ces esprits de ses auditeurs, et les entrouvrir, par des tranchants assez vifs et assez inattendus. […] Et parce que l’humilité même se trouve exposée en certains genres de vie dont toute la perfection, quoique sainte d’ailleurs, a un air de distinction et de singularité, la vraie austérité du christianisme, surtout pour les âmes vaines, est souvent de se tenir dans la voie commune, et d’y faire, sans être remarqué, tout le bien qu’on ferait dans une autre route avec plus d’éclat. […] Dans le sermon Sur la prière, c’est le mysticisme de Fénelon qui est signalé avec ses périls, et il ne tient qu’à nous de reconnaître l’auteur des Maximes des saints confondu avec ceux qui, sous prétexte d’être des âmes angéliques et choisies, s’estiment assez habiles pour réduire en art et en méthode ces mystères d’oraison, pour en donner des préceptes, pour en composer des traités, pour en discourir éternellement avec les âmes. […] Personne n’était plus propre que Bourdaloue à rallier ces âmes effrayées, prises par violence, et à leur offrir un christianisme à la fois sévère et consolant70. […] Il y a dans ces pages une sorte d’essai sur l’amitié humaine considérée dans les amitiés prétendues solides, et dans les amitiés sensibles et prétendues innocentes, qui nous présente un Bourdaloue plus familier et tel qu’il pouvait être dans la direction particulière des âmes : on trouve dans ce qu’il dit de la dernière espèce d’amitié entre les personnes de différent sexe bien de l’observation et même de la délicatesse ; j’y renvoie ceux de mes lecteurs qu’un essai de Nicole n’ennuie pas.

515. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Je ne sais rien même de si faible et de si vain que de fuir devant les vices, ou de les haïr sans mesure ; car on ne les hait jamais que parce qu’on les craint, par représailles ; ou par vengeance, parce qu’on en est mal traité ; mais un peu de grandeur d’âme, quelque connaissance du cœur, une humeur douce et tacite, empêchent qu’on en soit surpris ou blessé si vivement. […] … L’on sait assez que la gloire ne rend pas un homme plus grand ; personne ne nie cela ; mais, du moins, elle l’assure de sa grandeur, elle voile sa misère, elle rassasie son âme, enfin elle le rend heureux. […] Quant à se faire des sectateurs de la fortune dans la même route et côte à côte avec tant de bas poursuivants, sous prétexte qu’on a l’âme noble, Mirabeau déclare qu’il n’y consentira jamais. […] La pompe et les prospérités d’une fortune éclatante n’ont jamais élevé personne aux yeux de la vertu et de la vérité ; l’âme est grande par ses pensées et par ses propres sentiments, le reste lui est étranger ; cela seul est en son pouvoir. […] Caton le censeur, s’il vivait, serait magister de village, ou recteur de quelque collège ; du moins serait-ce là sa place : Caton d’Utique, au contraire, serait un homme singulier, courageux, philosophe, simple, aimable parmi ses amis, et jouissant avec eux de la force de son âme et des vues de son esprit, mais César serait un ministre, un ambassadeur, un monarque, un capitaine illustre, un homme de plaisir, un orateur, un courtisan possédant mille vertus et une âme vraiment noble, dans une extrême ambition.

516. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Si Israël avait eu la doctrine, dite spiritualiste, qui coupe l’homme en deux parts, le corps et l’âme, et trouve tout naturel que, pendant que le corps pourrit, l’âme survive, cet accès de rage et d’énergique protestation n’aurait pas eu sa raison d’être. […] La résurrection, idée totalement différente de l’immortalité de l’âme, sortait d’ailleurs très naturellement des doctrines antérieures et de la situation du peuple. […] Ces idées ne s’enseignaient à aucune école ; mais elles étaient dans l’air, et son âme en fut de bonne heure pénétrée. […] Il semble que la Loi n’eût jamais compté plus de sectateurs passionnés qu’au moment où vivait déjà celui qui, de la pleine autorité de son génie et de sa grande âme, allait l’abroger. […] Mais le voisinage des vieux sanctuaires de Silo, de Béthel, près desquels on passe, tient l’âme en éveil.

517. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

La victime était faite de la même boue que les bourreaux, et la déesse Douleur fut impuissante à insuffler en cette fange militaire une âme. […] celui qui n’a pas senti, à la première idée de départ, une répugnance invincible, un soulèvement de tout lui que nul raisonnement n’apaiserait, n’avait pas l’âme courageuse. […] Car votre esprit, Mélusine, est une clarté adorable et le feu auquel il s’allume est la plus noble des âmes. […] Riquet a « l’âme religieuse ». […] Sa petite âme, « semblable à l’âme humaine », est « facile à distraire et prompte à l’oubli des maux ».

518. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Mariée à dix-sept ans au duc d’Alençon, prince insignifiant, elle gardait tout son dévouement et toute son âme pour son frère ; aussi, lorsqu’à la dixième année du règne arriva le désastre de Pavie (25 février 1525), et que Marguerite et sa mère apprirent la destruction de l’armée française et la captivité de leur roi, on conçoit le coup qu’elles reçurent. […] En général, toutes ces lettres de Marguerite font le plus grand honneur à son âme, à ses qualités généreuses, solides, pleines d’affection et de cordialité. […] Je ne sais pourquoi Brantôme ajoute qu’à son avis la princesse avait tenu tout ce propos plus par bonne grâce et par manière de conversation que par créance : il me semble, au contraire, qu’il y a ici croyance à la fois et bonne grâce, convenance de la femme délicate et de l’âme pieuse, et que tout y est concilié. […] « Ne parlons point de celle-là, dit le roi, elle m’aime trop : elle ne croira jamais que ce que je croirai, et ne prendra jamais de religion qui préjudicie à mon État. » Ce mot résume le vrai : Marguerite ne pouvait être d’une autre religion que son frère, et Bayle a très bien remarque, dans une très belle page, que plus on refuse à Marguerite d’être unie de doctrine avec les protestants, plus on est forcé d’accorder à sa générosité, à son élévation d’âme et à son humanité pure. […] Et pourtant il est bon qu’il y ait de telles âmes éprises avant tout de l’humanité, et qui insinuent à la longue la douceur dans les mœurs publiques et dans des lois restées jusque-là cruelles : car plus tard, aux époques même de sévérité recommençante, la répression, quand elle est commandée par des raisons supérieures de politique, se voit forcée de tenir compte de cette humanité introduite dans les mœurs, et de la tolérance acquise.

519. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Voilà cet homme, qui avait le génie de l’âme, plus rare que le génie de la pensée, quoique le génie de la pensée, il l’eût aussi. […] que les prolégomènes, — prend pour base de toutes ses idées cette chute qui se voit partout, dans l’univers et dans les âmes, comme la lézarde d’un volcan, et que Schelling lui-même (un Allemand !) […] Il faut que l’âme se reprenne en sous-œuvre, à partir du commencement. […] Il a vu aussi, lui, que la douleur était une culture pour l’âme de l’homme, et il l’a introduite jusque dans sa substance et il l’a poussée jusqu’au ciel, car c’est là que les âmes cultivées doivent fleurir. […] Mais ce n’est pas dans cette tourbe d’hommes qui ne veulent plus être des âmes, qui ne veulent plus être que des esprits, et des esprits déchaînés contre la spiritualité même de leur substance, qui était leur gloire autrefois !

520. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

Car il ne s’agit plus de savoir comment une substance inétendue, appelée âme, peut résider dans une substance étendue, appelée corps, ni comment deux êtres de nature aussi différente peuvent avoir commerce entre eux ; ces questions scolastiques tombent avec les entités scolastiques qui les suggèrent. […] Par suite, l’on verrait, dans les groupes de sensations rudimentaires dont nous n’avons pas conscience, des âmes rudimentaires ; et, de même que l’appareil nerveux est un système d’organes à divers états de complication, de même l’individu psychologique serait un système d’âmes à divers degrés de développement. […] Garnier, Traité des facultés de l’âme, tome I, livre I et II. […] Garnier, Traité des facultés de l’âme, I, 44. […] Garnier, Traité des facultés de l’âme, t. 

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