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862. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Et cependant telle était pour l’imagination et le cœur l’autorité puissante des mystères de l’Évangile : celui qui, d’abord et longtemps, avait chanté les solitudes pittoresques de la Cyrénaïque, appelée jadis par Pindare le jardin de Vénus, et les nuits lumineuses de ces beaux climats, où il étudiait les phénomènes célestes en disciple des astronomes d’Alexandrie, Synésius n’entretient plus sa lyre que des vérités sévères de la foi.

863. (1739) Vie de Molière

Un troisième3 appelle un cadran au soleil un greffier solaire, une grosse rave, un phénomène potager.

864. (1888) Impressions de théâtre. Première série

On a vu dans tous les dieux des forces de la nature personnifiées et dans leurs aventures l’expression figurée des principaux phénomènes naturels, on a réduit toutes les histoires d’amour des antiques divinités à des mythes astronomiques ou météorologiques. […] Quand Phèdre nomme son aïeul le Soleil, quand Aricie nomme son aïeule la Terre, nous nous rappelons soudain nos lointaines origines, et que la Terre et le Soleil sont en effet nos aïeux, que nous tenons « à Cybèle par le fond mystérieux de notre être, et que nos passions ne sont en somme que la transformation dernière de forces éternelles et fatales et comme leur affleurement d’une minute à la surface de ce monde de phénomènes. […] Et Eurydice, ramenée des enfers par son époux, lui échappe dès qu’il se retourne, de même que l’Aurore s’évanouit aussitôt que le Soleil l’a regardée… Les trois quarts des anciens récits inventés par les hommes ont ainsi pour origine l’observation naïve des phénomènes célestes ; ils ne sont que de l’astronomie et de la cosmographie interprétées par des imaginations enfantines. […] L’orphisme ne sépare point l’homme de la nature ; il l’y plonge au contraire ; il nous fait sentir notre parenté avec les choses et c’est aux phénomènes naturels qu’il demande des images et des symboles de nos joies, de nos douleurs et de notre vie morale.

865. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Weiss nous offre ce phénomène presque unique d’un normalien, d’un professeur, d’un théoricien politique, d’un haut fonctionnaire (il l’a été à deux reprises), d’un homme rompu à toutes les disciplines intellectuelles, façonné et trituré par toutes les cultures, chargé d’une énorme quantité de notions précises, et dont le tempérament originel a résisté à tout, dont la libre fantaisie, l’« humeur » au sens où nos pères l’entendaient, la sensibilité propre, l’audacieuse « naïveté » sont restées intactes et ont même paru grandissantes jusqu’à la fin, et chez qui l’imagination, sous l’appareil logique et serré du discours, est toujours demeurée souveraine maîtresse. […] Dumas, une autre merveilleuse page sur les phénomènes sociaux qui ont marqué la seconde moitié du règne de Napoléon III et plus encore ces vingt dernières années : « La prise de possession de Paris par l’étranger ; l’avènement de la race juive qui peut devenir bientôt prépondérante ; l’émancipation de la courtisane, qui était autrefois une espèce d’excommuniée civile, et qui forme de plus en plus maintenant une classe régulière, admise, consacrée, considérée ; la concentration progressive des capitaux et du commerce, par le jeu du crédit, entre les mains de Compagnies peu nombreuses qui, avant un demi-siècle, seront devenues pour la France ce que furent pour Rome ces latifundia, d’où sortit la guerre sociale en permanence. » Vient alors la description la plus brillante, — et la plus inquiétante, — du cosmopolitisme parisien, et de « cette légion d’étrangers multicolores, depuis le Mexicain et le Yankee jusqu’au Mongolien et au Sarmate, qui occupent, de la gare des Batignolles à la Muette, le splendide Parisian-West », et des mœurs de cette société nouvelle, et des travers, des ridicules, des influences pernicieuses, des vices nouveaux introduits par elle dans notre vie habituelle et notre état public. […] Tout cela fait qu’il nous offre le phénomène, non pas seulement du génie sans le talent, ce qui est assez commun et ce qui se conçoit, mais encore le phénomène presque inouï, et bien difficile à expliquer, de la poésie sans le style. » (« Le génie sans le talent. » Ne démontrerait-on pas aussi bien que Scribe a eu dans son métier tout le talent qu’on voudra sans l’ombre de génie ? […] Songez que la persistance, — inévitable d’ailleurs, — d’une aristocratie de naissance dans notre démocratie est un phénomène social étrange entre les plus absurdes.

866. (1898) Essai sur Goethe

La reconnaissance et l’ingratitude appartiennent aux phénomènes qui se manifestent à chaque moment dans l’ordre moral, et sur lesquels les hommes ne peuvent jamais s’entendre. […] Tout en suivant les marches et les contremarches, il observe dans les ruisseaux des phénomènes de réfraction — d’ailleurs assez ordinaires, prétendent les spécialistes — et se persuade qu’il fait « des découvertes in opticis ». […] Pour vous éclairer sur les détails de cette nature, vous embrassez son ensemble, et c’est dans l’universalité de ses phénomènes que vous cherchez l’explication profonde de l’individualité […] Semblable à l’Achille de l’Iliade, vous avez choisi entre Phtia et l’Immortalité. […] Par le fait de l’image en laquelle Goethe a traduit sa pensée et qui préside à tous les développements du livre, la passion se trouve identifiée à une force de la nature, aveugle, irrésistible, en sorte que la « psychologie » va se fondre en une sorte de dynamisme qui n’était point encore à la mode en 1807 : ses jeux ne sont plus qu’un phénomène curieux à observer ; les personnages sont aussi inconscients, aussi passifs contre cette force mystérieuse que les gaz ou les liquides qui s’agitent dans un creuset.

867. (1914) Une année de critique

C’est que la personnalité, si elle n’est pas une illusion, se manifeste surtout dans la volonté, qui peut imposer au flot des phénomènes la loi de la durée. […] Cet homme qui, dans un univers lancé sans but à travers les espaces, n’indique pour consolation que les jeux de l’esprit ou de la chair ; cet homme que la pensée toujours présente de la fuite des phénomènes et de l’effritement des siècles empêche d’attacher quelque prix aux passions qui font vivre et mourir ses semblables ; cet homme qui incita la foule à chercher un bonheur futur qu’il sait impossible — cet homme-là sera l’objet de la réprobation de toutes les âmes religieuses. […] Sa personne et son œuvre m’apparaissent comme un unique phénomène, très insolite et très précieux.

868. (1896) Les Jeunes, études et portraits

On s’est intéressé au jeu des phénomènes de conscience. […] Alors un phénomène se produit en lui qui, au surplus, ne doit pas lui causer une surprise immodérée. […] Il a réussi à fixer l’attention de Paris, de ce Paris si distrait et qui a si tôt fait de se détourner des curiosités d’hier et d’oublier les phénomènes d’antan. […] Ils sont curieux des phénomènes intérieurs ; ils s’analysent, ils s’étudient et ils étudient les autres ; ils raffinent sur leurs sentiments ; tant qu’enfin ils s’embrouillent dans leurs analyses, s’embarrassent dans leurs déductions, et arrivent à n’y plus rien comprendre… ce qui est le dernier mot et l’effort suprême de la clairvoyance psychologique.

869. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Dieu seul a pu créer et peut expliquer ce phénomène du sens immatériel contenu dans la parole matérielle ou contenu dans les lettres, signes hiéroglyphiques que la matière fait à l’esprit.

870. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Depuis que nous avons admiré les merveilleux portraits saisis à un éclat de soleil par Adam Salomon, le statuaire du sentiment, qui se délasse à peindre, nous ne disons plus c’est un métier ; c’est un art ; c’est mieux qu’un art, c’est un phénomène solaire où l’artiste collabore avec le soleil !

871. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

XV Il fut fasciné par Werther ; mais, par un phénomène moral très connu chez les grands artistes comme Goethe, pendant que le livre incendiait le monde l’auteur resta froid.

872. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

C’est un phénomène qu’on n’a pas assez étudié, et qui ne s’explique, selon nous, que par deux causes : d’abord la prodigieuse fécondité morale de la race italienne ; ensuite la sève nouvelle, vigoureuse, étrange, que les lettres grecques et latines, renaissantes et greffées sur la chevalerie chrétienne, donnèrent à cette époque à l’esprit humain en Italie.

873. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Si nous parcourions les différents pays de l’Europe, nous trouverions partout le même phénomène du caprice des critiques.

874. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Ce qui promettait une éclosion magnifique s’est desséché avant d’avoir mûri, a tourné à la démesure, au phénomène monstrueux.

875. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Buffon conçoit le phénomène comme une supposition, mais il le raconte comme un spectacle dont il est témoin.

876. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

Elle joue ici le rôle d’un décor, d’une plastique, d’un jeu de gestes et d’intentions perceptible à l’oreille et pénétrant l’intelligence sans être arrêtée par l’objectivité des phénomènes visuels.

877. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Il rétablit le phénomène suivant : « La souffrance, sentie immédiatement, revient à la perception comme représentée étrangère (comme si elle arrivait à un autre), on y compatit comme telle et on la sent soudain redevenir sienne, et c’est de cette répercussion de la réflexion que proviennent les larmes, qui représentent donc la pitié qu’on a pour soi-même (Mitleid fur sich selbst) ».

878. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Saint Thomas fut un de ces phénomènes de végétation anticipée.

879. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

« Quand notre âme se recueille et se concentre fortement en elle-même sous une impression de plaisir ou de douleur qui s’empare tout entière d’une de ses facultés, il nous semble que toute autre faculté en nous est absorbée, et ce phénomène réfute l’erreur de ceux qui croient qu’au-dessus de notre âme unique une seconde âme nous anime !

880. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Jamais on ne vit rien de si différent et de si semblable, et, comme l’Erreur, en se faisant homme, se rame toujours de la même manière dans le tempérament de l’humanité, nous avons vu, quand, de religieux, le principe protestant est devenu politique, se reproduire le même phénomène d’identité dans le mal et d’antagonisme dans les facultés.

881. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Ce besoin de déplacer le corps quand on ne peut faire agir l’esprit, est un phénomène moral, qui se retrouve à toutes les époques fortement tenues, où l’on respire un air douteux, mêlé. — La veille de la révolution d’Angleterre, Pyne, Hampden et Cromwell allaient partir. […] Il résulte de tout ceci que le réalisme artistique et littéraire n’est pas un phénomène isolé, dont il serait presque inutile de tenir compte, puisqu’il romprait l’harmonie générale.

882. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Dans une pièce fameuse des Feuilles d’automne, Victor Hugo définit ainsi la, manière dont, chez lui, se produit ce phénomène de la production poétique : Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore. […] Vous savez le phénomène qui s’est produit chez nous au sujet du nom et de la personne de Napoléon.

883. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Schopenhauer nous apprit à reconnaître dans les phénomènes sociaux la lutte de l’intelligence et de l’instinct ; il nous apprit aussi à mieux analyser les causes de l’amour, et aussi à ne pas nous effrayer du mal et même à reconnaître sa nécessité. […] Nous avons vu de même Verlaine popularisé par l’imitation et, phénomène qui n’est même plus surprenant, puisqu’il est connu et nécessaire, des poètes verlainiens fêtés et vantés au moment même que Verlaine était encore raillé et rejeté parmi les « décadents ». […] Ne disons donc cela — j’y songe devant une image du livre — ni de la Porte monumentale que nous traiterons alors de mystérieuse, ni du Pavillon bleu (encore qu’il est bien tentant de n’y voir qu’une baleine qui, ayant mis ses côtes par-dessus son lard, se dresserait sur les nageoires pour faire la belle), ni de plusieurs autres phénomènes architecturaux.

884. (1887) George Sand

Je ne puis, en effet, mieux exprimer ce singulier phénomène dont elle donnait le spectacle étonnant dans sa méthode de travail, qu’en disant que c’était un phénomène d’inconscience superbe, mais bien peu sûre dans le résultat. […] Ce que j’en pense n’a pas grand intérêt à rapporter ; mais le phénomène que j’y cherchais et que j’y ai trouvé est assez curieux et peut vous servir. » Elle était, à ce moment, tombée dans un de ces états de stérilité passagère que connaissent tous les écrivains.

885. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Nous assistons à un très subtil phénomène de suggestion amoureuse. […] Les nuances et les distinguo sont bons pour ceux qui ne croient pas, soit par indolence, soit par complexion d’esprit, ou pour les philosophes qui sont surtout frappés de la relativité des phénomènes, ou encore pour les « hommes du monde » qui se moquent des phénomènes et du sens qu’ils peuvent avoir, et qui ne songent qu’à vivre doucement et commodément. […] Renato, c’est encore un peu le mari de Françoise, ce composé si singulier et si vrai de fatuité et de simplicité, de franchise et de mensonge, d’égoïsme et de tendresse, dont les vices éprouvent le besoin de se juger, de se confesser, de se faire pardonner, et qui se croit absous de ses mauvaises actions par le sincère désir de ne faire de mal à personne, et aussi par la persuasion que rien n’est volontaire et que rien, d’ailleurs, n’a d’importance dans ce monde de forces aveugles et de fuyants phénomènes.

886. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Ils ne se contentaient pas de les appliquer dans les exercices pratiques de l’Inquisition, qui reste un phénomène historiquement avéré, bien qu’on n’ose plus en parler par peur de se rencontrer avec M.  […] Sans doute, l’enchaînement des grands faits se peut considérer à un point de vue philosophique : il y a des phénomènes d’ensemble déterminés par des raisons collectives ; et il est possible à la rigueur d’écrire l’Histoire en négligeant presque complètement les individus. […] L’orthodoxie religieuse connaît ces phénomènes et les regarde comme des tentations diaboliques.

887. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Mais si prompte que soit sa main, il est toujours de quelques secondes en retard sur le phénomène qu’il poursuit. […] Ils ont commencé à le peindre mentalement, attentifs aux diverses phases du phénomène, épiant le moment où il prendra son maximum d’effet esthétique : alors, d’un brusque effort, ils ont fixé l’image dans leur mémoire. […] Ce phénomène est manifeste dans la rencontre des sensations colorées avec les sensations de l’odorat. […] Pour plus de détails sur ces phénomènes psychiques, voir Helmholtz, Optique physiologique, et James Sully, Les Illusions des sens et de l’esprit.

888. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Et encore, dans ces pures descriptions auxquelles j’ai voulu me borner, suis-je très suspect de partialité pour ce pays d’islam, moi qui, par je ne sais quel phénomène d’atavisme lointain ou de préexistence, me suis toujours senti l’âme à moitié arabe : le son des petites flûtes d’Afrique, des tam-tams et des castagnettes de fer réveille en moi comme des souvenirs insondables, me charme davantage que les plus savantes harmonies ; le moindre dessin d’arabesque, effacé par le temps au-dessus de quelque porte antique, — et même seulement la simple chaux blanche, la vieille chaux blanche jetée en suaire sur quelque muraille en ruine, — me plonge dans des rêveries de passé mystérieux, fait vibrer en moi je ne sais quelle fibre enfouie ; — et la nuit, sous ma tente, j’ai parfois prêté l’oreille, absolument captivé, frémissant dans mes dessous les plus profonds, quand, par hasard, d’une tente voisine m’arrivaient deux ou trois notes, grêles et plaintives comme des bruits de gouttes d’eau, que quelqu’un de nos chameliers, en demi-sommeil, tirait de sa petite guitare sourde. […] une fonction fortuite des centres nerveux de notre cerveau, pareille aux actions chimiques imprévues dues à des mélanges nouveaux, pareille aussi à une production d’électricité, créée par des frottements ou des voisinages inattendus, à tous les phénomènes enfin engendrés par les fermentations infinies et fécondes de la matière qui vit. […] Enfin on se réveillait, on s’étirait, en prenant des poses et sans plus rien se dire, comme pénétré du grand phénomène de la transformation finale… Puis, tout à coup, on commençait des courses folles — très légères, en petits souliers minces toujours ; à deux mains on tenait les coins de son tablier de bébé, qu’on agitait tout le temps en manière d’ailes ; on courait, on courait, se poursuivant, se fuyant, se croissant en courbes brusques et fantasques ; on allait sentir de près toutes les fleurs, imitant le continuel empressement des phalènes ; et on imitait leur bourdonnement aussi, en faisant : « Hou ou ou !  […] Il semble, par un étrange phénomène de perspective, que ces faits, qui n’ont que vingt ans, soient aussi loin de nous que ceux du siècle dernier, et l’esprit se surprend parfois à confondre, en les revoyant aux Tuileries, ces deux souveraines unies par de si cruelles catastrophes : Marie-Antoinette et l’Impératrice.

889. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

c’est tout ce qu’ils peuvent se payer) l’effroyable plaisir de se raconter, de se décrire minutieusement leurs tortures physiques et les phénomènes produits dans leurs cerveaux par cette abstinence forcée : ils savourent, ils remâchent leur faim ! […] On me dira : Il existe de ces phénomènes, et nous avons connu plus d’une madame de Gesvres. C’est possible, mais on n’a pas le droit de transporter, de la vie réelle dans la vie artistique, de pareils phénomènes, sans les expliquer. […] Expliquer par quel prodige physiologique, par quelle loi des courants le phénomène se produit, je ne le saurais ; mais il ne se produit pas moins : nous avons pu le constater sur nous — et sur d’autres.

890. (1888) Études sur le XIXe siècle

Le caractère de la scène et le ton de la légende contribuent ensemble à jeter l’esprit dans cet état de rêve qui le porte bientôt jusqu’à la pleine clairvoyance, et l’esprit découvre alors un nouvel enchaînement des phénomènes du monde, que ses yeux ne pouvaient apercevoir dans l’état de veille ordinaire : de là lui venait cette inquiétude qui le portait à demander sans cesse “pourquoi ?” […] Par quel phénomène un esprit complexe comme l’est M.  […] La renommée vêtit toujours l’inconnu de quelques qualités mystérieuses ; et c’est seulement à ce phénomène que je dois le bruit sur mon compte que j’ai trouvé dans votre ouvrage et ailleurs.

891. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’esprit recule d’étonnement et d’admiration devant la puissance d’organisation et devant l’immensité des détails que comporte ce nom d’armée : recrutement des soldats, habillement, armement, logement, nourriture de ces masses d’hommes ; solde, instruction, chevaux, canons, distribution de ces soldats dans les cadres, nomination et hiérarchie des sous-officiers et des officiers, génie du général, héroïsme collectif de ses bataillons, où chaque combattant est souvent désintéressé de la cause et où tous meurent au besoin pour la victoire ; c’est là un de ces phénomènes tellement compliqués de la civilisation antique ou moderne qu’un historien militaire doit commencer par l’approfondir dans ses plus minutieux détails avant d’en présenter l’ensemble sur les champs de bataille à l’esprit de la postérité.

892. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

C’est le beau phénomène de la solidarité du genre humain.

893. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

Ossian fils de Fingal I Vers l’année 1762, un phénomène littéraire étrange apparut comme une comète dans le monde ; les imaginations en furent ébranlées, ainsi qu’elles avaient pu l’être à l’apparition des poëmes homériques en Grèce ; l’histoire en fut éclairée, les traditions, jusque-là verbales, se renouèrent, et la poésie servit de témoin aux récits des plus antiques légendes.

894. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Mais, l’expérience du plus savant homme étant toujours fort restreinte, toute explication d’un ensemble un peu considérable de phénomènes, même suggérée par l’expérience, devient forcément création.

895. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Elle ne doit pas reproduire les bruits naturels, ni les phénomènes de la matière, ni les actions, ce triple objet de la musique descriptive, parce que la machinerie théâtrale, et la peinture, et la littérature y peuvent parvenir aussi bien, et mieux qu’elle.

896. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Il a moins considéré ce Poëte comme le maître ou le précurseur de Virgile, que comme un Philosophe profond & sublime, qui déduit avec beaucoup d’art des principes qu’il a établis, l’explication des phénomènes de la nature.

897. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

À l’égard seulement des insectes qu’elles présentent, Schiœdte affirme « que ce phénomène ne saurait être considéré autrement que comme purement local ; et que la ressemblance qu’on trouve entre quelques-unes des espèces de la caverne du Mammouth dans le Kentucky et quelques-unes de celles qui vivent dans les cavernes de la Carniole n’est que la simple conséquence de l’analogie générale qui existe entre la faune d’Europe et celle de l’Amérique du Nord. » À mon point de vue, il faut supposer que des animaux appartenant à la faune américaine, et doués d’une faculté visuelle ordinaire, ont émigré lentement et par générations successives du monde extérieur dans les profondeurs de plus en plus obscures des cavernes du Kentucky, comme firent, dans celles d’Europe, des animaux appartenant à la faune européenne.

898. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

ces différents travaux n’ont abouti à aucun résultat certain, même un des meilleurs, et peut-être le meilleur des critiques de Shakespeare, le poète Coleridge, qui a essayé plusieurs fois, avec une patience de Pénélope qui attend Ulysse, de reconstituer cet ordre chronologique, n’a pu nous éclairer par ce côté-là ce phénomène de production qui fut Shakespeare, dont la personnalité ne se démasqua jamais de son génie et qui est resté impénétrable pour son propre compte à travers le monde de personnages qu’il fit si merveilleusement parler !

899. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Alexandre Dumas, Paul Féval, ces deux travailleurs à bride abattue, n’ont peut-être pas, quand on y regarde de près, une fécondité égale à celle de Balzac, car chaque volume de La Comédie humaine est bourré d’un texte formidable, mais ils ont montré cependant à leur tour une fécondité qui a diminué quelque peu le phénomène de celle de Balzac.

900. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Il est à remarquer qu’au cours de ces luttes qui remplirent le siècle, le même phénomène se reproduisit d’une façon presque constante.

901. (1929) Amiel ou la part du rêve

Il n’écrira pas cette histoire, mais à partir du 16 décembre 1847 une chronique, le Journal, quotidienne comme celle de Dangeau (l’anti-Dangeau, évidemment, mais, car les extrêmes s’appellent, pour la postérité un phénomène comme Dangeau) qui ne se terminera que quelques jours avant sa mort quand les veilleuses qui se relayeront à son chevet en auront chassé la solitude. […] Pareillement l’échange des sexes, avec tous les degrés de l’inversion, est un phénomène sinon normal, du moins fréquent.

902. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

L’auteur a trois ou quatre préoccupations : maintenir chez les personnages, l’indétermination des traits ; exprimer avant toutes choses la fatalité qui les mène ; annoncer et figurer, à mesure, les événements du drame par des symboles précurseurs, par des images concrètes qui, perçues par les personnages, les emplissent d’une terreur indéfinie ; bref, nous donner autant que possible l’impression du mystère, c’est-à-dire du caractère irresponsable et inconscient des actes humains, la sensation que nous sommes immergés dans un océan de forces fatales, que nous sommes de petites vagues surgissant une minute à la surface de cet océan, et, en même temps, qu’il y a, dans ce chaos, de continuelles et secrètes correspondances entre les phénomènes de l’âme et ceux du monde physique. […] Nous vous verrions encore sans ce fatal triomphe… Heureusement la nature est inépuisable ; et chaque année nous apporte quelque nouveau phénomène.

903. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

De la science découlent bien des idées nouvelles ; ce n’est plus la science expérimentale (atavisme, hérédité, etc.) avec ses phénomènes morbides, qui a servi à Émile Zola, c’est la science des docteurs Charcot, Luys, avec l’hypnotisme, la suggestion, les phénomènes du cerveau, de l’esprit, de la pensée. […] Explique qui voudra ce phénomène par lequel, le soir même d’une première représentation et le matin de la publication d’un livre, tout le monde sait, à Paris, s’il y a réussite ou insuccès. […] Cependant, il éprouve des phénomènes qui troublent sa tranquillité.

904. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Un des phénomènes de l’histoire de France est précisément ceci que certains hommes ont trouvé le moyen de transformer la vanité des Français en orgueil : Louis XIV, Napoléon. […] Remarquez que le phénomène n’est pas nouveau en France et que c’est (surtout) à partir de son âge mûr que Voltaire, et lui aussi, ce semble bien, pour suivre la mode et courir après la popularité, est devenu partiellement révolutionnaire, avec le tempérament le plus conservateur du monde, poussant toujours de ce côté avec plus d’âpreté et de violence. […] C’est un phénomène de persistance, c’est un phénomène d’immobilité tout à fait extraordinaire.

905. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Chez un esprit de cette qualité, c’est une sorte de phénomène.

906. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Et si on ajoute à cette admiration que cet interprète si intelligent, si fidèle et si éloquent, décrit, parle et chante dans une langue aussi divine et aussi harmonieuse que sa pensée ; si on ajoute que cette langue cadencée et transparente comme les vagues et comme l’éther dont il est entouré dans ses paroles rythmées, l’ordre logique des idées, le nœud puissant et serré du verbe qui relie en faisceau la phrase, la clarté du plein jour sous un soleil d’Orient, la force de l’expression, la délicatesse des nuances, la saillie du marbre, la vivacité des couleurs, la sonorité des armures d’airain dans le combat, des vagues de la mer dans les cavernes du rivage, le sifflement de la tempête dans les vergues et dans les voiles, le susurrement du zéphire dans les brins d’herbe ou dans les feuilles des forêts, enfin jusqu’aux plus imperceptibles palpitations du cœur dans la poitrine des hommes, on reste confondu, en présence d’un tel prodige d’expression, de tout ce que les sens perçoivent, de tout ce que l’âme sent et pense, et l’on se demande par quel étrange phénomène le plus ancien des poètes en est en même temps le plus parfait, par quel contresens apparent le génie poétique de la Grèce sort des ténèbres le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre à la main ; et on ne peut s’empêcher de se récrier sur le blasphème ou sur la cécité de ceux qui préconisent notre vieille jeunesse au détriment de cette jeune antiquité.

907. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

« Les Cimmériens (peuples voisins du pôle) à qui la vue du soleil est dérobée ou par un dieu, ou par quelque phénomène de la nature, ou plutôt par la position de la terre qu’ils habitent, ont cependant des feux à la lueur desquels ils peuvent se conduire ; mais ces philosophes du doute, dont vous vous déclarez les sectateurs, après nous avoir enveloppés de si épaisses ténèbres, ne nous laissent pas même une dernière étincelle pour éclairer nos regards et nos pas !

908. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

XIII Est-il donc étonnant que pensant ainsi et qu’ayant le sentiment, je dirai presque le remords, de quelques erreurs de jugement commises par moi dans l’appréciation des actes et des hommes de la première Révolution française (Histoire des Girondins), est-il étonnant, dis-je, que je relise sévèrement ce livre (qui fut un événement, j’en conviens, et qui vit encore d’une forte vie à l’heure où je parle), et que je présente aujourd’hui le curieux phénomène d’un écrivain critique après avoir été historien, et qui juge à vingt ans de distance, en pleine maturité, le livre écrit par lui-même à une autre époque de son siècle et sous d’autres impressions de son esprit ?

909. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Résignons-nous ; soyons indulgents à ces frères sans grâce et reconnaissons que cette attitude de perpétuelle défensive et d’éternelle protestation sur des riens n’est pas seulement, chez eux, un phénomène d’atavisme, mais une marque, — déplaisante, il est vrai, — de leur noblesse morale.

910. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Elle travaille, toutes les nuits, d’une heure à quatre heures du matin, puis retravaille encore dans la journée, pendant deux heures — et, ajoute Manceau, qui l’explique un peu comme un montreur de phénomènes : « C’est égal qu’on la dérange… Supposez que vous ayez un robinet ouvert chez vous, on entre, vous le fermez… C’est comme cela chez Mme Sand. — Oui, reprend Mme Sand, ça m’est égal d’être dérangée par des personnes sympathiques, par des paysans qui viennent me parler… » Ici une petite note humanitaire.

911. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

C’est par là qu’elle participe, jusqu’à un certain point, au caractère et au privilége des œuvres de la nature, et qu’il entre dans l’impression qui en résulte quelque chose de l’impression que l’on éprouve à contempler le cours d’un fleuve, l’aspect d’une montagne, une masse pittoresque de rochers, une vieille forêt ; car le génie inculte de l’homme est aussi un des phénomènes, un des produits de la nature80. » Dans cet ingénieux et substantiel Discours, comme dans plusieurs des arguments étendus qui précèdent les pièces, et dont quelques-uns sont de vrais chapitres d’histoire, le style de Fauriel s’affermit, sa parole s’anime et se presse, il trouve un nerf inaccoutumé d’expression ; on dirait que, dans ce sujet de son choix, il a véritablement touché du pied la terre qui est sa mère. […] Cela n’est pas : presque tous avaient étudié la nature dans ses phénomènes visibles et réguliers ou dans ses productions.

912. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

» Mardi 25 octobre Du phénomène d’hier soir, je ne sais quelle magie le ciel avait gardée aujourd’hui, quelle coloration électrique ! […] Lundi 12 décembre Cette nuit, il y a eu de la gelée, puis du dégel, puis encore de la gelée, et je remarque, pour la première fois, un petit phénomène de nature, qui tient de la féerie.

913. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Il n’y eut là aucun phénomène de dédoublement ou de rénovation : une intelligence naturellement réaliste s’adaptait à des fonctions réalistes, comme d’abord, elle s’était adaptée, en littérature, à l’analyse logique et minutieuse de la réalité. […] On connaît le phénomène de l’audition colorée.

914. (1940) Quatre études pp. -154

Absolue est la correspondance entre les phénomènes naturels et le travail de son génie créateur ; Keats est lui-même une plante fragile, qui donnera sa fleur, et que le proche hiver tuera. […] Il connaissait chaque plante par son nom, et il était familier avec l’histoire et avec la manière d’être de chaque production de la terre ; il était capable d’interpréter sans erreur tout ce qui apparaissait dans le ciel ; les phénomènes variés du ciel et de la terre le remplissaient d’une émotion profonde.

915. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Avec sa verdeur accoutumée et peut-être un certain goût d’étonner et de taquiner qu’il tient de son grand-père Jean-Jacques Rousseau, Tolstoï donc, ayant relu Shakespeare ces derniers temps, ou plutôt l’ayant lu, peut-être, pour la première fois, ce que je serais assez tenté de croire, a déclaré tout net que Shakespeare ne savait pas ce que c’est qu’un caractère ; que du reste il ne savait pas composer une pièce ; surtout qu’il était mortellement ennuyeux ; et qu’enfin l’admiration européenne à l’égard de Shakespeare était le plus merveilleux phénomène de suggestion que l’histoire ait jamais eu à enregistrer. […] La gloire de Shakespeare est un phénomène de suggestion. […] De même que de nos jours, quand la Porte Saint-Martin n’a pas la veine, elle reprend Cyrano de Bergerac et immédiatement refait fortune ; de même en ce temps-là, aussitôt qu’il y avait une chute à l’Odéon, et ce phénomène n’est rare nulle part, on reprenait le Marquis de Villemer et la caisse retentissait joyeusement. […] Gustave Flaubert s’est défendu jusqu’au bout. » Quant à la moralité de l’œuvre, George Sand était tellement habituée à ce phénomène historique qui est que toute nouvelle façon de sentir et même toute nouvelle façon de peindre choque la moral et paraît la ruiner, qu’elle reste très calme devant le scandale, stupide du reste, que Madame Bovary avait provoqué.

916. (1905) Propos littéraires. Troisième série

C’est un lettré et un professeur, comme Ronsard le fut ; c’est un poète qui est un critique, phénomène qui se présentera souvent dans l’histoire de la littérature française, avec Boileau, avec Racine, avec Chateaubriand, avec Victor Hugo lui-même. […] Il va sans dire que ce phénomène se produit dans tous les romans possibles. […] Vous avez tous assisté à ce phénomène. […] » Cette stupéfaction est tout à fait la même (car toutes les fois qu’un moraliste rencontre un artiste, ce phénomène se produit) que celle de Proudhon condamnant Delacroix parce que Delacroix peint « indifféremment », oui « indifféremment ! 

917. (1890) Nouvelles questions de critique

Les productions littéraires, nous dit-il, tout le monde le comprend ou devrait le comprendre aujourd’hui, sont, comme tous les faits historiques, des phénomènes soumis à des conditions. Comprendre ces phénomènes dans leurs caractères multiples, assigner à chacun sa date et sa signification, en démêler les rapports, en dégager enfin les lois, telle est la tâche du savant… La psychologie historique, qui est l’examen de conscience de l’humanité, ne se développe que grâce à une infinité de recherches extrêmement précises et souvent extrêmement ténues… Grâce à la minutieuse exactitude, à la méthode sévère, à la critique à la fois large et rigoureuse qu’on exige maintenant de ceux qui font de l’histoire littéraire, celle-ci pourra bientôt présenter à la science dont elle dépend, et qui n’est elle-même qu’une auxiliaire de la psychologie proprement dite, un tribut vraiment utile et prêt à être utilisé. […] Si l’on retrouve en effet aujourd’hui chez nos naturalistes quelque chose des idées de Diderot, — de son cynisme, que l’on prend trop souvent pour du naturel, et de sa grossièreté, qui n’est pas toujours de la franchise, — ne pourrait-on pas soutenir qu’il n’y a là que ce qu’on appelle un phénomène d’atavisme ? […] Dans l’évolution des idées et des genres, l’apparition d’un Jean-Jacques est un phénomène toujours sans précédent, même quand il a des analogues.

918. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Un grand poète athée, voilà sans doute un singulier phénomène. […] Dans la barbarie du moyen âge la science de Constantinople était un phénomène. […] Le phénomène de son génie en paraîtra moins surprenant, mais il sera mieux compris. […] Les songes terribles de Richard III, son sommeil agité des convulsions du remords, le sommeil plus effrayant encore de lady Macbeth, ou plutôt le phénomène de sa veille mystérieuse et hors de nature comme son crime, toutes ces inventions sont le sublime de l’horreur tragique, et surpassent les Euménides d’Eschyle.

919. (1894) Critique de combat

Loin de séparer par des abîmes les différents ordres de phénomènes, l’auteur s’attache à passer de l’un à l’autre par une transition insensible. […] Les deux grandes lois qu’il retrouve et suit partout sont ce qu’il appelle : La loi d’équilibration, cause primordiale, et la loi de solidarité, condition essentielle de tous les phénomènes qui peuvent être perçus par nous, hors de nous ou en nous. […] Mais tout ce qu’il nous est permis de faire en ce court espace d’un article, c’est de noter la marche générale des phénomènes littéraires.

920. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

………………………………………………………………………………… » Après quelques minutes d’arpentage solitaire devant la grille, mademoiselle de Montbrun parut accompagnée d’un phénomène en cornette qui, en cas de jeûne trop prolongé, aurait pu, comme les hippopotames, vivre sur sa graisse. […] La Douleur d’aimer Le fantastique inventé par Hoffmann, singulièrement accru par Edgar Poec, subit encore aujourd’hui des transformations ; ce n’est plus à l’extérieur qu’il emprunte ses éléments, mais au moi intime qu’il demande ses impressions, poussant à l’extrême l’étude de ses phénomènes psychiques, de ses détraquements d’intelligence et de vision. […] Ce phénomène peut être constaté par la lecture de deux très amusants volumes qui ont pour titre : Journal d’un comédien.

921. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Nous n’en formerions pas moins, dans l’univers, en dépit de Spinoza, comme un « empire dans un empire. » Et ce nouveau déterminisme, ce déterminisme moral, étant la condition de l’humanité, n’aurait rien de commun avec celui qui « conditionne » les phénomènes des sciences physiques et naturelles.

922. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Troisième partie. Dictionnaire » pp. 243-306

. — Les Superstitions politiques et les Phénomènes sociaux, 1901.

923. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Décrire le phénomène est bien, mais le comprendre serait mieux.

924. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Elles vous donnent une vue plus pénétrante et vous permettent d’examiner certains phénomènes plus exactement. […] Mais encore ne faut-il pas citer indifféremment dans les mêmes formes tous les phénomènes à son tribunal ; il se peut qu’il y ait des phénomènes singuliers, rares, subtils, d’une production incertaine. […] Maurice Barrès est pénétré de la vérité de ce symbole : il nous avertit qu’il faut se garder, s’appartenir, demeurer stable dans l’écoulement des choses, se réaliser soi-même obstinément dans la diversité des phénomènes, et, fût-on seulement une vaine ombre, ne vendre cette ombre ni à Dieu, ni au diable, ni aux femmes.

925. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Il me dit au bout de quelques minutes, où il peut parler : « Oui, ça va mieux, mais je ne puis dîner à table, ça me fatigue… puis quand plusieurs personnes parlent autour de moi, je continue à éprouver un singulier phénomène : des battements dans une oreille, avec une inquiétude à l’épigastre… Et le beau de cela, mon cher, c’est la comédie avec les médecins : l’un me dit que j’ai un cœur, comme il n’en a jamais rencontré ; les autres ce sont les poumons, et le reste qu’ils trouvent admirables… Enfin, j’espère me remettre avec du repos, de petites promenades, un séjour à Arcachon. » Dimanche 2 septembre Mes nuits sont si pleines de cauchemars, si anxieuses, qu’elles me font presque redouter le sommeil.

926. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Voyez le curieux phénomène de refoulement qui s’est produit chez Taine lui-même. […] Le terme engendrer a encore sa raison d’être en physique et en chimie, parce qu’il s’agit là de phénomènes matériels, et que la matière apparente se ramène pour le philosophe, comme l’espace et le mouvement pour le géomètre, à une convention utile.

927. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Les impulsions secrètes, inconnues de nous-même, qui précèdent et préparent les passions mortelles ; ce qu’il y a d’involontaire dans nos paroles, dans nos gestes, dans nos regards ; les communications muettes de la pensée, d’une créature à une autre ; les signes extérieurs qui parfois nous présagent, à notre insu, notre destinée ; de mystérieux rapports soudainement dévoilés entre le monde des corps et le monde moral ; la stupeur dont nous frappe quelquefois ce simple fait, que nous vivons, et comme cela est extraordinaire et incompréhensible ; corollairement, la peur de la mort et aussi les pressentiments, les divinations, la peur sans cause présente, la peur imprécise de quelque chose d’indéterminé ; certains phénomènes de télépathie ; toute la partie de nous-même que nous ignorons et que nous ne gouvernons point ; ce qui se passe dans les limbes de l’âme et qui est comme en deçà, de la pleine existence psychologique ; ce qui affleure à peine à la surface de notre « moi » ; nos ténèbres intérieures, et, pour le dire d’un mot, la vie inconsciente de l’esprit (cherchez-en la définition dans Schopenhauer), voilà principalement ce que M.  […] Il n’y a point, à parler juste, de « mystère » dans Intérieur, point d’obscures divinations, point de phénomènes télépathiques : et, à cause de cela, l’œuvre me paraît encore supérieure à l’Intruse et aux Aveugles.

928. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Mais, qu’il ait d’abord écrit cette scène, il me semble que cela révèle un goût assez audacieux de vérité psychologique ; car cela suggère l’idée qu’Andromaque pût être touchée, à son insu, de l’amour de Pyrrhus et fût ainsi préparée à ce phénomène tragique : l’amour naissant subitement du sang versé et de la mort. […] Quand Phèdre nomme son aïeul le Soleil, quand Aricie nomme son aïeule la Terre, nous nous rappelons soudain nos lointaines origines, et que la Terre et le Soleil sont en effet, nos aïeux, que nous tenons à Cybèle par le fond, mystérieux de notre être, et que nos passions ne sont en somme que la transformation dernière de forces naturelles et fatales et comme leur affleurement d’une minute à la surface de ce monde de phénomènes… Les tragédies classiques sont charmantes parce qu’elles sont infiniment suggestives de souvenirs et de rêves… Neuvième conférence.

929. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Chez Paul Arène, le phénomène est plus curieux encore  : il n’y a plus transposition, le provençal est intact ; la saveur du terroir a passé tout entière dans la langue française.‌ […] Il nous racontait, à ce propos, une anecdote qui prouve bien que les phénomènes les plus mystérieux s’expliquent quelquefois le plus naturellement du monde. […] On a dit que Mme de Maupassant aurait eu le cerveau ébranlé par la douleur que lui causait la perte de son mari. « Des amis bien intentionnés, lisons-nous dans le Mercure, signalent chez elle des appréhensions de folie, des hallucinations de la vue et différents phénomènes névropathiques, qui par la suite se reproduisirent, aggravés, lorsqu’elle tenta de s’empoisonner ou lorsqu’il fallut lui couper les cheveux afin d’éviter qu’elle ne s’étranglât. » Je ne sais ce qu’il y a de vrai dans ces rumeurs ; ce que je puis dire, c’est que Mme de Maupassant me donna l’impression d’une personne parfaitement équilibrée et qui, malgré sa cruelle maladie et son désespoir, ne songeait pas le moins du monde au suicide.‌

930. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

M. de Saint-Pierre a décrit ce phénomène dans le premier livre de l’Arcadie, où il est le sujet d’une fable charmante que les Grecs, comme il le dit lui-même, n’auraient pas désavouée.

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