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616. (1902) L’humanisme. Figaro

Je me suis laissé dire qu’il y a une trentaine d’années, peu de temps après la, guerre, un groupe de quinze jeunes gens avait fondé une association — honni soit qui mal y pense — de chasteté. […] Pour ces quelques heures de vie, un peu monotones parfois, que nous passons sur la terre, nous allons nous donner tant de mal, écrire un bréviaire, rédiger un règlement, que la plupart d’entre nous n’auront même pas le temps d’observer ! […] Vous voulez que je prenne tant de précautions pour être un peu moins mal couché dans votre misérable hôtellerie !

617. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Il y a trop d’indigence, trop de dénuement, trop d’impudeur, trop de nudité, trop de lupanars, trop de bagnes, trop de haillons, trop de défaillances, trop de crimes, trop d’obscurité, pas assez d’écoles, trop de petits innocents en croissance pour le mal ! […] Depuis dix ans, depuis vingt ans, l’étiage prostitution, l’étiage mendicité, l’étiage crime, marquent toujours le même chiffre ; le mal n’a pas baissé d’un degré. […] Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poëmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution !

618. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

… Seulement, pour ceux qui ne croient pas que la solution du problème économique soit à fleur de terre, mais à fond d’âme, dire simplement et superficiellement que les maux qui affligent l’homme, et par l’homme l’enfant et la femme, viennent uniquement de ce que la richesse n’est pas encore montée au degré qu’elle atteindra plus tard et qu’elle doit nécessairement atteindre, c’est répondre à une question morale par une raison économique, et c’est là bouleverser, en les mêlant, toutes les notions. […] Et là où est la source du mal, là peut se trouver le remède. […] Elle ne s’arrêtait point à un des effets du mal quand il s’agissait de remonter à toutes les causes, et en inspirant la résignation aux classes dénuées et opprimées, en appuyant à de sublimes espérances la moralité défaillant sous toutes les croix de ses épreuves, elle avait plus fait pour diminuer l’oppression et la misère, et, disons davantage, doubler la richesse sociale, par la modération ou les renoncements de la vertu, que l’Économie politique qui reprend à son tour le problème résolu par l’Église depuis tant de siècles, et qui prétend le résoudre aujourd’hui, avec toutes les convoitises excitées de la nature humaine, aussi aisément et plus complètement que l’Église avec toutes ses abnégations.

619. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Et encore ma comparaison n’en dit pas assez, car le bronze mal venu et le marbre mal taillé ne sont plus de l’art, et il faut recommencer l’œuvre manquée, chercher et atteindre une forme plus savante ou plus idéale ; tandis que l’historien sans talent, sans valeur par lui-même, n’empêche pas l’Histoire qu’il a mal écrite d’être encore de l’Histoire.

620. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

Son mérite le plus net, à nos yeux, le plus grand honneur de sa pensée, c’est d’avoir ajouté à une preuve infinie ; c’est, après tant de penseurs et d’apologistes, qui, depuis dix-huit cents ans, ont dévoilé tous les côtés de la vérité chrétienne, d’avoir montré, à son tour, dans cette vérité, des côtés que le monde ne voyait pas ; c’est, enfin, d’avoir, sur la Chute, sur le Mal, sur la Guerre, sur la Société domestique et politique, été nouveau après le comte de Maistre et le vicomte de Bonald, ces imposants derniers venus ! […] Cette vue exprimée et développée déjà par Donoso Cortès, et qu’il démontre, à savoir : le triomphe naturel du mal sur le bien, et le triomphe surnaturel de Dieu sur le mal, par le moyen d’une action directe, personnelle et souveraine, n’avait jamais été formulée avec cette plénitude et cette vigueur.

621. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

en faisant cela, il a risqué de faire un mal immense, et dans l’ordre moral, qui risque le mal l’a déjà fait ! […] Non, le mal est plus profond : elle vient de l’absence de justesse dans un esprit, brillant souvent, mais jamais excessivement par la justesse.

622. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Quelle utilité de comparer les Fleurs du mal aux Méditations ? […] Le plaisir n’est qu’à la surface, mais le mal est à la racine. […] À moins que les langues ne soient si mal faites qu’entre deux mots de même racine il n’y ait rien de commun ! […] Quand, en effet, ce ne serait pas mal servir sa mémoire, ce serait encore fourvoyer la légion de ses imitateurs. […] Mal écrits ?

623. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

« 2º Le mal moral est l’impossibilité d’atteindre les relavures. […] Il a le suprême sourire, la condescendance résignée d’un héros qui se sait martyr, et il n’en sort que pour crier à tue-tête, comme un plébéien mal appris. […] Il a besoin de donner aux abstractions un corps et une âme ; il est mal à son aise dans les conceptions pures, et veut toucher un être réel. […] Ils ont combattu le mal dans la société comme vos puritains dans l’âme. […] Vous touchez le foyer central de nos maux, de notre horrible nosologie de maux, quand vous posez votre main là.

624. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Plus d’une pièce nous le montre atteint du mal dont il voulait guérir les autres. […] Pradon ne jugeait si mal que parce qu’il se connaissait plus mal encore. […] Où les transitions sont forcées, la faute en est au plan qui a été mal conçu. […] que de mon esprit triste et mal ordonné, Ainsi que de ce champ par toi si bien orné. […] Ne regardons pas les fautes : où le bien l’emporte, le mal vient de la faiblesse humaine ; de même, où le mal l’emporte, le bien est de hasard.

625. (1925) Dissociations

Pauvre homme, quel mal il se donne pour n’être pas digne de beaucoup d’admiration ! […] Or, l’animal qui a un cerveau peut avoir mal à ce cerveau, donc peut être atteint des mêmes troubles cérébraux que l’homme lui-même. […] Il y a beaucoup de chances pour que l’on ait mal distingué un visage. […] La besogne ne manquerait pas : que de travaux et de soins locaux ne pourrait-on pas leur confier, dont les grandes administrations s’acquittent mal ! […] Au reste, ne faisons pas de mal à l’avenir, mais ne lui faisons pas de bien, non plus : c’est lui qui choisira.

626. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Où était le mal, où était le ridicule ? […] Nous prenions notre mal en patience, ayant de belles consolations. […] Mais cela avait bien mal commencé ! […] ça lui fait du mal ! […] Cladel regimbait quelquefois comme un fauve mal soumis.

627. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Elle n’en a entendu dire que du mal à ses frères les anges, qui ont eu l’imprudence de lui en parler un jour : c’est assez pour que déjà elle se destine à lui et qu’elle l’aime. […] le mal peut-être eût cessé d’exister ! […] — Tel, retrouvant ses maux au fond de sa mémoire, L’ange maudit pencha sa chevelure noire, Et se dit……………… C’est merveilleux d’essor, de grandeur et, si j’ose dire, d’envergure. […] L’effet n’en était que plus vif et plus aigu auprès d’une génération littéraire atteinte du même mal et très surexcitée. […] Qui ne l’a pas ouï et vu, ce jour-là, avec son débit précieux, son cahier immense lentement déployé et ce porte-crayon d’or avec lequel il marquait les endroits qui étaient d’abord accueillis par des murmures flatteurs ou des applaudissements (car, je le répète, la salle n’était, pas mal disposée), ne peut juger, encore une fois, de l’effet graduellement produit et de l’altération croissante dans les dispositions d’alentour.

628. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Toujours mal où il est, toujours bien où il n’est pas, homme d’impossible, même en attachement. […] Vous me jugez mal ; vous ne me croyez peut-être pas sincère dans mon désir de tout quitter et de mourir dans un gîte oublié : vous auriez tort. […] La vôtre est bien petite ; en la serrant hier au soir, et voyant combien elle tenait peu de place, j’avais le cœur mal assuré. […] Je vois avec plaisir que je suis malade, que je me suis trouvé mal encore hier, que je ne reprends pas de force. […] Le comte de Chambord, mal conseillé, écrivit à M. de Chateaubriand de venir assister, à Londres, aux regrets et aux espérances qu’on lui apportait.

629. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Le système du hasard n’explique rien, et il a ce très grand danger de porter les âmes à l’irréligion, mal social qui perd les individus et que le législateur doit énergiquement combattre. […] L’homme porte donc en lui une législation, et en quelque sorte un tribunal, qui l’absout ou le condamne selon les cas, et qui a pour sanction, ou la satisfaction délicate d’avoir bien fait, ou le regret et le remords d’avoir fait mal. […] La raison voit et comprend le bien ; la liberté fait souvent le mal. […] En général, c’est par inattention ou par ignorance que l’individu fait le mal, et ce n’est presque jamais de propos délibéré qu’il commet la faute, en sachant qu’il la commet, bien qu’il y ait des natures assez malheureuses pour qu’en elles les dons les plus beaux ne servent qu’au vice. […] Car il faut que tu saches, mon cher Criton, lui dit-il, que parler improprement, ce n’est pas seulement une faute envers les choses ; mais c’est aussi un mal que l’on fait aux âmes.

630. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

— Le Misanthrope, reprend sans s’émouvoir Gautier, une véritable ordure… Je dois vous dire que je suis très mal organisé d’une certaine façon. […] Et toujours des émotions à poignée et un incessant crucifiement de cette organisation nerveuse, qui va avec une sorte d’attrait à tout ce qui la tourmente, lui fait mal, la martyrise, lui enlève la tranquillité de la pensée et le sommeil de la nuit. […] Le tout est de savoir, si un homme qui meurt de male amour ou de male ambition, souffre plus qu’un homme qui meurt de faim. […] Rien que des gens adroits, des malins volant le succès par le chemin de traverse de Paul Delaroche, par le drame, la comédie, l’apologue, par tout ce qui n’est pas de la peinture, — en sorte que sur cette pente, je ne serais pas étonné que le tableau à succès d’un de nos futurs Salons représentât, sur une bande de ciel, un mur mal peint, où une affiche contiendrait quelque chose d’écrit, excessivement spirituel. 11 juillet Parti de Paris pour Neufchâteau, sur la nouvelle que notre oncle le représentant est au plus mal.

631. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Je ne suis point auteur des nominations ; les maux étaient introduits auparavant que je fusse venu. […] Dans l’un de ces premiers voyages à l’armée auprès du roi, pendant le siège de Rouen, en 1591, Henri, oubliant la gravité, se plaît à harceler le respectable président, cet homme de robe longue, et à se jouer de ses peurs en le voulant emmener aux tranchées : Je le refusai, dit Groulard, comme n’étant de la profession des armes ; (alléguant) qu’aussi bien je ne pourrais dire si elles étaient bien ou mal faites, et que s’il arrivait que je fusse blessé, je ne servirais que de risée et moquerie à ceux de dedans. […] vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. […] Jung, le mot célèbre de Mme de Sévigné à sa fille : « J’ai mal à votre poitrine » ; et l’expression la plus naturelle est celle de Henri.

632. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

L’adversité a cela de particulier, qu’elle donne à Frédéric le sentiment du droit, qu’il n’a pas toujours eu très présent et très vif en toutes les circonstances de sa vie : en cette crise d’alors, il se considère comme iniquement assailli et traqué, lui le champion d’une grande et juste cause, le soutien de la liberté de l’Allemagne et de l’indépendance protestante : « L’Allemagne est à présent dans une terrible crise : je suis obligé de défendre seul ses libertés, ses privilèges et sa religion ; si je succombe, pour le coup, c’en sera fait. » Il ajoute ces remarquables paroles, qui ont dans sa bouche une singulière autorité et dont il paraît s’être mal souvenu dans d’autres temps : A-t-on jamais vu que trois grands princes complotent ensemble pour en détruire un quatrième qui ne leur a rien fait ? […] Déjà mortellement atteinte du mal qui doit l’enlever, elle multiplie les démarches, les correspondances, tente plusieurs ouvertures, frappe à plus d’une porte et devient sa secrète et active négociatrice pendant qu’il guerroie. […] Quoique tout semble perdu, il nous reste des choses qu’on ne pourra nous enlever : c’est la fermeté et les sentiments du cœur. » Cependant, Frédéric discutait librement avec elle de ses résolutions tragiques, de leur commune et unanime destinée ; il sentait la force des raisons qu’on lui opposait, et il les admettait en partie : Si je ne suivais que mon inclination, je me serais dépêché d’abord après la malheureuse bataille que j’ai perdue ; mais j’ai senti que ce serait faiblesse, et que c’était mon devoir de réparer le mal qui était arrivé. […] Quant à elle, elle est arrivée au dernier période du mal et au terme extrême de la phthisie (10 août 1758) : Vous voulez, mon cher frère, savoir des nouvelles de mon état, je suis, comme un pauvre Lazare, depuis six mois au lit.

633. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

» Convenez que ce n’est pas mal pour un Suisse qui n’a encore que quelques semaines de Paris. […] Nous avons vu Bonstetten, dès le principe, écrire comme naturellement en français, et même en anglais ; il fallut bien pourtant qu’il se remît à l’allemand qu’il savait mal, qu’il ne savait plus ; il s’y appliqua durant cette période bernoise de sa vie, et il devint par la suite un auteur distingué dans les deux langues. […] Tous jugeaient mal la Révolution, tous étaient clairvoyants dans les choses passées, et plus ou moins aveugles pour les choses présentes ! […] J’ai vu cent occasions où j’aurais pu faire le mal à mon profit, et jamais celle où j’aurais pu venir à bout de faire quelque bien.

634. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

Don Juan, bâtard reconnu du dernier roi, soutenu des vœux de la noblesse, lutta contre l’un et l’autre de ces favoris et contre la reine mère, au mauvais gouvernement desquels on imputait tous les maux de l’État et les désastres de la monarchie dans les guerres avec la France. […] » don Juan sentant que la partie était perdue et que tout lui échappait, fut pris de désespoir et d’une mélancolie profonde, qui devint une maladie pleine d’incidents inconnus : « Les médecins, qui traitaient son corps d’un mal qui était dans son esprit, lui firent souffrir durant trois semaines assez de tourments pour achever sa vie ; il mourut le 17 septembre 1679, âgé de cinquante ans. […] Le duc de Medina-Celi, qui avait le titre et la place de premier ministre, et en qui le public avait espéré d’abord, personnage considérable par sa naissance et par ses biens, sept fois Grand d’Espagne, « d’un génie doux et honnête, et naturellement éloigné des grands mouvements, » manquait totalement de vigueur et laissait le mal se faire et s’aggraver autour de lui. […] On raconte que, bien des années après, et dans les mois qui précédèrent sa fin, ce roi mélancolique, infirme, tourmenté de scrupules, ne sachant à qui léguer en conscience ses États, environné d’intrigues inextricables, fuyant les cris du peuple ameuté à Madrid sous son balcon, alla s’enfermer seul dans l’Escurial, et voulut descendre dans le caveau du Panthéon pour visiter les corps de ses ancêtres qui y sont déposés ; il espérait trouver quelque trêve à ses maux de corps et d’esprit par l’intercession de leurs âmes.

635. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Decazes, ministre de la police, gagnait chaque jour en crédit auprès du roi et devait, lui aussi, avec infiniment moins d’élévation, mais avec bien de l’insinuation et de l’habileté, devenir à son tour l’un des agents actifs de la politique modérée et conciliante : il ne l’était pas encore décidément à cette première date, et plusieurs de ceux avec qui il marcha bientôt de concert, étaient plutôt sensibles d’abord à ses défauts apparents qui étaient un ton de suffisance et des airs de favori déguisant mal quelque vulgarité. […] Il y avait des niais et quelques sots panachés dont je ne parle pas, ils vivent peut-être encore ; puis, à côté, les malins : — et ce Vitrolles, hardi, osé, peu scrupuleux, qui avait un pied dans les camps les plus opposés, qui visait à un premier rôle, qui jouait son va-tout sur une seule carte, la confiance intime de Monsieur ; qui perdit et qui se fera beaucoup pardonner un jour en jugeant dans ses Mémoires avec esprit les gens qui l’ont mal payé de son zèle ; — et Michaud ; engagé parmi les violents du parti, on ne sait trop pourquoi, si ce n’est parce qu’il s’en était mis de bonne heure et de tout temps ; raisonnable et même assez philosophe dans ses écrits historiques et dans ses livres, incorrigible dans ses feuilles ; de qui Napoléon avait dit que c’était « un mauvais sujet » ; avec cela homme d’esprit et les aimant, indulgent même pour la jeunesse ; journaliste avant tout et connaissant son arme, muet dans les assemblées et pour cause, avec un filet de voix très-mince, un rire voltairien, et qui passa sa vie à se rendre compte des sottises qu’il favorisait, qu’il provoquait même, et qu’il voyait faire41. […] M. d’Argenson, peu orateur et mal préparé aux luttes de la tribune, ne sut pas trouver alors dans son indignation un de ces cris puissants comme en eut trouvé en pareille crise une âme d’orateur. […] Mais d’où sortent-elles donc ces générations nouvelles, qu’un fanatisme abstrait séduirait et qui iraient choisir si mal leurs oracles ?

636. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

Elle qui m’a confié toute son âme et toute sa vie, quand moi-même je lui ai voué dans mon cœur toute la tendresse qu’on a pour une épouse, souffrirais-je qu’une nature aussi honnête, aussi pure, aussi bien élevée, en vienne, par misère, à tourner mal ? […] « Vous me direz, ajoute le bon Chrêmes qui va au-devant de la riposte comme pour l’adoucir, vous me direz : Ça me fait mal de voir comme on travaille peu. […] Mais quel peut être ce mal-là ? […] Micion, ainsi réfuté dans son système et piqué dans l’objet de son amour, essaye, ni plus ni moins, d’excuser le coupable : « Vous prenez mal les choses Déméa : ce n’est pas un si grand crime, croyez-moi, à un jeune homme d’aimer, de boire… Si nous n’avons pas fait pareille chose, vous et moi, c’est que nous n’avions pas moyen alors ; vous vous faites maintenant un mérite de ce qui n’était qu’une nécessité.

637. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

La nécessité fait loi et, bon gré, mal gré, vous accouche. […] pourtant il ne faudrait pas trop dire de mal des maniérés : ce sont des gens de beaucoup de talent et d’invention, qui ont eu le tort de venir lorsque tous les magnifiques lieux communs, fonds du bon sens humain, avaient été exploités par les maîtres d’une façon supérieure : ne voulant pas être copistes, ils ont tâché de renouveler la face de l’art par la grâce, la délicatesse, le trait les mille coquetteries du style ; le riche filon était épuisé, ils ont poursuivi la fibre dans ses ramifications les plus imperceptibles. […] Vous ne trouverez que des périphrases : c’est la même difficulté pour les plaines et les vallons… « Il n’est donc pas étonnant que les voyageurs rendent si mal les objets naturels. […] le sceptique à la fin se lassé de chercher toujours à vide, l’ennuyé se distrait, le désespéré s’engourdit ou se console ; rien qu’à dissimuler même, insensiblement on enferme son mal et l’on s’en déshabitue.

638. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Fille d’un roi électif et détrôné, ayant connu de bonne heure les vicissitudes extrêmes de la fortune, moins princesse que noble et pauvre demoiselle, elle était avec son père et sa mère au château de Wissembourg, profitant de l’hospitalité française à la frontière et vivant avec les siens d’une pension assez mal payée, lorsqu’on vint lui annoncer qu’il ne tenait qu’à elle d’être reine de France. […] Je ne prétends pas dénigrer Louis XV, ni ajouter au mal qu’on a dit de lui ; j’ai lu bien des Portraits de ce roi : je n’en connais point de plus juste que celui qu’a tracé un homme qui l’aimait assez et qui le voyait tous les jours, Le Roy, lieutenant des chasses de Versailles ; on peut s’y fier : c’est un philosophe qui parle et qui, pendant de longues années de service, n’a cessé devoir de près son objet. Je donnerai de ce Portrait peu connu les principaux endroits ; et le physique d’abord, — ayez soin seulement de le rajeunir un peu en idée pour voir Louis XV dans ce premier éclat de beauté dont chacun a été ébloui : « La figure de Louis XV était véritablement belle ; il avait les cheveux noirs et bien plantés, le front majestueux et serein ; ses yeux étaient grands, son nez bien formé ; sa bouche était petite et agréable ; il n’avait pas les dents belles, mais elles n’étaient pas assez mal pour défigurer son sourire, qui était charmant, Un air de grandeur très remarquable était empreint sur sa physionomie, qui était encore rehaussée par la manière dont il s’était fait l’habitude de porter sa tète. […] Son indolence le portait à céder facilement à tout ce qu’ils lui proposaient, sans prendre la peine de l’examiner, encore moins de le contredire ; son jugement sain et l’expérience qu’il avait des affaires lui faisaient souvent désapprouver en secret leur conduite et leurs mesures ; rarement il se permettait des représentations, il n’y insistait jamais : la consolation de ces âmes indolentes, que la faiblesse domine sans leur ôter l’intelligence, est le mépris pour ceux qui les conseillent mal, soit par ignorance, soit par des passions particulières.

639. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

On était engagé, d’ailleurs, dans un vaste conflit maritime contre l’Angleterre ; le moment eût été bien mal choisi pour s’en aller tenter croisade au-delà du Rhin. […] « Madame ma chère fille, la maladie de Mercy (l’ambassadeur) ne pouvait venir plus mal à propos ; c’est dans ce moment-ci où j’ai besoin de toute son activité et de tous vos sentiments pour moi, votre maison et patrie, et je compte entièrement que vous l’aiderez dans les représentations différentes qu’il sera peut-être obligé de vous faire sur différents objets majeurs, sur les insinuations qu’on fera de toutes parts de nos dangereuses vues, surtout de la part du roi de Prusse qui n’est pas délicat sur ses assertions, et qui souhaite depuis longtemps de se rapprocher de la France, sachant très bien que nous deux ne pouvons exister ensemble : cela ferait un changement dans notre alliance, ce qui me donnerait la mort, vous aimant si tendrement. » Quelques-unes de ces lettres sonnent véritablement l’alarme, et chaque ligne est comme palpitante de l’émotion qui l’a dictée : « Vienne, le 19 février 1778. […] Elle détestait Frédéric de tout son cœur : ici la femme se confondait intimement avec la souveraine ; elle le considérait comme le mal en personne, un hérétique, un esprit diabolique et pervers. […] Nous, qui sommes les plus exposés, on nous laisse ; nous nous tirerons peut-être encore cette fois-ci,, tant bien que mal ; mais je ne parle pas seulement pour l’Autriche ; c’est la cause de tous les princes.

640. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Les Paroles d’un Croyant, non plus que le chapitre des Maux de l’Église, inséré à la fin du présent volume et assez anciennement composé, ne me semblent point, dans leur violence, sortir de ce rôle de foi, de cette inspiration d’un prêtre, non pas absolument sage, mais généreux et presque héroïque, et toujours le crucifix en main. […] Ce qu’on appelait bien, on l’appelle mal, et réciproquement. […] Après d’affreux désordres, des bouleversements prodigieux, des maux tels que la terre n’en a point connu encore, les peuples, épuisés de souffrances, regarderont le Ciel. […] Croit-il au mal ?

641. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Il réimprima ses deux premiers livres, expurgés de mots mal sonnants, tels que sorbonistes, sorbonagres, sorbonicoles : il biffa même le reproche de « choppiner » volontiers, qu’il adressait en quelques lieux aux théologiens. […] Donc ce qui est, ce qui tend à être ont droit d’être : le mal est hors nature et contre nature. […] Il n’a vu le mal que dans la contrainte et la mutilation de la nature : le jeune catholique, la chasteté monacale, tous les engagements et toutes les habitudes qui limitent la jouissance ou l’action, voilà les choses qui excitent le mépris ou l’indignation de Rabelais. […] Les maux particuliers s’évanouiront dans la sensation fondamentale d’être et d’agir ; et du respect des formes de la vie hors de soi comme en soi découlera la douceur à l’égard des hommes et des choses, indulgente sociabilité ou résignation stoïque.

642. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Il prend à la lettre ces paroles de sa préface : « Je n’ai pas naturellement l’esprit désapprobateur. » Il le loue d’avoir fait contre-poids par des idées de respect pour les choses existantes à l’esprit de censure qui s’attaquait au bien comme au mal. […] Je ne veux rien excuser de Jean-Jacques Rousseau ; mais je reste persuadé qu’il avait un amour sincère, quoique mal éclairé, d’une certaine perfection morale. […] est-ce un mal ? […] Sommes-nous en mesure de juger de la part que la raison peut avoir dans des écrits que nous connaissons si mal, qui ne répondent pas à nos habitudes, à nos mœurs, à notre tournure d’esprit ?

643. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Notez bien que je ne songe nullement à vous dire du mal du Parnasse. […] Nous pardonnâmes à Huysmans, le mal n’était pas aussi grand qu’il en avait l’air ; car si l’on ne nous avait taxé de cravatisme exaspéré on aurait trouvé quelque autre chose plus désobligeant encore pour éviter de discuter sérieusement avec nous. […] L’historien a du mal à s’expliquer pourquoi les novateurs n’allèrent pas plus loin, et surtout il s’explique difficilement l’acharnement de la résistance contre une nouveauté qui de loin apparaît comme l’aboutissement logique d’anciennes nouveautés, déjà devenues de la tradition. […] Je veux bien que l’auditeur bercé par un grand discours en vers, surtout déclamé au théâtre par des gens qui disent mal, se raccroche aux rimes, pour distinguer si l’on entend des vers ou de la prose, et c’est vrai pour le vers pseudo-classique.

644. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Les muscles sont sains, les épaules droites, bien effacées, les cuirasses sont rigides, mais un mal mystérieux fait chanceler toute cette enveloppe de chair et de fer. […] Ce sont des âmes étonnées d’être prises dans des corps. » Ne pourrait-on pas dire que ce « mal mystérieux fait chanceler » également le préraphaélisme tout entier ?‌ […] Je nommerai tout d’abord le groupe glorieux des peintres français, mal nommé Impressionnistes, les Claude Monet, les Sisley, les Pissarro et les Renoir, presque aussi méconnus dans leur pays que mal connus au dehors, et qui sont cependant l’honneur de cet art nouveau.

645. (1929) Amiel ou la part du rêve

L’éducation de la virilité, telle qu’elle se fait, tant bien que mal, plus mal encore que bien, à l’école et à la caserne, elle est absente, évidemment, chez Amiel. […] Cela tourna assez mal. […] Cette main indicatrice, à vrai dire, il la discerne mal. […] Cela dérange les théories naïves de la réserve qu’on croit féminine ; mais les femmes ne craignent qu’une chose, d’être mal jugées ; mal jugées par les hommes. […] L’isolement du lit de mort et du cercueil n’est donc pas un mal.

646. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Quand la tranquillité s’est trouvée rétablie, chacun, dans son chagrin, a cherché la cause des maux passés. […] Son élève, qui, on aime à le croire, eût fait le bonheur de la France, fut durant sa vie mal accueilli de son aïeul. […] Une telle route est mal sûre ; il en est peu qui ne s’y égarent. […] Il avait été moral par harmonie avec l’ordre établi, il retrouve toute sa force en entrant dans la carrière du mal. […] La Providence fait parfois sortir le bien du mal, l’ordre de l’anarchie, la liberté du despotisme.

647. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

quel mal après tout peut faire un pauvre auteur ? […] Et, en effet, c’est une très grande et très heureuse prérogative par-dessus tant de nations d’être sûr en vous couchant que vous vous réveillerez le lendemain avec la même fortune que vous possédiez la veille ; que vous ne serez pas enlevé des bras de votre femme au milieu de la nuit pour être conduit dans un donjon ou dans un désert ; que vous aurez, en sortant du sommeil, le pouvoir de publier tout ce que vous pensez ; que, si vous êtes accusé, soit pour avoir mal agi ou mal parlé ou mal écrit, vous ne serez jugé que selon la loi. […] Ils n’ont fait que du mal, et ils n’ont produit que du mal. […] Barrière toujours bonne lorsqu’il n’y en a point d’autres : car, comme le despotisme cause à la nature humaine des maux effroyables, le mal même qui le limite est un bien. […] Ils disent que votre nation s’est fait de tout temps beaucoup de mal à elle-même et en a fait au genre humain.

648. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

Si l’histoire du saint personnage n’est écrite de main habile et par une tête qui soit au-dessus de toutes vues humaines, autant que le ciel est au-dessus de la terre, tout ira mal. […] Là est le mal sérieux, le point à dénoncer.

649. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles » pp. 25-33

Les premiers inventeurs du bain n’ont pas songé qu’il fût un remede propre à guerir de certains maux, ils ne s’en sont servis que comme d’un rafraîchissement agréable durant la chaleur, lequel on a découvert depuis être utile pour rendre la santé dans certaines maladies : de même les premiers poëtes et les premiers peintres n’ont songé peut-être qu’à flater nos sens et notre imagination, et c’est en travaillant pour cela qu’ils ont trouvé le moïen d’exciter dans notre coeur des passions artificielles. […] Il est vrai que les jeunes gens qui s’adonnent à la lecture des romans, dont l’attrait consiste dans des imitations poëtiques, sont sujets à être tourmentez par des afflictions et par des desirs très-réels, mais ces maux ne sont pas les suites necessaires de l’émotion artificielle causée par le portrait de Cyrus et de Mandane.

650. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Quant à ceux qui veulent dire du mal, ils font bien quelquefois les hommes plus méchans que peut-être ils n’ont été, mais il est très-rare que ces historiens fassent les hommes plus petits. […] Peu de mois après la mort de Henri IV on répresenta dans Paris une tragedie dont le sujet étoit la mort funeste de ce prince ; Louis XIII qui regnoit alors, faisoit lui-même un personnage dans la piece, et de sa loge il pouvoit se voir répresenter sur le théatre où le poëte lui faisoit dire que l’étude l’assommoit, qu’un livre lui faisoit mal à la tête, qu’il ne pouvoit guerir qu’au son du tambour, et plusieurs autres gentillesses de ce genre dignes d’un fils d’Alaric ou d’Athalaric.

651. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 25, du jugement des gens du métier » pp. 366-374

La plûpart jugent mal des ouvrages pris en general, par trois raisons. […] Ainsi les gens du métier jugent mal en general, quoique leurs raisonnemens examinez en particulier se trouvent souvent assez justes, mais ils en font un usage pour lequel les raisonnemens ne sont point faits.

652. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

C’est que le talent de discerner le temperament du malade, la nature de l’air, sa temperature présente, les symptomes du mal, ainsi que l’instinct qui fait choisir le remede convenable et le moment de l’appliquer, dépendent du génie. […] Quintilien dit que Seneque ne cessoit point de parler mal des grands hommes qui l’avoient précedé, parce qu’il voïoit bien que leurs ouvrages et les siens étoient d’un goût si different, qu’il falloit que les uns ou les autres déplussent à ses contemporains.

653. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Au milieu de ce violent tumulte, qui fut le plus souvent une discussion très solennelle, les idées anciennes étaient défendues, tantôt avec une réserve que l’on prenait pour de la faiblesse, tantôt avec un courage que l’on prenait pour de l’exagération ; quelquefois on eût dit le chant du cygne qui va mourir : mais ce chant du cygne n’était point entendu, et n’avait point la force d’émouvoir ; il n’y avait rien de contagieux dans ces derniers accents d’idées expirantes, ou dont l’empire n’était plus que dans le passé : encore, il faut l’avouer, souvent aussi ce n’était point même le chant du cygne ; c’était quelque chose de vague et d’incertain, comme un éblouissement des oreilles ; c’était, en un mot, une cause mal comprise et mal défendue.

654. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VI »

Bien que nous soyons parfaitement convaincus que les parlementaires ne nous donneront jamais une liberté en faveur de laquelle ils ont écrit tant de diatribes antigouvernementales, mais qui, naturellement, les gênerait pour gouverner, bien que l’homme pratique en conséquence aime autant faire des ronds dans la Seine que faire des interjections sur cet éternel plat du jour de la conférence Molé, il demeure intéressant de calculer le mal que cette incapacité de s’associer produit dans notre pays. […]  » Le mal est ancien, héréditaire, il date de l’ancienne monarchie ; mais ce sont les législateurs modernes qui l’ont institué à demeure, par système, et qui, pour l’entretenir, l’étendre, l’empirer au-delà de toute mesure, ont employé la précision, la rigueur, l’universalité, la contrainte impérative et les plus savantes combinaisons de la loi4 »‌ ∾ Vous venez d’entendre Taine par-delà le tombeau.

655. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

. — On dit souvent du mal de vous (c’est à Mme de Staël qu’il écrit) ; mais un mot de vous-même pèse des volumes de ce que ces gens-là peuvent dire, et les mots ne font pas plus d’effet sur l’opinion qu’on a de vous que les coups des ombres n’en pouvaient faire dans les enfers sur Énée ou sur Hercule. — Je n’ai jamais entendu louer quelqu’un de distingué sans y ajouter de mais. […] Les Grecs avaient un mot pour désigner celui qui apprend tard (ὀψιμαθής), celui qui, se mettant trop tard à une étude, apprend nécessairement mal. […] La pensée, que rien ne soulève, pèse douloureusement sur tous les maux physiques, pour les renforcer par l’attention qu’on y donne. […] Le despote sut tirer parti des lumières d’un siècle nouveau, et comme il était lui-même une lumière, il épargna à ses subordonnés les fausses mesures et les vues étroites de la médiocrité, qui, en faisant le mal du temps présent, préparent encore des maux à la postérité.

656. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Je vous avouerai, du reste, que la gloire a son mauvais côté ; le système pénitentiaire étant notre industrie, il nous faut, bon gré, mal gré, l’exploiter tous les jours ; en vain cherchons-nous à nous en défendre, chacun trouve moyen de nous glisser une petite phrase aimable sur les prisons. […] C’est sur ses genoux que nous avons appris à discerner le bien du mal ; c’est lui qui a commencé pour nous cette première éducation de l’enfance dont on se ressent toute sa vie, et qui a fait de nous sinon des hommes distingués, du moins d’honnêtes gens. […] Une lettre fort belle, de ce temps, écrite par lui d’Amérique à un jeune homme que travaillait le mal du siècle, le mal de Werther ou de Rem, nous le montre déjà mur et tel qu’à cet égard il sera toute sa vie : « Vous vivez, mon cher ami, si je ne me trompe, dans un monde de chimères : je ne vous en fais pas un crime ; j’y ai vécu longtemps moi-même, et en dépit de tous mes efforts je m’y trouve encore ramené bien des fois. […] Il est vrai qu’on ne voit pas dans les natures actuelles, de main capable de l’imprimer ; mais il n’est pas toujours besoin de marteau contre des édifices mal construits ; un coup de vent peut suffire… » Revenant à lui-même, à sa prochaine réélection, au rôle ultérieur et suprême qui lui était réservé peut-être, et s’expliquant comme il aimait à le faire sur ses goûts favoris, il disait : « Sans m’occuper aucunement de mon élection, je reviendrai à la Chambre, si d’eux-mêmes les électeurs qui m’y ont envoyé neuf fois m’y renvoient encore.

657. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Quand je me dis combien de manières il y a de mal observer un homme qu’on croit bien connaître, de mal regarder, de mal entendre un fait qui se passe presque sous les yeux ; quand je songe combien d’arrivants béats et de Brossettes apprentis j’ai vu rôder, le calepin en poche, autour de nos quatre ou cinq poëtes ; combien d’inconstantes paroles jetées au vent pour combler l’ennui des heures et varier de fades causeries se sont probablement gravées à titre de résultats sentencieux et mémorables ; combien de lettres familières, arrachées par l’importunité à la politesse, pourront se produire un jour pour les irrécusables épanchements d’un cœur qui se confie ; quand, allant plus loin, je viens me demander ce que seraient, par rapport à la vérité, des mémoires sur eux-mêmes élaborés par certains génies qui ne s’en remettraient pas de ce soin aux autres, oh ! […] Ils arrivaient à la file, bon gré, mal gré, plus ou moins valides : le refrain couvrait tout. […] Au seuil nouveau déposant ta piqûre Et n’abjurant nulle ancienne amitié, Du mal présent que tu prends en pitié Tu vois le terme, et ton espoir s’épure.

658. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

— Il flétrit Louis XV  Il entend, dans la nuit, les esprits du mal encourager les panthères, les serpents, les plantes vénéneuses, les prêtres et les rois  Il nous ouvre un mausolée royal et nous montre la poignée de cendre qu’il contient  Il fait tous ses compliments à Mlle Louise Michel pour sa conduite après la Commune… Puis, viennent des paysages. […] Un autre refrain, c’est que la nuit représente les puissances malfaisantes, l’ignorance, le mal, le passé, mais que l’aurore figure la délivrance des esprits, l’avenir, le progrès… La troisième partie se pourrait résumer ainsi : — L’enfant est un mystère rassurant  La femme est une énigme inquiétante  Soyons bons  Evitons même les petites fautes. […] Tu as le droit de dire de Hugo encore plus de mal que tu n’en as dit, mais seulement à propos de ses œuvres. […] Mon ami avait raison de dire que, s’il me plaisait de mal parler de Hugo, je devais prendre son œuvre entière. […] Ceux-là, on célèbre sans doute leurs anniversaires tant bien que mal, mais on ne va pas pour eux jusqu’à la représentation gratuite.

659. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Alors le devin proposa, en son nom, un remède pire que le mal : — « Et les Atrides frappèrent la terre de leur sceptre, et des larmes coulèrent, de leurs yeux. » — Ce remède c’était l’immolation d’lphigénie que réclamait la déesse. […] Ceux-là disaient à voix basse, en la voyant monter à la tour de Scée : « Certes, ce n’est pas sans raison que les Troyens et les Achéens aux belles cnémides endurent pour une telle femme des maux si affreux, car elle ressemble par sa beauté aux Déesses immortelles. » Ceux-ci l’appellent, en la maudissant, des noms qu’on donne aux enchanteresses : « Ame sereine comme la mer tranquille… parure de la richesse… trait charmant des yeux… fleur du désir enivrant le cœur. » — Plus tard, dans l’Oreste d’Euripide, Electre insulte d’abord Hélène, lorsqu’elle rentre de nuit dans Argos, « craignant les pères de ceux qui sont morts sous les murs d’Ilion ». […] Au coucher des Pléiades, il s’est élancé ; le lion affamé a sauté par-dessus les murs, et il s’est abreuvé dans le sang royal. » Ce n’est point seulement un vainqueur, c’est aussi un maître qui rentre, prêt à remédier aux maux de l’État, s’il a souffert pendant son absence. […] Ce qui est bien sera raffermi ; si le mal s’est mis quelque part, nous le retrancherons avec le fer et le feu. » Clytemnestre se sent atteinte par ce mot sévère, par cet œil de juge fixé peut-être sur elle. […] Elle a des façons de dire et de se mouvoir dans le mal qui rappellent les grandes allures de la lionne marchant dans son antre. — « Une lionne à deux pieds », c’est ainsi que le Chœur l’appelle quelque part.

660. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Bussy, tout léger qu’il est, a connu la vraie passion en effet, mais il ne l’a connue que tard ; il convient que, dans toutes ces premières et folles épreuves, il n’avait rien de sérieux d’engagé : « Pour revenir à mes amours, dit-il plaisamment en tout endroit, il est à remarquer que je ne pouvais plus souffrir ma maîtresse, tant elle m’aimait. » — « Mon heure d’aimer fortement et longtemps n’était pas encore venue » dit-il encore ; et, parlant d’une séparation qui eut lieu alors, et qui lui fut moins pénible qu’elle n’aurait dû l’être : « C’est que la grande jeunesse, ajoute-t-il, est incapable de réflexions ; elle est vive, pleine de feu, emportée et point tendre tout attachement lui est contrainte ; et l’union des cœurs, que les gens raisonnables trouvent le seul plaisir qu’il y ait dans la vie, lui paraît un joug insupportable. » Le véritable attachement de Bussy ne fut que tout à la fin pour la comtesse de Montglat, qui l’en paya si mal, et qui lui laissa au cœur, par sa perfidie, une plaie ulcérée et envenimée dont on voit qu’il eut bien de la peine à guérir. […] Je lui demandai s’il n’était point blessé. — Non, me dit-il,-c’est du sang de ces coquins… Et jusque dans cette satirique Histoire des Gaules, il nous le représente ainsi : Le prince Tiridate (le Grand Condé) avait les yeux vifs, le nez aquilin et serré, les joues creuses et décharnées, la forme du visage longue, et la physionomie d’une aigle 34 les cheveux frisés, les dents mal rangées et malpropres ; l’air négligé, et peu de soin de sa personne, la taille belle. […] En général, Bussy peut être frondeur et imprudent, mais il n’est pas menteur : « Et pour faire voir, dit-il encore, que c’est plutôt par amour pour la vérité que je parle, que par aucune malignité de naturel, je dis du bien, quand j’en trouve, de la même personne de qui j’ai dit du mal. » C’est en ce point que le jugement de Bussy vaut mieux que son caractère. […] Voyant Bussy essayer ainsi de reparaître à la Cour, vieilli, usé, hors de mode, et venir remettre en question, devant une génération nouvelle de courtisans, jusqu’à sa réputation d’homme d’esprit : Quand on a, disait-il, renoncé à sa fortune par sa faute, et quand on a bien voulu faire tout ce que M. de Bussy a fait de propos délibéré, on doit passer le reste de ses jours dans la retraite, et soutenir avec quelque sorte de dignité un rôle fâcheux dont on s’est chargé mal à propos. […] J’avais donc pu croire Bussy moins malicieux et moins mal disposé qu’il ne le fut d’abord envers ce grand homme.

661. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Le mal, dont tous ces personnages sont atteints supporte d’être apprécié selon une évaluation rigoureuse : il grandit avec l’écart qui se forme entre le but qu’ils se sont volontairement assigné et le but vers lequel les aimantait spontanément une vocation naturelle. […] Il l’a nommée le mal de la Pensée, de « la Pensée qui précède l’expérience au lieu de s’y assujettir »1, « le mal d’avoir connu l’image de la réalité avant la réalité, l’image des sensations et des sentiments avant les sensations et les sentiments… »2 C’est, dit-il à l’occasion des personnages de Flaubert, à cette image anticipée, « à cette idée d’avant la vie que les circonstances d’abord, puis eux-mêmes font banqueroute » 3. […] Et il semble, en effet, que, transportant dans la philosophie sa vision d’artiste, Flaubert ait constaté dans l’homme un Bovarysme irrémissible qui fait de l’erreur et du mensonge la loi de sa nature, un mal d’imagination et de pensée qui l’oblige à méconnaître toute réalité pour céder à la fascination de l’irréel, qui le contraint à concevoir, hors de la portée de son intelligence et le ses sens, un au-delà dont la perspective s’éloigne après chaque effort fait pour l’atteindre. […] L’intelligence humaine, la faculté de comprendre elle-même, devient le thème de la représentation et nous apparaît atteinte du même mal dont nous avons vu quelques esprits frappés.

662. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Bien des choses adviennent aux hommes contre leur attente et pour leur déplaisir ; et quelques-uns aussi, après s’être aheurtés à d’affreuses tempêtes, ont vu tout à coup le mal se changer pour eux en souverain bonheur. […] « Tous », disait-il dans un hymne, dont le reste a péri, « arrivent par une fatalité heureuse à l’issue qui termine les maux. […] Elle sommeille, durant l’activité du corps ; mais souvent, aux hommes endormis, elle révèle en songe le partage de joies ou de peines qui les attend14. » Et ailleurs il avait chanté, avec plus de ferveur encore, sans doute dans le sanctuaire d’un temple : « Au-dessous de la voûte céleste, à l’entour de la terre, volent les âmes des impies dans de cruelles douleurs, sous l’étreinte de maux qu’on ne peut fuir. […] On dirait même qu’il ne ménage pas les orateurs de la grande cité, dans cette Néméenne où, rappelant l’innocence calomniée d’Ajax, il s’écrie : « Une odieuse éloquence s’élevait déjà entourée d’un cortège de flatteuses paroles, armée de ruses et faisant le mal par l’insulte. […] « Après beaucoup de maux fortement supportés, ils occupèrent le sol sacré du fleuve, et furent l’œil de la Sicile.

663. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Les deux notions demeurent encore voisines et parfois on les distingue mal. […] Barrès souder en son héros ces deux formes d’hérésie qui s’y rejoignent mal. […] Giraudoux doive donner à des gens d’un goût terrien le mal de mer. […] Le romancier qui les prend au-dessus de lui les prend mal, les peint mal, échoue. […] Il est vrai qu’un Anglais verra la continuité là où un étranger la reconnaît mal.

664. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Arrive Pierre Clémenceau avec son dessin ; Iza est seule, mal ficelée. […] » et elle se trouvera mal, délicieusement. […] Son mal est surtout physiologique. […] j’en suis sûre, tout ça finira mal.” […] On a dit beaucoup trop de mal, dans ces derniers temps, des chansons de café-concert.

665. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Est-ce le moment de mal parler des Français, quand les flammes de Moscou menacent Paris ? […] L’ombre est pour lui le mal, et la lumière est le bien. […] Les romanciers naturalistes se sont attachés avec ténacité à des formules qu’ils comprenaient mal. […] Parce que la littérature a été souvent mal inspirée par des théories scientifiques mal comprises, est-ce à dire qu’elle doive tenir la science pour ennemie ? […] « Le catholicisme est la science du bien et du mal.

666. (1888) Études sur le XIXe siècle

Lui qui souffre sans cesse de toutes sortes de maux chroniques fort douloureux, il est pris de terreurs indescriptibles, dès qu’il est menacé d’une douleur aiguë. […] Victor-Emmanuel ne lui déplaît pas non plus : il regrette seulement que le roi galant homme soit « si mal entouré ». […] Ce sera un bien ou un mal, mais c’était inévitable. […] … Mais non, le mariage est définitif : de plus, il est mal compris, il est une duperie réciproque. […] Ses nouvelles finissent toujours bien, même quand la logique voudrait qu’elles finissent mal.

667. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Cette ironie, qui voudrait écarter la vision du mal, et que M.  […] Attiré d’abord par le Naturalisme, il y a contracté ce dangereux mal : la haine des idées. […] Bouchor a mal débuté, par des choses dans le goût gros et bouffe de ses amis MM.  […] Son mal est, par excellence, la forme élégante de l’Ennui. […] Mallarmé, les livres de vers, c’est toujours très bien : et comment serait-ce mal ?

668. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Pour moi, je m’en accommoderai de mon mieux ; mais je ne veux ni vous leurrer ni me leurrer moi-même par des illusions qui me rendent la réalité plus insupportable encore. » Ainsi parlerait, ou à peu près ainsi, l’homme qui serait assez avisé pour comprendre ses impressions et sa pensée, et assez mal avisé pour les exprimer. […] Mais si on veut rattacher les obligations qu’on lui impose à quelque être supérieur, dieu ou société, qui l’a créé pour le servir, alors il faut dire que si l’homme ne remplit pas spontanément son office, c’est qu’il y est mal adapté, et que s’il y est mal adapté il est mauvais sans doute, mais que cela prouve surtout que celui qui l’a créé n’a pas été bon ouvrier. Lorsqu’un horloger fait une montre, si la montre fonctionne mal, on la déclare mauvaise, mais on juge l’ouvrier maladroit. […] Cela veut dire surtout qu’il faut accepter les suggestions d’un instinct social aveugle et bien mal organisé, ou des représentants plus ou moins autorisés de l’âme sociale qui, dans bien des cas, ne savent guère ce qu’ils disent. […] Qu’on le veuille ou non, chacun n’entend guère par « liberté » que la « liberté du bien » ou du moindre mal.

669. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

Des meubles recouverts d’une imitation de velours, chargée de fleurs-rosaces, dont le relief pourpre se détache d’une trame d’or : une imitation très mal faite, et flétrie de cette flétrissure particulière au théâtre, et donnant à la laine, à la soie, au coton des ameublements, quelque chose de la pourriture que l’on voit dans les couronnes des cimetières. […] Et je pense que j’aurai alors, ainsi que l’on a la soudaine souffrance d’un mal, resté longtemps sourd, j’aurai la cruelle révélation de ma vieillesse sans femme et sans enfants, de mon isolement dans la vie ; de tout le dur de ma situation : choses que je ne sens pas, quand ma cervelle crée et me donne la compagnie des êtres d’un livre. […] Cependant il ne peut s’empêcher de proclamer, qu’il y a des choses qui sont bougrement bien, dans le rôle de Blanche : « Attendez, je ne me rappelle plus les vers, mais ce “Je t’aime” du premier acte, c’est vraiment pas mal. » — Oui, là est la création de la pièce, jette Daudet. — C’est pas mal, pas mal, reprend Zola, et ma foi, oui, j’étais à la représentation, par moments, furieux contre les lâches, qui n’osaient pas applaudir… j’aurais aimé à leur dire des sottises. […] Diable, comme jugement de confrère, il est pas mal sévère !

670. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Mais enfin, je sais tout cela trop peu et trop mal ; je ne puis en parler. […] Voilà une histoire sèchement et mal contée. […] Mais je le déclare, il s’en trouvera mal s’il ose disputer avec moi. […] Ceux qu’il en a chargés, sont mal avec moi. […] Tout cela nous avertit d’être circonspects dans nos remarques de langue et de goût sur ces vieux monuments, déjà mal interprétés et mal connus, dans les époques intermédiaires.

671. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Il fera son article de demain avec des phrases mal entendues, pendant vingt minutes, — mal entendues dans la préoccupation du ver rongeur qui l’attend à la porte, et de son déjeuner en retard, au moins d’une heure. […] Tout à coup, Mme Daudet qui est plaquée dans un affaissement douloureux contre la paroi de la baignoire, s’écrie dans un ressaut violent : « Je vais me coucher, ça me fait trop mal d’être ici !  […] Il mange excessivement peu, boit pas mal de vin, et au café, en tendant sa tasse à moitié vidée, à Daudet, qui tient le carafon de cognac, jette : « Vous savez, remplissez-moi ma tasse, tout comme la tasse d’un curé bas-breton !  […] ça va très mal !  […] Tout le temps de la pièce, Daudet ne voulant pas se montrer dans la salle, — j’ai été le téléphone entre le mari et la femme. — Daudet repris à dîner bien mal à propos de ses douleurs, et qui a pris du chloral, se tient enfermé dans le cabinet de Koning, sourd aux applaudissements.

672. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

Elle ne durait pas longtemps et finissait mal. […] — Pour elle, ça n’était pas trop mal, affirmait tante Zoé. […] On s’efforça sans me convaincre, de me démontrer que si l’on m’avait fait mal, c’était pour mon bien. […] Je tombais mal, en ayant été surprise par cette timorée. […] La leçon finissait mal.

673. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

Chapitre I Les qualités cliniques La vertu première de tout observateur est l’impassibilité ; impassibilité du chimiste devant la réaction nouvelle qui va miner ou étayer son hypothèse ; impassibilité du médecin devant le mal qu’il doit méthodiquement analyser9. […] … Il y avait une pauvre femme renversée, la tête très basse, le ventre ouvert ; elle râlait continuellement… un moment elle est devenue toute bleue… tous les linges étaient couverts de sang… il en avait sauté sur le front des aides… on lui a enlevé un énorme morceau de chair. » Le chirurgien, au contraire, dirait plus techniquement : « Je viens d’opérer un fibrome qui m’a donné pas mal de tracas.

674. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Si l’avare, si l’égoïste sont incapables de ces retours sensibles, il est un malheur particulier à de tels caractères auquel ils ne peuvent jamais échapper ; ils craignent la mort, comme s’ils avaient su jouir de la vie : après avoir sacrifié leurs jours présents à leurs jours avenir, ils éprouvent une sorte de rage, en voyant s’approcher le terme de l’existence ; les affections du cœur augmentent le prix de la vie en diminuant l’amertume de la mort : tout ce qui est aride fait mal vivre et mal mourir : enfin, les passions personnelles sont de l’esclavage autant que celles qui mettent dans la dépendance des autres ; elles rendent également impossible l’empire sur soi-même, et c’est dans le libre et constant exercice de cette puissance qu’est le repos et ce qu’il y a de bonheur.

675. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IX. Précision, brièveté, netteté »

Les phrases longues peuvent être parfaitement nettes, et il n’est pas besoin d’écrire d’un style haché, ni d’éviter les qui et les que : mais il faut ménager la peine de son lecteur, lui offrir, comme disait Pascal, des reposoirs, pratiquer des jours, et ne pas l’essouffler à travers d’interminables périodes, inégales, tortueuses et mal éclairées. […] Le préjugé est établi, qu’en français on ne lie pas les phrases, et l’on trouve aujourd’hui bien peu de gens qui sachent bien user de ces petits mots en parlant et en écrivant : le plus grand nombre en use mal ou n’en use pas.

676. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

Ils sont mal formés ; on n’a pas tenu compte, en les transposant, des modifications spontanées que la prononciation leur aurait fait subir si le peuple les avait connus et parlés ; on les jeta brutalement dans la langue, sans écouter aucun des conseils de l’analogie et on infesta ainsi le français de la finale action, qui peu à peu a détruit le pouvoir de aison, finale normale, moins lourde et plus définitive. […] Le mal que ce petit livre a fait depuis deux siècles aux langues novo-latines est incalculable et peut-être irréparable.

677. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé Boileau, et Jean-Baptiste Thiers. » pp. 297-306

Le livre de l’abbé Boileau n’a pas le mérite du stile ; il est mal écrit, &, par-là, moins dangereux que celui de Chorier, qui n’a que trop réuni, aux idées les plus libres, l’élégance & la finesse de l’expression. […] On lui fit cette epitaphe : Qui giace l’Aretin amaro tosco Del sem human, la cui lingua trafisse Et vivi, & morti : d’iddio mal non disse Et si scuso, co’l dir, io no’l conosco.

678. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

Peut-être Charcot, Moreau (de Tours) et ces médecins de la Salpêtrière qui nous firent voir leurs coprolaliques pourraient-ils déterminer les symptômes de son mal… Et, à ces mobiles morbides, ne faut-il pas ajouter l’inquiétude si fréquemment observée chez les misogynes, de même que chez les tout jeunes gens, qu’on ne nie leur compétence en matière d’amour ? […] Nous répudions énergiquement cette imposture de la littérature véridique, cet effort vers la gauloiserie mixte d’un cerveau en mal de succès.

679. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Qu’il oublie tant qu’il lui plaira qu’il parle à des hommes sensés, il n’y a pas grand mal à cela, mais qu’il ne se souvienne jamais qu’il parle à des hommes libres, c’est une inadvertance qui blesse partout et qui est très-dangereuse dans ce pays-ci. […] Je viens de proposer la question à ma femme, et voici sa réponse : « Je ne suis qu’une bête, je ne sais point écrire, je parle assez mal, et je sens en moi tout ce qu’il faut pour faire une grande action.

680. (1923) Au service de la déesse

C’est mal : les amis des lettres n’ont pas le droit d’être les ennemis de la philologie. […] C’est mal répondre. […] Elle a peur : et il se sauve sans lui avoir fait le moindre mal. […] Que sera le monde sans le mal ? […] Il nous : faut vivre avec notre mal et, si les machines sont un mal, vivre avec les machines.

681. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

» Et plus loin : « Qu’est-ce que ça me fait qu’on parle mal ? […] Elle fait des ouvrages de couture qu’on lui refuse parce qu’ils sont mal faits. […] La scène qui suit n’est pas mal non plus. […] Sa voix me faisait mal. […] Ce drôle prend fort mal sa situation de roi honoraire : il voudrait être roi pour de bon.

682. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Ce qui avait fait pleurer les Grecs aurait bien pu nous faire mal au cœur. […] Un sujet maigre et peu important, une fable mal tissue et sans intérêt. […] Mérope imite ces dévotes qui semblent ne faire le bien que pour avoir le plaisir de déchirer les femmes qui font le mal. […] L’ouvrage fut très mal accueilli dans la nouveauté. […] Voilà un pauvre caractère et une fable bien mal tissue.

683. (1802) Études sur Molière pp. -355

Chapelle lui offrit de faire la scène de Caritidès 27 et l’exécuta si mal qu’elle fut rejetée. […] La moralité. — Bien propre à faire frémir quiconque voudrait risquer un mariage mal assorti. […] Ces trois ouvrages vont nous prouver successivement s’il était prudent d’attaquer un athlète aussi vigoureux, et si l’athlète fit bien ou mal de se venger. […] Que le personnage principal amène la catastrophe par un trait bien marqué de son caractère ; qu’elle change en bien tout le mal que l’on redoute ; que la vertu soit récompensée, et le vice puni. […] Molière reprit haleine, au jugement de sa majesté ; et aussitôt il fut accablé de louanges par les courtisans, qui tous, d’une voix, répétaient tant bien que mal ce que le roi venait de dire de l’ouvrage.

684. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Non-seulement les sciences sont pour lui des avenues qui mènent toutes à Dieu, mais son livre nous ouvre une multitude de perspectives ravissantes où l’âme se repose des maux de la vie, en méditant ses espérances. […] L’autre, applaudissant aux découvertes du génie, montre que tous les maux viennent de notre orgueil, et que la véritable science ne peut être dangereuse, puisqu’elle est l’histoire des bienfaits de la nature. […] Que de maux elle y a adoucis ! […] J’aime naturellement le fond de la vallée, je m’y repose des maux de la vie ; mais, lorsqu’on vient m’y troubler, mon âme s’élève par degrés au-dessus de tout ce qui voudrait l’atteindre. […] Aucun des maux qui effrayent les hommes ne peut plus désormais m’atteindre, et vous me plaignez !

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