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1514. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Je ne le pense pas, et d’Alembert, en exprimant la pensée que relèvent avec un tel dédain nos jeunes amis, n’a fait qu’exprimer quelque chose de sensé et d’humain, qui n’est sans doute pas l’essentiel et le propre de l’art, mais qui ne saurait non plus être incompatible avec lui. […] Il lui a attribué un caractère de sérénité tout humaine, une espèce de beauté ronde, une santé presque junonienne. […] On y voit le sentiment humain mêlé aux paysages, même à ceux où l’homme semble absent.

1515. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Il faut bien se figurer ceci pour être dans le vrai de la réalité historique : de tout temps, les facultés diverses de l’esprit humain ont été représentées au complet, bien qu’en des proportions variables, et, de même que, dans les plus saintes âmes, il y a des moments d’éclipse, de doute, d’angoisse, enfin des combats, de même, dans les siècles réputés les plus orthodoxes, le gros bon sens ou la moquerie ont eu leur voix, leurs échos, pour protester contre ce qui semblait une folie sainte. […] En un mot, c’est à la fois, pour les chrétiens, un admirable exemple de la persistance d’une faculté sainte et d’un don qui semblait retiré au monde ; pour les philosophes, un objet d’étonnement sérieux et d’étude sur l’abîme sans cesse rouvert de l’esprit humain ; pour les érudits, la matière la plus riche et la plus complète d’un mystère, comme on les jouait au moyen âge ; pour les poëtes et artistes enfin, une suite de cartons retrouvés d’une Passion, selon quelque bon frère antérieur à Raphaël. […] Ses livres peuvent attirer et forcer l’admiration pendant quelques pages, mais bientôt leur monotonie fatigue ; car ils sont le contraire de ces écrits chers à Montaigne, pleins de suc et de moelle intérieure, pétris d’expérience et d’indulgence, qui gagnent à être exprimés et pressés, et qui de tout temps ont fait les délices des hommes de sens, des hommes de goût, des hommes vraiment humains… Au résumé, c’est un militant ; il l’est en tout et partout ; comme tel, il laissera dans l’histoire des guerres politiques et religieuses de ce temps une trace lumineuse : Lacordaire et lui, deux lieutenants de La Mennais, et qui ont continué de tenir brillamment la campagne après que leur général avait passé à l’ennemi.

1516. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Vitellius, comme on sait, fut le plus gourmand des empereurs : quelquefois on rassemblait pour sa table, de tous les points de l’empire, force gibier de toute espèce, et de chaque animal on prenait seulement la cervelle, ou quelque autre partie délicate, pour offrir dans un seul plat à cet empereur gastronome un extrait de tout ce que la voracité humaine peut désirer. […] Le procédé de l’esprit humain est un ; et le poète, dans ses inventions, suit la même loi que Napier inventant les logarithmes ou Descartes l’analyse géométrique. […] En géométrie, comme en poésie, comme en tout, la comparaison est la grande route de l’esprit humain.

1517. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Quand on a fait la part du rhéteur et du prêtre d’Apollon en lui, il reste une bien plus large part encore, ce me semble, au collecteur attentif et consciencieux des moindres traditions sur les grands hommes, au peintre abondant et curieux de la nature humaine. […] Cette affaire du pâté, et les tracasseries qui s’ensuivirent, donnèrent dès lors à Courier une sorte de misanthropie, à laquelle il était assez naturellement disposé, et qui d’ailleurs n’altérait pas son humeur ; mais le mépris des hommes perce de plus en plus, à cette date, dans tout ce qu’il écrit : Les habiles, dit-il à ce propos, qui sont toujours en petit nombre et ne décident de rien… » — Pour moi, écrivait-il au médecin helléniste Bosquillon, ces choses-là ne m’apprennent plus rien ; ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai lieu d’admirer la haute impertinence des jugements humains. […] Ce que rêve Courier à cette date, ce n’est pas de noyer tout le genre humain, quoique détestable, mais de faire une arche de quelques personnes d’élite et d’y vivre entre soi.

1518. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Ce qui distingue à jamais cette pastorale gracieuse, c’est qu’elle est vraie, d’une réalité humaine et sensible : aux grâces et aux jeux de l’enfance ne succède point une adolescence idéale et fabuleuse. […] Il continua d’écouter l’harmonie des sphères, de croire et de dire « que le genre humain marche vers sa perfection ; que nos aïeux ont traversé l’âge de fer, et que l’âge d’or est devant nous ». […] De cette étude bien imparfaite, mais qui repose sur plus de lectures et de comparaisons que je n’ai pu en apporter ici, il me semble résulter que Bernardin de Saint-Pierre, dans sa vie, n’a été qu’à demi un sage, et que, dans ses écrits, il a presque aussi souvent erré que rencontré avec bonheur : mais, une fois, il a eu une inspiration simple et complète, il y a obéi avec docilité et l’a mise tout entière au jour comme sous le rayon ; il a mérité par là que son souvenir reste à jamais distinct et toujours renouvelé dans la mémoire humaine, et qu’autour de ce chef-d’œuvre de Paul et Virginie, la curiosité littéraire rassemble, sans en rien perdre, les grâces éparses de l’écrivain.

1519. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Il est même à remarquer qu’en avançant il se dépouilla de plus en plus des considérations de prudence humaine, et qu’il se plaisait par-dessus tout à se laisser entièrement gouverner à la Providence. […] Il sait bien que toute voie humaine a ses épines et ses ronces encore plus que ses fleurs, et que, lorsque Dieu se manifeste et parle, c’est plutôt parmi les premières : « Je ne me ressouviens pas qu’il ait jamais parlé parmi les fleurs, oui bien parmi les déserts et halliers plusieurs fois. » Et pourtant, François de Sales sème involontairement devant lui et prodigue les fleurs ; il répand le lait et le miel, et les fruits savoureux ; il a surtout ce qui les fait naître sans effort, un fonds de fertilité et d’onction. […] Chez saint François de Sales, il y a plus que le juste, il y a plus que l’utile, il y a plus que l’humain, il y a le saint : chose réelle, et qui, dès qu’elle apparaîtra sincèrement, sera toujours adorée parmi les hommes.

1520. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

oui ; Saint-Simon, l’aristocrate violent et inflexible, l’homme de la race, de la tradition, de la distinction, de l’étiquette, de la politesse, de ces mille nuances sociales que nous, les déclassés, les pressés de vivre, les locomotives humaines, nous n’avons guère que le temps de mépriser, Saint-Simon a trouvé des admirateurs là où il les aurait le moins cherchés, s’il avait pu nous deviner, ce qui l’eût tué d’apoplexie ! […] Jamais dans les annales de l’histoire et dans celles bien plus variées du cœur humain, on n’avait vu deux êtres si bien faits pour s’appartenir. […] Unis de leur vivant au sommet des grandeurs humaines, unis devant Dieu et par des ressemblances de nature qu’on n’a pas assez remarquées et qu’il serait curieux de faire saillir, Louis XIV et Mme de Maintenon seront encore unis dans l’injustice et dans l’injure.

1521. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Madame d’Ivrée, madame Étienne, mademoiselle Rosa La Rose, mademoiselle de Keldren, sont des êtres ravissants, mais humains, mais mondains ; chrétiennes, oui ! […] Parmi ces patriciennes de l’amour humain, il n’y a pas la patricienne de l’amour divin, qui serait pour moi la Dogaresse de toutes ces Patriciennes de l’Amour ! […] Ce n’est pas, comme le xviie  siècle, qui la nomma, la crut, une chose de société, mais de nature humaine ; et voilà même pourquoi son nom est resté.

1522. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Ernest Renan »

Tel est le fond et le secret de ce pauvre livre, devant lequel les ignorants ôtent leur bonnet et les gens à sentiment pleurard leurs mouchoirs de poche, mais qui n’en ira pas moins rejoindre, avant cinquante ans, l’Origine des cultes, par Dupuis ; car la science progresse bien moins qu’elle ne se déplace, et quand elle progresserait, elle n’infirme pas le bon sens dans l’esprit humain ! […] Rien dans l’histoire de l’esprit humain et des institutions du monde connu ne peut être comparé à l’Église. […] En effet, que le Bullaire d’Alexandre VI, par exemple, soit aussi pur, aussi irréprochable que celui de saint Léon ou de saint Pie V, voilà qui renverse l’esprit humain, et qui s’impose à lui souverainement une fois qu’il est renversé !

1523. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

L’esprit humain, toujours curieux, aime à revenir quelquefois sur ces temps de son enfance ; mais quand on a jeté un coup d’œil sur des masures ou des palais gothiques, on aime ensuite à se reposer sur les grands monuments de l’architecture moderne. […] Et qui, en voyant sur presque toute l’étendue de la terre, les hommes si malheureux, tant de fléaux de la nature, tant de fléaux nés des passions et du choc des intérêts, le genre humain écrasé et tremblant, éternellement froissé entre les malheurs nécessaires, et les malheurs que l’indulgence et la bonté auraient pu prévenir, peut se défendre d’un attendrissement involontaire, lorsqu’il voit s’élever un prince qui n’a d’autre passion et d’autre idée, que celle de rétablir le bonheur et la paix ? […] Enfin, lorsque la mort, parmi nous, ouvre les tombeaux où reposent les cendres de nos rois, la foule des citoyens qu’une curiosité inquiète et sombre précipite sous ces voûtes, pour y voir à la fois les monuments de la grandeur et de la faiblesse humaine, à la lueur des flambeaux et des torches funèbres qui éclairent ces lieux, semble ne demander, ne chercher que Henri IV.

1524. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Au moment où, conduit par une rêverie savante à ce matérialisme épicurien dont César devait abuser en factieux quelques années après, Lucrèce allait expliquer la formation spontanée du monde, l’action exclusive de la matière, l’intelligence passagère qui en résulte et la mortalité absolue de l’être humain, il élève ses regards vers les cieux ; il y voit briller un astre cher à la superstition romaine ; il en retrouve le souvenir et le nom dans les origines de Rome, et il ouvre son poëme antimythologique et antiplatonique par cette invocation incomparable à la déesse de la fécondité dans la nature, à cette déesse de la beauté et de l’amour, qu’il supplie de désarmer le dieu de la force et de la guerre : « Mère des enfants d’Énée, charme des hommes et des dieux, bienfaisante Vénus ! […] Ainsi raisonnent les hommes, quand, à l’alentour d’une table, souvent ils tiennent la coupe, et que, couronnant leur tête de fleurs, ils disent volontiers : Ce plaisir n’a qu’un moment pour les pauvres humains ; tout à l’heure il aura passé, et il ne sera pas permis de le rappeler jamais. » Cette fois encore un prélude avait retenti, non pas sans doute de la lyre sacrée, mais de cette corde mélancolique et douce que devait bientôt toucher Horace avec plus d’insouciance que de triste certitude, et en égayant son âme par les douceurs de la vie sans prétendre la convaincre qu’elle doit à jamais mourir. […] Epicure lui-même est mort, au terme de la carrière, lui qui par le génie surpassa l’espèce humaine et couvrit toutes les renommées de son éclat, comme le soleil dans les airs éteint toutes les étoiles.

1525. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « [Préface] »

Les formes de la société humaine sont des plus variées.

1526. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 248-249

Cette maniere de disputer pouvoit être excusable dans un temps où l'on n'avoit pas encore dit : « Il est bien cruel, bien honteux pour l'Esprit humain, que la Littérature soit infectée de ces haines personnelles, de ces cabales, de ces intrigues, qui devroient être le partage des esclaves de la fortune.

1527. (1870) La science et la conscience « Avant-propos »

La science et la conscience, affirmant le oui et le non sur les attributs essentiels à la nature humaine, deviennent ainsi suspectes, l’une aux savants, l’autre aux moralistes.

1528. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Toutefois, et par cela seul que nous la comparons à l’existence humaine, cette existence historique des genres n’est pas éternelle. […] Et si le langage fait assurément l’un des liens les plus étroits et les plus forts des sociétés humaines, peut-on séparer l’art d’avec la vie sociale ? […] de quelle combinaison nouvelle d’éléments toujours identiques ont-ils enrichi notre idée de la nature humaine ? […] La science y trouve son compte ; l’humaine malignité s’y délecte ; et les faiblesses des grands hommes réjouissent notre vanité. […] L’esprit humain, dites-vous, coule avec les événements comme un fleuve ?

1529. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

À force de répéter qu’ils sont le suc et la fleur du genre humain, les pangermanistes ont fini par le croire. Le plus difficile serait de le faire croire au genre humain. […] Pour les réduire à l’impuissance, pour les empêcher de retarder les destinées humaines, il n’y a qu’un moyen : la guerre. […] Bref, nous associons à l’intelligence et à l’intelligence humaine, l’idée d’une suprématie. […] Ollivier se réclame de la Révolution, des idées largement humaines qu’elle a répandues par le monde, et affirme sa poétique passion « d’identifier les droits et la grandeur de la France avec les droits et la grandeur du genre humain ».

1530. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXX » pp. 279-280

Pourquoi, se demande-t-on, ce faux air de mollesse et d’apologie de la part d’un philosophe qui soutient en toute occasion la cause de la conscience humaine, de la morale spiritualiste, et qui, hier encore, réfutait Cabanis dans la Revue des Deux Mondes ?

1531. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dorian, Tola (1841-1918) »

Remy de Gourmont La fréquentation des poètes lyriques anglais, allemands, russes, le tourment d’une âme qui ne veut pas désespérer, quoiqu’elle sache l’inutilité des révoltes et combien sont précaires, puisqu’elles sont limitées, les réalisations humaines, — et le désir de rythmer de telles émotions et de se les rendre sensibles, il y aurait bien là de quoi faire un poète, même en négligeant d’autres causes, le don naturel, la sensibilité native, l’orgueil de se vouloir égaler à son propre idéal.

1532. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — E — Ernault, Louis (1865-19..) »

Or, l’intervention du surnaturel, en général, détruit l’intérêt de cette lutte, puisqu’elle dénoue trop facilement ce qu’avait noué l’élément humain.

1533. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 417-418

Son Introduction à la connoissance de l'Esprit humain est bien éloignée d'annoncer, comme l'a dit M. de Voltaire, dans l'Eloge funebre des Officiers morts dans la guerre de 1741, un prodige de vraie philosophie & de vraie éloquence, la profondeur & la force du génie, &c.

1534. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

« Mâcon, 3 mars 1831. » À côté de Lamartine et non pas au-dessous, nous plaçons une autre liaison bien chère et plus intime, toute profonde, et qui avait sa racine dans les sentiments humains, plébéiens et véritablement fraternels ; c’est ainsi que je caractérise le mutuel attachement de Mme Valmore et de M.  […] » Je leur répondrai : Toutes les douleurs humaines sont sœurs ; à chacun la sienne.

1535. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

On sait la phrase finale du Pape, dans laquelle il est fait allusion au mot de Michel-Ange parlant du Panthéon : Je le mettrai en l’air. « Quinze siècles, écrit M. de Maistre, avaient passé sur la Ville sainte lorsque le génie chrétien, jusqu’à la fin vainqueur du paganisme, osa porter le Panthéon dans les airs, pour n’en faire que la couronne de son temple fameux, le centre de l’unité catholique, le chef-d’œuvre de l’art humain, etc., etc. » Cette phrase pompeuse et spécieuse, symbolique, comme nous les aimons tant, n’avait pas échappé au coup d’œil sérieux de M.  […] On a coutume de s’étonner que l’esprit humain soit si infini dans ses combinaisons et ses portées ; j’avouerai bien bas que je m’étonne souvent qu’il le soit si peu.

1536. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Ce n’est plus un art seulement, c’est un moyen ; elle devient une arme pour l’esprit humain, qu’elle s’était contentée jusqu’alors d’instruire et d’amuser. […] Un certain asservissement de l’esprit empêche l’homme d’observer ce qu’il éprouve, de se l’avouer, de l’exprimer ; et l’indépendance philosophique sert, au contraire, à mieux connaître, et la nature humaine, et la sienne propre.

1537. (1799) Dialogue entre la Poésie et la Philosophie [posth.]

Le genre humain n’est déjà que trop inondé de méchants vers ; que deviendrait-il, s’il était réduit aux vers pour tout aliment ? […] les premiers philosophes ont été poètes ; Horace est le bréviaire des philosophes ; Molière, par sa connaissance des hommes et du cœur humain, Corneille, par la force du raisonnement, étaient ou grands philosophes, ou faits pour l’être.

1538. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Lord Byron, à lui seul, l’emporte, en intérêt littéraire et surtout en intérêt de nature humaine, sur tous ces Allemands sans passion ardente et profonde et qui n’ont de nature humaine que dans le cerveau… La vie de ce grand poëte, qui s’est élevé jusqu’au grand homme, est autre chose que celle de ces travailleurs en rêveries dont l’existence ressemble à une table des matières de leurs œuvres, dans laquelle elle tient… Pour tout homme, pour tout être si heureusement et si puissamment organisé qu’il soit, la vie de Byron est un sujet de critique et de biographie de la plus redoutable magnificence ; car Byron fut comme le plexus solaire du xixe  siècle, et tous les nerfs de la société moderne, cette terrible nerveuse, aboutissent à lui… Toucher à cet homme central, magnétique et vibrant, qui mit en vibration son époque, c’est toucher à l’époque entière… Jusqu’ici, ceux qui y ont touché s’y sont morfondus.

1539. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

C’était de l’habitude sans doute ; mais, quand on réfléchit aux mille délicatesses dont se compose la moralité humaine, que penser de l’homme qui s’est fait un besoin d’abattre tous les jours un troupeau qu’on pousse à ses pieds, de ce roi qui n’a jamais porté l’épée militaire et qui s’en va, les mains noircies par sa forge, faire de tels carnages dans ses forêts ?  […] Comme, au vrai sens de la nature humaine, portraitistes et moralistes ne sont qu’un, s’il fallait par un seul mot caractériser le genre de talent d’Amédée Renée, je dirais qu’il tend à devenir — et qu’il en est bien près — le La Bruyère de l’Histoire.

1540. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Ils ne sont pas des moralistes exprimant largement, comme La Bruyère, toute une époque dans des Caractères, — étude humaine et grandiose ! […] Ils auraient peut-être tort maintenant… Dans ce temps-là, ni l’un ni l’autre de ces Goncourt qui ont écrit le livre de La Femme au xviiie  siècle n’eût voulu descendre de cette conception littéraire, qui repousse l’ordure, l’observation, l’étude de l’ordure, comme indigne de l’esprit humain, et n’aurait voulu écrire La Fille Élisa !

1541. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

Seulement, Rabelais caricaturise, d’un bout à l’autre de ses œuvres, les hommes, les choses, les mœurs et l’esprit humain de son temps, en des compositions étranges qui sont des Épopées comiques, des Iliades et des Odyssées d’un Homère ivre, ou plutôt d’un Bacchus aimé des Muses et traîné par des tigres ; car les plaisanteries de Rabelais sont d’assez fières tigresses ! […] Il se place au cœur de toutes, pour les mieux voir et les mieux sentir, — et c’est de là que le moraliste qu’il est avant tout, ce Carlyle, aperçoit le côté ridicule, abusif, outrancier, caricaturesque de toute chose humaine, et qu’il part de cet éclat de rire qui rappelle cet immense éclaffeur de Rabelais, mais amertumé de la cruelle gaieté anglaise, plus féroce que la nôtre ; la gaieté de Swift et d’Hogarth !

1542. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

Léonard de Vinci lui-même, le peintre de la terrible Joconde, une énigme humaine, comme Madame Récamier, eût brûlé ses pinceaux et sa palette de magicien sombre et de sorcier ensorcelé devant cette incompréhensible Récamier, qui n’avait pas, elle, à offrir à un peintre la physionomie inquiétante de la Joconde, de cette ogresse repue et tranquille qui sourit diaboliquement à qui la regarde et qui semble lui dire : « M’apportes-tu ton cœur à manger ? […] L’homme résista, mais la force qui sert à aimer avec cette exclusion sublime, la force du cœur, en lui, n’existait plus… VI Ces cent soixante et une lettres, qui ne sont pas un livre, — qui ne sont pas de la littérature, — intéresseront au plus haut degré tous ceux qui, par compassion ou par mépris, prennent quelque souci de l’âme humaine… il y a là deux choses qui vont souffleter bien des esprits.

1543. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Or, pour peu qu’on ait rafraîchi ou brûlé son front aux sublimes choses que le christianisme a fait jaillir de l’âme humaine, en y débordant, pour peu qu’on ait lu la Vie des Saints, les Pères du Désert, la Chronique des monastères, devenue en ces derniers temps de l’histoire sans laquelle il n’y a plus d’histoire d’aucune espèce, dans l’Europe désorientée, l’histoire des Moines d’Occident, de M. de Montalembert, ne paraîtra plus que ce qu’elle est, c’est-à-dire : plusieurs grands et puissants livres, diminués en un seul. […] Bossuet, qui composait ses sermons à genoux comme saint Charles Borromée, n’est pas un orateur humain.

1544. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

IV Cependant, on est obligé de le reconnaître, malgré ces faiblesses de sceptiques embarrassés qui sont le fond des sciences humaines, M.  […] On est entré, du premier pas, d’une telle roideur dans le fanatisme de la haine, qu’on ne peut s’avancer d’un degré de plus dans la frénésie à froid du mensonge et dans le souillement des choses sacrées… Avoir vécu vainement dix-huit cents ans de Christianisme et d’Histoire, pour se retrouver, à la fin de ce xixe  siècle, qu’ils disent lumineux, de l’opinion de la canaille romaine et des plus atroces empereurs de cette canaille sur le compte des Juifs et des chrétiens, c’est encore moins fort d’absurdité et moins transcendant de sottise impudente, que d’avoir posé comme un fait scientifique et démontré la honteuse et humiliante folie du céleste Rédempteur du genre humain.

1545. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

Destiné à l’enseignement de la philosophie, vivant dès sa jeunesse dans l’accointance des philosophes et dans la préoccupation de leurs études et de leurs influences, il crut, parce qu’il entendait et sentait vivement leurs écrits, que lui aussi aurait le pouvoir d’éjaculer, comme eux, quelque système avec lequel la pensée humaine aurait à se colleter plus tard ; mais, pendant toute sa vie, il put apprendre à ses dépens que la faculté de jouer plus ou moins habilement avec des idées qui ne vous appartiennent pas n’est pas du tout la vraie fécondité philosophique, qui n’a, elle, que deux manières de produire : — par sa propre force, si l’on appartient à la grande race androgyne des génies originaux, — ou en s’accouplant à des systèmes qui ont assez de vie pour en donner à la pensée qui n’en a pas, si l’on n’appartient pas à cette robuste race des génies originaux et solitaires. […] L’éclectisme, cette combinaison qui vivra dans l’histoire des vacuités humaines, l’éclectisme n’est pas un enfant vrai.

1546. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

si on admire, avec juste raison, les esprits d’une puissance dramatique assez grande pour s’incarner dans une autre peau que la leur et devenir, à leur choix, Othello ou Macbeth, le père Goriot ou Vautrin, que ne doit-on pas penser de ceux qui, laissant là la personnalité humaine, s’incarnent dans des êtres étrangers à l’humanité, comme un hêtre ou comme un centaure ? […] Il est évident qu’il n’est ni un bronze, ni un or, ni un argent sonore ; mais un cœur, — un cœur humain, semblable à nos cœurs, ensanglanté des mêmes traits qui nous les ont percés, et qui pourraient entrer dans les mêmes blessures et s’y adapter !

1547. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

Alfred de Musset, cet amoureux immortel de femmes mortes maintenant, heureux par toutes, malheureux par une seule, a fini par mourir de celle-là… mais il a vécu par les autres, et vous n’empêcherez jamais l’imagination humaine, éprise de ses poètes, de s’intéresser à toutes celles qui ont doublé, par le bonheur qu’elles lui ont donné, les facultés du poète qu’elle a peut-être aimé le plus, et d’en désirer obstinément l’histoire. […] Mais ce qui ne l’est point, ce fut son génie, son génie tout en âme, le plus puissamment humain et le plus puissamment moderne, — le plus nous tous, enfin, qui ait assurément jamais existé !

1548. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Or le Cri, c’est tout ce qu’il y a de plus intime, de plus saignant du coup et de plus jaillissant des sources de l’âme, et, malgré cela, de plus immatériel en poésie, comme en nature humaine, la Poésie et la Nature humaine étant les deux Captives de la Matière, et ne pouvant passer, comme tous les prisonniers, hélas !

1549. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

L’auteur de La Chanson des gueux, qui se chauffe avec les ossements des tombes et des têtes de morts tant il est affamé de flamme et de tableaux d’un tragique effréné, l’écrivain moins puissant, mais non moins ardemment épris de choses physiques, qui a écrit Les Morts bizarres et Les Caresses, et qui couve, en ce moment, comme le Chaos et la Nuit couvèrent l’Amour dans une terrible mythologie, l’œuf monstrueux de ses Blasphèmes, vient de nous faire, en Madame André, le livre le plus retenu, le plus contenu, le plus rassis, le plus didactique, le plus sage de la sagesse humaine, et le plus en dissonance et en contraste avec ce qu’il nous avait donné le droit de croire ses incoercibles instincts. […] C’est le sentimental, en effet, qui a parachevé, qui a léché ce type de madame André, qui renverse la hiérarchie humaine, transpose les sexes et fond la mère dans l’amante au profit de l’amant, qui n’est plus même alors le polichinelle de l’amour, mais qui en devient la poupée.

1550. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Du reste, au milieu de ces étranges nettetés, on trouve des inexpériences et des gaucheries de nature humaine qui indiquent dans M.  […] Avoir fait d’Hoffmann et d’Edgar Poë une combinaison honnête, avoir fait d’Hoffmann, l’halluciné de fumée de pipe, le nerveux suraigu, le labes dorsal qui vécut des années avec une moelle épinière à feu, et d’Edgar Poë, plus étonnant encore, d’Edgar Poë, l’ivresse la plus noire et la plus rouge qui se soit allumée jamais dans une tête humaine sans la faire éclater, le mangeur d’opium arrosé d’eau-de-vie, le delirium tremens devenu homme jusqu’à ce que l’homme fût entièrement tué par le delirium tremens, faire de ces deux puissants génies malades une petite créature qui ne se porte pas trop mal, et qui nous trempe l’esprit comme une mouillette dans une mixture… sans inconvénient, n’est-ce pas un début magnifique ?

1551. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Dans un roman qui devrait être, comme tout roman, une profonde ou riche étude du cœur humain, il nous a donné beaucoup de cabotinisme, suffisamment de Bade, beaucoup de Pologne, un peu de Californie, et, pour terminer la chose, une brûlure de danseuse en plein théâtre. […] Les scalpels eux-mêmes n’ont plus rien à voir dans un corps humain quand il tombe en déliquescence.

1552. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

mais la vie du Christ fut un combat pour que la terre n’appartînt pas aux brigands, et ce précédent les persuade qu’ils ont su concilier le devoir divin et le devoir humain. […] J’estime que j’ai eu toutes les joies de la terre, tout le bonheur humain, et que je puis m’en aller paisible.

1553. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Pendant de longues années, la sombre imagination anglaise, saisie de terreurs religieuses, avait désolé la vie humaine. […] Par dégoût des puritains, les courtisans réduisaient la vie humaine à la volupté animale ; par dégoût des puritains, Hobbes réduisait la nature humaine à la partie animale. […] « Parce que c’est là une preuve de confiance en soi-même. » Voilà le fond du cœur humain. […] Nous philosophons avec lui sur la nature humaine, et nous pensons, parce qu’il a pensé. […] Chez Molière, la vérité est au fond, mais elle est cachée ; il a entendu les sanglots de la tragédie humaine, mais il aime mieux ne pas leur faire écho.

1554. (1932) Les idées politiques de la France

Cet idéal et ce mouvement répondent à un sentiment humain profond, facilement communicable. […] C’est mettre ses conjectures à bien haut prix que de tailler quarante millions d’êtres humains, et les enfants de leurs enfants, sur le patron de ces conjectures ! […] Entendons un minimum de bonheur pour tous, la possibilité pour tous de connaître les biens propres à l’existence humaine. […] » on pouvait répondre : « Le bonheur humain pour principe, la conquête des pouvoirs publics pour moyen, la socialisation des moyens de production pour but ». […] Comme la géographie humaine, elle ne voit dans les matières politiques que des faits de civilisation.

1555. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Il voulait que son élève ne demeurât étranger à aucune connaissance humaine. […] Il expliquait avec pénétration le mécanisme abstrait des passions, des instincts, de l’égoïsme humain, et il crut toujours aux hommes : qui voulut le jouer, le joua. […] Ce n’est pas qu’il doive se priver des moyens humains de l’éloquence : Bossuet ne suit pas M.  […] Les subtiles analyses, les « anatomies » du cœur humain, qui ne servent que d’amusement intellectuel, ne sont pas son fait ; il se contente d’en dire assez pour que chacun se reconnaisse, rentre en soi-même, et tâche de s’améliorer. […] Entre la préface et la conclusion de cette partie, où s’étale éloquemment le dogme de la Providence dans son application aux grands faits de l’histoire, Bossuet étudie les causes humaines et physiques de la prospérité et de la ruine des peuples anciens.

1556. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Voici donc, selon nous, la véritable définition psychologique de la liberté, conforme à l’idée que le genre humain s’en est toujours faite : — La liberté est le maximum possible d’indépendance pour la volonté, se déterminant, sous l’idée même de cette indépendance, en vue d’une fin dont elle a également l’idée. — Nous trouvons ainsi dans la détermination de la volonté raisonnable deux idées directrices : l’idée de sa causalité propre et l’idée de sa finalité. […] Aussi ce que nous discernons clairement on nous par la réflexion est-il toujours moins que ce que nous sommes ; ce n’est pas le tout de notre caractère, le tout de notre être physique et psychique : ce n’est donc pas le sujet humain tout entier. […] Mais est-ce là l’idée que la conscience humaine se fait de la liberté ? […] Le déterminisme est-il complet s’il n’étudie pas l’influence de cette idée, qui, en fait, existe dans la conscience humaine ? […] Les deux partis adverses raisonnent chacun selon des hypothèses de leur invention et selon des définitions de leur fabrique, au lieu de prendre pour point de départ les faits donnés dans la conscience humaine.

1557. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Il est clair que, pour éprouver un sentiment à propos d’une lecture, pour que celle-ci puisse le susciter, il faut qu’on soit disposé de façon à l’éprouver, qu’on le possède ; or, la faculté de percevoir un sentiment n’est point une chose isolée et fortuite ; il existe une loi des dépendances des parties morales, aussi précise que la loi de dépendance des parties anatomiquesdr ; l’esprit humain se tient en toute son étendue ; la force d’une de ses facultés détermine celle des autres, et toutes réagissent et influent l’une sur l’autre. […] Il a laissé des études sur les Pygmées, les Polynésiens, le transformisme et les « précurseurs » de Darwin, « l’histoire générale des races humaines », ou encore la question de « l’unité de l’espèce humaine ». […] M. de Quatrefages reconnaît explicitement cette tendance (Unité de l’Espèce humaine, p. 214) dont les effets ne sont pas favorables à sa thèse. […] À titre de symptôme d’une époque, rappelons, entre autres choses, que l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855) de Gobineau, mort en 1882, venait d’être republié en 1884.

1558. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

En résumé, si on laisse de côté, dans la personne humaine, ce qui intéresse notre sensibilité et réussit à nous émouvoir, le reste pourra devenir comique, et le comique sera en raison directe de la part de raideur qui s’y manifestera. […] Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. […] Sous cette double influence a dû se former pour le genre humain une couche superficielle de sentiments et d’idées qui tendent à l’immutabilité, qui voudraient du moins être communs à tous les hommes, et qui recouvrent, quand ils n’ont pas la force de l’étouffer, le feu intérieur des passions individuelles. […] Si curieux que le poète comique puisse être des ridicules de la nature humaine, il n’ira pas, je pense, jusqu’à chercher les siens propres. […] Ainsi la vanité, cette forme supérieure du comique, est un élément que nous sommes portés à rechercher minutieusement, quoique inconsciemment, dans toutes les manifestations de l’activité humaine.

1559. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Jamais l’hymne du corps humain n’a été chanté en plus nobles strophes, la force superbe de la forme a resplendi d’un éclat incomparable pendant cette période de la civilisation grecque qui est comme la jeunesse et le printemps du génie humain. […] c’est plus de deux fois ce que Tacite appelle « un grand espace de la vie humaine ». […] Jamais telle soif de gloire ne brûla des lèvres humaines. […] Maintenant Théodore Rousseau repose à Fontainebleau, dans ce cimetière où nous avons déjà mené Decamps, à travers la forêt, par une journée de printemps qui semblait rire de la douleur humaine. […] Il y avait si longtemps que les Muses tenaient à leurs mains des bouquets artificiels plus secs et plus inodores que les plantes des herbiers, où jamais ne tremblait ni une larme humaine ni une perle de rosée !

1560. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

« Quelles solitudes que tous ces corps humains !  […] Ce qui les tente davantage, c’est la diversité de l’âme humaine, chacun de leurs sujets : un état de l’âme humaine, qu’ils étudient pour le seul plaisir de le connaître. […] L’histoire véritablement humaine, il l’oppose à l’histoire « politique ». […] Son histoire est, ainsi, humaine : et, ainsi, elle est individualiste. […] Ces ombres avaient des formes humaines.

1561. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1853 »

Dans cette âpre lutte contre les préjugés sucés avec le lait, dans cette lente et rude élévation du faux au vrai, qui fait en quelque sorte de la vie d’un homme et du développement d’une conscience le symbole abrégé du progrès humain, à chaque échelon qu’on a franchi, on a dû payer d’un sacrifice matériel son accroissement moral, abandonner quelque intérêt, dépouiller quelque vanité, renoncer aux biens et aux honneurs du monde, risquer sa fortune, risquer son foyer, risquer sa vie.

1562. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IX. De l’astronomie poétique » pp. 233-234

La force indéfinie de l’esprit humain se développant de plus en plus, et la contemplation du ciel, nécessaire pour prendre les augures, obligeant les peuples à l’observer sans cesse, le ciel s’éleva dans l’opinion des hommes, et avec lui s’élevèrent les dieux et les héros.

1563. (1913) Poètes et critiques

Il a voulu mettre à la portée des lecteurs les plus humbles les chefs-d’œuvre de l’esprit humain. […] Et quelle joie c’est encore pour nous de penser que, grâce à ces deux protecteurs intelligents et généreux, toute la noblesse d’une destinée humaine s’est accomplie ! […] Il écrivait alors : « Je n’entends pas un cri d’oiseau, rien, rien que le bruit d’une source, un petit bruit continu, allègre, pur, touchant comme un filet de voix humaine. […] Nous voyons briller cet espoir, si vivace et si exclusif, dans l’avenir de la science, dans la puissance illimitée de l’intelligence humaine, pour qui « tout mystère » doit finir par se dissiper. […] On a dit que l’histoire humaine était l’histoire des idées ; plus exactement, n’est-elle pas l’histoire des contresens, souvent magnifiques, que fait l’humanité sur les idées ?

1564. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Depuis le début du livre jusqu’aux deux tiers de l’ouvrage il n’y a pas beaucoup de variantes sur ce texte aussi borné que l’individualité humaine ; mais lorsque le volume tire sur ses dernières pages, une révolution subite se fait dans l’ensemble de l’œuvre. […] La grande difficulté comme le suprême mérite de l’art est de vaincre cette imperfection des instruments dont il dispose, et de faire pénétrer le lecteur jusqu’à l’essence des sentiments humains. […] Nous serions prêts à admettre que l’instinct du poète doit le renfermer dans l’intime partie de la nature, lui faire envisager l’âme humaine comme son meilleur domaine, et le rendre tellement sensible aux phénomènes de la vie, qu’il ne lui reste point de loisir pour relever les détails ajoutés de la main des hommes. […] Il vaut mieux laisser le diable de côté que de lui faire ressentir de l’intérêt pour les souffrances humaines. […] À un autre, à un poète, les honneurs, les couronnes les plus touffues ; mais à lui l’invention véritable du système, le plaisir d’organiser les succès naissants, et surtout le bonheur si vrai de l’analyse appliquée à ce qui sera avant peu, du moins on l’espère, un solide monument rival des anciens édifices élevés par le génie humain.

1565. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delarue-Mardrus, Lucie (1874-1945) »

Épictète, et elle ne s’est pas enfermée en une doctrine immuable, mais au cours des saisons et des heures — les saisons et les heures de toute une jeunesse — elle a chanté son émotion immédiate, tout en demeurant maîtresse absolue de sa volonté en présence du monde ; elle sait qu’une âme humaine, dans la fiction qu’elle se crée des êtres et des formes, est la principale collaboratrice, et que le véritable mystère est en elle, non dans les choses… Si elle se laisse attrister par les présages de mort épars dans les bois et dans le ciel d’automne, c’est qu’elle y aura consenti, et elle ne sera point l’esclave même du Beau, ayant écrit ce vers doré : Tâche d’aimer le Beau sans être son amant.

1566. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Ducoté, Édouard (1870-1929) »

Ducoté est un sincère, et quand il ne cherche pas à quintessencier, il sait dans une langue excellente exprimer des sentiments très humains et des sensations très délicates.

1567. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guimberteau, Léonce »

Guimberteau, Léonce [Bibliographie] Le Devenir humain, poème (1897).

1568. (1763) Salon de 1763 « Conclusion » p. 255

Réservons notre fouet pour les méchants, les fous dangereux, les ingrats, les hypocrites, les concussionnaires, les tyrans, les fanatiques et les autres fléaux du genre humain ; mais que notre amour pour les arts et les lettres, et pour ceux qui les cultivent, soit vrai et aussi inaltérable que notre amitié.

1569. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Prise dans ce sens général, l’expérience est l’unique source des connaissances humaines. […] Toutefois, la manière de procéder de l’esprit humain n’est pas changée au fond pour cela. […] Toute la connaissance humaine se borne à remonter des effets observés à leur cause. […] L’anatomie de l’homme semblait donc devoir être la base de la physiologie et de la médecine humaines. […] On ne peut trouver là que l’histoire de l’esprit humain, ce qui est tout autre chose.

1570. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Valéry, Paul (1871-1945) »

On n’isole pas impunément de la vie l’essence de toute beauté… Nous rêvons, je crois, d’un autre art, plus large, plus humain, avec des libres correspondances dans la nature et dans l’homme.

1571. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 222-224

Telle est la marche des passions humaines : timides & artificieuses dans leur naissance, elles sont bientôt injustes & tyranniques, pour peu qu’elles trouvent de l’appui.

1572. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 456-458

Qu’on lise toutes les Histoires divines, humaines & profanes, il ne se trouvera point que les impudiques & les mérétrices les aient jamais portés en public, jusques à cejourd’hui que le Diable est déchaîné par la France ; ce qui est encore plus détestable devant Dieu & devant les hommes, que toutes les autres abominations ; & bien qu’il n’y ait que les Courtisannes (ou Dames de Cour) & Demoiselles qui en usent, si est-ce qu’avec le temps n’y trouvera Bourgeoise ni Chambriere qui par accoutumance n’en veuille porter ».

1573. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 513-514

Il auroit dû sur-tout mettre plus en évidence l'ineptie des raisonnemens de nos Philosophes matérialistes, de ces esprits aussi vains qu'inconséquens, qui osent se dire les bienfaiteurs du genre humain, lorsqu'ils s'efforcent de le dégrader, en cherchant à le dépouiller de la plus précieuse de ses prérogatives.

1574. (1930) Le roman français pp. 1-197

Et, de cette date à 1847, les quatre-vingt-dix-sept volumes de la Comédie humaine. […] Incapable de distinguer clairement entre la réalité et le monde, énorme, des deux mille personnages de sa fourmillante Comédie humaine. […] C’est par cette forme que le sentiment reparaît chez elle dans la sensualité ; quelque chose alors d’animal et de très humain. […] Et ce saint, cet humble thaumaturge, cet homme de toutes les vertus divines et humaines, est hanté par le Diable ! […] Ceci est d’une importance infinie : il ne s’agit plus que de s’en servir pour faire, plus souvent, une œuvre d’un intérêt général plus humain.

1575. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Il se révolta contre la coutume462, reine illégitime de la croyance humaine, ennemie née et acharnée de la vérité, porta la main sur le mariage, et demanda le divorce en cas de contrariété d’humeurs. […] Ce n’était point une épopée divine qu’il pouvait produire, mais une épopée humaine. […] Elles vous l’ont débitée ; voici une scène de votre ménage : « Ainsi parla la mère du genre humain, et avec des regards pleins d’un charme conjugal non repoussé, dans un doux abandon, elle s’appuie, embrassant à demi notre premier père ; lui, ravi de sa beauté et de ses charmes soumis, sourit avec un amour digne, et presse sa lèvre matronale d’un pur baiser506. » Cet Adam a passé par l’Angleterre avant d’entrer dans le paradis terrestre. […] Debout auprès du berceau nuptial d’Ève et d’Adam, il salue « l’amour conjugal, loi mystérieuse, vraie source de la race humaine, par qui la débauche adultère fut chassée loin des hommes pour s’abattre sur les troupeaux des brutes, qui fonde en raison loyale, juste et pure, les chères parentés et toutes les tendresses du père, du fils, du frère. » Il le justifie par l’exemple des saints et des patriarches. […] Cette défense est écrite en latin : « Les deux plus grandes pestes de la vie humaine et les plus hostiles à la vertu, la tyrannie et la superstition, Dieu vous en a affranchis les premiers des hommes ; il vous a inspiré assez de grandeur d’âme pour juger d’un jugement illustre votre roi prisonnier vaincu par vos armes, pour le condamner et le punir, vous les premiers des mortels.

1576. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) I Aristote est un des grands types de l’esprit humain, peut-être le plus grand, si la justesse de l’esprit fait partie de sa perfection. […] Il acquit une fortune honorable dans cette intimité, comme on peut le conclure de son testament qui laissa son fils, Aristote, dans les meilleures conditions pour un philosophe, absorbé dans les études universelles, libre, aisé et désintéressé de tout, excepté du progrès de l’esprit humain en tous genres. […] Nous aimons à nous figurer qu’à des époques aussi reculées et dans des pays aussi barbares, la politique n’était qu’un vague instinct de la société humaine, sans morale, sans règle, sans définition, sans dénomination, sans tendance, agitant confusément l’humanité au gré de la force et de la ruse, tel, par exemple, que Machiavel dans le Prince l’entendait deux mille ans après. […] « Ainsi l’autorité et l’obéissance doivent être à la fois perpétuelles et alternatives ; et, par suite, l’éducation doit être à la fois pareille et diverse ; puisque, de l’aveu de tout le monde, l’obéissance est la véritable école du commandement. » XXV On regrette de trouver ici la recommandation platonique de l’abandon des enfants difformes ; loi humaine en opposition à la loi divine. […] À l’exception de ces deux erreurs qui ne sont pas siennes, mais celles de son temps et vieilles comme le genre humain, l’une relative à l’esclavage qu’il croit un crime de la nature, l’autre relative aux enfants nés difformes dont il admet l’infanticide par humanité, il n’y a pas une considération fausse dans tout le livre : c’est le catéchisme du monde social.

1577. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

J’assignais aux Allemands la mission de créer un art à la fois idéal et profondément humain sous une forme nouvelle ; mais je n’avais nullement l’intention de rabaisser pour cela le génie des nations romanes, parmi lesquelles la France a seul conservé aujourd’hui la force créatrice. […] L’acceptation de cette décadence humaine, quelque contradictoire qu’elle paraisse avec l’idée d’un progrès continu, semble pourtant la seule qui puisse nous donner une espérance fondée. […] Tous sont des symboles, tous ont un même sens, la direction de notre vie humaine au bonheur. […] Une morale du bonheur humain, et non superficielle ou casuistique, mais reposée à la nature même de l’Humaine Vie. […] Mais il condamne plus discrètement l’inégalité des conditions humaines.

1578. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Beethoven était et est toujours resté symphoniste ; cependant, il ressentit le besoin impérieux, dans la IXe Symphonie et dans la Missa, d’adjoindre à sa symphonie des paroles et des voix humaines, pour en préciseras sensations. […] Et ce qui peut aussi advenir, c’est que Wagner se trouve sur le même terrain sur lequel se trouvait Beethoven dans la IXe Symphonie et dans la Missa Solemnis, — qu’il n’ait besoin de paroles que comme un matériel sur lequel la voix humaine puisse se mouvoir, et de quelques indications dramatiques pour bien préciser et pour « réveiller des impressions », mais qu’au fond il s’agisse d’états d’âme par nous pressentis, inexprimables par des mots, et auxquels la musique seule peut donner une « certitude absolue ». […] L’image des lascives jouissances qui font arder de feux inextinguibles, venant surajouter leurs anhéleuses crispations aux convulsifs regrets de l’infortuné, porte à son apogée, le lugubre aspect de cet instant, et y appose ce cachet de monstrueuse souffrance, que l’esprit humain a concrètement réunis dans la conception de l’Enfer. […]   I L’Art, a dit Wagner, doit créer la Vie : non point la vie des sens, ou la vie de l’esprit, ou la vie du cœur, mais l’entière vie humaine, qui est tout cela. […] Mais la Grèce antique, déjà fort civilisée, et tard venue dans l’humaine évolution, a été la terre privilégiée des lettres.

1579. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

La décomposition humaine est une glaise qui salit vainement les doigts et avec laquelle on ne fera jamais une statue. […] L’habitude de montrer le creux des hommes ou leurs plus honteuses plénitudes finirait-elle par tyranniser la pensée de l’historien, et le rendrait-elle moins propre à nous peindre la perfection humaine et les limpides rayonnements de ses vertus ? […] En tant qu’historien de la lettre morte, en tant que peintre de l’individualité humaine et politique, Granier de Cassagnac est un des plus terribles pinceaux qui aient jamais traîné de cruelles ressemblances sur une impassible toile d’histoire. […] Ainsi, il l’est quand il nous raconte, avec un renseignement si précis et une phrase si nette, les irruptions diverses de cette glorieuse race gauloise, qui semble glorieuse de toute éternité, car on ne sait pas où elle a commencé dans les annales humaines, et qui, par l’étendue et la rapidité de ses invasions, a une espèce d’ubiquité dans l’histoire. […] C’était un autoritaire par amour de l’ordre, absolument nécessaire aux sociétés humaines, et c’était un monarchiste qui n’ignorait pas que les dynasties ne représentent pas seulement leurs augustes personnes, mais la propriété héréditaire du pouvoir.

1580. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

L’expression est en effet la première affirmation de l’activité humaine. La poésie est la langue naturelle du genre humain ; les premiers hommes furent, de par la nature, de sublimes poètes (Estetica, p. 31). […] Les Grecs ont créé un mot qui résume à lui seul une conquête de la pensée humaine : τὸ καλοκάγαθον, c’est-à-dire le Beau et le Bien unis indissolublement par une seule expression verbale […] L’Éducation sentimentale 50 a été, à mon insu, un effort de fusion entre ces deux tendances de mon esprit (il eût été plus facile de faire de l’humain dans un livre et du lyrisme dans un autre). […] Je n’en crois rien. — Cessons de reprocher à Corneille, à Racine leurs sujets historiques, la qualité sociale de leurs personnages ; mais ne croyons pas, d’autre part, que la tragédie soit morte avec les rois absolus ; elle existe encore, non dans le désir brutal de ces financiers véreux qui remplacent les Rodrigue et les Titus dans le théâtre actuel, mais partout où une pauvre âme humaine aspire à la perfection.

1581. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

J’aime mieux vivre avec dignité et tristesse que de trouver des joies factices dans l’esclavage et le mépris de moi-même. » Ce fut un an environ avant de quitter ses fonctions de précepteur (1825) qu’il publia une traduction du troisième volume des Éléments de la Philosophie de l’Esprit humain, par Dugald Stewart. […] En ce faisant, j’ai cru accomplir un grand acte de sagesse, me préparer de grands éloges de la part de la prudence humaine, et, l’événement arrivé, il se trouve que je n’ai fait qu’une grosse sottise… Enfin me voilà à deux mille lieues de mon pays, sans ressources, sans occupation, forcé de recourir à la pitié des autres, en leur présentant pour titre à leur confiance une histoire qui ressemble à un roman très-invraisemblable ; — et, pour terminer peut-être ma peine et cette plate comédie, un duel qui m’arrive pour demain avec un mauvais sujet, reconnu tel de tout le monde, qui m’a insulté grossièrement en public, sans que je lui en eusse donné le moindre motif ; — convaincu que le duel, et surtout avec un tel être, est une absurdité, et ne pouvant m’y soustraire ; — ne sachant, si je suis blessé, où trouver mille reis pour me faire traiter, ayant ainsi en perspective la misère extrême, et peut-être la mort ou l’hôpital ; — et cependant, content et aimé des Dieux. — Je dois avouer pourtant que je ne sais comment ils (les Dieux) prendront cette dernière folie. […] Je conclus donc que, pour un cœur droit qui se présentera devant eux avec cette ignorance pour excuse, ils se serviront de l’axiome de nos juges de la justice humaine : Dans le doute, il faut incliner vers le parti le plus doux ; transportant ici le doute, comme il convient à des Dieux, de l’esprit des juges à celui de l’accusé. » L’affaire du duel terminée (et elle le fut à l’honneur de Farcy), l’embarras d’argent restait toujours ; il parvint à en sortir, grâce à l’obligeance cordiale de MM.  […] En politique, il adoptait les idées généreuses, propices à la cause des peuples, et embrassait avec foi les conséquences du dogme de la perfectibilité humaine.

1582. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

En proie durant quinze années à cet inquiétant problème de la destinée humaine, il a voulu mettre ordre à ses doutes, à ses conjectures, et au petit nombre des certitudes ; il s’y est calmé, mais il s’y est refroidi. […] Jouffroy, où le pâtre intervient souvent, datent de cette rencontre ; c’est ce qui lui a fait dire dans son émouvant discours sur la Destinée humaine : « Le pâtre rêve comme nous à cette infinie création dont il n’est qu’un fragment ; il se sent comme nous perdu dans cette chaîne d’êtres dont les extrémités lui échappent ; entre lui et les animaux qu’il garde, il lui arrive aussi de chercher le rapport ; il lui arrive de se demander si, de même qu’il est supérieur à eux, il n’y aurait pas d’autres êtres supérieurs à lui…, et de son propre droit, de l’autorité de son intelligence qu’on qualifie d’infirme et de bornée, il a l’audace de poser au Créateur cette haute et mélancolique question : Pourquoi m’as-tu fait ? […] A propos de son cours sur la Destinée humaine, où il semblait n’indiquer qu’à peine aux jeunes âmes inquiètes un sentier religieux qu’on aurait voulu alors lui entendre nommer, on disait dans un article du Globe de décembre 1830 : « Comme un pasteur solitaire, mélancoliquement amoureux du désert et de la nuit, il demeure immobile et debout sur son tertre sans verdure ; mais du geste et de la voix il pousse le troupeau qui se presse à ses pieds et qui a besoin d’abri, il le pousse à tout hasard au bercail, du seul côté où il peut y en avoir un. » Le propre de M.  […] Mais il y a tout aussitôt et très-habituellement le côté bon, plébéien, condescendant, explicatif et affectueux, qui s’accommode aux intelligences, qui, au sortir d’un paradoxe presque outrageux, vous démontre au long des clartés et sait y démêler de nouvelles finesses ; une disposition humaine et morale, une bienveillance qui prend intérêt, qui ne se dégoûte ni ne s’émousse plus.

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