En même temps que l’esprit grave, mélancolique, de Vauvenargues, retardé par le scepticisme, s’éteint avant d’avoir pu s’appliquer à la philosophie religieuse où il aspire, des natures sensibles, délicates, fragiles et repentantes, comme mademoiselle Aïssé, l’abbé Prévost, Gresset, se font entrevoir et se trahissent par de vagues plaintes ; mais une voix expressive manque à leurs émotions ; leur monde intérieur ne se figure ni ne se module en aucun endroit. […] et à la moindre émotion, quel ébranlement redoublé de lames puissantes et douces, gigantesques, mais belles ; et surtout, et toujours, l’infini dans tous les sens, profundum, altiudo !
On tiraillait sur l’ennemi, sur l’absolutiste littéraire, jusque du haut du balcon de Juliette, et on espérait bien avec Roméo escalader, en dépit des unités, cet asile, ce sanctuaire trop interdit d’émotions et d’enchantements. […] Magnin, et de ne pas reconnaître avec émotion et sourire tout ce que lui doivent de gratitude d’anciens essais pris d’abord en main par lui et proposés du premier jour à l’indulgence.
La jeune fille de Saint-Cyr, tombée ainsi au milieu de ces gentilshommes révoltés, et de ce prochain de Bretagne moins joli et plus tumultueux que jamais, le prit sur un tout autre ton d’intérêt et d’émotion, on peut le croire, que Mme de Sévigné en son temps simple spectatrice pour son plaisir, du bout de son avenue des Rochers. […] Sa vue avait porté du premier coup d’œil sur Mme de Pontivy : il contint mal son émotion.
Il a le cœur bon : mais sa bonté ne passe pas dans son imagination ; elle se réalise en jugements, puis en actes, jamais en émotions, en représentations capables d’exciter le sentiment seul en dehors d’un objet présent qui sollicite aux actes. […] Car d’abord, la matière échauffe sa verve : tout ce qu’il était capable de concevoir d’émotion, se ramasse et se dépense sur ces sujets.
Au reste, comme saint Louis même, il est assez sûr de sa foi pour ne pas être esclave de l’Eglise : le saint roi prenait un jour le parti des excommuniés, le sénéchal est une fois excommunié, et porte légèrement la chose, sans crainte et sans émotion. […] C’est qu’à ce don de l’imagination, Joinville joint celui de la sympathie : il sent comme il voit, et avec les images amassées dans son souvenir se réveillent en foule les émotions qu’il a ressenties.
Mais surtout il a une rare délicatesse d’oreille : il a le sens et la science des rythmes, des sonorités, de leurs rapports subtils et efficaces au caractère de l’objet, aux émotions du lecteur. […] A la tragédie, il donne un ordre d’émotions ; à la comédie, un autre : et la représentation vraie des choses ne lui suffit pas, si on ne donne à cette représentation un agrément ou pathétique ou plaisant.
Il a un grand nez dont les mouvements trahissent ses émotions. […] On garde son sang-froid même dans l’observation la plus appliquée ou dans l’émotion la plus forte, et malgré soi on porte partout cette arrière-pensée que tout est vanité.
Si quelques-unes nous veulent parler du devoir, l’accent y manque, et l’image qui les fait briller y remplace l’émotion qui les rendrait persuasives. […] Le souvenir inspire mieux le poète que l’émotion présente.
Mais ces idées sont vraies et salubres, revêtues d’art et de vraisemblance, exprimées par des caractères d’une grâce charmante ou d’un relief vigoureux, attendries par une émotion pénétrante. […] Mais la qualité supérieure de la pièce, son charme essentiel, sa sympathie pénétrante est l’émotion dont elle est remplie.
On comprend déjà ce que j’ai voulu dire quand j’ai parlé de cette perfection de culture et de goût chez une personne qui, à l’âge de quinze ans, vit naître Esther, qui en respira le premier parfum et en pénétra si bien l’esprit, qu’elle semblait, par l’émotion de sa voix, y ajouter quelque chose. Cette émotion, avec tout ce qu’elle promettait de sentiments prêts à éclore, Mme de Caylus ne l’eut pas seulement dans la voix.
Hégésippe Moreau a eu ce bonheur au milieu de toutes ses infortunes, et aujourd’hui, si l’on interroge sur le compte du poète celle qu’il appelait alors sa sœur, elle répond en nous montrant au fond de son souvenir ce Moreau de seize ans, « de l’âme la plus délicate et la plus noble, d’une sensibilité exquise, ayant des larmes pour toutes les émotions pieuses et pures ». […] Il s’accoutuma, durant cette période fatale et fiévreuse de deux ou trois années, à une vie irrégulière, désordonnée, errante, toute d’émotions et de convulsions.
Je la trouvai savante sans pédanterie, animée dans la conversation, pure dans les sentiments, et élégante dans les manières ; et cette première émotion soudaine ne fit que se fortifier par l’habitude et l’observation d’une connaissance plus familière. […] Peignant le bonheur de deux époux fidèles, et celui du père en particulier qui, se revoyant tout vivant dans les traits de ses enfants, y lit la pudicité de son épouse, la vérité de son émotion la fait arriver à l’expression parfaite et au coloris : Quelquefois même, un époux tendrement aimé se voit seul tout entier dans les traits de ses enfants.
Dans le désarroi universel des énergies, on ignore le but poursuivi, on redoute l’émotion pour rechercher la sensation et, depuis qu’on ne cesse de nous répéter qu’il faut aller vers la Vie, qu’il faut vivre, la quantité des œuvres artificielles n’a cessé d’augmenter. […] Nous recherchons l’émotion saine et divine.
Sous le feu de la forge, sous la rayonnante ciselure, que d’émotion encore dans l’âme du poëte, quel charme nouveau dans sa peinture de l’enfance, dans sa plainte d’être dérangé, dans sa joie d’être inspiré par les jeux et les bruits de ses petits enfants ! […] Ces chants et d’autres encore pouvaient paraître d’heureux échos d’une harmonie connue, des reflets d’enthousiasme dont l’ardeur même atteste plutôt l’émotion du souvenir que la soudaine création du génie.
Son livre, en un mot, s’il l’avait exécuté comme il l’avait conçu, n’aurait pas été seulement destiné aux moralistes et aux penseurs ; il aurait eu pour objet d’acheminer et d’entraîner tout un peuple moins relevé de lecteurs par l’attrait, par le mouvement graduel et l’émotion presque dramatique d’une marche savamment concertée.
A la vue des vastes et profondes émotions populaires qu’il avait à décrire, au spectacle de l’impuissance et du néant où tombent les plus sublimes génies, les vertus les plus saintes, alors que les masses se soulèvent, il s’est pris de pitié pour les individus, n’a vu en eux, pris isolément, que faiblesse, et ne leur a reconnu d’action efficace que dans leur union avec la multitude.
Si l’on est attentif à l’impression littéraire qu’on éprouve à la lecture de Tacite, si on la dégage de tant d’autres émotions non moins vives qui la compliquent, voici ce qu’on observe, je crois.
Le jeune Ferdinand, étranglé d’émotion, rate son solo.
Blémont cite, avec émotion, ces paroles prononcées par Swinburne à propos de l’Année terrible de Victor Hugo : « Non, maintenant, après tant de sombres jours, après tant de terreurs et tant d’angoisses, aucun ami de la France ne peut refuser à Paris la grandeur et la dignité que le premier de ses enfants a ainsi constatées au temps de ses misères.
La chimérique mélancolie qui alanguissait les esprits aux environs de 1890, et depuis une dizaine d’années, les passe-temps où ils se plaisaient, aucune de leurs occupations ni des émotions dont ils s’ampoulaient, n’étaient susceptibles de convenir à de frémissants écrivains auxquels leurs pères ont su transmettre un peu de ces haines généreuses qui les animaient avec force pendant la guerre et après la Commune.
On propose donc une autre classification ; « Il y a deux sortes de style : le style visuel et le style émotif, l’un qui procède de la vision, l’autre de l’émotion.
La langue qu’il parle est de toute beauté, à part le sentiment qui y palpite ou l’émotion qui s’y répand ou qui s’y concentre.
« Un doux éclat de soleil couchant — nous dit-il plus loin, avec ce sentiment de poète qui sent la poésie dans les autres, — rayonne de l’âme de Hebel, pure et tranquille, et teint de rose toutes les hauteurs qu’il fait surgir. » Et Jean-Paul ajoute cette phrase mélodique et enchantée du ranz des vaches que son imagination pastorale jouait toujours : « Hebel embouche d’une main la trompe alpestre des aspirations et des joies juvéniles, tout en montrant, de l’autre, les reflets du couchant sur les hauts glaciers, et commence à prier quand la cloche du soir se met à sonner sur les montagnes. » De son côté, Goethe, ce grand critique, ce grand esprit lymphatique, ce Talleyrand littéraire qui fait illusion par la majesté de l’attitude sur la force de sa pensée, cet homme que l’on a cru un marbré parce qu’il en a la froideur, Goethe, ce blank dead, comme l’appelleraient les Anglais, ce système sans émotion et dont le talent fut à froid une combinaison perpétuelle, disait de cette voix glacée qui impose : « L’auteur des poésies allemaniques est en train de se conquérir une place sur le Parnasse allemand.
qui faisaient contre-sens, mais le grand sens, le sens humain, l’émotion, la profondeur de la pensée, le grandiose de l’image, fût-elle exprimée par une mauvaise plume, comme une tête de buste qu’on déterre est cassée par un extracteur maladroit, nous l’avions pourtant, nous pouvions en juger, — et il y a plus : ce n’est peut-être que dans de mauvaises traductions que l’on peut avoir l’essentiel, l’indestructible, la partie irréductible des grands poètes.
Louandre n’a été ni assez philosophe ni assez poète ; il a été de l’entre-deux, et c’est dommage… Car, s’il avait pris les choses seulement par le côté poétique, il aurait pu nous donner un livre où la science du chroniqueur et de l’antiquaire se serait mêlée à ce qui fait vivre les livres plus que la science elle-même : le style, la couleur, l’émotion !
Admettez un tiers à cette conversation, il ne concevra point ce que ces mots ont de touchant, ni pourquoi ils excitent une émotion si tendre, et font peut-être verser les plus douces larmes : telle est l’image du différent effet que produisent les beautés accessoires et les finesses d’expression dans une langue vivante ou dans une langue morte ; plus un écrivain a de ce genre de beautés, plus il doit perdre.
Le sentiment par lui-même est une source d’émotion, non de connaissance. […] Ces émotions participent de la dignité de la raison et de la mobilité de l’imagination et de la sensibilité. […] Dès qu’il connaît la peur, dès qu’il partage l’émotion commune, l’artiste s’évanouit, il ne reste plus que l’homme. […] L’émotion que produit le beau tourne l’âme de ce côté ; c’est cette émotion bienfaisante que l’art procure à l’humanité. […] Elle résume en quelque sorte tout le tableau, et lui donne son caractère, celui d’une émotion profonde et contenue.
Elle avait infiniment de bon sens, et cela ne l’empêchait point d’être une fille spirituelle de Rousseau, passionnée comme Julie et Saint-Preux, et comme eux éloquente dans les heures d’émotion. […] Ce qu’il faut à l’artiste ou au poète, c’est l’émotion. […] « Je l’aimais comme un père, et tu étais notre enfant à tous deux. » Elle lui rappelle aussi leurs émotions solennelles « lorsque tu lui arrachas, à Venise, l’aveu de son amour pour moi, et qu’il te jura de me rendre heureuse. […] À tant d’éloquence, à tant d’émotion, on eût pu deviner qu’une crise morale était proche, et que la passion cherchait l’auteur de l’Andalouse. […] Quelques-uns (« Sur une morte », « Tristesse ») ont de l’émotion.
Chez l’homme, l’influence du cœur sur le cerveau se traduit par deux états principaux entre lesquels on peut supposer beaucoup d’intermédiaires : la syncope et l’émotion. […] L’émotion dérive du même mécanisme physiologique que la syncope, mais elle a une manifestation bien différente. […] L’émotion au contraire, qui envoie au cerveau une circulation plus active, donne une expression positive, en ce sens que l’organe cérébral reçoit une surexcitation fonctionnelle en harmonie avec la nature de l’influence nerveuse qui l’a déterminée. […] Quand on dit qu’on a le cœur gros, après avoir longtemps été dans l’angoisse et avoir éprouvé des émotions pénibles, cela répond encore à des conditions physiologiques particulières du cœur. […] Quand une femme est surprise par une douce émotion, les paroles qui ont pu la faire naître ont traversé l’esprit comme un éclair, sans s’y arrêter ; le cœur a été atteint immédiatement et avant tout raisonnement et toute réflexion.
Si l’on aime les lieux où l’on a goûté le bonheur ; si les arbres, le verger, les bois, si les plus humbles objets qui furent témoins de nos heureuses années ne se revoient pas sans une tendre émotion, pourquoi refuserais-je ma connaissance à ce bâton qui, non-seulement fut le témoin, mais aussi l’instrument de mes plaisirs ? […] Il se croit malade par manie, il se fait élégant faute de mieux ; sa jeunesse se va perdre dans les futilités, et son âme s’y dessécher, lorsqu’une nuit, allant au bal du Casino, un incendie qu’il admire d’abord comme pittoresque, le prend au collet sérieusement ; il est obligé de faire la chaîne avec ses gants blancs ; il s’irrite d’abord, puis la nouveauté de l’émotion le saisit ; le dévouement et la fraternité de ces braves gens du peuple lui gagnent le cœur : il a retrouvé la veine humaine, et son égoïsme factice s’évapore. […] Presque surpris une seconde fois par le chantre soupçonneux qui rôde, il n’a que le temps de se réfugier dans l’église ; il s’y laisse enfermer, y passe la nuit, et, accablé de fatigue et d’émotions, s’y endort profondément.
À ces époques, l’esprit humain, s’éveillant d’un long sommeil, comme Adam dans l’Éden, contemple avec un naïf étonnement les merveilles au milieu desquelles il habitait sans les voir, et, à l’aspect de tant de beautés nouvelles, sent en lui des émotions et des facultés inconnues. […] « Or la sculpture est, parmi les beaux-arts, celui qui a pour but spécial de reproduire la figure de l’homme dans sa perfection idéale, abstraction faite des difformités accidentelles et des émotions passagères qui peuvent en altérer la majestueuse harmonie. […] On conçoit mon émotion : pendant tout le reste de la navigation jusqu’au Pirée, le port d’Athènes, alors dépeuplé et solitaire, ce ne fut qu’un regard sur le Parthénon.
Il répondit encore clairement aux questions faites à voix basse par les membres de la famille réunis avec sollicitude autour de son lit, et surtout de sa chère nièce l’épouse du ministre de Bülow et de son neveu le général de Hedemann, enfin de son fidèle serviteur Seiffert… Alors il se tut et ferma les yeux, sans souffrance, le 6 mai, à deux heures et demie de l’après-midi, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, sept mois et quelques jours. » III « Tout Berlin ressentit, à la nouvelle de cette mort, la même émotion que si l’on avait perdu le père le plus chéri. […] « Quel jour d’émotions, de deuil, de malheur pour moi que celui d’hier ! […] Nous ne l’explorerons pas, comme le fait la philosophie de l’art, pour distinguer ce qui dans nos émotions appartient à l’action des objets extérieurs sur les sens, et ce qui émane des facultés de l’âme ou tient aux dispositions natives des peuples divers.
Votre ténor sera livide, non de peur, mais d’émotion. […] Mon émotion est trop violente. […] Non que je sois antiwagnérien au point de vue musical, au contraire ; j’aime et j’admire l’œuvre du maître de Bayreuth et des larmes d’émotion me viennent aux yeux, lorsque j’entends certains fragments des Nibelungen ; mais mon patriotisme est froissé, à l’idée qu’on jouerait sur un théâtre subventionné l’opéra d’un homme qui, ouvertement, s’est toujours montré hostile à la France.
Les effets émotionnels d’un livre ou de toute autre œuvre d’art ne peuvent être perçus que par des personnes capables de ressentir les émotions que ce livre suggère. […] En musique, de même, les admirateurs d’une symphonie doivent être capables de ressentir les émotions que celle-ci exprime et posséder en outre cette tendance à percevoir les sentiments dans leur mode auditif, sans laquelle on ne compose pas. […] Taine, le fait que, dans un même milieu et une même race, des auteurs et des artistes ont vécu, dont les œuvres ont des caractères absolument contraires entre elles, excellent par des qualités adverses et recourent à des émotions et à des effets incompatibles.
ce n’est pas tant la vue de la pierre précieuse dont il est orné qui a pu exciter l’émotion du roi, que… Les deux gardes , ensemble. […] Une réflexion puissante vient-elle à jaillir de la profondeur de la contemplation ou de la force de la situation ; le poète a-t-il à réduire en sentences énergiques une morale élevée ; se livre-t-il à une imagination aussi exubérante que le ciel, le sol et le climat de l’Inde ; s’élance-t-il jusqu’à la plus grande hauteur de l’expression poétique pour rendre la délicatesse de la passion, le charme de la sensibilité, le pathétique de la pensée, la fureur de la colère, l’extase de l’amour ; en un mot, tout ce que l’âme humaine a d’émotions terribles et profondes : alors la prose de l’écrivain devient de plus en plus cadencée, et, par des modulations qui suivent les ondulations et les transports de la passion, elle s’élève peu à peu jusqu’à une diversité infinie de rythmes, tantôt simples, tantôt compliqués, brefs ou majestueux, lents ou rapides, harmonieux ou véhéments ; et cette diversité même rend souvent le théâtre indien tout aussi difficile à étudier que celui d’Eschyle et de Sophocle, également riche, également fécond en jouissances et en difficultés que les langues modernes ne connaissent pas. […] Les métaphysiciens de l’Inde, qui se sont occupés de l’art dramatique, comptent huit espèces d’émotions constituant le pathétique, ou la passion dont cette poésie doit agiter les âmes.
Quel sera donc le mobile de ces travaux exécutés en dehors de toute croyance, de toute émotion profonde ? […] Dans le milieu qui se forme autour de certaines âmes, on entre comme dans les sanctuaires dont le silence même nous remplit de religieuses émotions. […] On ne peut rendre sous une forme à la fois idéale et vraie qu’une émotion que l’on a éprouvée, ou que l’on est capable de sentir. […] Loin donc, bien loin du poète tous ces excitants qui pourraient le tromper lui-même sur la nature et la sincérité de son émotion. […] Le propre de la science et de l’intelligence pure, c’est de se suffire à elles-mêmes, de se passer du sentiment, d’exclure l’émotion.
A vrai dire, le dramatique est là où se trouve l’émotion, et la grande supériorité du roman sur la pièce de théâtre, c’est que toute émotion est de son domaine. […] Bourget a remarqué que, quand Salammbô s’empare du zaimph, de ce manteau de la Déesse « tout à la fois bleuâtre comme la nuit, jaune comme l’aurore, pourpre comme le soleil, nombreux, diaphane, étincelant, léger… », elle est surprise, comme Emma entre les bras de Léon, de ne pas éprouver ce bonheur qu’elle imaginait autrefois : « Elle reste mélancolique dans son rêve accompli… » L’ermite saint Antoine, sur la montagne de la Thébaïde, ayant, lui aussi, réalisé sa chimère mystique, comprend que la puissance de sentir lui fait défaut ; il cherche avec angoisse la fontaine d’émotions pieuses qui jadis s’épanchait du ciel dans son cœur : « Elle est tarie maintenant, et pourquoi… ? […] Aussi avec quel art l’auteur relie Sylvestre ou vivant ou mort à ces deux héros pour parer à l’inconvénient de voir l’intérêt et l’émotion se partager !
Elle est d’une émotion pénétrante, et serait d’un effet irrésistible au théâtre. […] Marie, pendant toute la cérémonie, ne laissa paraître nulle trace d’émotion. […] Maurice Montégut est un des romanciers trop rares qui ont, avec la netteté de la forme, le don de l’intérêt et de l’émotion. […] — Je t’aime bien, va (En rabaissant sa voilette, avec un commencement d’émotion, mais si menue.) […] Nous regrettons de n’avoir pas un peu de vin à lui donner à boire pour le remettre de l’émotion.”
Ce n’est pas avec une vertueuse sensibilité que ces poètes nous peignent la passagère destinée de l’homme ; si leur âme se montrait capable d’émotions profondes, on leur demanderait de combattre la tyrannie, au lieu de chanter l’usurpateur.
Sans doute, l’homme qui s’est vu l’objet de la passion la plus profonde, qui recevait à chaque instant une nouvelle preuve de la tendresse qu’il inspirait, éprouvait des émotions plus enivrantes ; ces plaisirs, non créés par soi, ressemblent aux dons du ciel, ils exaltent la destinée ; mais ce bonheur d’un jour gâte toute la vie, le seul trésor intarissable, c’est son propre cœur.
Une promenade de Paul et Virginie, une averse torrentielle, la crise du départ, la tempête où se perd le Saint-Géran : voilà les événements et les ressorts de l’émotion.
Ce n’est point ma faute si des phrases comme celles-ci me délectent profondément : « Ce n’est pas sans une respectueuse émotion que nous avons été admis en présence de ce vieux lutteur… La glorieuse locomotive habite un modeste appartement de garçon, au cinquième sur la cour… Nous sommes immédiatement introduits dans le cabinet de toilette de la respectable machine à vapeur, qui est en train de se passer un bâton de cosmétique sur le tuyau, innocente coquetterie de vieillard. » La conversation s’engage.
Le poète a ressenti profondément l’inquiétude et l’émotion de son temps.
Parce qu’il avait dans sa jeunesse contemplé de près la splendeur des montagnes et des lacs, vécu dans leur, intimité, respiré dans l’air pur l’âme des paysages alpestres ; parce qu’il avait parcouru à pied la Suisse et la Savoie, deux pays où des contrastes grandioses et charmants parlaient plus qu’ailleurs aux yeux et aux cœurs, où les fêtes, les usages, la vie de tous les jours avaient encore la saveur d’une agreste simplicité ; parce qu’enfin cet être si sensible, écrivant en un moment où la sensibilité se réveillait en France, rencontrait des lecteurs préparés aux émotions qu’il allait leur communiquer.
Quelques têtes éprises de la force, comme celle de Stendhal, par exemple, qui aimait mieux le brigandage que la civilisation, et qui avait rêvé d’écrire l’Histoire de l’énergie en Italie, peuvent, par amour de l’émotion, poétiser un temps où le danger et la mort étaient noblement au bout de tout ; mais il n’y avait pas au XVIe siècle que la palpitation héroïque, chère aux hommes de courage, il y avait, dans les mœurs, autant de corruption et de bassesse que d’atrocité.
On dirait que son émotion est de la même taille que sa sagacité, sa faculté de sentir tristement adéquate à sa faculté de comprendre.
L’émotion des auditeurs est extrême, dans la liberté de l’ivresse ; et Néron, qui a compris la plainte, n’a plus qu’à l’étouffer par une prompte mort.
Je vous ai aimé d’un sentiment nouveau qui avait plus de vie, plus de dévouement, plus d’émotion, que tout ce que j’avais éprouvé pour vous jusqu’alors. […] Cette émotion qu’on éprouve quand on exprime ce qu’on a dans l’âme est une impulsion à laquelle il faut céder et qui nous vient d’une céleste source. — Je resterai encore trois mois. […] Tenons-nous-en donc à la lettre suivante de Mme de Staël, écrite sous le coup même de l’émotion, et qui n’est pas sans ajouter quelques traits bien caractéristiques à ce qu’elle a écrit ailleurs et à ce qu’on savait déjà : « Ce 1er novembre (1810), Coppet. […] Ce sera une telle émotion pour moi et les miens que vous voir — Je vous remercie des renseignements que vous m’avez envoyés ; mais vous avez ôté le nom de l’homme, de manière qu’il est impossible de lui écrire directement. — Croyez-vous que Mme Lyonne de Boyer ait vraiment envie de venir ici ? […] Sa parole est ardente, et comme aux jours de fructidor, quand une accusation injuste, quand une mesure illégitime vient froisser sa conscience, quand un appel à l’iniquité s’élève, quand la Constitution, la Charte, lui paraît en péril, il est des premiers à protester avec émotion : il s’enflamme, et son éloquence a cela de particulier entre toutes, qu’elle exhale le cri des entrailles.
Je m’assis sur ce banc à tes côtés ; une émotion mêlée de respect, d’attendrissement et de tristesse m’empêchait de parler. […] Je m’éloignai rapidement, le cœur plein d’une émotion difficile à décrire. […] « Je m’arrête, monsieur ; il est difficile de ne pas se laisser entraîner à quelque émotion quand on parle des souvenirs les plus doux et les plus mémorables de sa vie. » Notre siècle aime ces détails intimes, il n’en a jamais trop. Ne serait-il pas permis toutefois de relever ici une sensibilité littéraire un peu prolongée, une émotion un peu voulue et un peu factice ? […] Ampère sans doute pouvait faire théoriquement profession de républicanisme, mais c’était un pur républicain de salon qui n’avait jamais, il faut bien le savoir, écrit dans sa vie un seul article politique, comme nous tous avions fait plus ou moins : lui, il s’était toujours abstenu ; je le répète, ni sous la Restauration, ni durant les dix-huit années de Louis-Philippe, Ampère n’avait jamais imprimé une seule ligne de politique, ce qui n’empêchait pas qu’il ne fût fort vif en causant et fort sincère, qu’il ne tînt même à faire acte de présence au National du temps de Carrel les jours d’émotion ou d’émeute, sauf à regarder brusquement à sa montre et à se rappeler qu’il n’avait plus que juste le temps de courir à l’École normale faire une conférence sur Gongora ou le cavalier Marini.
L’émotion profonde les a ébranlées et un unisson s’en échappe, qui a passé dans le rythme des vers, dans la mystérieuse sonorité des mots. […] Ses vers sont ingénieux, habiles, savants, chargés d’idées, chargés même d’émotion. […] La terreur est de toutes les émotions humaines celle qui a le moins le besoin du temps. […] Par derrière les émotions des personnages du Réquisitionnaire nous apercevons pareillement toutes les victimes de la Révolution et tous les bourreaux. […] Il parlait et racontait sa vie au hasard de son émotion.
L’instinct dramatique, le besoin d’émotion et d’expression, se trahissaient en tout chez elle. […] Clémentine, Clarisse, Julie, Werther, ces témoins de la toute-puissance du cœur, comme elle les appelle, sont cités en tête des consolateurs chéris : il est aisé de prévoir, à l’émotion qui la saisit en les nommant, qu’il leur naîtra bientôt quelque sœur. […] Il y avait dans ses écrits, dans sa conversation, dans toute sa personne, une émotion salutaire, améliorante, qui se communiquait à ceux qui l’entendaient, qui se retrouve et survit pour ceux qui la lisent. […] Ajoutez la nécessité si invraisemblable, et très-fâcheuse pour l’émotion, que ces personnages s’enferment pour écrire lors même qu’ils n’en ont ni le temps ni la force, lorsqu’ils sont au lit, au sortir d’un évanouissement, etc., etc. […] Heureux trouble, qui nous tente de renaître aux émotions aimantes et à la faculté de dévouement de la jeunesse !
Devant cette grande émotion, métaphysique et théologie, cérémonies et discipline, tout s’efface ou se subordonne, et le christianisme n’est plus que la purification du cœur. […] Car la race est, par nature, capable d’émotions profondes, disposée, par la véhémence de son imagination, à comprendre le grandiose et le tragique, et cette Bible, qui est à leurs yeux la propre parole du Dieu éternel, leur en fournit. […] Vous ne remuerez les hommes de cette race que par des réflexions morales et des émotions religieuses. […] Je sentais comme si j’aurais pu à la lettre m’envoler dans le ciel. » Le dieu et la bête que chacun de nous porte en soi étaient lâchés ; la machine physique se bouleversait ; l’émotion tournait à la folie, et la folie devenait contagieuse. […] Ils traitent les figures poétiques des Écritures, les audaces de style, les à-peu-près de l’improvisation, les émotions hébraïques et mystiques, les subtilités et les abstractions de la métaphysique alexandrine, avec une précision de juristes et de psychologues.
vous ne trouverez ici qu’émotion réelle dans une langue parfaite, langue formée aux fortes études classiques, puis d’ensuite, les plus décisives peut-être, du moins dans les cinq sixièmes des cas. […] Quel sublime cornélien mêlé à l’émotion shakspearienne avec ce je ne sais quoi de spécialement ému et sublime qui n’appartient qu’à Hugo ! […] Barbey d’Aurevilly, dans les Émaux et Camées (titre par parenthèse qu’il trouve mauvais, en proposant celui de Perles fondues), un pas vers l’émotion et la passion du poète de la Comédie de la mort ! […] Il faut, certes, avoir la berlue ou un étrange parti-pris pour découvrir de l’émotion, comme l’entendent MM. […] Il y a dans ces strophes tant de cœur, tant de vie, tant d’émotion !
Je ne le regarde jamais sans émotion ; il me semble que j’écoute grincer sur le papier la plume qui écrivit les Liaisons Dangereuses. […] Je ne vois jamais sans émotion et respect apparaître entre les arbres son visage impassible que couronne du laurler d’or une Muse fidèle. […] Avec quelle émotion je me souviens encore du cordial accueil fait au jeune visiteur ! […] Je les dispose en bon ordre ; je les regarde avec amitié et non sans quelque émotion. […] Barrès fréquente l’Espagne et l’Italie, en quête d’émotions sentimentales.
…………………………………………………………………………………………… On doit juger, d’après cela, quelle devait être mon émotion lorsque, à la visite du jour de l’an, il fallait lui réciter ma fable, puis embrasser sa main, qu’elle dégantait tout exprès. […] Il y eut encore un silence : il demeura quelque temps devant moi dans une attitude de réflexion profonde ; puis, relevant la tête, il reprit avec une émotion extraordinaire dans la voix : — Et les drapeaux ? […] Tu devines mon émotion, ma surprise, mon saisissement. […] Épuisé d’émotion, Fressermann veut retourner en Europe. […] La duchesse d’Orléans était cette fois dans le cabinet de son mari, et lorsque j’y entrai, je les trouvai tous deux en proie à la plus vive émotion.
Le rire et l’émotion flottaient toujours sur ses lèvres. « Nous restons tous de grands enfants, disait-il. […] Tous les amis assistèrent à ce spectacle, entre autres, s’il m’en souvient bien, Georges Dumas, Pierre Mille, Moréas, Pingaud, Dubreuilh, Gustave Khan et sa femme, qui s’évanouit d’émotion. […] Jules Lemaître, lui, écrit avec une étreinte, une émotion qui vient du dedans et qui vous captive, parce qu’il est pris lui-même et captivé tout entier. […] Il mêlait malgré lui l’émotion et le comique. […] Bouleversée d’émotion en lisant ce récit, qui ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait lu jusqu’alors, Mme Adam courut porter le manuscrit à Alphonse Daudet.
Encore à cette heure, pour ma part, si l’on me permet de me citer en exemple, je ne transcris pas ces lignes sans émotion. […] Il nous le montre réservé, taciturne, se dressant « à céler aux autres les émotions de son âme trop tendre ». […] Je l’ai trop aimé, je l’aime trop pour n’être point partial à son égard, comme envers un artiste à qui l’on doit des émotions sans analogue. […] Soyons très prudents à ranger parmi les puissances du passé les idées et les émotions dont nos pères ont vécu. […] Il est le seul qui ait éveillé chez moi les émotions de l’intelligence, et avec quel charme !
À peine y fus-je arrivé qu’une vive émotion patriotique s’éleva contre moi. […] Un de mes amis avait relevé ma cause dès la première émotion de cette querelle, et il avait écrit, en quelques pages de sang-froid et d’analyse, une défense presque judiciaire de mes vers calomniés. […] Le passage inculpé est une imprécation poétique contre l’Italie en général ; imprécation que prononce Childe Harold au moment où, quittant pour jamais les contrées de l’Europe, contre lesquelles sa misanthropie s’exhalait souvent avec toutes les expressions de la haine, il s’élançait vers un pays où son imagination désenchantée lui promettait des émotions nouvelles.
Cette vue, nous l’avons acquise par nos propres expériences, nous la devons aux prodigieuses mutations du pouvoir et de la société qui se sont opérées sous nos yeux ; et, chose singulière, une nouvelle intelligence de l’histoire semble naître en nous, à point nommé, au moment où se complète la grande série des renversements politiques, par la chute de l’empire élevé sur les ruines de la République française, qui avait jeté à terre la monarchie de Louis XVI. » En même temps que le sens historique s’aiguisait ainsi, des idées inconnues surgissaient ; des émotions nouvelles, matière littéraire s’il en fut, sollicitaient les écrivains. […] Un simple coup d’œil révèle l’immense développement pris par le roman, cette réduction de l’épopée, qui est le régal des femmes, de, la jeunesse et des gens du peuple, parce que ces trois catégories de personnes, ayant une imagination plus neuve ou une sensibilité plus vive, éprouvent un insatiable besoin d’aventures et d’émotions factices. […] A ceux-là, nous devons des œuvres niaises et plates, ou criardes et enluminées comme des images d’Epinal, n’ayant souci ni de style ni de vraisemblance, relevant moins de l’art que de l’industrie : chansons dont la musique aigrelette est digne des paroles ineptes ou grossièrement bouffonnes ; romans interminables déroulés durant des mois au rez-de-chaussée d’un journal, débités par tranches à des abonnés patients et promenant du bagne à la cour, du boudoir à l’hôpital, tout un monde de personnages comme on n’en voit qu’en rêve ; mélodrames naïfs et voyants, pauvres de psychologie, mais riches de coups de théâtre et de coups de fusil, rouges de sang et de feux de Bengale, fertiles en miracles de la Providence et du machiniste, étourdissant les yeux et les oreilles par l’éclat des costumes, des décors et des tirades ; littérature faite Sur commande pour un public friand de grosses émotions et de spectacles qui parlent aux sens, parce qu’il ne sait pas encore apprécier des mets plus délicats, parce qu’il n’est initié que d’hier aux jouissances esthétiques, parce qu’il n’a pas fait son apprentissage littéraire.
Et autour, au-dessous de cette dominante pensée, combien d’autres d’une émotion plus circonscrite, mais non moins pénétrante ! […] Il s’élevait une profonde voix, Âme, soupir, émotion guerrière, Regret aussi de nos antiques droits, Le tout confus comme un gros de poussière Que la déroute envoie en tourbillons, Comme du sang fumant dans les sillons !
Une grande confusion, à cette époque, couvrait l’état réel des doctrines ; l’émotion tumultueuse des partis pouvait donner le change sur le fond même de la société. […] Quant à ce qui touche le genre d’émotions auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie.
Il n’aime guère la femme ; il ne songe pas à se marier : « Je ne sais si un certain fonds de paresse et un trop grand amour du repos et d’une vie exempte de soins, un goût excessif pour l’étude et une humeur un peu portée au chagrin, ne me feront toujours préférer l’état de garçon à celui d’homme marié. » Il n’éprouve pas même au sujet de la femme et contre elle cette espèce d’émotion d’un savant une fois trompé, de l’antiquaire dans Scott, contre le genre-femme. […] S’il a perdu à ce manque d’émotions tendres quelque délicatesse et finesse de jugement, il y a gagné du temps pour l’étude131, une plus grande capacité pour ces impressions moyennes qui sont l’ordinaire du critique, et l’ignorance de ces dégoûts qui ont fait dire à La Fontaine : Les délicats sont malheureux.
Écartez l’un de l’autre les coins de la bouche, il devient gai aussitôt ; tirez les sourcils l’un vers l’autre et vers le bas, aussitôt il devient grognon et triste ; et parfois, au réveil, il peut témoigner des émotions insurmontables dans lesquelles l’ascendant de l’attitude l’a jeté et enchaîné. « Non seulement de simples émotions, dit Carpenter, mais encore des idées précises peuvent être ainsi provoquées.
Car l’émotion, l’enthousiasme lyriques sont dans la nature aussi. […] Par sa sensibilité toujours frémissante, le poète nous révèle les profondeurs mystérieuses et les passivités latentes de notre propre être : ses émotions individuelles sont la confession de l’humanité.
En un mot, elle est artiste, et comme telle, sa personne n’est pas la mesure de son œuvre ; par cette riche faculté de représentation qu’elle possède, elle se donne des émotions que la simple affection ne ferait pas naître, et elle émeut plus qu’elle n’a elle-même d’émotion.
J’ai dit un mot du journaliste : je ne dirai rien du romancier, encore qu’il y ait bien de l’émotion et de la vérité dans Étienne Moret et bien de l’esprit, vraiment, dans les Tribulations d’un fonctionnaire en Chine. […] Elle ne se demande pas si la scène qu’on lui montre est possible, mais si elle est intéressante ; ou plutôt elle ne se demande rien, elle est toute à son plaisir et à son émotion.
Mais nos âmes vont se modifiant et, par suite, l’idée que nous nous formons des grands écrivains et des grands artistes et l’émotion qu’ils nous donnent ne sont point les mêmes aux diverses époques de notre vie : faut-il rappeler une vérité si simple ? […] Et c’est pourquoi j’ai pu lire, avec une admiration stupéfaite, il est vrai, et dans une sorte d’ivresse physique mais sans une minute d’émotion, de douceur intérieure, et sans le moindre désir de larmes, les dix mille vers de Toute la Lyre.
Mardi 11 février Le travail de la note d’après nature, de la saisie rapide et fiévreuse pendant toute une soirée, dans un cirque, de ces riens qui durent une seconde, me jette à la fin dans un état d’émotion étrange, avec dans la cervelle du vague exalté, dans le corps du remuement inquiet, dans les mains de petits tremblements nerveux. […] Toute la journée, je suis à l’émotion de leurs rugissements au bord des grands fleuves, et le soir, me rappelant tout à coup, que Burty fait une conférence sur mes dessins à l’École des Beaux-Arts, le quai Malaquais m’apparaît lointain, lointain, comme si j’étais au fond de l’Afrique, — et je reste au Zambèze.
Ce n’est pas qu’il fût indifférent aux choses de son temps, car on sent dans tous ses écrits une émotion contenue qui témoigne d’une âme vivement préoccupée ; mais cette émotion, qui lui donnait l’ardeur de la recherche, n’était pas assez violente pour le dominer et l’aveugler.