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971. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Mais il y a, ce semble, plus de liberté et plus de mérite à rester fixe dans des mesures plus modérées, ou si c’est un simple effet du caractère, c’est un témoignage de force non moins rare et dont la proportion constante a sa beauté. […] Quoi qu’il en soit (rare éloge et peut-être applicable à lui seul entre les hommes de sa nuance qui ont fourni au long leur carrière), chez La Fayette le rôle extérieur et l’inspiration intérieure se rejoignaient, se confirmaient pleinement, constamment ; l’homme d’esprit, poli et fin, intéressant à entendre, qu’on rencontrait en l’approchant, ne faisait qu’une agréable diversion entre le personnage public toujours prochain et l’intérieur moral toujours présent, et n’allait jamais jusqu’à interrompre ni à laisser oublier la communication de l’un à l’autre. […] Mais c’est à la fois bon goût et une autre sorte d’illusion que de faire par endroits bon marché de soi-même dans le passé ; quand on a un trait vivement prononcé dans la jeunesse, il est rare qu’il ne dure pas, qu’il ne revienne pas en se creusant, bien qu’on veuille le croire effacé72. […] Mais cette expérience acquise, il est rare qu’on ne l’emploie pas autour de sa qualité première fondamentale, qu’on ne la mette pas préférablement au service de son premier tour de caractère, quand il est décisif et dominant. […] Quoiqu’il eût le talent et l’art d’écrire, c’était, vers la fin, Des Renaudes qui lui faisait ses rares discours.

972. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Par une rencontre encore plus rare, il a la faculté d’embrasser les ensembles, de saisir exactement les caractères généraux des époques, de sentir et d’exprimer les différences profondes des races et des siècles ; c’est sans effort et toujours qu’il voit en grand et par masses. […] Mais ce groupe est devenu de plus en plus petit ; depuis trente ans, il n’a plus que des représentants rares ; son bruit manque d’échos ; l’excitation qu’il peut communiquer est factice ; son autorité est intermittente. […] Ribot sur Schopenhauer est fort agréable à lire, d’abord parce qu’il est bien écrit, ensuite parce que Schopenhauer est un philosophe d’espèce rare. […] Orphelin à huit ans, apprenti dessinateur dans une fabrique de Lyon, il avait à grand’peine obtenu de sa famille la permission d’être peintre, et il étudiait à Paris avec des subsides rares, insuffisants, incertains. […] En cela il est unique : rien de plus rare en tout temps, et surtout en ce temps-là, que la compétence politique, et, par un singulier concours de circonstances, Mallet, en politique, était compétent.

973. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

C’est un homme rare que ce tuteur. […] Et si elle n’est pas présente à votre souvenir, les Molière ne sont pas si rares, vous n’avez qu’à rouvrir le volume. […] Je me soucie bien vraiment du rare et de l’extraordinaire, rien ne m’est plus antipathique que le paradoxe ! […] Ce défaut est bien rare chez notre grand comique. […] Mais il a ce rare mérite d’être toujours gai.

974. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Ici on n’a rien à redouter d’un semblable prestige ; c’est le fond même, c’est la chose toute pure qu’on étudiera, et la valeur, la qualité de ce rare et fin esprit en ressortira non exagérée, mais bien entière. […] Je vous dirai bien que ma reconnaissance pour un trait si rare durera autant que ma vie ; mais hélas ! […] soignez bien cette plante rare qu’on nomme le bonheur ! […] L’historien tient bon avec eux ; on dirait qu’il combat pied à pied à côté de Vaifre, dans cette espèce de Vendée désespérée, qui n’a laissé dans les chroniques que de rares vestiges. […] Sous une forme ou sous une autre, toutes les idées qu’avait conçues ce rare esprit sont sorties ou sortiront ; sa renommée après lui se trouvera mieux soignée que par lui.

975. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Il est bien rare, ajoute-t-il, que le meurtrier ne finisse pas misérablement : « Pour moi, c’est le concert de malédictions qui s’est élevé après le 2 décembre, qui a son effet aujourd’hui !  […] Sur la place, d’ordinaire si peuplée, quelques rares passants, et au plus loin, dans le fin fond des rues, deux ou trois groupes s’entretenant avec des gestes désolés. […] Par moments, au rire méphistophélique par lequel il a l’habitude d’annoncer les plus rares désastres, on se demande quel diable d’homme c’est, tant il parle de ces choses avec une indifférence sceptique, gouailleuse. […] » fait-il, en passant devant la devanture de Chevet, n’ayant plus sur les marbres, hier garnis de toutes les succulences solides de la gueule, que le zinc de rares conserves de légumes. […] L’huile à brûler devient rare, les bougies sont à leur fin.

976. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Si la critique a quelque influence sur le talent des acteurs, on ne saurait révoquer en doute l’avantage des principes de Geoffroy : de son temps les bons comédiens étaient moins rares qu’ils ne le sont aujourd’hui. […] Il a eu le rare bonheur de se trouver dans des circonstances en harmonie avec son genre de talent : il était né pour écrire des feuilletons. […] Quel blasphème contre cette admirable constance, si religieusement prêchée dans les contes, et si rare dans la société ! […] Dans ces rôles admirables, rien n’est donné au théâtre, à la mode, aux préjugés nationaux ; tout est sacrifié à la vérité : Corneille n’offre pas souvent ce rare exemple de courage. […] Ce que je blâme surtout, c’est la mauvaise plaisanterie du valet, qui dit à la fin de la pièce : Par un si rare exemple, apprenez à mentir.

977. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Le monde cosmopolite vous apparaît dans toute sa complexité, à la fois banale et rare, aristocratique et interlope, pittoresque et monotone. […] Pollasson a encore marqué cette volte-face avec une rare justesse de termes : « Le chirurgien céda la place au savant. […] Votre père, au témoignage de quelqu’un qui le connut bien, se distinguait par une rare élévation des sentiments. […] La Belgique est un des rares petits États qui aient survécu. […] » me disais-je. « Voilà un homme encore jeune (il était né en 1876) qui représente une valeur intellectuelle de l’ordre le plus rare.

978. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Le peintre qui cherche ici-bas un type à la céleste pureté de Marie, qui demande à toute la nature féminine ces yeux modestement fiers devinés par Raphaël, ces lignes vierges, souvent dues aux hasards de la conception, mais qu’une vie chrétienne et pudique peut seule conserver ou faire acquérir ; ce peintre, amoureux d’un si rare modèle, eût trouvé tout à coup dans le visage d’Eugénie la noblesse innée qui s’ignore ; il eût vu sous un front calme un monde d’amour, et, dans la coupe des yeux, dans l’habitude des paupières, le je ne sais quoi divin. […] Pendant qu’elle cherchait un artifice pour obtenir la galette, il s’élevait entre la grande Nanon et Grandet une de ces querelles aussi rares entre eux que le sont les hirondelles en hiver. […] Ils avaient échangé en secret un somptueux nécessaire de voyage qui lui venait de sa mère contre des pièces d’or rares recueillies par le père Grandet, et dont il faisait de temps en temps cadeau à sa fille pour les lui redemander quand il voulait les contempler ou en jouir.

979. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Un de leurs rares orateurs politiques, le plus éloquent et le plus honnête, que l’envie nationale a toujours empêché de s’élever à la présidence de la république pour crime de supériorité, me disait un jour : « Notre liberté consiste à faire tout ce qui peut être le plus désagréable à nos voisins. » L’art d’être désagréable est leur seconde nature. […] XIX Sauf les rares exceptions qui tranchent et qui souffrent partout de la pression générale dans une atmosphère inférieure, exceptions d’autant plus respectables qu’elles sont plus nombreuses dans l’individu, voilà l’Américain du Nord, voilà l’air du pays : « l’orgueil de ce qui lui manque !  […] Je ne sais quel bon sens sauvage et naïf animait ses discours rares et pleins de justesse, de modération et de feu.

980. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Il avait compris que l’œuvre d’art doit être complète et vraie, c’est à dire le drame, mais un drame d’art complet, non de musique seule, et un drame d’action vraie, non de virtuosité conventionnelle ; il avait compris, encore, que cette œuvre d’art, complète et vraie, n’est point une frivole distraction, qu’elle est la création suprême de l’esprit, et que cette création, faite, d’abord, par l’auteur, et devant être, ensuite, refaite, entièrement, par les auditeurs, peut être connue par eux, seulement dans l’oubli des soucis temporels et dans la paix, non troublée, de la contemplation intérieure, aux jours, très rares, de la sérénité ; enfin, il avait compris que l’art, demeurant complet et vrai, doit, aussi, donner à l’homme une révélation religieuse de la Réalité transcendante, — être un culte, offert à l’intelligence du Peuple, — mais de ce Peuple idéal, qui est la Communion universelle des Voyants. […] C’est que cette symphonie en Ut mineur nous retient comme l’une des rares conceptions du maître où une émotion, vive et cruelle, de souffrance, est le point de départ, et se développe, graduellement, à travers la consolation, l’élévation de l’âme, jusque le plein éclat de la joie dans la conscience du triomphe. […] Elles sont, ainsi, pour tous, un enseignement, et pour les rares initiés de l’Art, une joie ; et, s’il les eût connues, Richard Wagner, notre divin Maître, les eut trouvées un hommage digne de sa grande âme.

981. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Phénomène rare et admirable d’une nature parfaitement pondérée qui semble toujours prête à glisser ou dans la mélancolie ou dans le cynisme, mais qui n’y glisse en réalité jamais, et qui, par la merveilleuse élasticité de son ressort, se relève toujours de la douleur ou de la plaisanterie dans la sérieuse sérénité d’une philosophie supérieure à ses propres impressions. » V La raison d’être de cette littérature est dans la nature même du cœur humain. […] Ils sont rares et négligés aujourd’hui dans les bibliothèques ; c’est un malheur pour l’esprit français. […] Il est rare qu’on soit sans aïeux dans le génie comme dans la fortune.

982. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Planet est un des rares élèves de Delacroix qui brillent par quelques-unes des qualités du maître. […] Haffner a, de plus, fait un paysage d’une couleur très-hardie — un chariot avec un homme et des chevaux, faisant presque silhouette sur la clarté équivoque d’un crépuscule. — Encore un chercheur consciencieux… que c’est rare ! […] Le modelé en est beau, et cette peinture a le mérite, rare chez ces messieurs, de paraître faite tout d’une haleine et du premier coup.

983. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

. — Mais une troisième espèce d’hommes, assez rare à la vérité, compte de n’avoir rien fait tant qu’il reste quelque chose à faire, profitant de la terreur qui aveugle presque toujours le vaincu, à tel point que les plus grosses rivières, les meilleurs bastions ne lui paraissent plus un rempart. […] Faut-il que les raisons de cour, les protections, certains emplois déjà occupés, le grand âge, de longs mais froids services… Il s’embrouille dans sa phrase (ce qui lui arrive quelquefois quand les phrases sont longues), et il ne l’achève pas ; mais il suit très bien sa pensée, et il veut dire ce qu’il redit souvent encore ailleurs en des termes que je résume ainsi : « Les hommes à la guerre sont rares ; avec mes défauts, je crois en être un ; essayez de moi. » Villars, à la tête d’un détachement considérable et par le fait général en chef, investi de la confiance du roi, ne songe qu’à la justifier.

984. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Mais les Athéniens n’ont su remplir qu’une moitié de son vœu, et cette œuvre rêvée, — et mieux que rêvée, proposée par Périclès —, œuvre de constance, d’énergie durable et d’empire politique universel, ce sont les Romains qui se sont chargés de l’accomplir dans des proportions tout autrement vastes, et non plus sur mer, mais sur terre ; et en même temps que les Grecs déchus, privés de l’exercice des vertus publiques, devenaient (sauf de rares exceptions) plus légers, plus volubiles, plus sophistiques, plus flatteurs, plus fabuleux qu’ils n’avaient jamais été, les vainqueurs se saisirent du précieux élément divin, d’une part de ce feu de Prométhée, et en animèrent leur vigueur pratique et leur sens solide, dans un tempérament qui unit la vivacité et la consistance. […] Quand je parlerai de Boileau, je ne louerai que modérément la poésie ou la pensée de ses satires, et même la pensée de ses épîtres ; nous verrons pourtant bien au net sa qualité rare, à titre de poète, dans quelques épîtres et dans Le Lutrin ; mais surtout je vous le montrerai tout plein de sens, de jugement, de probité, de mots sains et piquants et dits à propos, souvent avec courage, — caractère armé de raison et revêtu d’honneur, et méritant par là, autant que par le talent toute l’autorité qu’il exerça, même à deux pas de Louis XIV.

985. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Puis, quand on a dit tout ce qui convient sur ces rares fleurs et ces exquises inutilités, il est bon de s’arrêter à temps et de ne rien exagérer. […] savoir le grec, ce n’est pas comme on pourrait se l’imaginer, comprendre le sens des auteurs, de certains auteurs, en gros, vaille que vaille (ce qui est déjà beaucoup), et les traduire à peu près ; savoir le grec, c’est la chose du monde la plus rare, la plus difficile, — j’en puis parler pour l’avoir tenté maintes fois et y avoir toujours échoué ; — c’est comprendre non pas seulement les mots, mais toutes les formes de la langue la plus complète, la plus savante, la plus nuancée, en distinguer les dialectes, les âges, en sentir le ton et l’accent, — cette accentuation variable et mobile, sans l’entente de laquelle on reste plus ou moins barbare ; — c’est avoir la tête assez ferme pour saisir chez des auteurs tels qu’un Thucydide le jeu de groupes entiers d’expressions qui n’en font qu’une seule dans la phrase et qui se comportent et se gouvernent comme un seul mot ; c’est, tout en embrassant l’ensemble du discours, jouir à chaque instant de ces contrastes continuels et de ces ingénieuses symétries qui en opposent et en balancent les membres ; c’est ne pas rester indifférent non plus à l’intention, à la signification légère de cette quantité de particules intraduisibles, mais non pas insaisissables, qui parsèment le dialogue et qui lui donnent avec un air de laisser aller toute sa finesse, son ironie et sa grâce ; c’est chez les lyriques, dans les chœurs des tragédies ou dans les odes de Pindare, deviner et suivre le fil délié d’une pensée sous des métaphores continues les plus imprévues et les plus diverses, sous des figures à dépayser les imaginations les plus hardies ; c’est, entre toutes les délicatesses des rhythmes, démêler ceux qui, au premier coup d’œil, semblent les mêmes, et qui pourtant diffèrent ; c’est reconnaître, par exemple, à la simple oreille, dans l’hexamètre pastoral de Théocrite autre chose, une autre allure, une autre légèreté que dans l’hexamètre plus grave des poètes épiques… Que vous dirais-je encore ?

986. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Un sentiment plus grave, plus recueilli, a inspiré ces courts et rares essais consacrés à des génies contemporains. […] Si quelquefois nous avons dû omettre certaines particularités qui eussent mieux fait saillir la figure, c’a été uniquement parce que la personne voilée du prêtre, ou la modestie du philosophe, ou la simplicité élevée de l’homme ne le permettait pas, ou encore parce que le sage, comme cette fois, nous a dit : « Vous savez ma vie dans ses détails : je ne rougis et n’ai à rougir d’aucun ; je ne me suis donné que bien peu de démentis, ce qui est rare en notre temps.

987. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Sachez donc vouloir une fois, vouloir fortement ; fixez votre vie flottante, et ne la laissez plus emporter à tous les souffles comme le brin d’herbe séchée. » Ce conseil donné quelque part à une âme malade par le prêtre illustre dont nous avons à nous occuper pourrait s’adresser à presque toutes les âmes en ce siècle où le spectacle le plus rare est assurément l’énergie morale de la volonté. […] Qu’ils sont rares ceux qui, dans l’ordre de la pensée, se fixent à temps et adhèrent sans réserve à la vérité reconnue par eux perpétuelle, universelle et sainte ; qui, non contents de la reconnaître, s’y emploient tout entiers, y versent leurs facultés, leurs dons naturels : riches leur or, pauvres leur denier, passionnés leurs passions ; orgueilleux s’y prosternent, voluptueux s’y sèvrent, nonchalants s’y aiguillonnent, artistes s’y disciplinent et s’y oublient ; qui deviennent ici-bas une volonté humble et forte, croyante et active, aussi libre qu’il est possible dans nos entraves, une volonté animant de son unité souveraine la doctrine, les affections et les mœurs ; véritables hommes selon l’esprit ; sublimes et encourageants modèles !

988. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Restaient des rôles de critiques consciencieux, sérieux, mais un peu singuliers, exceptionnels, comme de loin il les appelle, ou plus adonnés à l’étude des influences étrangères, des origines, ou recherchant les cas rares plutôt que la route générale et frayée. […] Peisse, comme Carrel l’a tenté lui-même dans de trop rares morceaux de littérature au National ; mais il le poursuit avec instance, sur les divers points, y revenant sans cesse à propos de tout : en un mot, c’est son rôle.

989. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Si pourtant l’objet de notre étude ce jour-là, et en quelque sorte de notre dévotion, est un de ces morts fameux et si rares dont la parole remplit les temps, l’effet ne saurait être ce que nous disons ; l’autel alors nous apparaît trop lumineux ; il s’en échappe incessamment un puissant éclat qui chasse bien loin la langueur des regrets et ne rappelle que des idées de durée et de vie. […] On le soigna fort à cause des rares talents qu’il produisit de bonne heure, et les jésuites l’avaient déjà entraîné au noviciat lorsqu’un jour (il avait seize ans), les idées de monde l’ayant assailli, il quitta tout pour s’engager en qualité de simple volontaire.

990. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Je veux énumérer encore d’autres manques de talents, ou de passions, ou de dons supérieurs, qui ont fait de Bayle le plus accompli critique qui se soit rencontré dans son genre, rien n’étant venu à la traverse pour limiter ou troubler le rare développement de sa faculté principale, de sa passion unique. […] Se sont-elles rendues, c’est un bénéfice qui « demande résidence… Il est rare qu’on ne tombe qu’une fois dans « cette espèce d’engagement ; on ne s’en retire qu’avec un morceau de chaîne qui forme bientôt une nouvelle captivité.

991. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

D’autre part, si bien doué qu’on soit, on ne naît pas avec la science du métier : en poésie, comme dans tous les arts, il faut apprendre la technique par où la nature s’exprime et manifeste son originalité ; bien rares sont les génies faciles en qui l’inspiration est immédiatement infaillible, et pour qui l’enfantement des chefs-d’œuvre est l’affaire d’un jour, et d’un accès de fièvre. […] D’autres plongeaient dans le fin du fin, et trouvaient des délicatesses infiniment subtiles de pensée et d’expression : il leur fallait avoir un esprit qui ne fût qu’à eux, quelque chose d’exquis et de rare, dont il n’y eût pas d’autre exemplaire en aucun lieu du monde des esprits.

992. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Jean de Meung ne fait pas plus que ses devanciers la psychologie de l’hypocrisie : il n’ajoute à leurs satires que quelques degrés de virulence et de passion, et ses rares et fortes qualités d’écrivain. […] Jean de Meung est un des rares écrivains de notre littérature qui ne s’enferment pas dans la vie bourgeoise et l’idéal bourgeois ; il est peuple, il aime le peuple, sa vie dure, insouciante, toute à l’effort et au bien-être physiques : et c’est sans doute en grande partie par là que ce contemplateur de l’universel écoulement des apparences s’est préservé du pessimisme, où tant d’autres avant et après lui ont sombré.

993. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Aux narrations s’ajoutent deux éléments que Retz a su employer avec une rare maîtrise : les raisonnements politiques, et les portraits. […] De là encore dérive ce don rare par lequel elle fait sortir le pathétique des idées abstraites : elle a cette forme supérieure de l’imagination qui érige en symboles les objets sensibles, et fait transparaître l’universel dans l’expression du particulier.

994. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

On en cherche les originaux : et comme ils sont en général si intelligemment choisis et si exactement rendus qu’ils ont derrière eux chacun une nombreuse série d’individus, il est rare qu’on ne trouve pas autour de soi, dans ses connaissances, une figure capable d’avoir servi d’original au peintre. […] Les portraits y sont très rares ; l’impassibilité, l’impartialité même ne s’y rencontrent jamais ; l’ironie y est constante, et d’une âpreté cuisante ; d’un bout à l’autre on sent l’homme mécontent de ce qui est.

995. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Tout l’acte disponible, à jamais et seulement, reste de saisir les rapports, entre temps, rares ou multipliés ; d’après quelque état intérieur et que l’on veuille à son gré étendre, simplifier le monde. […] Il importe que dans tout concours de la multitude quelque part vers l’intérêt, l’amusement, ou la commodité, de rares amateurs, respectueux du motif commun en tant que façon d’y montrer de l’indifférence, instituent par cet air à côté, une minorité ; attendu, quelle divergence que creuse le conflit furieux des citoyens, tous, sous l’œil souverain, font une unanimité — d’accord, au moins, que ce à propos de quoi on s’entre-dévore, compte : or, posé le besoin d’exception, comme de sel !

996. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

— Il est rare, aujourd’hui, que les critiques parlent du style ; souvent même, ils s’oublient jusqu’à prôner des livres médiocrement écrits comme si l’art de l’écrivain n’était, avant tout, l’art de bien écrire. […] Un des rares critiques intelligents dont nous jouissions vient d’attaquer les « petites chapelles ».

997. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Dans les maigres pâturages des îles de la Bretagne, chaque brebis du troupeau, attachée à un pieu central, ne peut brouter une herbe rare que dans l’étroit rayon de la corde qui la retient. […] L’Allemagne contemporaine nous offre un des rares exemples des effets directs de la science sur la marche des événements politiques.

998. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Il n’est pas jusqu’à l’entourage du roi qui n’offre, au temps où Corneille est dans la force de l’âge, le spectacle d’une retenue assez rare. […] Puis on peut dire aussi que de tout ouvrage, à moins qu’il ne soit d’une rare insignifiance, se dégage une conception particulière du monde, un jugement sur la vie.

999. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Vendredi 16 mai Enfin, un jour où je puis me donner la récréation de lire un bouquin pour mon plaisir — récréation rare pour le fabricateur de livres — et le jour est tout gris, tout pluvieux, vraiment fait pour la lecture. […] * * * — Le je m’en fous intellectuel de l’opinion de tout le monde : c’est la bravoure la plus rare que j’aie encore rencontrée, et ce n’est absolument qu’avec ce don, qu’on peut faire des œuvres originales.

1000. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Et même lorsque nos auteurs dramatiques de la nouvelle génération, avec une générosité d’intention véritable, portent au théâtre certaines questions du grand problème social, n’est-il pas évident qu’ils les traitent pour l’instruction de leurs égaux, des philosophes, des économistes ou des gens du monde, et, qu’à de rares exceptions près, ils voient plutôt l’autorité à réformer que l’ouvrier lui-même à former ? […] Les sons, les couleurs, les jeux rares des syllabes cadencées ne peuvent tromper longtemps le cœur de l’homme.

1001. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

De rares et nettement séparées, celles-ci deviennent-elles multiples et entrecroisées ? […] Et c’est ce qui devient de plus en plus probable à mesure qu’avec leur nombre augmente la variété des sociétés enchevêtrées ; lorsqu’elles diffèrent réellement par leur nature et leurs fins, conséquemment par ce qu’elles demandent à l’individu, il est rare que les premiers dans l’une soient aussi les premiers dans l’autre.

1002. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Mais il ne lui prit jamais, et il ne sut produire, à son exemple, ni ces maximes de calme et de profonde sagesse qui rayonnent d’un éclat pur, au milieu des splendeurs poétiques, ni ces mouvements d’âme, ces rapides évolutions de pensées les plus vives qu’il y ait au monde, ni cette précision singulière en contraste avec l’abondance des images, ni ce mélange, ce choc rapide du sublime et du simple, du terme magnifique et du terme familier, ni cette propriété toute-puissante qui rend présent à tout ce que le poëte a vu dans son plus rare délire. […] Mais c’est surtout par la croyance à l’âme immortelle et à l’avenir des méchants et des justes, que ce caractère du poëte se montre, soit dans les trop rares fragments de ses cantiques perdus, soit même dans les odes consacrées aux jeux athlétiques, où il ramène un sentiment, dont son cœur surabonde.

1003. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Note »

Si vous vous rappelez les circonstances, trop rares pour moi, d’une liaison que j’ai tant désirée et que j’ai bien moins cultivée que je n’aurais voulu, il doit vous paraître qu’elle a été de ma part toute de respect, et, j’ose dire, de déférence empressée, et fort peu exigeante en retour pour toutes choses, hormis un sentiment sûrement bienveillant de votre côté.

1004. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Point de gloire, point d’éclat, point d’injustice vive et criante, rien qu’une injustice muette, pesante et durable ; puis, avec cela, une sorte d’effet lent, caché, maladif, qui allait s’adresser de loin en loin à quelques âmes rares et y produire des agitations singulières.

1005. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Un grand bon sens, joint à des convictions religieuses très-sincères et à des affections monarchiques très-profondes ; beaucoup d’études, beaucoup de modération, quoique dans la première et fervente jeunesse, une probité pleine de désintéressement et même d’esprit de sacrifice, à un âge et dans des situations facilement accessibles aux vues ambitieuses : tels étaient les mérites et la physionomie bien rare de cette école du Correspondant, qui poursuit encore aujourd’hui ses honorables travaux dans la Revue européenne.

1006. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Il y a quatre ans que vous me parûtes belle ; aujourd’hui je vous trouve plus belle encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus… Mon amie, tout peut s’altérer au monde ; tout, sans vous excepter ; tout, excepté la passion que j’ai pour vous. » « Oh !

1007. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

Parmi les hommes assez rares de cette nature, nous ne pouvons pas ne pas mentionner M. 

1008. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Souvent, le soir, regardant quelque coin de ciel, des toits lointains, çà et là un rare feuillage, je me suis dit qu’un tableau qui retracerait exactement cette vue si simple serait divin ; puis j’ai compris que cette fidélité entière était impossible à saisir directement ; que mon émotion résultait du tableau en lui-même et de ma disposition sentimentale à le réfléchir ; que, de l’observation directe de l’objet, et aussi de la réflexion modifiée de cet objet au sein du miroir intérieur, l’art devait tirer une troisième image créée qui n’était tout à fait ni la copie de la nature, ni la traduction aux yeux de l’impression insaisissable, mais qui avait d’autant plus de prix et de vérité, qu’elle participait davantage de l’une et de l’autre19.

1009. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Le principe de liberté et de critique semblait définitif à ceux qui l’appliquaient si délibérément, et ils ne soupçonnaient que dans des cas assez rares une organisation ultérieure à laquelle il faudrait tôt ou tard arriver.

1010. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Une petite famille de douteurs (ceux qui trouvent que le doute est un mol oreiller pour une tête bien faite sont rares, surtout en littérature), une petite famille de douteurs tourmente l’école dogmatique. — Nous vous mettons au défi, lui disent-ils, de prouver une seule de vos théories.

1011. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Ce poète débuta, rare et sensitif, avec un goût de l’exquis, du ténu, du fin et du très fin qui ne fit que s’accentuer jusque, pour s’y épanouir, aux Romances sans paroles.

1012. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

Les conversions au judaïsme n’étaient point rares dans ces sortes de pays mixtes.

1013. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Malheureusement, les lois de l’hérédité sont encore bien mystérieuses pour la science actuelle ; les familles d’écrivains qui ont une généalogie en règle sont une rare exception ; les accidents auxquels le mariage est sujet, comme disent nos comiques, forcent parfois à un scepticisme prudent ; bref, l’interprétation incertaine de documents incertains ou insuffisants risque de conduire à des conclusions aventureuses.

1014. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

On relevait aussi dans Corneille Un concert éclatant de rares qualités.

1015. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Décidément les filles qui jouent passablement leur comédie de jouissance se font rares et Pierre Louÿs est le seul des Trois Gendres — je ne compte pas Gérard d’Houville — qui parvienne quelquefois à être un peu aphrodisiaque.

1016. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Chez lui les lettres redoublées sont rares : en général, il écrit ais ou ois, selon que l’on prononce l’un ou l’autre.

1017. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

Platon après avoir dit que les poëtes qui vouloient composer des tragedies et des comedies n’y réussissoient pas également, ajoute : que le genre tragique et le genre comique demandent chacun un tour d’esprit particulier, et il allegue même : que les acteurs qui déclament les tragedies ne sont pas les mêmes que ceux qui recitent les comedies. on voit par plusieurs autres passages des écrivains de l’antiquité, que la profession de joüer des tragedies et celle de joüer des comedies, étoient deux professions distinctes, et qu’il étoit rare que le même homme se mêlât de toutes les deux.

1018. (1912) L’art de lire « Chapitre VI. Les écrivains obscurs »

Mais ils l’exagèrent, premièrement en excluant ainsi de la littérature toute sensibilité, ou tout au moins toute sensibilité générale et en n’admettant que des sentiments rares très difficiles à pénétrer, c’est-à-dire à ressentir ; secondement, même quand il s’agit de pensée, en voulant que rien de la pensée ne soit compris du premier coup.

1019. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Chose rare en histoire !

1020. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Ces derniers temps, mauvais à la poésie, et si mauvais que, pour être poète, il faut la vocation du génie ou le courage du héros, ces derniers temps lui ont été propices, à lui, par une exception aussi rare que douce.

1021. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Conclusion »

Des tendances que l’histoire met en présence, il est rare que l’une soit tout active, et l’autre toute passive, que l’une ne fasse que donner, et l’autre recevoir.

1022. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

— Ce qu’il y a jamais eu de plus rare sur la terre, un homme qui meurt pour la vérité » ; et il fit Socrate mourant.

1023. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXII. Des panégyriques latins de Théodose ; d’Ausone, panégyriste de Gratien. »

On voit combien ce nom et le souvenir d’une ancienne grandeur en imposaient encore : « L’orateur, dit-il, craint de faire entendre devant les héritiers de l’éloquence romaine, ce langage inculte et sauvage d’au-delà des Alpes, et son œil effrayé croit voir dans le sénat les Cicéron, les Hortensius et les Caton assis auprès de leur postérité pour l’entendre. » Il y a trop d’occasions où il faut prendre la modestie au mot, et convenir de bonne foi avec elle qu’elle a raison ; mais ici il y aurait de l’injustice : l’orateur vaut mieux qu’il ne dit ; s’il n’a point cet agrément que donnent le goût et la pureté du style, il a souvent de l’imagination et de la force, espèce de mérite qui, ce semble, aurait dû être moins rare dans un temps où le choc des peuples, les intérêts de l’empire et le mouvement de l’univers, qui s’agitait pour prendre une face nouvelle, offraient un grand spectacle et paraissaient devoir donner du ressort à l’éloquence : la sienne, en général, ne manque ni de précision, ni de rapidité.

1024. (1902) La poésie nouvelle

Ces qualités de charme et de modération deviendront rares chez Rimbaud, bientôt emporté par une fougue désordonnée. […] Il est plus rare dans les simples et fraîches études de la Pluie et le Beau temps, où le style du poète s’est montré, en s’adoucissant, aussi souple qu’on l’avait vu prestigieux.‌ […] Il délaisse le Moyen-âge, les « grâces et mignardises de cet âge verdissant » ; il renonce aux innovations verbales du seizième siècle, aux termes rares ou surannés, aux doctes dérivations latines ou grecques. […] Même, il emploie assez peu les vers impairs et il est rare qu’il dépasse les dimensions de l’alexandrin ; quatorze syllabes est son maximum.‌ […]   Cette note suave restera, d’ailleurs, très rare, chez Verhaeren.

1025. (1923) Au service de la déesse

Et, si l’on renonçait à considérer comme scepticisme un ensemble d’opinions que l’on n’approuve pas, on vérifierait que rien au monde n’est plus rare et singulier qu’un sceptique. […] Comme le nom de des Grieux n’était pas rare dans le Boulonnais, pays de l’abbé Prévost, l’auteur de Manon choisit d’appeler Avril de La Varenne des Grieux. […] Chérie est, dans son élégance raffinée, aussi « rare » que sont « rares » dans leur ignominie Élisa et Germinie. […] Giraudoux et constater qu’il n’est pas toujours un bon écrivain, qu’il est souvent un écrivain de qualité rare et exquise. […] De là vient cette joie que je disais, rare aujourd’hui, les bons écrivains étant rares.

1026. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Le goût y est rehaussé par les plus rares épices de la psychologie et même de la physiologie. […] À Paris seulement de rares roses font voir cette amère beauté de l’être seul. […] Le ciel est net, avec quelques rares petits nuages pareils à des flocons en feu. […] De rares pins y poussent, rabougris, ou même tout à fait contre terre, en guise de buissons. […] Les boutiques, les cafés commençaient à s’illuminer, quelques rares réverbères brillaient déjà.

1027. (1914) Une année de critique

On sait que les pièces de cet auteur comptent parmi les très rares spectacles auxquels un homme, qui n’est pas un dégénéré, et une femme, qui n’est pas une hystérique, peuvent assister aujourd’hui sans grincer des dents. […] On en retrouve les thèmes dans les trop rares études, bien supérieures à ses vers, qu’il publia dans la Phalange ou dans la Nouvelle Revue Française (ses pages sur Barrès sont extraordinaires). […] Or, il est rare qu’un moraliste écrive en phrases courtes. […] Sur les autels désertés, de rares initiés venaient de hisser un nouveau dieu dont le visage était couvert d’un voile. […] Tels, dans la petite comédie du Pain de ménage, les deux interlocuteurs dont les rares aventures de cœur n’ont pas de dénouement.

1028. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Le bon-sens est peut-être chez l’homme la faculté la plus rare, & beaucoup plus rare que l’esprit même ; c’est le bon-sens qui manque à plusieurs hommes. […] Me sera-t-il permis de faire une réflexion qui ne doit pas offenser les Gens de Lettres, parce qu’ils sçavent que les dons sont partagés, & qu’il est bien rare de les réunir au même dégré. […] Heureux les Gens de Lettres qui ne connoissent que cette dispute confiante, noble & modérée, qui appartient au droit légitime, de répandre & de soutenir ses opinions ; qui n’a pour armes que le raisonnement & l’éloquence ; qui, loin de toute opiniâtreté, écoute pour répondre : qualité si rare, même parmi les hommes instruits. […] Le génie n’est pas toujours une succession perpétuelle d’idées rares & profondes, mais un tissu d’idées de toute espece, & qui ne renferment rien que d’utile. […] C’est là aussi que les Livres originaux sont plus rares.

1029. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Il a une autre qualité, fort rare et que je prise fort, — beaucoup d’indépendance ; malheureusement, il en pousse l’abus jusqu’à l’exclusion systématique pour toute œuvre qui naît, pour tout novateur qui pointe. […] La méthode du critique est tout entière dans cette recommandation du maître : « Quand vous voulez assassiner un homme, commencez par lui ôter votre chapeau. » Il est rare que M.  […] Il est rare que cette arme empoisonnée ne se retourne pas un jour ou l’autre contre ceux qui l’ont employée. […] Paris regorge de musiciens profonds, savants, élégiaques et spirituels : il n’avait pas un seul compositeur bouffe : il en possède un aujourd’hui, et la denrée est assez rare, — puisque l’Italie n’en fournit plus, — pour qu’il doive sincèrement s’en réjouir. […] Muret n’est pas un feuilletoniste brillant, il a des qualités de critique estimables, un sens droit et, — ce qu’il faut priser par-dessus tout, — une rare indépendance.

1030. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Voici quelque chose de plus rare. […] Il est bien rare qu’elle soit intolérable. […] Mais il est rare, très rare ; c’est l’exception dans l’exception. […] Le nez vraiment français, le nez légèrement retroussé, le nez coquin se fait rare. […] Leconte de Lisle coiffait Hugo de la plus rare des couronnes, juste au moment où il lui donnait un ténébreux croc-en-jambe.

1031. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Quelques épiceries silencieuses, où de pieuses personnes attendent, derrière leur comptoir, de rares clients. […] Le génie n’est qu’une réussite très belle et très rare, qui résulte du concours de certaines conditions. […] Il ne pouvait être écrit que par un moraliste très délié, très averti, très habitué aux cas rares, aux raffinements des âmes lasses. […] Cet artiste délicat et rare fut un des travailleurs les plus souterrains de l’équipe naturaliste. […] Mais c’est là un défaut trop rare pour que l’on puisse s’en irriter sans remords.

1032. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

En effet, sauf des exceptions qui se font de plus en plus rares, il n’y a plus de jeunes papas. […] Les devoirs écrits sont rares. […] Ce pied surtout faisait damner ses maîtresses, dont il était bien rare qu’il ne pût pas mettre les pantoufles. […] Peut-être est-il de rares créatures dont la foi persiste longtemps. […] Les traites à cheval sont longues et dures, les logis étant rares et les routes mal frayées.

1033. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

De sa poitrine rentrée jaillissent deux seins très petits, auxquels sont suspendus deux nourrissons maigres comme elle, et qui sucent de leurs bouches affamées le lait trop rare de ses mamelles appauvries. […] Les violences du polémiste ont été oubliées pour une heure, par un tacite accord devant le beau talent d’un des meilleurs prosateurs et des plus rares qui aient paru depuis ces vingt ans. […] Nodier a découvert un volume rare. […] Elles offrent ce caractère, rare dans l’histoire de la littérature, d’être égales en beauté à ses grands romans. […] Dans l’entre-deux il composa ses trop rares romans.

1034. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Les occasions sont rares qui exigent toute l’ampleur du Verbe, tout le chatoiement de la parole, toute la symphonie des mots. […] — Pour moi, le vers classique — que j’appellerais le vers officiel — est la grande nef de cette basilique « la Poésie française » ; le vers libre, lui, édifie les bas-côtés pleins d’attirances, de mystères, de somptuosités rares. […] puisque, l’un des rares — avec M.  […] De La Tailhède et de Régnier, un louable souci de clarté, de pureté et de calme, chose plutôt rare en les jeunes écoles. […] M. de Heredia la représente le plus complètement avec ses rimes rares, son œuvre minime, chatoyante et un peu puérile.

1035. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Mais on est obligé, pour leur plaire, d’entrer d’abord dans leurs sentiments, et comme ces sentiments ne nous sont connus, comme nous n’en pouvons trouver une expression qui dure qu’à la condition de les avoir éprouvés nous-mêmes, le rare ou le singulier s’élimine insensiblement de la conception de la littérature. […] Un seul homme eût peut-être pu leur faire tête, les contenir et leur imposer : c’est Bossuet, qui ne prêche plus, à la vérité, qu’en de rares occasions, mais qui prononce pourtant en 1685, 1686, 1687 ses dernières Oraisons funèbres ; et qui, soulagé ou libéré de l’éducation du Dauphin, donne précisément alors presque tous ses plus grands ouvrages. […] De la place de La Rochefoucauld dans la littérature de son temps ; — et de l’abus qu’il y aurait à en faire « un grand écrivain ». — Un « grand écrivain » est toujours abondant, fécond, et plus varié surtout que ne l’a été La Rochefoucauld. — Qu’à ce titre, et dans tous les sens du mot, ©n peut l’appeler « un rare écrivain » : — rare en tant que stérile ; — rare en tant qu’original ; — et là où il est bon, rare enfin en tant qu’exquis. […] Marc Monnier, la Renaissance, de Dante à Luther, Paris, 1884]. — Comment les contemporains ont accueilli les Contes. — Que la « naïveté » de La Fontaine ne l’a pas empêché de se peindre en beau dans le Prologue de Psyché ; — ni de s’entendre admirablement à « vivre sans rien faire » ; — et comment, en dépit de la morale, ses défauts mêmes se sont tournés en quelques-unes de ses plus rares qualités. […] Mesnard, II, 367]. = — Conséquences de ce principe. — 1º Les actions rares, extraordinaires et « complexes » de Corneille remplacées par des actions simples, « chargées de peu de matière », et d’expérience quotidienne [Cf. 

1036. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

La littérature proprement dite est bien loin d’être absente dans ce Recueil ; mais elle n’y est représentée que par un petit nombre de figures familières et connues, qui s’y montrent avec une distinction rare.

1037. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Si les Raymon de Ramière au complet sont assez rares, grâce à Dieu, parce qu’une si agréable corruption suppose une réunion délicate d’heureuses qualités et de dons brillants, la plupart des hommes dans la société, à la manière dont ils prennent les femmes, se l’approchent autant qu’ils le peuvent de ce type favorisé.

1038. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

En lui désirant plus de calme dans la conception, et une continuité plus réfléchie, on admire cette rare faculté de style et cette source variée de développements.

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