En ce temps-là, par le fait de cette passion qui emportait tout, passion hors de sens pour la Grèce, plus concevable pour Rome (nous dirons tout à l’heure pourquoi), dès qu’il fallait aller au fond des choses la science historique glissait dans l’erreur.
Nous avons rencontré et pleinement reconnu dans cette histoire le whig des premiers jours, devenu plus que jamais l’homme de la cause ; le whig avec ses préoccupations, ses passions, ses erreurs, et, pourquoi ne le dirions-nous pas ? […] … Après s’être traîné à la suite de ses idées, il se traîne à la suite de ses passions.
Seulement, l’effroyable siècle qui tourne autour de cette figure sereine et fatale méritait, non pour être moins vrai, mais pour l’être davantage, plus de passion et plus de flamme qu’il n’y en a dans la peinture que l’auteur de Jacques Cœur et Charles VII nous en fait. […] Ces accusations, jugées absurdes aujourd’hui, donnèrent lieu à un procès qui dura des années ; car la passion a cela de particulier qu’elle se retire de sa bêtise sur son intensité, et que son ineptie ne l’empêche pas de réussir.
Un poète, il est vrai, Lord Byron, mais Lord Byron malade, spleenétique, agacé, mâchant du mastic et buvant du soda-water, a fait un jour l’éloge osé et peut-être ironique de l’avarice, la passion la plus intellectuelle, disait-il ; ce qui n’est pas une recommandation bien forte pour Bellegarrigue, lequel comprend, lui, l’amour de l’or sous des formes moins concrètes et moins immobiles. […] Est-ce que, d’ailleurs, leur foi en l’argent, leur amour de l’argent, pour lequel on les exalte, n’est pas une passion de vieillard ?
… On a parlé de la douleur d’avoir perdu l’Impératrice, de cette affection blessée par la mort et qui saigna toujours dans l’âme de ce fils de Jeanne-la-Folle, en qui l’amour conjugal semblait une passion héréditaire, mais la Douleur a son idée fixe et ne revient pas toucher, de ses mains préoccupées, les amusettes de l’Ambition. […] Même après Yuste, ce sacrifice à l’opinion religieuse de l’Espagne, il ne fallut rien moins que l’Inquisition, c’est-à-dire l’Espagne tout entière sous sa forme la plus concentrée, pour rappeler les devoirs de la Majesté Catholique aux passions invétérées du vieil Empereur.
Ses longues dissertations dialoguées, que ne brise jamais le moindre mot spirituel, manquent profondément de vie, d’animation, de passion enthousiaste ou convaincue, et elles nous versent dans les veines je ne sais quelle torpeur mortelle. […] qu’on aimerait mieux un peu de passion franche, et, comme disait Shelley, l’athée, « que le serpent, une bonne fois, se dressât sur sa queue et sifflât tous ses sifflements ».
… Dans la dédicace de son livre au clergé de Lyon, il dit aux prêtres : « Racontons nous-mêmes notre histoire et ne permettons pas que des laïques sans foi la travestissent au gré de leurs systèmes ou de leurs passions. » Il a, certes ! […] Je sais bien que le temps qu’il décrit est une époque affreuse, perverse et basse, où l’envie des petits contre les grands élève sa tête de vipère jusque dans l’Église, où l’esprit byzantin envahissait les conciles d’Occident, et où les Visconti, les Louis XI et les César Borgia, pratiquaient leurs politiques empoisonnées et empoisonneuses… Déchet immense quand on sortait de ce grand Moyen Âge, qui eut ses passions, sans nul doute, mais qui, du moins, resta chrétien et chevaleresque, si pur de foi, si fier de mœurs !
Si le génie de l’expression rayonne davantage dans Lamartine, si le pathétique de la passion et des larmes est incomparable dans son poème sublime où la nature muette, après les cris qu’y pousse la nature vivante, est peinte avec plus de relief et plus de grandeur que dans Virgile, — et par la raison que la nature vivante s’empreint sur cette nature muette pour la spiritualiser et la transfigurer, — la supériorité morale appartient pourtant à du Clésieux, et la supériorité morale n’est pas une chose indifférente ou vaine en littérature. […] Elle y échappe par sa passion même… et c’est là justement ce qui fait la poésie d’Armelle et ce qui la rend incompréhensible aux esprits désorientés dans l’horizon où cette poésie aurait toute sa puissance… « Ce n’est pas sur mon bras perdu qu’il faut pleurer, — disait Saint-Hilaire à son fils, au coup de canon qui, avec son bras, emportait Turenne, — c’est sur ce grand homme qui n’est plus !
Mais pour la majorité des esprits qui pensent, avant tout, à être littéraires quand ils écrivent, on peut dire qu’on est revenu de toute part maintenant au roman de moyenne proportion, qui n’a pas la prétention napoléonienne de brasser tout un monde de caractères et de passion comme Napoléon brassait les masses dans ses carrés de bataille ; à ce genre de roman, enfin, qui n’est que l’étude de l’individualité humaine et qui, sans avoir pour cela besoin d’être modeste, se contente d’une passion (tout un infini) à creuser, d’une situation à frapper de lumière et d’un caractère à faire vivre.
Si vous les comparez par leur état, vous trouvez, dans cette liste, des militaires qui ont uni les sciences avec les armes, des médecins qui, forcés d’être instruits pour n’être pas coupables, autant par devoir que par génie, sont devenus grands ; des religieux qui, privés par leur état même de toutes les passions, s’en sont fait une dont l’activité a redoublé par le retranchement des autres ; enfin un certain nombre d’hommes qui, jaloux d’être libres, n’ont voulu pour eux d’autre état que celui de s’instruire, et d’autre rang que celui d’éclairer. […] Il consiste presque toujours dans des allusions fines, ou à des traits d’histoire connus, ou à des préjugés d’état et de rang, ou aux mœurs publiques, ou au caractère de la nation, ou à des faiblesses secrètes de l’homme, à des misères qu’on se déguise, à des prétentions qu’on ne s’avoue pas ; il indique d’un mot toute la logique d’une passion ; il met une vertu en contraste avec une faiblesse qui quelquefois paraît y toucher, mais qu’il en détache ; il joint presque toujours à un éloge fin une critique déliée ; il a l’air de contredire une vérité, et il l’établit en paraissant la combattre ; il fait voir ou qu’une chose dont on s’étonne était commune, ou qu’une dont on ne s’étonne pas était rare ; il crée des ressemblances qu’on n’avait point vues ; il saisit des différences qui avaient échappé ; enfin, presque tout son art est de surprendre, et il réussit presque toujours.
Et quand nous arrivons à la Renaissance, l’humanisme est tellement une passion qu’il en devient inquiétant. […] et on ne croit avec un certain degré de passion qu’à soi-même. […] La raison n’est point impersonnelle ; elle ne l’est pas plus que le sentiment, la passion, l’imagination et l’instinct. […] Il y a un article de Diderot sur les Passions, qui n’est pas mauvais du tout. […] Peut-on combattre les passions et comment peut-on les combattre ?
Il n’a que lui et sa ferveur, la passion du devoir quotidien. […] Elle veille à ne se mettre ni en colère ni en joie : elle craint d’altérer, par ses passions, la vérité. […] Il le semblerait, du moins, si l’on n’apercevait en lui une passion : c’est la passion de raconter, avec aisance, avec goût et avec une ravissante gaieté de travail ; et une autre passion qui, cette fois, le sépare de Flaubert : c’est la passion de prouver sa thèse, de prouver que les institutrices sont dangereuses. […] Les Passions : et, à vrai dire, presque tout uniment les passions de l’amour. […] Tout le livre des Passions, livre d’amour, est un livre de mort.
Nous avons déjà de lui les Rêves blancs, dont je vous ai parié avec sympathie, un curieux et ingénieux roman Pierre Robert, où il y a du lyrisme, de la passion et je ne sais quelle étrangeté qui n’est pas toujours factice.
Ghéon fait revivre en nous une foule de menues impressions quotidiennes que le souffle brutal des passions et de la douleur disperse, hélas !
Armand Renaud s’était « inspiré aux hautes sources étrangères », et avait « moissonné la passion en toute littérature et en tout pays ».
Cette passion parasite devient, sous le pinceau des Poëtes lyriques, aussi fade que dangereuse ; & sa domination perpétuelle sur ce genre de spectacle, énerve le goût & les ames, & en éloigne les personnes sages.
Il a déshonoré, autant qu’il étoit en lui, à force de passions & de vices, & les Belles-Lettres qu’il entendoit parfaitement, & le Saint-Chrême qu’il avoit malheureusement reçu ».
Des violentes passions, Qui la tenoient enveloppée, Comme d’un dédale échappée, A bien régler ses actions Elle est seulement occupée….
Jamais les anciens Philosophes, encore moins ceux de notre Siecle, n’ont rien écrit de plus sensé & de plus instructif sur l’homme, sur ses devoirs, sur ses passions, sur l’usage qu’il doit faire des biens & des maux de la vie.
L’Auteur y développe, y discute, avec autant de sagacité que de justesse, tous les événemens, toutes les intrigues, toutes les manœuvres, tous les motifs, toutes les ressources, toutes les passions qui ont produit tant de vicissitudes dans cette Isle célebre, & dont le Gouvernement a fourni tant de tableaux différens.
La Scene & les Spectateurs raisonnables rejetteront toujours avec horreur ces caracteres outrés & démoniaques, qu'on ne porte à l'excès, que par l'impossibilité de saisir & de peindre les passions dans le juste point de vue où l'on doit les présenter.
Pour que les deux événements de la fin de sa vie fussent bien compris, et par conséquent pour qu’ils fussent touchants, il fallait que nous connussions Mme Berthemy comme une femme de toute passion ; de toute passion pour son amant et de toute passion pour son fils, songeant à son fils quand elle est avec son amant, et à son amant quand elle est avec son fils, en voulant à son amant de la séparer de son fils et réciproquement : auxquelles conditions ce qu’elle devient en définitive ne nous eût pas étonnés. […] On sent que c’est ici la vérité même, notée avec un soin minutieux, rendue avec le seul souci de la vérité joint à la chaude et virile passion de l’amour de la patrie. […] » La colonelle, voyant dans l’emploi de ce prénom le cri de la passion qui s’échappe, s’évanouit presque, elle aussi, de bonheur. […] Nous connaissons toutes leurs passions, dans tout le détail ; mais l’Âme, l’âme véritable, ce que M. […] Ai-je besoin de dire, puisque nous en sommes à l’art dramatique, que si la « peinture des passions » est chose beaucoup trop grossière pour M.
Elle eut la passion des idées. […] Chaque génération apporte des modes et des passions nouvelles. […] Leur imagination aspirait aux passions tragiques. […] Mais on peut croire qu’il les jugeait avec trop de passion. […] Peut-il en être autrement quand on spécule sur les passions humaines ?
Salvadori Ruffini, qui doit être, — ou je me trompe fort, — un pseudonyme sournois de Nestor Roqueplan : « Trois rôles, tous trois différents en caractère, en beauté, en détails ; trois passions, sublimes, puissantes, plus élevées l’une que l’autre ; trois femmes d’une physionomie, d’une volonté et de passions diverses ; trois représentations également grandes de génie. […] Soit passion, soit calcul, soit caprice, soit besoin de repos, soit faute d’offres acceptables, cette cantatrice en disponibilité ne hante plus que le balcon et le foyer des théâtres. […] » — Mme Bosio est une cantatrice de premier ordre, mais chez laquelle la passion ne s’est point éveillée encore. […] « Toutes ces grandes passions, dit-il, ont pour accompagnement obstiné un motif de polka plus digne du jardin Mabille que de l’Opéra. […] Art révolutionnaire, matérialiste assurément, mais sachant trouver, au fond des effets grossiers qu’il affectionne, la poésie et la puissance, parce qu’il y cherche avant tout la vérité et la passion.
Laurent Pichat vient, parmi eux, de gagner sa place, — mais, il faut en convenir, Baudelaire, la mâle Ackermann, et, plus près de nous, Jean Richepin, l’auteur de la Chanson des gueux , Richepin qui rirait bien de Pichat avec sa religion du progrès, qui n’est que du christianisme déplacé, sont des blasphémateurs d’un autre poing montré au ciel et d’un autre calibre de passion impie que Pichat, l’égorgeur de songes, comme il s’appelle et le pleureur sur les légendes religieuses auxquelles il a cru, et que, du fond de sa stérile et vide raison, il a l’air de regretter encore… Quoique l’auteur des Réveils n’en ait, que je sache, jamais recommencé d’aussi beaux, il y en a pourtant d’autres qu’on lit après ceux-là et qui dénotent une puissance de variété singulière dans l’inspiration et dans l’originalité… C’est dans de tels vers et par de tels vers que Laurent Pichat, l’athée et le démocrate, reconquiert son blason de poète.
Jules Claretie Xanrof, lui, m’apparalt comme une sorte d’étudiant narquois chantant, d’une jolie voix ironique, les feintes gaîtés parisiennes, les Déjeuners de soleil de la passion et les amours d’une minute.
La Piece peut être mal imaginée, mal exécutée, mal écrite ; mais cela ne s'appellera jamais une infame Brochure par quelqu'un qui sait le François, à moins que quelque passion ne lui fasse outrer la signification des termes ».
Le christianisme rehausse nécessairement l’éclat des peintures historiques, en détachant, pour ainsi dire, les personnages de la toile, et faisant trancher les couleurs vives des passions sur un fond calme et doux.
On voit en haut des anges qui jouent gaiement avec la lance, la croix, le fouet et les autres instrumens de la passion.
Intellectuellement, c’est tout madame de La Fayette, avec sa douceur de regard, sa pureté de style, sa lueur de perle… Quoique fort bienvenue de cette éblouissante Henriette, qui a laissé inextinguibles dans l’Histoire l’éclair de sa vie et l’éclair de sa mort ; quoique mêlée à ces intrigues, voilées de décence, d’une cour qui commençait alors de mettre la convenance par-dessus toutes ses passions, madame de La Fayette ne nous donne pas sur les hommes et les choses de son temps des lumières bien nouvelles.
Le souvenir de la passion malheureuse de Roland pour Angélique y mêle au charme de la scène on ne sait quel grain de sel comique qui ajoute encore, s’il se peut, à la délicieuse saveur du sujet. […] L’aventure qui le ramène sur la scène n’est plus héroïque et n’est pas même comique : car on ne rit pas d’une infirmité physique et morale, telle que la folie, surtout quand c’est une passion tendre qui enlève la raison à un héros. […] Ici, dans une revue satirique très plaisante de toutes les folies de l’espèce humaine, l’Arioste énumère les inanités de ce bas monde et les illusions dont se composent nos passions ; des montagnes de sottises s’élèvent sous ses yeux. […] Quand on est à votre âge, on ne se moque ni de ses passions ni de son imagination : on en est le jouet ou la victime. […] oui, alors, poursuivis-je sans lui répondre, de peur de rougir à mon tour, quand ce qui est flamme en nous sera cendre, quand la vie nous aura dit tout ce qu’elle a à nous dire ; quand les hommes, les choses, les passions ne seront plus pour nous, comme pour l’aimable et pieux chanoine, qu’un spectacle auquel nous continuerons d’assister sans en attendre d’autre dénouement que dans le ciel ; quand nous serons retirés dans quelque solitude champêtre, les pieds sur nos chenets et ne songeant plus qu’à faire l’heure, far l’ora, comme vous dites en Italie : alors ayons l’Arioste sur notre cheminée, et lisons-en de temps en temps quelques pages pour poétiser nos souvenirs et pour dépoétiser notre expérience, j’y consens.
La moralité, dit Guyau, est l’affranchissement des instincts animaux et de toute passion… Mais en même temps que se dissolvent les tendances et les instincts contrariés, c’est-à-dire à mesure que ces associations d’aptitudes organiques innées cèdent aux changements extérieurs, se désorganisent et que l’homme devient plastique, la réflexion fait son apparition ; la conscience, la raison se font jour pour prendre la place vacante laissée par les instincts et les aptitudes innées. […] Cette intuition empirique n’exclut pas, comme l’autre, le principe d’individuation, mais le suppose au contraire ; car elle est la vision concrète, sentie et vécue, du monde social empiriquement donné, avec ses conflits de toute espèce entre des êtres animés d’intérêts opposés et de passions hostiles. […] L’intuition n’a de sens pour nous qu’à la condition de s’alimenter à la source de la vie, dans notre sensibilité personnelle, dans notre personnelle manière de sentir et de réagir, dans nos passions, nos joies et nos douleurs, dans toute notre nature sensible, spontanée et primesautière. […] La partie sociale de l’individu est donc entièrement dominée par ce même instinct vital et social, c’est-à-dire par les intérêts et les passions des groupes auxquels l’individu se trouve mêlé, dont il épouse la cause avec plus ou moins d’ardeur et avec le vouloir-vivre desquels il s’identifie plus ou moins complètement. […] Un théoricien contemporain de l’individualisme dit à propos de Gobineau : « Aujourd’hui que les races sont mélangées, l’inégalité ethnique s’est individualisée et la philosophie de l’individualisme aristocratique, subissant la même évolution, a pris la défense, non plus de groupements ethniques, mais des individualités fortes menacées par les passions envieuses des faibles. » (Albert Schatz, L’Individualisme économique et social, p. 540.)
Laissant là ta morale, Tu peux, comme au vieux temps, chanter la pastorale, Les roses, le sainfoin, le pasteur Corydon, La belle Amaryllis et son mol abandon, Le miel de l’Age d’or, les jeux dans les prairies Tous nos hommes d’Etat aiment les bergeries Rien de tel pour calmer les noires passions Et nous donner l’horreur des révolutions. […] Discours, pamphlets, brochures, articles de polémique éclosent avec une formidable abondance ; et, après ces ouvrages inspirés par les circonstances, animés par les passions du jour, adressés aux contemporains et peu soucieux de la postérité, il en apparaît bientôt d’autres plus médités, plus apaisés, plus froids en apparence, mais où il n’est pas difficile de retrouver le feu couvant sous la cendre ; j’entends les mémoires et les histoires qui prétendent transmettre à l’avenir et déjà juger les événements de la veille. En tout pays et de tout temps, les hommes aiment à parler d’eux et à occuper les autres de leur personne ; mais, en ces moments-là, ce désir devient une passion et pour beaucoup un besoin véritable. […] Le drame n’ose pas s’abaisser à la vie et au langage de tous les jours ; il reste historique et empanaché ; il parle en vers ; ses héros sont des grands de la terre ou des hommes à passions et à destinées extraordinaires, toujours des êtres d’exception ; la basse condition d’un Ruy Blas ou d’un Didier est voilée d’un manteau tissé d’images éclatantes. […] Quand la guerre est, faite par des mercenaires, des volontaires ou une classe spéciale qui se fait gloire de ne payer que l’impôt du sang, comme on disait jadis, ou encore quand elle a son théâtre à l’étranger, aux colonies, loin du cœur de la patrie, elle peut ne susciter que des passions modérées ; comme elle n’a pas pour la nation un intérêt vital, elle n’a souvent qu’un faible retentissement sur les autres branches de l’activité sociale.
Leibnitz, dont on ne peut trop admirer le génie, Leibnitz lui-même est un disciple de Descartes, disciple, il est vrai, qui a surpassé son maître, mais qui, malheureusement entraîné par une curiosité universelle, la passion de toutes les gloires et les distractions de la vie politique, n’a jeté que d’admirables vues, sans fonder un système net et précis. […] S’il y a dans l’homme l’idée d’une loi supérieure à la passion et à l’intérêt, ou l’existence de l’homme est une contradiction et un problème insoluble, ou bien il faut que l’homme puisse accomplir la loi qui lui est imposée ; si l’homme doit, il faut qu’il puisse, et le devoir implique la liberté. […] Enfin, l’idée du devoir implique encore l’idée du droit : mon devoir envers vous est votre droit sur moi, comme vos devoirs envers moi sont mes droits sur vous ; de là encore une morale sociale, un droit naturel, une philosophie politique, bien différente et de la politique effrénée de la passion et de la politique tortueuse de l’intérêt. […] Kant, dans sa passion pour la rigueur et l’exactitude de l’expression comme des idées, l’a marquée par deux mots bizarres, mais énergiques, renouvelés du péripatétisme et de la scholastique. […] « La raison, dit-il, parce qu’elle est capable de porter de pareils principes, abusée par une telle preuve de sa puissance, ne voit plus de bornes à sa passion de connaître.
Sa passion pour la comédie, qui l’avait déterminé à faire ses études, se réveilla avec force. […] Bientôt après, la passion du cardinal de Richelieu pour les spectacles mit le goût de la comédie à la mode ; et il y avait plus de sociétés particulières qui représentaient alors, que nous n’en voyons aujourd’hui. […] Le succès est toujours assuré, soit en tragique, soit en comique, à ces sortes de scènes qui représentent la passion la plus chère aux hommes dans la circonstance la plus vive. […] Le genre sérieux et galant n’était pas le génie de Molière ; et cette espèce de poëme n’ayant ni le plaisant de la comédie, ni les grandes passions de la tragédie, tombe presque toujours dans l’insipidité. […] C’est que la peinture de nos passions nous touche encore davantage que le portrait de nos ridicules, c’est que l’esprit se lasse des plaisanteries, et que le cœur est inépuisable.
L’excès où pourrait tomber la passion des lettres, si elle se tournait ainsi en récréation perverse, apparut clairement à M. […] Quelques indices ont suffi pour allumer dans son cœur une petite flamme de lucidité qui s’est développée en un incendie soudain de passion et de jalousie. […] Mais, dans l’agonie de son rêve et de sa passion, elle ne saurait faire plus. […] Un illustre écrivain a dit de Bonvalot qu’il a la « passion de la planète ». Il faut ajouter qu’il a, en même temps que l’amour des routes inexplorées, la passion de l’homme primitif.
Il doit être parfaitement au courant de la vie privée, des liaisons, des scandales, des infamies, des vices secrets, des passions honteuses des gens auxquels il peut s’adresser. […] Volontiers, elles convoquent leurs amants dans les musées, parce que les vieux sarcophages et les tableaux anciens exhalent une odeur de passion veule et de volupté blette. […] il faut laisser à leurs doléances les censeurs qui font consister le devoir dans je ne sais quel monstrueux mépris des plus légitimes passions. […] Mais peu à peu, Olivier se sent ému par l’accent très élevé, très noble, d’une passion dont il ne soupçonnait pas la sincérité. […] Elles s’étonnent que les passions très nobles soient presque toujours, par un étrange caprice du sort, coupables et malheureuses.
La lecture est la plus noble des passions. […] La passion la plus forte ne peut aveugler au point de faire oublier que l’homme n’a pas trois mains. […] Ici l’Avare ne demande pas trois mains ; il est tellement absorbé par sa passion, qu’il croit seulement n’en avoir vu qu’une. […] Une passion si pleine de projets, si pleine de sève et de puissance, si pleine de crainte et de douces larmes, si riche, si belle, si jeune encore et qui suffisait à toute une vie d’angoisse et de délires, de joies et de terreurs, et de suprême oubli ; — cette passion consacrée par le bonheur, jurée devant Dieu comme un serment jaloux ; cette passion qui nous a attachés l’un à l’autre comme une chaîne de fer à jamais fermée, comme le serpent unit sa proie au tronc flexible du bambou pliant ; — cette passion qui fut notre âme elle-même, le sang de nos veines et le battement de notre cœur ; cette passion tu l’as oubliée, anéantie, perdue à jamais : ce qui fut ta joie et ton délice n’est plus pour toi qu’un mortel désespoir qu’on ne peut comparer qu’à l’absence qui le cause — quoi ! […] On a beau dire que l’ambition est la passion des grandes âmes ; on n’est grand que par l’amour de la vérité, et lorsqu’on ne vent plaire que par elle.
ces façons de parler dans lesquelles il est évident qu’il faut supléer des mots, pour achever d’exprimer une pensée que la vivacité de la passion se contente de faire entendre, sont fort ordinaires dans le langage des homes. […] " les grecs avoient une grande passion pour l’hyperbole, etc. […] doner un frein à ses passions ; c’est-à-dire, n’en pas suivre tous les mouvemens, les modérer, les retenir come on retient un cheval avec le frein, qui est un morceau de fer qu’on met dans la bouche du cheval. […] Dans tous les tems et dans tous les lieux où il y a eu des homes, il y a eu de l’imagination, des passions, des idées accessoires, et par conséquent des tropes. […] Il est plus facile d’admirer, j’en conviens ; mais une critique sage, éclairée, exemte de passion et de fanatisme est bien plus utile.
De même que « Richard Wagner n’est pas entré dans la légende en savant ou en curieux, mais en créateur », de même que Richard Wagner, « rejetant les aventures sans fin et tous les accessoires du roman, se place du premier bond au centre même du mythe et de ce point générateur recrée de fond en comble les caractères et l’organisme de son drame », de même enfin « qu’en restituant au mythe sa grandeur primitive, son coloris original, il sait y approprier les passions et les sentiments qui sont les nôtres, parce qu’ils sont éternels, et subordonner le tout à une idée philosophique », — de même Édouard Schuré dégage d’une époque historique ses éléments essentiels, lui recrée une émouvante jeunesse, et la fixe en cet état dans l’imagination humaine.
On est fâché de voir le même Ecrivain qui fait si bien nous peindre l’avénement du Messie, la sublimité de sa doctrine, la sainteté de sa morale, l’éclat de ses miracles, les circonstances de sa passion, les ignominies de sa mort, donner dans des écarts, dont une sagacité aussi profonde & aussi déliée que la sienne auroit dû le garantir.
Il est vrai que son Poëme des Passions n’est pas tout à fait dans le goût des Poésies du beau siecle d’Auguste.
Il avoit deux passions qui dévoroient tout, l’amour de la table & celui des femmes.
Dans ses autres Discours, il parle rarement au cœur ; jamais ou presque jamais de ces expressions vigoureuses, de ces images frappantes, de ces traits hardis qui supposent une ame fortement pénétrée de son sujet, & capable de maîtriser les autres ames Il a paru trop oublier que les hommes déferent moins à la raison qu’à leurs passions ; que ce n’est qu’en agitant leur cœur, qu’on parvient à les dominer ; que l’homme éloquent n’est pas celui qui raisonne avec justesse, mais celui qui rend avec énergie ce qu’il sent avec vivacité ; celui qui nous échauffe par la chaleur du sentiment & de l’imagination, non celui qui nous instruit & nous éclaire par la lumiere & la vérité de ses raisonnemens.
et le cri le plus énergique que la passion ait jamais fait entendre, est peut-être celui-ci : Hélas !
— Religions et croyance à une Providence, mariages et modération des passions, sépultures et croyance à l’immortalité de l’âme.
Mais, en fait de passion, on ne discerne en ce temps-ci que les gens qui crient à se tordre les entrailles. […] Cousin n’a fait consister sa morale à réfréner sa passion principale et actuelle : il n’a été sobre que des choses qu’il ne désirait pas. […] Elle-même elle a excité de grandes passions. […] CXXXIV Chaque époque a sa passion, sa maladie ; il est bon que les jeunes gens l’aient : on a sa petite vérole dont on reste plus ou moins gravé, et puis c’est fini. Le pire est de vivre en un temps qui n’a pas sa maladie nette, sa passion.
Sa passion pour le fait exact et prouvé. — Sa recherche des sentiments éteints […] Cette amère gaieté est celle d’un homme furieux ou désespéré qui, de parti pris, et justement à cause de la violence de sa passion, la contiendrait et s’obligerait à rire, mais qu’un tressaillement soudain révélerait à la fin tout entier. […] Et ce n’est point simplement de sa part conscience, habitude ou prudence, mais besoin et passion. […] À ce moment, on a vu paraître et s’enfler une passion exaltée et toute-puissante qui a rompu les digues anciennes et lancé le courant des choses dans un nouveau lit. […] These Limbs, whence had we them ; this stormy Force ; this life-blood with its burning Passion ?
Charles, dit l’abbé Le Grand, était doux, facile, adonné à ses plaisirs et tellement livré à ses favoris et à ses maîtresses qu’il ne pouvait avoir d’autres passions ni d’autres sentiments que ceux qu’ils lui inspiraient. […] Dans l’intervalle des phrases de Duclos que j’ai rapprochées, celui-ci a eu soin d’introduire un brillant éloge d’Agnès Sorel et un mot sur Jeanne d’Arc, qu’il appelle d’ailleurs une généreuse fille ; mais Agnès Sorel a tous les honneurs : Ce fut la maîtresse pour qui Charles eut la plus forte passion et qui fut la plus digne de son attachement : sa beauté singulière la fit nommer la belle Agnès… Rare exemple pour celles qui jouissent de la même faveur, elle aima Charles uniquement pour lui-même, et n’eut jamais d’autre objet dans sa conduite que la gloire de son amant et le bonheur de l’État. […] Il trouve pourtant moyen d’omettre encore des traits : « Elle aimait passionnément les lettres », dit-il tout court. — « Elle aimait les lettres, dit l’abbé Le Grand, et elle avait une si grande passion pour la poésie, qu’elle passait les nuits à faire des vers. » La conclusion de l’Histoire de Duclos est piquante et elle a couru comme un de ces mots heureux qu’il lançait en causant.
Il remarque que ce n’est pas tout à fait une illusion à la première jeunesse de croire ainsi que l’âge mûr, par rapport à elle, est déjà vieux et doit se comporter comme tel : ce sont nos vanités, nos amours-propres, nos passions acquises et déjà tournées en vices, qui le plus souvent prolongent les légèretés d’un âge dans un autre ; le coup d’œil plus pur de la jeunesse ne s’y trompe pas, en nous montrant ces séductions premières comme devant cesser plus tôt et ne pas abuser l’homme plus longtemps. […] Quand je n’ai eu à combattre que des erreurs, je me suis senti tout de feu ; quand j’ai eu à combattre des passions, je me suis trouvé tout de glace. J’ai remarqué que lorsqu’on ne discutait que des erreurs, la lumière se montrait de plus en plus ; j’ai remarqué que quand on se battait avec des passions, la fureur et les ténèbres ne faisaient que s’accroître.
Trois personnages donc, trois députés marquèrent dès les premiers jours leur rang comme orateurs et comme chefs de la minorité dans cette Chambre de 1815, et chacun selon sa mesure et suivant son pas, ils marchèrent constamment d’intelligence et de concert : nous nous plairons aujourd’hui à les considérer, n’en déplaise aux mauvais restes vénéneux des passions de ce temps-là et à ces esprits louches que le regard de l’histoire offense42. […] Séparé, dès ce temps, des royalistes purs, en ce qu’il ne partageait pas cette sorte de culte mystique ou de passion exaltée dont n’étaient pas encore tout à fait revenus, à cette date, plusieurs de ceux même qu’on appela ensuite doctrinaires, il était et resta toujours séparé et très-distinct de ces derniers en ce qu’il n’eut jamais l’esprit de système, ni non plus l’esprit d’opposition surexcitée et de faction dont quelques-uns ne furent pas exempts à de certains jours. […] A la tribune, s’il eut le mérite d’apporter de prime-abord un talent d’improvisation véritable, chose alors très-neuve, maître d’ailleurs de sa parole, il la gouverna toujours et sut la tenir également éloignée de la passion on du système.
Voici l’un de ces sonnets brûlants et qui ont fait comparer Louise à Sapho, exprimant les sensations errantes et variables de la passion : Je vis, je meurs : je me brûle et me noie : J’ai chaud extrême en endurant froidure : La vie m’est et trop molle et trop dure : J’ai grands ennuis entremêlés de joie. […] » Elle, au lieu du bonheur, elle disait : « La passion ! la passion/ » Mais elle avait de ces mêmes cris, de ces mêmes sanglots.
Voltaire a trop de rapidité et d’à-propos pour s’astreindre à un modèle ; il passe outre et sert hardiment, et sous toutes les formes, les lumières, les idées et les passions de son temps. […] Elle essaye de décrire « le charme d’une prison » où l’on est délivré de tout soin importun, de toute distraction fâcheuse, « où l’on ne doit compte qu’à son propre cœur de l’emploi de tous les moments. » Elle trouve, pour exprimer ce sentiment particulier de quiétude, des paroles qui eussent fait honneur aux anciens sages : « Rendu à soi-même, à la vérité, sans avoir d’obstacles à vaincre, de combats à soutenir, on peut, sans blesser les droits ou les affections de qui que ce soit, abandonner son âme à sa propre rectitude, retrouver son indépendance morale au sein d’une apparente captivité, et l’exercer avec une plénitude que les rapports sociaux altèrent presque toujours. » Elle se plaît à revenir sur cette idée, si chère à sa passion, qu’elle est présentement dispensée de toute lutte, à l’endroit qui lui est le plus sensible, et qu’elle peut s’abandonner sans scrupule et sans danger à une effusion innocente. […] de désagrément ou de ridicule, — est désormais attachée au nom de l’austère Roland, depuis qu’on sait, à n’en pouvoir douter, l’infidélité idéale de sa femme et cette passion avouée pour Buzot.
Dire qu’il existe sous le ciel des gens qui s’adonnent avec passion à l’horticulture, qui aiment les fleurs jusqu’à la manie, et qui n’aiment point les enfants ! […] Sans doute les très belles et touchantes parties, les endroits pathétiques et pleins de larmes, les adieux d’Hector et d’Andromaque, les douleurs de Priam, étaient sentis ; mais tout ce qui tenait aux mœurs, à la sauvagerie d’alors, à la naïveté et à la crudité des passions et du langage, échappait ou s’éludait grâce aux commentateurs ou traducteurs, et se défigurait vraiment à travers l’admiration des Eustathe et des Dacier. […] Et pourtant je sens la force ou plutôt l’agrément des raisons qu’on m’oppose ; je le sens si bien, que je suis tenté parfois de m’y associer et de pousser aussi mon léger soupir ; tout en marchant vers l’avenir, je suis tout prêt cependant, pour peu que j’y songe, à faire, moi aussi, ma dernière complainte au passé en m’écriant : Où est-il le temps où, quand on lisait un livre, eût-on été soi-même un auteur et un homme du métier, on n’y mettait pas tant de raisonnements et de façons ; où l’impression de la lecture venait doucement vous prendre et vous saisir, comme au spectacle la pièce qu’on joue prend et intéresse l’amateur commodément assis dans sa stalle ; où on lisait Anciens et Modernes couché sur son lit de repos comme Horace pendant la canicule, ou étendu sur son sofa comme Gray, en se disant qu’on avait mieux que les joies du Paradis ou de l’Olympe ; le temps où l’on se promenait à l’ombre en lisant, comme ce respectable Hollandais qui ne concevait pas, disait-il, de plus grand bonheur ici-bas à l’âge de cinquante ans que de marcher lentement dans une belle campagne, un livre à la main, et en le fermant quelquefois, sans passion, sans désir, tout à la réflexion de la pensée ; le temps où, comme le Liseur de Meissonier, dans sa chambre solitaire, une après-midi de dimanche, près de la fenêtre ouverte qu’encadre le chèvrefeuille, on lisait un livre unique et chéri ?
Tout s’embrasa, se tordit, se fondit intimement dans son être au feu vulcanien des passions, sous le soleil de canicule de la plus âpre jeunesse, et il en sortit cette nature d’un alliage mystérieux, où la lave bouillonne sous le granit, cette armure brûlante et solide, à la poignée éblouissante de perles, à la lame brune et sombre, vraie armure de géant trempée aux lacs volcaniques. Sa passion pour la jeune fille qu’il aimait avait fini par devenir trop claire aux deux familles, qui, répugnant à unir un couple de cet âge et sans fortune, s’entendirent pour ne plus se voir momentanément. […] Si l’on se reporte par la pensée vers l’année 1823, à cette brillante ivresse du parti royaliste, dont les gens d’honneur ne s’étaient pas encore séparés, au triomphe récent de la guerre d’Espagne, au désarmement du carbonarisme à l’intérieur, à l’union décevante des habiles et des éloquents, de M. de Chateaubriand et de M. de Villèle ; si, faisant la part des passions, des fanatismes et des prestiges, oubliant le sang généreux, qui, sept ans trop tôt, coulait déjà des veines populaires ; — si on consent à voir dans cette année, qu’on pourrait à meilleur droit appeler néfaste, le moment éblouissant, pindarique, de la Restauration, comme les dix-huit mois de M. de Martignac en furent le moment tolérable et sensé ; on comprendra alors que des jeunes hommes, la plupart d’éducation distinguée ou d’habitudes choisies, aimant l’art, la poésie, les tableaux flatteurs, la grâce ingénieuse des loisirs, nés royalistes, chrétiens par convenance et vague sentiment, aient cru le temps propice pour se créer un petit monde heureux, abrité et recueilli.
Combinée avec les passions et les croyances d’un chacun, avec le talent naturel, la pauvreté a engendré sa part, même des plus nobles œvres, et de celles qui ont l’air le plus désintéressées. […] Ce qui la caractérise en ce moment cette littérature, et la rend un phénomène tout à fait propre à ce temps-ci, c’est la naïveté et souvent l’audace de sa requête, d’être nécessiteuse et de passer en demande toutes les bornes du nécessaire, de se mêler avec une passion effrénée de la gloire ou plutôt de la célébrité, de s’amalgamer intimement avec l’orgueil littéraire, de se donner à lui pour mesure et de le prendre pour mesure lui-même dans l’émulation de leurs exigences accumulées ; c’est de se rencontrer là où on la supposerait et où on l’excuse le moins, dans les branches les plus fleuries de l’imagination, dans celles qui sembleraient tenir aux parties les plus délicates et les plus fines du talent. […] De là, une littérature à physionomie jusqu’à présent inouïe dans son ensemble, active, effervescente, ambitieuse, osant tout, menant les passions les plus raffinées de la civilisation avec le sans-façon effréné de l’état de nature ; perdant un premier enjeu de générosité et de talent dans des gouffres d’égoïsme et de cupidité qui s’élargissent en s’enorgueillissant ; et, au milieu de ses prétentions, de ses animosités intestines, n’ayant pu trouver jusqu’ici d’apparence d’unité que dans des ligues momentanées d’intérêts et d’amours-propres, dans de pures coalitions qui violent le premier mot de toute harmonie morale.
Ces petites pièces servent à merveille d’accompagnement, de chatouillement et de conseil même aux gens de nos jours dans leurs propres petites passions. […] Et l’on en sort pas trop ému, pas trop dépaysé, comme il sied à nos passions d’aujourd’hui, à nos affaires. […] Scribe n’avait guère de passion politique, et son couplet libéral très-léger, ses guerriers et ses lauriers, n’étaient çà et là que l’indispensable pour panacher ses pièces.
S’il a eu un grain de passion en excès, ç’a été sur ce point-là. […] Laissons l’Hymette et son miel à ceux-là seuls qui en savent les sentiers, à ceux qui, même au sein des passions et des paroles acérées, ne perdent jamais une certaine légèreté de ton, et comme une certaine saveur du berceau : Musæo contingens cuncta lepore. […] Magnin sait le faire, si désintéressée que soit d’ailleurs cette douce passion, il est difficile d’y résister.
Il suppléait à toutes les lacunes de l’érudition : il allait chercher à travers les siècles et les races de quoi compléter ses textes, cueillant ici un trait du Sémite biblique, et là faisant concourir sainte Thérèse à la détermination du type extatique de Salammbô. « Je me moque de l’archéologie, écrivait-il ; si la couleur n’est pas une, si les détails détonnent, si les mœurs ne dérivent pas de la religion et les faits des passions, si les caractères ne sont pas suivis, si les costumes ne sont pas appropriés aux usages, et les architectures au climat, s’il n’y a pas, en un mot, harmonie, je suis dans le faux. […] La psychologie, naturellement, est moins intérieure, plus sommaire ; les passions, bizarres parfois en leurs effets, ou monstrueuses, sont élémentaires en leur principe. […] Ferdinand Fabre916 a fait quelques tableaux remarquables de la dévotion rustique et populaire dans les Cévennes méridionales, mais surtout de vigoureuses études des caractères ecclésiastiques, des formes très spéciales que l’Eglise impose aux passions, aux convoitises, aux haines des hommes ; M.
Cette attitude peut, au reste, recouvrir un grand fond de tendresse et des passions violentes : c’est précisément le cas de René Longuemare dans Jocaste. […] Il en éprouve déjà les passions : vanité, amour-propre, jalousie amour aussi désir de gloire, aspiration à la beauté. […] Anatole France a rendu après d’autres, après Victor Hugo, après Mme Alphonse Daudet, quelques-uns de ces aspects de l’enfance, cet éveil progressif à la vie de la pensée et à la vie des passions mais à sa façon, dans un esprit plus philosophique et par une analyse plus pénétrante.
N’étudier l’histoire que pour les leçons de morale ou de sagesse pratique qui en découlent, c’est renouveler la plaisante théorie de ces mauvais interprètes d’Aristote qui donnaient pour but à l’art dramatique de guérir les passions qu’il met en scène. […] Jusqu’ici ce n’est pas la raison qui a mené le monde : c’est le caprice, c’est la passion. […] Notre époque de passion et d’erreur apparaîtra alors comme la pure barbarie ou comme l’âge capricieux et fantasque qui, chez l’enfant, sépare les charmes du premier âge de la raison de l’homme fait.
Mais ce qui est évident, c’est qu’elle a été faite avec le parti-pris tellement marqué d’incriminer les relations du roi de Bavière et de Wagner, que le sens des mots est parfois dénaturé : et il est trop facile de traduire « enthousiasme » par « passion » et « amitié » par « amour », c’est ce que M. […] J’honore en Beethoven celui qui a éveillé en moi la passion pour l’art et pour ses plus sublimes buts ; dès lors il a été mon étude et comme je me sens la force de parler dignement sur ce sujet enthousiasmant, j’ai pris la résolution intime d’écrire l’histoire de sa vie. […] vous comparez ma prédilection pour la musique de Wagner à ma passion pour l’odeur du jasmin que vous combattez en vain.
On dit qu’il y a quelque brouillerie dans le ménage, et que cela vient de la jalousie qu’elle a d’une jeune fille de Madame, appelée Fontanges. » Madame de Montespan ne connaissait pas la passion du roi pour madame de Fontanges, elle ignorait sa grossesse, qui n’était plus un secret que pour elle. […] En se défendant par l’intérêt de l’honneur, auquel le roi pouvait opposer la promesse du secret, elle l’aurait rebuté ; en se défendant par la religion, par un devoir et par un intérêt commun ; en se défendant par un devoir qu’elle représentait comme pénible à son cœur, et comme assez contraire à son inclination pour laisser au roi l’espérance d’en obtenir l’oubli dans un moment propice, elle parvenait à la solution habile de cette grande difficulté de renvoyer le roi toujours affligé, jamais désespéré ; en prolongeant son désir, elle en faisait une passion vive et profonde. […] Mais toujours le but était la possession, le motif était la passion de posséder madame de Maintenon.
Sa parole est lancée vers un but visible, sa passion attaque un être vivant, au lieu d’embrasser à vide une Ombre évoquée par l’incantation d’un récit. […] Tout, en effet, est démesuré dans Eschyle : la scène, les figures, les passions, les catastrophes, le langage. […] Rien de lugubre comme ces ruines de l’œuvre d’Eschyle : images en lambeaux, idées lézardées, cratères vides de passions éteintes, questions de dialogues tronqués qui restent éternellement sans réponse, invocations qui crient dans le désert d’un texte effacé.
Mademoiselle n’y verra d’abord qu’un sujet de curiosité et de divertissement : « Toutes les nouveautés me réjouissaient… De quelque importance que pût être une affaire, pourvu qu’elle pût servir à mon divertissement, je ne songeais qu’à cela tout le soir. » Telle Mademoiselle était à dix ans, telle à vingt, telle à trente, telle elle sera toute sa vie, jusqu’à ce qu’une passion tardive lui eût appris à souffrir. […] Le prince de Condé lui témoignait qu’il ne souhaitait rien avec tant de passion que de la voir reine de France, et qu’il ne se conclurait aucun accommodement qu’elle n’y fût comprise. […] « Le roi a toujours été et est encore ma première passion, M. de Lauzun la seconde », disait Mademoiselle ; et M. de Lauzun, de son côté, ne se flattait d’avoir plu en définitive à Mademoiselle et de l’avoir touchée, qu’en raison du respect et de la véritable tendresse qu’il avait pour la personne du roi.
Prisonnier à Pontarlier, il s’était fait aimer d’une jeune femme, et il s’était pris pour elle d’une passion véritable. […] S’il embrassait la passion dans sa fureur et dans son plaisir, il en-acceptait aussi toutes les sérieuses conséquences. […] Depuis cette courte entrevue, où l’on dirait que leur passion épuisa son dernier feu, il ne paraît plus que ni l’un ni l’autre se soient crus obligés à une constance plus prolongée et plus opiniâtre.
Il était trop mal fait pour se faire une intrigue d’amour dans une cour où cette passion régnait fort : il se jeta tout à fait du côté des affaires. […] Pour devenir général, il ne s’agissait pour le prince que d’une chose, faire ce qui était le plus agréable à Mazarin, épouser une nièce ; cette première idée, dont Sarasin lui jeta la semence, ne manqua pas de lever en peu de temps : « Ce prince, ajoute Cosnac qui le connaît jusque dans le fond de l’âme, était homme d’extrémités, à qui il était facile d’inspirer les choses, pourvu qu’elles flattassent sa passion, que l’exécution en fût prompte, et qu’elle ne dépendît pas de son application et de ses soins. » Bien qu’il fallût ici beaucoup de suite et de négociations, le prince de Conti s’en remet sur ses domestiques du soin de mener à bien cette affaire ; et en attendant qu’il épouse une nièce et devienne général, en attendant même que, pour s’illustrer dans cette nouvelle carrière par un coup d’éclat, il appelle en duel le duc d’York (autre idée des plus bizarres qui lui était venue), il ne songe qu’à s’amuser à Pézenas où il a fait venir sa maîtresse de Bordeaux, Mme de Calvimont. […] Tels étaient ces êtres capricieux et légers, incapables de former une passion et de la soutenir.
Taine, nous donnent, selon Guyau, le spectacle de trois sociétés liées par une relation de dépendance mutuelle : 1° la société réelle préexistante, qui conditionne et en partie suscite le génie ; 2° la société idéalement modifiée que conçoit le génie même, le monde de volontés, de passions, d’intelligences qu’il crée dans son esprit et qui est une spéculation sur le possible ; 3° la formation consécutive d’une société nouvelle, celle des admirateurs du génie, qui, plus ou moins, réalisent en eux par imitation son innovation. […] L’émotion esthétique se ramenant en grande partie à la contagion nerveuse, on comprend que les puissants génies littéraires ou dramatiques préfèrent ordinairement représenter le vice, plutôt que la vertu. « Le vice est la domination de la passion chez un individu ; or, la passion est éminemment contagieuse de sa nature, et elle l’est d’autant plus qu’elle est plus forte et même déréglée. » Dans le domaine physique, la maladie est plus contagieuse que la santé ; dans le domaine de l’art, la reproduction puissante de la vie avec toutes ses injustices, ses misères, ses souffrances, ses folies, ses hontes mêmes, offre un certain danger moral et social qu’il ne faut pas méconnaître : « tout ce qui est sympathique est contagieux dans une certaine mesure, car la sympathie même n’est qu’une forme raffinée de la contagion. » La misère morale peut donc se communiquer à une société entière par la littérature même ; les déséquilibrés sont, dans le domaine esthétique des amis dangereux par la force même de la sympathie qu’éveille en nous leur cri de souffrance. « En tout cas, conclut Guyau, la littérature des déséquilibrés ne doit pas être pour nous un objet de prédilection exclusive, et une époque qui s’y complaît comme la nôtre ne peut, par cette préférence, qu’exagérer ses défauts.