Sur un air magnifique et joyeux de Wagner. […] Voici d’abord le motif, un air vif et léger, exposé, durant trois mesures, par la première voix. […] Au lever du rideau, un pâtre soupire sur sa musette un vieil air populaire, traînante mélodie à laquelle le cor anglais prête la poésie de ses sons plaintifs, Tristan, blessé à mort, s’éveille.
Je regrette fort, pour ma part, ces actes en l’air bâclés à la diable : Allons monsieur, suivez l’ordre que j’ai prescrit, Et faites le contrat ainsi que je l’ai dit. […] Tandis que la grande dame lance des propos lestes et fume des cigarettes d’un petit air effronté, la lorette se maintient dans l’irréprochable attitude d’une femme du monde en visite. […] Lucien reprend son récit du duel ; le médecin pour rire secoue la tête d’un air consterné ; Navarette fait son entrée et se jette sur son amant, avec un désespoir mélodramatique.
» L’enfant, d’un air enjoué, Ayant un peu secoué Les pièces de son armure Et sa blonde chevelure, Prend un trait, un trait vainqueur, Qu’il me lance au fond du cœur. […] Donc, aucun terme d’art, mais la silhouette est très heureuse et très représentative, et elle donne une vision très nette de ce roi entouré de tous les objets qui lui étaient habituels, et puis avec son air matois jusque sur le tombeau, cet air qui était le fond même du caractère de Louis XI… D’un livre de cette sorte, ce que l’on attend c’est d’abord du pittoresque, ce sont des rapports exacts et intelligents sur les œuvres d’art que l’on voit et c’est ensuite quelques relations sur les hommes et le caractère des hommes que l’on a rencontrés.
Il a fini par bien poser, et d’aplomb, son archet sur les cordes de son violon, et il nous a joué cet air horrible de Thérèse Raquin qui fait saigner le cœur et l’oreille, et que nous allons entendre au théâtre pour qu’il les y fasse saigner mieux. […] On ne se soucie plus de savoir à quel point il imite Victor Hugo ou Flaubert, en donnant à leurs profils des airs de gargouille qu’ils n’ont pas et en faisant de même avec ce pur camée de langue française, qui restait toujours ferme et correcte autrefois, alors qu’elle était le plus passionnée ! […] Alors, de précaution, cet homme qui enfonce tout en littérature par la force de son verbe et de son argot, a écrit, sur l’air des Trembleurs ( Ahi !
Il y suivit l’Imperator chauve, y revint avec lui ; il foula ce vieux sol, respira l’air de la patrie future. […] Toute sa personne avait un air singulier de finesse et de dignité. […] Un air d’ennui assombrit la physionomie. […] Le cri arrogant du cuivre perce mieux l’air que les modulations modestes du roseau. […] Elle y a un air de mode et départi pris.
Il fut frappé par l’aspect méchant de cette nature et par l’air d’hostilité de ces masses énormes. […] Jamais brutal, il aura dans ses violences des airs de n’y pas toucher. […] Mais un soir, Tullio, étant resté auprès de lui, ouvre une fenêtre, l’expose à un courant d’air glacé, appelle sur lui la mort. […] Cette ignorance, ils ne la confessent jamais, préférant la dissimuler sous des airs de certitude tout à fait imposants. […] Par de belles promesses et par un air d’assurance, ils ont éveillé la curiosité ; ils la tiennent encore en suspens.
Au contact de cette littérature et dans l’air même du temps, il avait gagné comme un simple Senancour (avec un tempérament physique très différent, Senancour lui ressemble par la formation intellectuelle), la nostalgie des voluptés chimériques. […] Seulement l’image, chez Marchangy, est en l’air ; elle n’a aucun rapport raisonnable avec l’objet auquel elle s’applique ; aucune idée ne la soutient. […] Mon hypothèse n’est pas tout à fait en l’air. […] Parfois, quand le gros des dîneurs avait fini, on la voyait s’approcher avec un air confidentiel de quelque convive attardé, s’asseoir maternellement à côté de lui et lui chuchoter à l’oreille quelques mots qui ne sont pas restés pour moi un mystère. […] On devait jouer dans un concert dirigé par Eugène Isaye sa Fantaisie sur des airs populaires angevins.
il y a quelque chose de tremblant qui, dans l’air, se propage : il y a des ondulations adorables, il y a des sons que je perçois dans le silence ; d’onde en onde, ô Marthe ! […] chaque pas de toi en avant, l’air l’éprouve, et ainsi vient jusqu’à moi, et je sais. […] Et pourtant je sais des hommes qui se signeraient presque et qui simulent une émotion folle lorsqu’ils lisent des pages de ce genre : J’allai à Lourdes par le chemin de fer Le long du gave qui est bleu comme l’air. […] Le soleil était blanc sur les escaliers Dans l’air bleu, sur les clochers déchiquetés. […] Le poète y dévoile ses paysages intérieurs, peuplés de souvenirs antiques : des ruisseaux mythologiques font roucouler leurs eaux dans des sites pastoraux, la brise en filtrant dans les roseaux des rives module des airs païens et l’écho transmet les rires furtifs des nymphes de Théocrite et des Belles d’Autrefois.
En effet, la perception extérieure laisse après elle un simulacre ; quand nous avons vu quelque objet intéressant, entendu un bel air, palpé un corps d’un grain singulier, non seulement l’image de notre sensation survit à notre sensation, mais encore elle est accompagnée par une conception, représentation, fantôme plus ou moins énergique et net de l’objet senti. […] Mais ce n’est point là le jugement primitif ni ordinaire ; il faut être devenu savant pour le porter ; l’explication est ultérieure et surajoutée. — D’ailleurs, la difficulté n’est que déplacée : munis de la théorie, nous disons que les molécules de l’air ou de l’éther ont le pouvoir, lorsqu’elles oscillent, de provoquer en nous les sensations de son ou de couleur. Ce pouvoir, que le jugement spontané accordait au corps éclairé et à la corde vibrante, est reporté maintenant sur les molécules interposées de l’air et de l’éther ; ainsi la couleur et le son restent toujours des propriétés relatives ; qu’on les attribue à la corde vibrante et au corps éclairé, ou aux particules aériennes et éthérées, elles ne sont rien de plus que le pouvoir de provoquer en nous telles ou telles sensations. […] L’homme primitif, l’Aryen, le Grec, imprégnait de son âme les sources, les fleuves, les montagnes, les nuées, l’air, tous les aspects du ciel et du jour ; il voyait dans les êtres inanimés des vivants semblables à lui-même.
Il avait pris, tour à tour, à la volonté des gens, les nobles traits d’Alceste, la mine d’aigrefin de Mascarille, le visage refrogné de Sganarelle, l’air ingrat et les mains crochues d’Harpagon. […] Ce jargon étemel de la froide ironie, L’air de dénigrement, l’aigreur, la jalousie, Ce ton mystérieux, ces petits mots sans fin, Toujours avec un air qui voudrait être fin ; Ces indiscrétions, ces rapports infidèles, Ces basses faussetés, ces trahisons cruelles ; Tout cela n’est-il pas, à le bien définir, L’image de la haine et la mort du plaisir ? […] Si ce n’est pas un page, comme Chérubin, qui trouble son cœur, ce sera quelque adolescent dont elle a éveillé les sens par des airs de langueur et des familiarités imprudentes.
On couche le nouveau-né un peu mollement, un peu de biais, et souvent au grand air. […] Il avait prescrit une nourriture réglée ; on affamait les enfants : — des bains d’eau froide ; on risquait d’y faire périr les nourrissons trop faibles : — beaucoup d’air ; on en exposait de presque nus à l’intempérie des saisons. […] « Je vous avoue, répond-il à une dame qui lui en avait écrit, que votre Cassius m’a tout à fait l’air d’un ambitieux embarrassé de sa femme, qui veut couvrir du masque de Théroïsme son inconstance et ses projets agrandissement103. » On ne peut mieux toucher : c’est ce qui s’appelle reconnaître les siens. […] De même que les vertus que s’imposa Rousseau, après sa réforme, ont je ne sais quoi d’âpre et d’inquiet, qui leur donne l’air d’un engagement de vanité pris avec l’opinion, plutôt que d’un ferme propos] et d’une mâle résolution de faire le bien ; de même plus d’un tour guindé et plus d’une phrase tendue annoncent, jusque dans ses plus belles pages, que l’élévation lui coûte des efforts, et qu’il n’entre pas de plain-pied dans les pensées hautes.
Il ne se fait du reste aucune illusion sur la solidité du ministère, disant que pas plus tard que mardi prochain, il se pourrait que le ministère eût les quatre fers en l’air. […] La femme, de beaux yeux et un air aimable, l’homme, une tête à la détermination froide, et s’exprimant avec une netteté de la pensée et une correction de paroles, remarquables. […] » il le vit encore parfaitement regarder en l’air, et chercher d’où venait l’applaudissement, avec le sang-froid d’un individu, qui serait tout autre part que sur l’échafaud. […] Alors il nous raconte avec un air béat et une joyeuseté gaga, qu’il est guéri, mais qu’il a passé un moment désagréable, agaçant… finissant ses phrases dont il ne peut sortir, avec des ronds tracés par sa canne sur le tapis.
L’air n’est plus respirable. […] Ézéchiel voit l’homme quadruple : homme, bœuf, lion et aigle ; c’est-à-dire, maître de la pensée, maître du champ, maître du désert, maître de l’air. […] Tibère, l’espion empereur ; l’œil qui guette le monde ; le premier dictateur qui ait osé détourner pour soi la loi de majesté faite pour le peuple romain ; sachant le grec, spirituel, sagace, sardonique, éloquent, horrible ; aimé des délateurs ; meurtrier des citoyens, des chevaliers, du sénat, de sa femme, de sa famille ; ayant plutôt l’air de poignarder les peuples que de les massacrer ; humble devant les barbares ; traître avec Archélaüs, lâche avec Artabane ; ayant deux trônes, pour sa férocité, Rome, pour sa turpitude, Caprée ; inventant des vices, et des noms pour ces vices ; vieillard avec un sérail d’enfants ; maigre, chauve, courbé, cagneux, fétide, rongé de lèpres, couvert de suppurations, masqué d’emplâtres, couronné de lauriers ; ayant l’ulcère comme Job, et de plus le sceptre ; entouré d’un silence lugubre ; cherchant un successeur, flairant Caligula, et le trouvant bon ; vipère qui choisit un tigre. […] Pourtant ces myriologies composites, les grands testaments de l’Inde surtout, étendues de poésie plutôt que poëmes, expression à la fois sidérale et bestiale des humanités passées, tirent de leur difformité même on ne sait quel air surnaturel.
Qu’on se représente bien (pour s’en donner toute l’impression), et le cadre, et l’auditoire, et l’orateur : Ne vous semble-t-il pas, disaient après des années les témoins qui l’avaient entendu, ne vous semble-t-il pas le voir encore dans nos chaires avec cet air simple, ce maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé, ce ton affectueux, cette contenance d’un homme pénétré, portant dans les esprits les plus brillantes lumières, et dans les cœurs les mouvements les plus tendres ? […] Chez Massillon, cette allure naturelle n’avait aucun caractère de sévérité, mais plutôt un air d’effusion et d’abondance comme d’une fontaine coulant sur une pente très douce et dont les eaux amoncelées se poussent de leur propre poids.
Maucroix jeune, et encore avocat, a fait ce qu’on appelait des airs, des chansons ou stances qui devaient charmer sous la régence d’Anne d’Autriche, et qui se chantaient sur le luth ; par exemple : Amants, connaissez les belles, Si vous voulez être heureux : Elles ne font les cruelles Que pour allumer vos feux. […] Ce n’est pas là mon air.
D’Aubigné nous représente un type accompli de la noblesse ou plutôt de la gentilhommerie protestante française, brave, opiniâtre, raisonneuse et lettrée, guerroyant de l’épée et de la parole, avec un surcroît de point d’honneur et un certain air de bravade chevaleresque ou même gasconne qui est à lui. […] Tout en apprenant du latin, du grec, de l’hébreu, et en se rompant aux mâles études, l’enfance et la première jeunesse de d’Aubigné furent telles, et si fréquemment débauchées et libertines, qu’en tout autre siècle il eût probablement dérivé et donné dans cette espèce d’incrédulité qu’on désigne sous le nom de scepticisme, et que les mauvaises mœurs insinuent si aisément : mais au xvie siècle, ces courants amollissants et dissolvants n’existaient pas, et les dissipations même, dans leur violence et leur crudité grossière, n’empêchaient pas de respirer l’air ardent des croyances diverses et des fanatismes.
Au milieu des pages fort mélangées que lui a consacrées son ami Mérard de Saint-Just, il en est une qui me paraît rendre avec réalité et sans complaisance sa figure, sa physionomie finale, et les qualités qui s’y dévoilaient peu à peu aux yeux de l’amitié : Grand et maigre, est-il dit, le visage long, des yeux petits et un peu couverts, la vue extrêmement basse, un nez d’une longueur presque démesurée, le teint assez brun, tout cet ensemble ne lui donnait pas une figure aimable : il l’avait sérieuse ; mais son air imposant, même un peu sévère, loin d’avoir rien d’austère ni de sombre, laissait paraître assez à découvert ce fonds de joie sage et durable qui est le fruit d’une raison épurée et d’une conscience tranquille. Cette disposition ne produit pas les emportements de la folle gaieté, mais une douceur égale qui cependant peut devenir gaieté pour quelques moments ; et de tout cet ensemble se forme, se compose un air de dignité qui n’appartient qu’à la vertu et que les dignités mêmes ne donnent pas.
Il doit cependant au commerce de son maître et ami, et à son propre sens, bien de bonnes pensées qu’il exprime heureusement : dès le début de son second livre, où il en vient à exposer les instructions et règles générales de sagesse, il remarque combien, telle qu’il l’entend et qu’il la conçoit, elle est chose rare dans le monde, et il le dit avec bien de la vivacité (je suppose que l’expression dans ce qui suit est de lui et non de Montaigne, car je n’ai pas tout vérifié, et l’on a toujours à prendre garde, quand on loue Charron, d’avoir affaire à Montaigne lui-même) : Chacun, dit-il donc, se sent de l’air qu’il haleine et où il vit, suit le train de vivre suivi de tous : comment voulez-vous qu’il s’en avise d’un autre ? […] L’évêque de Boulogne-sur-Mer, qui était à la fois prieur de l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs à Paris, offrit à Charron sa théologale, et celui-ci eût peut-être accepté s’il n’avait craint, à cet âge déjà avancé, l’air humide du rivage de la mer.
Charmante Gabrielle était devenu un air national, un air de famille ; on pleurait toujours quand on prononçait le nom de Henri IV.
Il est vrai qu’elle demande avec un grand air, avec un tour et des révérences qui ne sont qu’à elle : on n’a jamais crié misère plus noblement. […] La maréchale de Noailles, en effet, n’avait pas moins de onze filles sur vingt et un enfants ; il y avait de quoi l’allécher que de lui montrer de grands partis, et sous air de railler on venait de glisser une sorte de promesse. — C’est dans ces termes habiles et modestes que Mme des Ursins présente d’abord son idée, sa vue.
Elle ne put s’empêcher tout d’abord de lui jeter à la face la pensée dont son cœur était plein, et de lui dire qu’elle le supposait en deuil apparemment de la mort du roi : il sourit d’un air contraint et dit qu’il était en deuil de son beau-père le duc de Penthièvre. […] Dès les premiers instants, en raison du malheur commun, on devient les meilleurs amis du monde. « C’était un très gai jeune homme, avec un air très militaire, très beau et très galant. » Il venait beaucoup, dès qu’on le lui permit, du côté des dames, et il y en avait de très grandes de l’ancienne noblesse, qui toutes paraissaient le connaître.
Nous sommes obligés de connaître Rome, comme des petits-fils de connaître leur vieille mère. » Il montrait que ce n’est pas tant à l’Université qu’il faut s’en prendre des maladies morales de la jeunesse qu’aux familles elles-mêmes, à l’esprit public et à l’air vicié du dehors, à la littérature enfin ; et faisant allusion à la grande plaie, selon lui régnante, au roman, il appelait de ses vœux un roman pareil à Don Quichotte, c’est-à-dire qui mît à la raison tous les mauvais romans du jour ou de la veille, et en sens inverse de Don Quichotte ; car, en ce temps-là, c’était la chevalerie, avec sa fausse exaltation idéale, qui était la maladie à la mode, et du nôtre c’est le contraire : « c’est le goût du bien-être personnel, c’est l’amour des jouissances positives, c’est l’égoïsme, c’est Sancho, en un mot, et non pas Don Quichotte. […] Laissons de côté Addison, si Anglais sous ses airs d’élégance, et qui ne se laisse pas importer aisément ; mais M.
Croit-on mettre la charité à couvert en ajoutant d’un air contenu : « Le secret de ses convictions intimes est resté entre Dieu et lui. » Non, c’était le cas de citer, si l’on voulait être complet, une autre lettre très explicite de Schlegel, qui ne saurait se séparer de la précédente, une lettre fort belle qu’il adressa plus de vingt-cinq ans après (le 13 août 1838) à la duchesse de Broglie qui ne cessait de le presser sur l’article de la foi, et dans laquelle il expose ses variations de sentiments, ses aspirations, sa crise morale et sa solution philosophique, ou, comme il le dit poétiquement, « ses erreurs d’Ulysse et son Ithaque ». […] et l’on était en plein air, tout au plus sous une tente !
Elle nous répéta plusieurs fois d’un air fin un mot dont nous ne sentîmes pas dans le moment toute la valeur : « Vous avez du talent, disait-elle aux romantiques, mais n’oubliez pas, Messieurs, ce conseil d’une vieille femme : soyez aimables ! […] Bossuet, en proférant cette fausseté morale déguisée en beauté oratoire, ne faisait d’ailleurs qu’emprunter à Tertullien discutant contre l’hérétique Marcion une pensée théologique qu’il détournait de son sens, qu’il dépouillait de son tour déclamatoire en l’isolant, et à laquelle il imprimait un air de grandeur comme ce lui était chose aisée, sans la rendre pour cela plus juste38.
Le roman historique suppose nécessairement un ensemble d’informations, de traditions morales, de données de toutes sortes nous arrivant comme par l’air, à travers les générations successives. […] On ne peut recomposer la civilisation antique de cet air d’aisance et la ressusciter tout entière ; on sent toujours l’effort ou le jeu, la marqueterie.
Tel qu’il apparaît jusque dans son incomplet, et tout mal servi qu’il était par l’instrument insuffisant de la langue poétique d’alors, par cette versification solennelle qui, dans le noble, excluait les trois quarts des mots, presque toutes les particularités de la vie et tous les accidents de l’existence réelle, ce poète en Ducis éclatait assez pour se donner à tout instant la joie de l’air libre et de la grande carrière, tandis que le pauvre Deleyre avec son expression hésitante, ses nuances exquises, suivies d’empêchement et de mutisme, n’était qu’un malade, un romantique venu avant l’heure et cherchant sa langue. […] L’absence des objets qu’il voit avec trop d’inquiétude, la nouveauté des lieux, l’air, les promenades champêtres, les conversations douces, tout cela contribue à éclaircir son front, à mettre dans son esprit une certaine modération, qui est peut-être toute notre sagesse humaine… C’est une chose étrange que nous nous forgions à grands frais une sagesse laborieuse qui nous accable, tandis que la véritable est à nos côtés et se rit de nous.
Jullien d’un air tout à fait pénétré et plein de commisération à notre égard11, rien n’est assurément plus fâcheux dans la critique littéraire que ce parti pris d’admiration, qui nous fait louer, même contre notre sentiment, les œuvres consacrées par l’enthousiasme ou la vénération des siècles. […] J’accorde tout à fait que, « dès qu’on ouvre Homère, on se sent transporté dans le monde de l’instinct » ; qu’on sent qu’on a affaire à des passions du monde enfant ou adolescent ; que lorsqu’on se laisser aller au courant de ces poèmes, « c’est moins encore telle ou telle scène qui nous émeut, que le ton général et, en quelque sorte, l’air qu’on y respire et qui nous enivre. » J’accorde que « les descriptions d’Homère n’étant que des copies des impressions les plus générales, nous nous trouvons en face de ces descriptions dans la même situation qu’en face de la nature », c’est-à-dire d’un objet et d’un spectacle inépuisable : « Il est dès lors facile de comprendre pourquoi on peut toujours relire Homère sans se lasser.
Comme il m’aime plus que ses enfants, je l’ai attaqué du côté de la religion, et lui ai fait sentir si ce mariage (espagnol) n’était pas heureux, on s’en prendrait à lui ; que Rome donnait des dispenses auxquelles bien des honnêtes gens, dans le royaume, ne donnaient pas leur approbation ; enfin je me suis retourné de tant de manières, que le roi m’écrit qu’il a pris son parti, et qu’après avoir vaincu ses ennemis, il faut bien que tout me cède (c’est une galanterie de sa part). » Ainsi le maréchal, qui sous ses airs de soldat a des finesses de négociateur, s’est fait casuiste un moment avec Noailles ; il a eu recours à un ordre d’arguments gallicans et presque jansénistes. […] Un jour que Bruhl lui a donné de l’Excellence par-dessus la tête, il lui insinue gentiment qu’il lui faut du Monseigneur sans Excellence, car l’Excellence est une pauvre monnaie en Cour de France19 ; mais tout cela d’un ton aisé, d’un air de supériorité naturelle qui laisse chacun à sa place, sans hauteur.
Il semble avoir été écrit en prévision du 18 Fructidor et des déportations prochaines : on n’ose dire pourtant que la Guyane et Sinnamari aient en rien répondu à la description des colonies nouvelles que proposait Talleyrand d’un air de philanthropie, et en considération, disait-il, « de tant d’hommes agités qui ont besoin de projets, de tant d’hommes malheureux qui ont besoin d’espérances. » Il y disait encore, en vrai moraliste politique : « L’art de mettre les hommes à leur place est le premier peut-être dans la science du gouvernement ; mais celui de trouver la place des mécontents est, à coup sûr, le plus difficile, et présenter à leur imagination des lointains, des perspectives où puissent se prendre leurs pensées et leurs désirs est, je crois, une des solutions de cette difficulté sociale. » Oui, mais à condition qu’on n’ira pas éblouir à tout hasard les esprits, les leurrer par de vains mirages, et qu’une politique hypocrite n’aura pas pour objet de se débarrasser, coûte que coûte, des mécontents. […] Le triage se fit dans un entresol de la rue Saint-Florentin : Talleyrand, renversé dans son fauteuil, les jambes en l’air et appuyées contre le manteau de la cheminée, recevait des mains des deux acolytes les pièces condamnées et les jetait au feu.
Il ne lui arrive jamais, aux heures de rêverie, de voir, dans les étoiles, des fleurs divines qui jonchent les parvis du saint lieu, des âmes heureuses qui respirent un air plus pur, et qui parlent, durant les nuits, un mystérieux langage aux âmes humaines. […] on n’a rien de mieux à faire alors que de lui donner audience : Mais aux jours les plus beaux de la saison nouvelle, Que Zéphire en ses rets surprend Flore la belle, Que dans l’air les oiseaux, les poissons en la mer, Se plaignent doucement du mal qui vient d’aymer, Ou bien lorsque Cérès de fourment se couronne, Ou que Bacchus soupire amoureux de Pomone, Ou lorsque le safran, la dernière des fleurs, Dore le Scorpion de ses belles couleurs ; C’est alors que la verve insolemment m’outrage, Que la raison forcée obéit à la rage.
Rabelais est de ces génies puissants qui dirigent leur puissance : ils construisent patiemment une œuvre fougueuse, qui souvent retouchée, calculée en toutes ses parties, garde un air d’intempérante spontanéité. […] Un christianisme platonicien, qui semble retenir « le souverain plasmateur Dieu » comme efficace surtout pour liquider d’un coup tout l’embarras métaphysique, et qui, pour une raison analogue, éloigne toute précision de dogme : solution moyenne qui fait une religion d’honnêtes gens, pressés d’aviser à la pratique, et qui a bien l’air d’être le fond du spiritualisme français.
Il y avait plusieurs maisons où elle se trouvait chez elle : chez Mme d’Épinay571, chez le baron d’Holbach, qui encourageaient toutes les hardiesses, chez Mme Necker572, une bonne et intelligente femme sous son air un peu gourmé d’institutrice protestante, chez Mme Suard, la dévote de Voltaire. […] Le comte Almaviva met la justice au service de ses caprices amoureux : à travers son grand air, sa dignité de façade, on l’aperçoit immoral et berné.
Pour Buffon, la noblesse du style, c’est son grand air à lui, c’est le travail de toute sa vie pour garder cet air et se tenir toujours droit.
Ainsi encore Taine, poursuivant la « philosophie de l’art » en différents pays, n’a garde d’oublier que les habitants y furent et y sont toujours façonnés par les mille influences de la terre, de l’eau, de l’air ambiants. […] Il est visible ainsi que les invectives passionnées de Goncourt, la conception mélancolique de Sully Prudhomme et les théories de Darwin sur la lutte pour la vie sont des choses du même temps, trois formes d’une seule et même idée qui flottait dans l’air ambiant.
L’expression de ces sentiments, c’est un air de satisfaction sereine, de joie calme ; peut-être le sourire en est-il le mode le plus fort d’expression. […] Le sérieux demande du travail et de l’effort ; l’abandon, la liberté ; le laisser-aller se produisent d’eux-mêmes : aussi ont-ils un air de gaieté qui naît de l’absence de toute contrainte.
Ce qui semble naïveté chez eux n’est qu’une grâce et une fleur de langage qui orne leur maturité, et d’où leur expérience, si consommée qu’elle soit, prend à nos yeux je ne sais quel air de nouveauté précoce, qui la rend agréable et piquante, et qui l’insinue. […] Celui-ci, d’un air doux et sans effort, répond oui à tout, et fait si bien qu’en un instant son brusque adversaire passe du courroux à la joie, presque à la tendresse.
Seulement, il convient que celle-ci, tout en revenant finalement au même, n’ait jamais l’air d’être une leçon. […] Dans le cas présent, on a affaire à des intelligences neuves, non pas molles et tendres comme celles des enfants, à des intelligences en général droites, saines, bien qu’en partie atteintes déjà par les courants déclamatoires qui sont dans l’air du siècle, à des intelligences mâles et un peu rudes, peu maniables de prime-abord, et qui deviendraient aisément méfiantes, ombrageuses, qui se cabreraient certainement si on voulait leur imposer.
. — « Et toutefois, lui répondis-je, je n’aurai alors que vingt ans. » — « Cela est vrai, reprit-il en m’embrassant, mais, avec les lumières et les inclinations que vous avez, ce n’est pas peu qu’une année de l’air d’Italie ; et d’ailleurs, vous étonnez-vous si, avant que de mourir, je veux vous voir au moins encore une fois ? […] Cette Amarante, malgré son nom idéal, n’est point une Iris en l’air.
On sentait tellement le besoin d’un libérateur, qu’il y avait alors des Démétrius comme dans l’air. […] Chez l’honnête Prévost, au contraire, tout est naïf, et si coulant, si peu dépaysé, qu’on se demande encore aujourd’hui, à voir l’air de bonhomie du narrateur et son absence de sourire, si l’aventure n’est pas toute réelle et une pure copie de la vérité.
Nous ne nous moquons de personne, quoique nous en ayons furieusement l’air. […] Si au lieu de l’appeler l’Oiseau, Michelet avait appelé son livre « l’Air », eût-il eu un succès égal ?
En face de ce panorama grandiose, sur la hauteur inondée de lumière et d’air, elle n’a su faire jaillir que ce bloc de pierres sans élan, sans caractère ni majesté. […] Car ce sont là de saines nécropoles ; l’air empesté des tombes s’y change en virils et généreux parfums. « Pourquoi donc n’aurions-nous pas, à notre tour, notre Westminster et notre Campo Santo ?
On trouvait là un homme maigre, un peu voûté, les épaules saillantes, comme tous les poitrinaires ; les yeux d’un bleu pâle, profondément enfoncés dans l’orbite flétri, l’air pensif et mélancolique, portant dans toute sa personne une expression de fatigue, de noblesse et de résignation. […] Il n’avait point l’air de se douter qu’on fût là.
Le vrai est sous nos yeux ; mais nous n’avons pas encore le courage de l’adopter ; la masse des esprits reste inactive, incertaine, pendant des années entiéres ; & dès que l’on veut se donner un air capable dans le monde, on répète avec emphâse cet axiôme : Rien de nouveau. […] Leur air de bonté n’est ordinairement qu’un piége ou qu’un orgueil plus fin & plus raisonné. […] L’esprit étoit encore brute & grossier, quand il a créé tous ces demi-Dieux, qui par leur nombre ont donné à la Nature un air fantastique. […] La Comédie où l’on fait dominer un seul caractère pour lui assujettir tous les autres ; est évidemment sans vérité & sans art ; les autres personnages n’ont plus l’air que de servir à l’échaffaudage, & l’intrigue du Poëte paroit à nud, au lieu de la marche simple & naturelle des évènemens. […] Plusieurs Auteurs ont affecté la précision, parce qu’elle donne un air de profondeur ; mais quelquefois aussi, elle voîle la sécheresse de l’imagination.
Mais Paris, le monde, le sens artistique, offraient à Mérimée un champ de compensation, d’équilibre et d’éclat que l’air natal refusa à Amiel. […] La question à trancher ressemblait bien à l’affaire du mariage, où Montaigne compare la diversité des sentiments à ceux de l’oiseau en l’air qui envie l’oiseau en cage, de l’oiseau en cage qui envie l’oiseau en l’air. […] Tous deux venaient de mourir, et leurs places vides devenaient un appel d’air pour la génération montante. Vinet et Töpffer n’avaient ni cherché, ni cru sentir l’autre appel d’air, le grand, le dangereux, l’invincible, celui de Paris. […] Puis un Avril d’Orient est chanté sur l’air du Chalet en un costume d’argent voilé de gaze bleue : est-ce le nom de Céleste qui l’exige ?
Elles ne se trouvent réunies que dans des œuvres complètes, où alors, on put, les classant selon leurs affinités, éviter cet air de bariolage que prennent nécessairement nos recueils d’articles. […] Une fois que je tiens mon air, un autre bientôt vient s’ajouter au premier. […] Des quatre éléments, appert plus la clarté du feu ès yeux, l’air en la poitrine, l’eau au ventre et la terre ès jambes. […] L’absence de psychologie sérieuse, de sages observations scientifiques, donne à toute cette philosophie politique de jadis un air décidément enfantin. […] Parmi l’harmonie de tant d’ondulations invincibles, les actes de la charité commerciale viennent crever comme la bulle d’air revomie par une grenouille.
« À tant d’airs et de cantilènes il faut une basse et une médiane : allez, vous les trouverez sans peine, grâce aux rénettes de l’étang. […] Fils et petit-fils de tambourinaires, il ne jouait jamais que des airs chevrottés par les grand’mères aux veillées ; et il ne savait, il ne se lassait pas. […] Les chapeaux, les mouchoirs étaient en l’air, Roumestan appela le musicien sur l’estrade et lui sauta au cou : “Tu m’as fait pleurer, mon brave ! […] Nous assistons à ces complots de petite ville plate et bête, qui empoisonnent l’air le plus pur et voilent le ciel le plus riant. […] « Couché sur un coin du divan, la tête en bas, les jambes croisées en l’air, il se faisait les ongles avec une lime minuscule.
» Tel est l’effet curieux à étudier et désormais manifeste du génie lyrique dont on a abusé, de cette inspiration de pure fantaisie et de jeunesse où l’on avait tout mis, de cette lacune morale sous des airs de sentiment, de cette vie épicurienne et de plaisir sous un vernis de mysticisme et de religiosité.
Il y a quelque honneur à lui de n’avoir été au commencement du dix-huitième siècle ni un courtisan dissolu, ni un philosophe de bel air, ni un parlementaire étroit, mais de s’être montré dès l’abord citoyen sérieux sous la Régence, économiste sous le système, et plus tard ministre intègre sous Pompadour.
En nous donnant, au lieu de Mémoires historiques un mémoire de barreau en bonne forme, l’auteur assoit en quelque sorte le vainqueur de l’Argonne sur la sellette ; et dès lors cette figure, si pleine de mouvement et de vie, prend un air d’apparat, comme devant les juges.
Et, vraiment, cela purifie l’air, que souillent, à côté, les Zétulbés et les Sélikas.
Le col et le plastron de la chemise empesée font des taches de lumière amusantes par la crudité même de leur éclat et par un air de netteté unie et précise : mais je voudrais que la chemise molle, et même de couleur (rien ne lui interdirait d’être propre et jolie), fût partout tolérée, et à toutes les heures.
Mounet-Sully de ne pas réciter les strophes de l’Enfant grec ; ni pourquoi l’offrande, par les étudiants hellènes, d’une couronne à la tombe de Victor Hugo avait dû prendre des airs de cérémonie clandestine.
Charles Frémine : Vieux airs et Jeunes chansons.
A toute époque, il y a dans une société certaines idées nouvelles qui naissent à la fois dans un grand nombre d’esprits, des germes de pensées et de sentiments qu’on sent flotter autour de soi et qu’on respire, pour ainsi dire, dans l’air ambiant.
Enfin, la joie était revenue, et tous les airs de jalousie avaient disparu.
« Le Belier, s’avançant le premier dans les airs, redresse ses cornes étoilées, étale & fait briller l’or de sa toison ».
Il se flattoit d’avoir évité l’air décharné de l’abréviateur de Moreri ; d’avoir corrigé ses infidélités, relevé ses erreurs, repoussé ses calomnies, &c.
J’y cherche le censeur des lettres, le Caton et le Brutus de notre âge, je m’attendais à voir Epictete en habit négligé, en perruque ébouriffée, effrayant par son air sévère les littérateurs, les Grands et les gens du monde, et je n’y vois que l’auteur du Devin du village bien habillé, bien peigné, bien poudré et ridiculement assis sur une chaise de paille ; et il faut convenir que le vers de Marmontel dit très bien ce qu’est M.
Avec cette différence, que votre Christ, comme je vous l’ai déjà dit a l’air d’un noyé ou d’un supplicié, et que celui du Carrache est plein de noblesse ; que votre Vierge est froide et contournée en comparaison de celle du Carrache ; voyez l’action de cette main immobile posée sur la poitrine de son fils ; ce visage tiré ; cet air de pâmoison ; cette bouche entrouverte ; ces yeux fermés ; et cette Ste Anne, qu’en dites vous [?]
Ses libertez dans l’expression paroissent les saillies d’une verve naturelle, et ses vers composez d’après ceux de Virgile et d’Homere ont ainsi l’air original.
C’est que le talent de discerner le temperament du malade, la nature de l’air, sa temperature présente, les symptomes du mal, ainsi que l’instinct qui fait choisir le remede convenable et le moment de l’appliquer, dépendent du génie.
Nourri jusqu’à en pâlir des philosophes et des savants, entraîné au grand air par le lyrisme des Lamartine et des George Sand, mais encore bien âpre et livresque et provocant comme un curé breton, Renan eut tout pour séduire son siècle dès cet instant où Sainte-Beuve le fit homme de goût.
Mérimée eût été auprès de lui un représentant bien venu et bien choisi de l’esprit et de l’art nouveaux ; mais c’eût été un représentant tout individuel, lui offrant en soi une forme déjà parfaite, un moule exact aux arêtes vives, un profil de bronze, artiste à la fois charmant et sévère, osant beaucoup, disant peu, et s’abstenant volontiers, en tant qu’esprit, des échappées au dehors, des vues critiques conjecturales, des idées innombrables qui traversaient l’air en ce temps-là, et dont il n’était pourtant pas indifférent d’indiquer les traces. […] Ernest Descloseaux aussi eût donné une bonne idée de ses amis, lui qui des premiers chez nous connut bien Shakespeare et qui en parlait avec tant de précision et de sagacité, et pourtant avec son air fin écossais il était déjà comme un attorney actif, trop partagé dès ce temps entre les belles-lettres et les dossiers, qui bientôt l’absorbèrent. […] Avec ses cheveux blancs, sa robe de chambre bien blanche, il a un air tout candide et tout patriarcal. […] Un ou deux passages, une Nuit sur le Cattegat par exemple, cette traversée d’un bras de la mer du Nord près du Sund, se ressentait du contact habituel de Chateaubriand écrivain, et avait un air de grandeur qui devait appeler l’applaudissement du maître : c’était le morceau soigné, solennel, Varia di bravura. […] Ampère aimait à citer un mot du libraire Ladvocat, qui lui avait dit un jour de cet air impertinent qu’il affectait : « L’histoire littéraire, c’est à refaire tous les quinze ans. » Il citait ce mot d’un libraire jadis à la mode avec un certain rire amer et ironique, et comme pour s’excuser lui-même de n’avoir pas mené à fin son œuvre dans cette voie.
Il tenait d’ailleurs à sa vraie patrie et au vieux fonds boulonais par les qualités sagaces, avisées, modérées, lucides et circonscrites à la fois, et, dans l’expression si distinguée que ces qualités prirent en sa personne, on aurait pu reconnaître encore, plus qu’il n’aurait cru, quelques formes de l’esprit natal, l’air de famille d’un pays qui n’avait pas eu jusqu’à lui son représentant littéraire, où Voisenon, par bonheur, ne fit que passer, où Charron, hôte plus digne, fut convié une fois, où Le Sage est venu mourir98. […] Daunou lui-même), et, après le repas auquel il ne fit qu’assister, mais qu’il n’avait pas négligé pour cela, prenant un air plus grave, il avertit cet ami qu’il se sentait à bout de vivre, qu’il lui disait adieu une dernière fois et lui demandait pour service suprême de lui faire une petite lecture. « Allez, lui dit-il, vous trouverez dans mon cabinet un livre (dont il désigna la place), apportez-le et lisez-le-moi à la page marquée. » — L’ami, en allant chercher le livre, se demandait tout bas si le père Dotteville n’avait pas réfléchi à ce moment du grand passage, et si ce n’était point quelque lecture religieuse qu’il réclamait enfin. […] Aucune idée de blâme n’entre pour moi dans ce retour à des particularités oubliées ; il importait seulement de bien constater l’insensible déclin d’une congrégation sage, modérée, polie, qui avait trop de fenêtres ouvertes sur le monde pour que l’air extérieur n’y entrât pas très-aisément. […] Qu’on y voie du moins combien Daunou était radicalement de son siècle, et, sous ses airs timides, aussi rénovateur que Condorcet. […] Un moraliste a pu dire, en recouvrant l’amertume du résultat sous un air de grâce : Bien des honnêtes gens sont comme le Sommeil, au quatorzième livre de l’Iliade, quand Junon veut le séduire pour qu’il aille endormir Jupiter : elle lui offre un beau trône d’or, et il refuse ; elle lui offre Pasithée dont il est amoureux, et il oublie tout, il succombe. » 118.
Le soleil brûlant, l’étrange végétation de cocotiers et de palmiers, le champ de riz, le réservoir d’eau, les arbres énormes, plus vieux que l’empire Mogol, sous lesquels s’assemblent les foules villageoises, le toit de chaume de la hutte du paysan, les riches arabesques de la mosquée où l’iman prie la face tournée vers la Mecque, les tambours et les bannières, les idoles parées, le pénitent balancé dans l’air, la gracieuse jeune fille, avec sa cruche sur la tête, descendant les marches de la rivière, les figures noires, les longues barbes, les bandes jaunes des sectaires, les turbans et les robes flottantes, les lances et les masses d’armes, les éléphants avec leurs pavillons de parade, le splendide palanquin du prince, la litière fermée de la noble dame ; toutes ces choses étaient pour lui comme les objets parmi lesquels sa vie s’était passée, comme les objets qui sont sur la route entre Beaconsfield et Saint-James Street. […] Parfois, une bande égorge d’un coup cinquante ou soixante bêtes, enlève les peaux et abandonne les corps qui empoisonnent l’air. […] Il n’est pas à croire que saint Dominique, pour le meilleur archevêché de la chrétienté, eût poussé des pillards féroces à voler et à massacrer une population pacifique et industrieuse, qu’Éverard Digby, pour un duché, eût fait sauter une grande assemblée en l’air, ou que Robespierre eût tué, moyennant salaire, une seule des personnes dont il tua des milliers par philanthropie. […] The burning sun, the strange vegetation of the palm and cocoa-tree, the rice-field, the tank, the huge trees, older than the Mogul empire, under which the village crowds assemble, the thatched roof of the peasant’s hut, the rich tracery of the mosque where the imaun prays with his face to the Mecca, the drums and banners and gaudy idols, the devotee swinging in the air, the graceful maiden, with the pitcher on her head, descending the steps to the river-side, the black faces, the long beards, the yellow streaks of sect, the turbans and the flowing robes, the spears and the silver maces, the elephants with their canopies of state, the gorgeous palanquin of the prince, and the close litter of the noble lady, all those things were to him as the objects amidst which his own life had been placed, as the objects which lay on the road between Beaconsfield and Saint-James street. […] There is no reason to believe that Dominic would, for the best archbishopric in Christendom, have incited ferocious marauders to plunder and slaughter a peaceful and industrious population, that Everard Digby would for a dukedom have blown a large assembly of people into the air, or that Robespierre would have murdered for hire one of the thousands whom he murdered from philanthropy.
Soit qu’on chante sur un air nouveau la vieille chanson, soit qu’on mette sur un air ancien une chanson nouvelle, cela déjà peut raviver l’intérêt. Le mieux serait, j’en conviens, que tout fût nouveau, l’air et la chanson ; mais un si heureux privilège n’est donné qu’à un petit nombre. […] Chez lui, ce personnage, faute d’espace et d’air, est un peu monotone, quoique les sentiments en soient généreux et touchants. […] Et enfin, content, il se vante « d’avoir donné à ce pauvre Cid vingt fois de l’épée dans le corps jusqu’à la garde ; sans compter un nombre infini de blessures en tous les membres. » Lui qui appelle le comte de Gormas un capitan matamore, n’a-t-il pas un peu l’air d’un capitaine Fracasse ? […] « La première fois que je le vis, dit Vigneul-Marville, je le pris pour un marchand de Rouen. » « M.Corneille, dit Fontenelle, était assez grand et assez plein, l’air fort simple et fort commun. » C’est-à-dire, pareil au commun des hommes, au premier venu.
La musique est l’air respirable des âmes contemporaines ; elles l’absorbent comme nos poumons respirent l’air, naturellement et pour ainsi dire à leur insu. […] Nos soldats ont rendu leur vie à Dieu comme un son meurt dans l’air ou comme un parfum s’évapore. […] Cet air, encore cet air ! […] Là, la passion, le meurtre, le brigandage même sont nobles et séduisent par leur air de grandeur. […] Les associations moraves ne sont pas des couvents, et cependant tout y a un air à demi conventuel.
Il semble qu’au sortir d’une chambre l’air vicié on respire tout à coup au grand air libre. […] Là où le terrain était riche et l’air sain, l’idée nouvelle a germé et s’est épanouie largement, tandis que là où elle n’a pu trouver dans le sol même son indispensable nourriture, elle n’a poussé que quelques maigres tiges vite étiolées. […] L’air lourd et chargé de miasmes des chambres de malades, fermées au grand air libre, semble y flotter. […] L’enfance exige impérieusement l’air et le libre espace. […] Celles-ci, par exemple : la terre tourne, la graine germe, la plante croît, l’animal vit et meurt, le soleil brille et chauffe, la pierre est un solide, l’eau est un liquide, l’air est un gaz, le père procrée l’enfant, etc., etc.