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1150. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Être à même de traduire les mœurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, en un mot, faire de l’art vivant, tel est mon but. […] « Je parierais, écrit-il à un ami en 1822, que, dans vingt ans, l’on jouera, en France, Shakespeare en prose. » Il y a de cela trente-trois ans, et, bien certainement, madame, nous n’aurons pas cette jouissance de notre vivant ; M.  […] Dans le domaine des arts, il est d’habitude d’assommer les vivants avec les morts, les œuvres nouvelles d’un maître avec ses anciennes. […] Tous les personnages en sont vivants. […] On reconnaît à peu près unanimement que tous ces siècles-là ne sont décidément pas notre siècle, et une fois si bien lancé sur le terrain de la logique, on n’hésite même pas trop à déclarer que la littérature de 1830 a aussi complètement cessé d’être la littérature vivante de notre époque, que les manches à gigots d’alors ont cessé de faire la parure de nos dames.

1151. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Celle-ci n’est qu’une variante — relativement assez moderne — d’un thème très antique et très répandu, l’aventure du mortel qui, grâce à l’amour d’une déesse, pénètre tout vivant dans la région surnaturelle où brille un éternel printemps, où règne un immuable bonheur. […] Des mortels y sont allés, et l’on en a vu revenir vivants quelques-uns qui y sont retournés pour toujours. […] Et il va ainsi vagabondant par le monde, et il ira jusqu’à ce que Dieu vienne juger les vivants et les morts en sa majesté dans la vallée de Josaphat. […] Pour nous, il nous intéresse surtout comme un document vivant sur la légende dont il a prétendu se faire le héros. […] En partie sans doute de l’importance que cette même poésie, suivant la tradition d’une poésie populaire plus ancienne, attache au « renouveau » de la saison d’amour, dont les chansons des oiseaux sont comme la musique vivante : ces chansons ne donnent-elles pas aux cœurs jeunes des conseils d’amour qu’ils se plaisent naturellement à traduire en paroles naïves ?

1152. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Il est plus à propos de passer au microscope une pincée de farine et d’y chercher avec patience parmi le son le vivant amyle. […] Eschyle croit que la relation qui existe de son vivant entre les Suppliantes et l’opinion publique se maintiendra équivalente au cours des âges. […] Cette dérivation est toujours dominée par un sens concret, réel et vivant ; aucun homme, s’il n’a fait des études spéciales qui lui aient gâté l’esprit, n’a le sens des racines. […] Au contraire, la distinction n’en serait que plus marquée entre la fille vivant à sa guise dans le monde et la fille confinée dans sa famille. […] La supériorité d’une race, d’un groupe d’êtres vivants, est en raison directe de sa puissance de mensonge, c’est-à-dire de réaction contre la réalité.

1153. (1888) Portraits de maîtres

Jeune postérité d’un vivant qui vous aime ! […] Ô morte toujours vivante, ô généreuse châtelaine de Nohant, ne sommes-nous pas tous les enfants de votre pensée, les fils de votre flamme ? […] Dans cette partie vivante et féconde de son enseignement résident pour nous les titres de Michelet professeur. […] Deux ans plus tard, Quinet devait trouver à Paris le même succès, décuplé par le retentissement d’un milieu plus vibrant et plus vivant encore. […] Ce mort d’hier, ce vivant de l’immortalité, nous a prodigué toutes les gloires.

1154. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Loti a le culte de la nature, au sens où l’entendaient les anciens, de la nature créatrice, source de toute vie, et seule vivante, de l’éternelle Isis qu’a chantée Lucrèce. […] L’esprit du critique est un miroir sensible et vivant sur lequel il y a plaisir à voir passer les images venues de tous les coins de la littérature. […] Jules Lemaître est très vivant. […] Une critique qui soulève autour d’elle tant de réclamations, c’est la preuve à tout le moins qu’elle existe, qu’elle est vivante et bien vivante. […] Ce système est un moyen, vaille que vaille, pour rendre la prédication plus vivante.

1155. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

La science était petite encore et peu expérimentée ; mais elle était bien vivante et promettait beaucoup. […] Il souhaite la gloire ardemment ; et non pas seulement cette gloire abstraite, telle que nous la concevons dans nos sociétés vieillies, et dont le froid éclat ne resplendit que sur les tombeaux ; il en veut sentir à son front le rayon vivant. […] Mais, dites-moi, cette exposition de la Comédie, qui se faisait dans les églises, elle s’accorde mal, ce me semble, avec ce que vous nous disiez hier, que Dante avait été de son vivant suspecté d’hérésie. […] Comme cela est personnel et vivant, familier et solennel tout ensemble ! […] Pour voir ce phénomène étrange, un homme vivant dans l’enfer, Farinata s’est dressé dans son sépulcre : Ô Toscan qui, par la cité du feu, Vivant, t’en vas, ainsi parlant discrètement, Qu’il te plaise t’arrêter dans ce lieu.

1156. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

L’autre printemps, l’autre éclosion vivante est au Champ de Mars. […] Mais voici la synthèse, et, après le démontage de la machine pièce par pièce, la machine vivante. […] Enfin (car, vivant beaucoup dans la rue, j’ai suivi de près toute cette évolution) voici les dégustateurs automatiques. […] Il y en a (de braves gens) qui fondent de leur vivant des hôpitaux et des œuvres philanthropiques. […] Il a fait, lui aussi, à sa façon (et cette façon est claire, sincère et vivante), ses Rois en exil.

1157. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Je me glisse, dans la nuit, à Auteuil, où il n’y a pas un vivant dans la rue, pas une lumière aux fenêtres, et par les rues à l’aspect morne, je vois passer des Bavarois, qui se promènent, quatre par quatre, mal à l’aise dans cette mort de la ville. […] Par le rideau entr’ouvert des voitures d’ambulance, je vois des têtes mortes ou vivantes de blessés, les yeux fixes. […] Quelqu’un vivant en contact avec les gouvernants de l’heure présente, et que je rencontre, me dit négligemment : « Il se pourrait bien que, cette nuit, on fusillât l’archevêque !  […] L’avachissement, l’indifférence de cette population vivant sous la main de cette canaille triomphante, m’exaspère. […] Un autre, s’embarrassant dans les morts et les vivants, ne pouvait se rappeler s’il en avait eu quinze ou dix-huit.

1158. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

On a aussi beaucoup écrit, à propos de sa haine contre le christianisme, comme de sa seule passion palpitante et vivante. […] Nuits de Londres, ainsi s’intitule le nouveau livre du délicat et vivant poète. […] Il y a des fleurs, aussi, des fleurs vivantes qui éclosent une nuit ou deux avant que les parfums ne s’en aillent. […] Cette messe était célébrée par les soins du Révérend Père Sabela, un Allemand du grand-duché de Nassau, fixé en Angleterre et vivant assez parcimonieusement avec son frère et sa sœur. […] Cette manière de concevoir et de procéder me semble et semblera sans doute plus particulièrement vivante et directe que toute cette psychologie purement descriptive qu’affectent nos « modernes ».

1159. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

XIII « Il y a des êtres qui n’en demandent pas davantage ; vivants qui, ayant l’azur du ciel, disent : C’est assez ! […] N’est-ce pas misère que ces infirmités, ces maladies inévitables qui nous privent, nous vivants, d’un de ces sens si bornés dont la nature nous a si parcimonieusement doués en naissant, comme conditions nécessaires à notre existence ? […] L’utopie insurrection combat, le vieux code militaire au poing ; elle fusille les espions ; elle exécute les traîtres, elle supprime des êtres vivants et les jette dans les ténèbres inconnues.

1160. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Mais son écriture tremblante, incertaine, surchargée de corrections, nous disait que peut-être nous aurions bientôt à sceller d’une pierre solide et pesante la biographie du vivant. […] J’ai tâché de faire voir dans le Cosmos, comme dans les Tableaux de la nature, que la description exacte et précise des phénomènes n’est pas absolument inconciliable avec la peinture animée et vivante des scènes imposantes de la création. […] Il examine ensuite l’écorce de notre planète et la géographie des plantes vivantes ou fossiles : ce n’est plus qu’un naturaliste ; puis la formation des montagnes par l’action du feu ou plutonium ; puis les mers, les vents, les climats, l’électricité ; puis la vie, puis les animaux, puis l’homme.

1161. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Il avait manqué au pacte social, à la complicité tacite qui lie tous les hommes vivant en société. […] Tire-toi donc d’affaire tout seul si tu peux, ou en vivant en parasite sur moi si tu es assez habile pour le faire. […] Il l’a isolé du reste de la nature, il l’a élevé au-dessus de tous les êtres vivants, creusant un infranchissable abîme entre lui et ses parents animaux les plus rapprochés.

1162. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Si l’on ne tombait pas juste, on craignait une peste, quelque engloutissement de ville, un pays tout entier changé en marais, tel ou tel de ces fléaux dont il disposait de son vivant. […] Tous les chefs étaient assemblés dans la cellule, autour du grand corps noir, gisant à terre, quand l’un d’eux ouvrit un sage avis : « De son vivant, nous n’avons jamais pu le comprendre ; il était plus facile de dessiner la vie de l’hirondelle au ciel que de suivre la trace de ses pensées ; mort, qu’il fasse encore à sa tête. […] Demeurés seuls debout comme les restes d’un monde de géants, chargés de la haine du genre humain, ils n’avaient plus de commerce possible avec les vivants.

1163. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Les gens épris du théâtre et de la musique connaîtront alors la puissance de son génie ; ils verront que l’œuvre wagnérienne est exclusivement une analyse psychique exprimée par des procédés nouveaux, parfaits ; et la différence alors sera manifeste à tous, entre ce drame profond, logique, vivant, et les vides sonorités conservatoriennes des compositeurs qui injurient Wagner, et profitent du wagnérisme qu’on suppose à leurs œuvres. […] La fable, très simple du reste, le modelé des types et des figures, l’idéalité vivante des personnages, le réalisme poétique des scènes, tout est sorti de ce puissant cerveau, tout a jailli de cette imagination inépuisable. […] 5° Arthur Seidl : — À propos d’une représentation des Maîtres Chanteurs à Leipzig. — L’auteur, un jeune étudiant, et fondateur des associations wagnériennes universitaires de Munich et de Tübingen, décrit les impressions ressenties lors de cette représentation et établit une comparaison intéressante entre l’œuvre vivante du Maître et l’image inanimée que tracent les savants universitaires, de cette période si remplie de l’histoire allemande.

1164. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

si j’étais plus jeune, le beau roman à recommencer sur le monde de l’art, et à faire tout dissemblable de Manette Salomon, avec un peintre de l’avenue de Villiers, un peintre-bohème, vivant dans le grand monde et la high life, comme Forain, un raisonneur d’art, à la façon de Degas, et toutes les variétés de l’artiste impressionniste. […] Et il était heureux de la promenade sur son tapis, de cette chose vivante et éclairée. […] Là, à Nancy, d’où je devais repartir le lendemain, je perdais mon frère, — qui se retrouvait vivant dans mon rêve.

1165. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Tout être vivant tend à se défendre contre les changements que lui impose la nature ; c’est là un fait primordial et universel que les évolutionnistes ont eu tort de ne pas apercevoirdg. […] Herber Spencer qui, dans ses Principes de Biologie dh ne distingue l’être vivant de l’être inanimé que par la tendance plus grande du premier à s’adapter aux circonstances extérieures, nous paraissent entièrement défectueuses. […] L’adaptation des êtres vivants est évidemment le résultat d’une harmonie sans cesse rétablie entre la nature organique et inorganique, ou, si l’on aime mieux, un accident, ou encore la conséquence de la commune substance de toutes deux.

1166. (1929) La société des grands esprits

La société des grands esprits se compose forcément de plus de morts que de vivants, sans exclure a priori ces derniers. […] Le Dieu des chrétiens n’est pas seulement l’auteur des vérités géométriques et de l’ordre du monde, mais un Dieu vivant qui remplit le cœur et l’âme. […] Ce qui importe davantage, c’est que sa mémoire et son œuvre demeurent vivantes dans les esprits. […] Mais les plus récentes, qui se raréfient, montrent combien il reste vivant, puisqu’il est encore si furieusement discuté. […] Homais fulmine contre « Messieurs de Loyola » et contre la « calotte », mais aussi, vivant sous Louis-Philippe, il est royaliste et boit au « monarque ».

1167. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

… Et encore une fois, je ne me serais point abandonné à ces considérations chagrines et superflues, si Marco était vivante. […] Maître Guérin est donc bien vivant ; il l’est avec ampleur, carrure, plénitude, éclat. […] etc… » Et au cinquième acte : « … j’ai rempli ma tâche, une dure tâche, celle d’un faiseur de coupes sombres dans les vivants, etc… » Oh ! […] Elle est vivante ou, mieux, vivace ; elle a le diable au corps ; elle est, elle aussi, « une force de la nature », avec des épaules encore maigriottes et deux nattes sur le dos. […] Non, car elles sont vivantes.

1168. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Mais il faut terminer cette analyse, qui n’est déjà que trop longue, et quitter les grands morts, car il y a là des vivants, de tout petits vivants qui m’attendent. […] Il s’agit d’apprendre avec précaution à une mère que son fils qu’elle croit mort est vivant. […] Voir un roi vivant, un roi de notre temps, en plein jour, marcher au milieu de la foule, avec le globe dans une main et le sceptre dans l’autre ! […] Un soir, en rentrant chez lui, il voit des malles, des effets de voyage épars sur le plancher : la nouvelle était fausse, sa femme est vivante, sa femme est revenue, Lise est perdue pour lui. […] Il était là tout à l’heure, il était de l’équipage, il allait et venait sur le pont avec les autres, il avait sa part de respiration et de soleil, il était un vivant.

1169. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Helvia était du premier lit, sa sœur du second ; leur père était vivant et résidait en Espagne : elles avaient été élevées dans une maison austère, où les mœurs anciennes s’étaient conservées. […] Grâce à la justice des immortels et à ma prudence, il me reste une ressource : le fils de Claude est vivant ; je le montrerai à l’armée. […] Sans doute, lorsque la plainte eût entraîné, de son vivant, des éclaircissements nuisibles à la réputation et au repos d’un nombre de gens de bien. […] Ce cri cesse-t-il de retentir un moment au fond du cœur de tout être vivant ? […] , cap. xxxviii)  ; ’ÈpO Savovroç yaîa (JU^OTÎTCO TCupt : il reprend, è ;;.ou Çûvro ; de mon vivant.

1170. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Elle a pénétré dans l’histoire, dans la science, dans l’érudition, dans la poésie, dans l’art, animant ce qui semblait mort, fécondant ce qui semblait stérile, et parfois substituant des fleurs vivantes et fraîches à des plantes desséchées dans l’herbier. […] À ce premier sacrifice que réclament les véritables amis de l’auteur, il sied d’en ajouter un autre, qui, de son vivant, eût irrité une des plaies toujours saignantes de ses ambitions littéraires : le théâtre ! […] Mais il existe dans le monde une force, une grâce, une influence, toujours présente, toujours vivante ; une puissance anonyme et charmante qui résiste à nos variations sociales. […] Un critique très spirituel a conseillé, à propos des auteurs vivants, d’avoir toujours soin, même en les louant, de ne pas paraître leur dupe. Ce qu’il a dit des vivants en littérature, on pourrait le dire des morts en histoire.

1171. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Il avait suivi à Francfort et il espérait suivre un jour à Weimar et à Wetzlar les souvenirs de Goethe, selon le principe posé par Goethe lui-même : « Quiconque veut comprendre le poète doit aller dans le pays du poète. » C’était son dilettantisme à lui et mieux que cela, sa méthode vivante d’interprétation et de critique littéraire. […] Le plan de mes leçons est plus simple, mes analyses sont plus rapides et plus vivantes, j’ai eu le courage de jeter toutes mes notes, afin de monter en chaire avec une entière liberté d’esprit et de regarder les gens en face, et il se trouve naturellement que je dis mieux ce que je veux dire et suis mieux compris. […] Ce cours, quoique le ton fût resté un peu trop solennel, était vivant, plus vivant que le très bon livre sur Bossuet couronné par l’Académie.

1172. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Chacun de ces portraits laisse une empreinte vivante dans l’imagination. […] Elle y trouve rassemblées dans le palais d’Hector ses nombreuses femmes, et sa présence redouble leurs sanglots ; toutes ces femmes du palais pleurent sur Hector, bien qu’il soit encore vivant. » À cet admirable tableau de famille du héros sans jactance, qui sacrifie modestement son amour d’époux, sa tendresse de père, sa vie de soldat à sa patrie, Homère oppose à l’instant le contraste scandaleux de la femme adultère et du lâche guerrier qui étale avec ostentation aux yeux le courage qui lui manque au cœur. […] « Un aigle intrépide, laissant à sa gauche l’armée des Troyens en s’élevant dans les airs, emporte entre ses ongles un serpent énorme, sanglant, vivant, palpitant encore. […] Celui qui a le bonheur de posséder ses parents vivants le repousse de sa table en l’offensant par d’amères paroles.

1173. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Je dis cela à propos d’Oliphant, ce diplomate du journalisme, qui, un beau jour, quitte sa grande existence pour faire partie d’une petite secte religieuse, vivant sur le bord d’un fleuve d’Amérique. […] Des êtres, nés de ma rêverie, commençaient à prendre autour de moi une réalité vivante, des morceaux d’écriture se rangeaient dans le dessin vague d’un plan naissant. […] De ces eaux-fortes pour lesquelles les manieurs de la pointe n’avaient pas, de son vivant, assez d’encouragement décourageant, de sourires ironiquement bienveillants, de mépris enfin, l’auteur, le pauvre, enfant, ne se doutait pas que bien peu d’années après sa mort, on en ferait un des plus beaux livres, publiés à la mémoire d’un aquafortiste. […] Un ancien curé vivant avec son neveu dans le vieux château de Gié, entre des murs de dix pieds d’épaisseur.

1174. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Et bientôt une insomnie cauchemarresque, où moitié dormant, moitié éveillé, je voyais que l’on faisait, de mon vivant, une vente de toutes mes collections, en un endroit pareil à une place de village, et dans laquelle les trois quarts des objets étaient égarés, perdus, volés, ne se retrouvaient pas, et au milieu de mes désespoirs, de mes fureurs, dire l’ironie muette des crieurs, de l’expert, du commissaire-priseur. […] Ces jours-ci, sur une demande directe d’en faire partie, et sur une aimable indiscrétion de Daudet, m’apprenant que je devais en être nommé président, je répondais à Toudouze par un refus formel, même brutal, lui déclarant que j’étais un individu vivant hors cadre, et pas du tout fabriqué pour faire partie d’une société. […] Montesquiou me dit qu’il a rassemblé beaucoup de notes et de renseignements sur Whistler, qu’un jour il veut écrire une étude sur lui, laissant échapper de l’admiration pour cet homme qui, dit-il, a réglé sa vie, de manière à obtenir de son vivant des victoires, qui sont pour les autres, la plupart du temps, des victoires posthumes. […] Alors ma voisine me dit : « Quand une femme est arrivée au moment, où l’essai de ses robes ne lui prend plus tout son temps, où l’amour ne l’amuse plus, où la religion ne s’en est pas emparée, elle a besoin de s’occuper d’une maladie, et d’occuper un médecin de sa personne. » Mardi 4 juillet Là, en ce centre de Paris, au milieu de ces habitations, toutes vivantes à l’intérieur, là, en ce plein éclairage a giorno de la ville, sur cette Maison Tortoni ; 22, cette maison avec ses lanternes non allumées, avec ses volets blancs fermés, son petit perron aux trois marches, où dans mon enfance, se tenaient appuyés, un moment, sur les deux rampes, de vieux beaux mâchonnant un cure-dent, aujourd’hui vide, il me semble lire une bande de papier, écrite à la main : « Fermé pour cause de décès du Boulevard Italien. » Samedi 8 juillet Enterrement de Maupassant, dans cette église de Chaillot, où j’ai assisté au mariage de Louise L… que j’ai eu, un moment, l’idée d’épouser.

1175. (1894) Critique de combat

Les fragments séparés cherchent à se rejoindre : de là l’attraction qui pousse les astres vers les astres, les molécules vers les molécules, les vivants vers les vivants. […] Elle a volontairement le style peuple, j’entends le style vivant, énergique, pittoresque, familier. […] Il lui manque, je ne dis pas pour plaire (l’auteur l’a voulu répugnant), mais pour faire l’effet d’un être vivant, de paraître possible. […] Quel besoin de faire du grand naturaliste une sorte d’anachronisme vivant ? […] Elle est un être organisé, vivant.

1176. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

À cela il a été répondu, moins comme contradiction directe à ce que ces éloges avaient, liitérairement, de mérité, que comme correctif et au point de vue où la commission avait à juger l’ouvrage, qu’il ne paraissait point du tout certain que la peinture fidèle de ce vilain monde fût d’un effet moral aussi assuré ; que le personnage même le plus odieux de la pièce avait encore bien du charme ; que le personnage même le plus honnête, et qui fait le rôle de réparateur, était bien mêlé aux autres et en tenait encore pour la conduite et pour le ton ; que le goût du spectateur n’est pas toujours sain, que la curiosité est parfois singulière dans ses caprices, qu’on aime quelquefois à vérifier le mal qu’on vient de voir si spirituellement retracé et si vivant ; que, dans les ouvrages déjà anciens, ces sortes de peintures refroidies n’ont sans doute aucun inconvénient, et que ce n’est plus qu’un tableau de mœurs, mais que l’image très vive et très à nu, et en même temps si amusante, des vices contemporains, court risque de toucher autrement qu’il ne faudrait, et qu’il en peut sortir une contagion subtile, si un large courant de verve purifiante et saine ne circule à côté.

1177. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

André Chénier est un poëte vivant.

1178. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Tous sont vivants, excepté Pouschkine, le seul dont le nom, en même temps que le malheur, nous soit parvenu.

1179. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Mais tout, dans les poètes, rappelle l’influence des cours : la plupart d’entre eux désirant de plaire à Auguste, vivant auprès de lui, donnèrent à la littérature le caractère qu’elle doit prendre sous l’empire d’un monarque qui veut captiver l’opinion, sans rien céder de la puissance qu’il possède.

1180. (1890) L’avenir de la science « XI »

Les langues sémitiques, quoique bien moins vivantes que les langues indo-germaniques, ont suivi une marche analogue.

1181. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

L’Histoire des Girondins est un morceau vivant.

1182. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Après la séance de dessin un habile anatomiste expliquera à mon élève l’écorché, et lui fera l’application de ses leçons sur le nu animé et vivant ; et il ne dessinera d’après l’écorché que douze fois au plus dans une année.

1183. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Seconde faculté d’une Université. Faculté de médecine. » pp. 497-505

Nous pouvons disparaître d’entre les vivants sans qu’on s’en aperçoive.

1184. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

Il nous faut des témoins vivants.

1185. (1762) Réflexions sur l’ode

Mais ces messieurs ne louent jamais que les morts, ou les vivants que la mort fait oublier.

1186. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Mais bas-bleu de bonne heure, élevée sans mère dont elle ne parle pas et par un père qui pour tuer en elle le sentiment religieux et la prédisposer à la philosophie, lui faisait lire la correspondance de Voltaire et du Roi de Prusse, cette Prudence, sans prudence, ne fit, en vivant, que foncer son indigo davantage ; et ses amours, même les plus jeunes, et qui auraient dû être si roses, ne furent que de vaniteux amours de bas-bleu.

1187. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

… Une plume vivante !

1188. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

On a mieux aimé admettre la France passive et pétrie par la main d’un artiste en domination, que vivante et se plaçant d’elle-même dans le milieu où elle pût le plus spontanément agir, sous la main sympathique et ferme d’un grand homme qui l’eût devinée.

1189. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

Nous oublions trop que le grand caractère de l’Histoire c’est d’être une peseuse de poussière, et que des écroulements définitifs, des fins accomplies, conviennent mieux à cette Observatrice funèbre que des choses vivantes encore, qui déconcerteraient son œil et sa main.

1190. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Le Traité du Prince et L’Esprit des Lois, dépassés, jugés, presque méprisés, dans leur fond, à cette heure, grâce à notre éducation et à notre expérience politiques, sont encore vivants par leur forme, qui, si elle n’est pas immortelle, mettra du moins plus de temps à mourir… Et s’il en est ainsi pour les œuvres de Machiavel et de Montesquieu, qui eurent leur jour de nouveauté et de profondeur dans la pensée, à plus forte raison pour un livre inférieur à ceux-là, pour un recueil, écrit au jour le jour, d’observations piquantes, — je le veux bien ! 

1191. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Déjà le Sancho est épaissi dans l’ouvrage d’Avellaneda ; cette malice narquoise qui pétille autour de la bouche lippue et gourmande du jovial écuyer, ce rayon de finesse et de sensibilité que Cervantes a mis dans son admirable paysan et qui en fait un homme et non une brute, non une outre vivante, un ventre de cruche comme dans Avellaneda, tout cela n’est plus.

1192. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Taine »

Toutes ces constructions de sensations, toutes ces reviviscences d’images, toutes ces études d’hallucination, toutes ces dentelles d’analyses physiologiques faites au microscope, tous ces fils de la Vierge qu’on nous montre entre l’index et le pouce, toutes ces bluettes, en fin, qu’on veut nous donner et qu’on nous donne, c’est pour que nous ne puissions apercevoir du premier regard le but où l’on veut nous conduire, et ce but, c’est de réduire les plus grandes et les plus vivantes choses qu’il y ait dans le cœur et la tête de l’homme : Dieu, l’âme et le devoir, à n’être qu’une vile sensation, un ridicule bruit de sonnette dont on tire le cordon, en attendant qu’avec ce cordon on puisse les étrangler.

1193. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

Mais il est très compté comme auteur dramatique, — un auteur dramatique de seconde ou de troisième catégorie, — et surtout comme un des prêtres de l’Église Hugo, de cette Église où Victor Hugo, l’archevêque, selon l’expression si comique et si vivante de Cousin, pontifie depuis plus de trente ans, sous son fameux dais historique.

1194. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

Sur le pupitre vert placé devant lui sa main tient encore la lettre perfide : « Citoyen, il suffit que je sois bien malheureuse pour avoir droit à votre bienveillance. » L’eau de la baignoire est rougie de sang, le papier est sanglant ; à terre gît un grand couteau de cuisine trempé de sang ; sur un misérable support de planches qui composait le mobilier de travail de l’infatigable journaliste, on lit : « A Marat, David. » Tous ces détails sont historiques et réels, comme un roman de Balzac ; le drame est là, vivant dans toute sa lamentable horreur, et par un tour de force étrange qui fait de cette peinture le chef-d’œuvre de David et une des grandes curiosités de l’art moderne, elle n’a rien de trivial ni d’ignoble.

1195. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

C’est à la même idée que tenait l’apothéose de leurs prédécesseurs ; la fantaisie de se faire adorer de leur vivant ; les temples qu’on leur élevait dans toutes les parties de l’empire ; la multitude énorme de statues d’or et d’argent, de colonnes et d’arcs de triomphe ; le caractère sacré imprimé à leurs images et jusqu’à leurs monnaies ; le titre de seigneur et de maître que Tibère même avait rejeté avec horreur, et qui fut commun sous Domitien ; la formule des officiers de l’empereur, qui écrivaient, voici ce qu’ordonne notre Seigneur et notre Dieu 50 ; et quand les princes, par les longs séjours et les guerres qui les retenaient en Orient, furent accoutumés à l’esprit de ces climats ; la servitude des mœurs, l’habitude de se prosterner, consacrée par l’usage et ordonnée par la loi.

1196. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Nous voici à l’époque de Constantin, c’est-à-dire, un des princes qui ont eu le malheur d’être le plus loués de leur vivant, et celui de tous les hommes qui peut-être a causé les plus grands changements sur la terre.

1197. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

Je cède au vent qui souffle ; et comme tels et tels, J’aime mieux être enfin un seigneur en nature, Un Chapelain vivant, qu’un Homère en peinture.

1198. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Ampère, ce littérateur polygraphe et complexe, cet esprit trois fois distingué, dont la valeur individuelle est si intimement liée aux maîtres, aux amis, à toute la génération qu’il représente, et à l’ensemble du mouvement intellectuel de son époque, une telle Étude exige un premier coup d’œil et un aperçu qui embrasse rapidement le progrès antérieur et l’état de la littérature comparée en France au moment où il y intervint, car Ampère, à son moment, a peut-être été le critique et l’historien le plus curieux, le plus à l’affût et le mieux informé des littératures étrangères, le plus attentif à les interroger et à nous les présenter dans leurs vivants rapports avec la nôtre. […] On sera peut-être curieux de savoir comment Chateaubriand, qui régnait dans le salon de Mme Récamier, accueillait ces louanges en l’honneur de Goethe, et cette admiration qui tenait du culte et qui s’adressait de son vivant à un autre que lui. […] Il n’a fait qu’effleurer la Laponie, mais l’aperçu qu’il en a tracé est vivant et s’anime, jusque dans sa réalité, d’un souffle de sympathie humaine. […] Ce que rejette Ampère, ce qu’il admet pour commencer me paraît tout à fait arbitraire et dépendre moins d’une méthode que d’une impression personnelle et d’une espèce de divination qu’il aurait acquise en vivant beaucoup dans les mêmes lieux et en dormant dans l’antre de la sibylle. […] Il y a tel chapitre en effet de cette histoire ancienne que l’on dirait écrit par un émigré, tant la prévention vivante y domine !

1199. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

» La croyance en Dieu, la croyance du cœur, non pas la phrase du catéchisme, mais l’émotion intime, l’habitude de se représenter la justice toujours vivante et partout présente, voilà le sang nouveau que la Réforme a fait entrer dans les veines du vieux monde, et qui seul s’est trouvé capable de le rajeunir et de le ranimer. […] Vous racontez à la fin de Clarisse la punition de tous les méchants, grands ou petits, sans en épargner un seul ; le lecteur rit, dit que les choses se passent autrement dans le monde, et vous invite à insérer ici, comme Arnolphe, la peinture « des chaudières où les âmes mal vivantes vont bouillir en enfer. » Nous ne sommes point si sots que vous le pensez. […] Il n’y en a point chez lui de plus vivants que ceux-là, de plus largement tracés à grands traits et d’un élan, d’une couleur plus saine. […] Je veux un cœur vivant, plein de chaleur et de force, non un pédant sec occupé à aligner au cordeau toutes ses actions. […] En effet, Sterne est un malade humoriste et excentrique, ecclésiastique et libertin, joueur de violon et philosophe, « qui geint sur un âne mort et délaisse sa mère vivante », égoïste de fait, sensible en paroles, et qui en toutes choses prend le contre-pied de lui-même et d’autrui.

1200. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Nous sommes parvenus à définir le mouvement des planètes par la force tangentielle et l’attraction qui le composent ; nous définissons déjà en partie le corps chimique par la notion d’équivalent, et le corps vivant par la notion de type. […] Par là nous désignons d’avance le terme de toute science, et nous tenons la puissante formule qui, établissant la liaison invincible et la production spontanée des êtres, pose dans la nature le ressort de la nature, en même temps qu’elle enfonce et serre au cœur de toute chose vivante les tenailles d’acier de la nécessité. […] Si la fourmi était capable d’expérimenter, elle pourrait atteindre l’idée d’une loi physique, d’une forme vivante, d’une sensation représentative, d’une pensée abstraite ; car un pied de terre sur lequel se trouve un cerveau qui pense renferme tout cela ; donc, si limité que soit le champ d’un esprit, il contient des données générales, c’est-à-dire répandues sur des territoires extérieurs fort vastes, où sa limitation l’empêche de pénétrer. […] Si quelqu’un recueillait les trois ou quatre grandes idées où aboutissent nos sciences, et les trois ou quatre genres d’existence qui résument notre univers ; s’il comparait ces deux étranges quantités qu’on nomme la durée et l’étendue, ces principales formes ou détermination de la quantité qu’on appelle les lois physiques, les types chimiques et les espèces vivantes, et cette merveilleuse puissance représentative qui est l’esprit, et qui, sans tomber dans la quantité, reproduit les deux autres et elle-même ; s’il découvrait, entre ces trois termes, la quantité pure, la quantité déterminée et la quantité supprimée1518, un ordre tel que la première appelât la seconde, et la seconde la troisième ; s’il établissait ainsi que la quantité pure est le commencement nécessaire de la nature, et que la pensée est le terme extrême auquel la nature est tout entière suspendue ; si ensuite, isolant les éléments de ces données, il montrait qu’ils doivent se combiner comme ils sont combinés, et non autrement ; s’il prouvait enfin qu’il n’y a point d’autres éléments, et qu’il ne peut y en avoir d’autres, il aurait esquissé une métaphysique sans empiéter sur les sciences positives, et touché la source sans être obligé de descendre jusqu’au terme de tous les ruisseaux. […] À mesure que la grande ligne d’ombre reculait, les fleurs apparaissaient au jour brillantes et vivantes.

1201. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Et puis il est vivant, trop vivant… J’ai l’air d’être brave comme ça, en apparence, mais au fond, moralement, je suis très peureux. » Puis s’entame une énorme discussion sur Dieu et la religion, une discussion née de la fermentation d’une bonne et chaude digestion en de grandes cervelles. […] Elle nous peint ses entrevues avec cette personne invisible, agenouillée sur ses talons, séparée d’elle par une grille et un rideau, et paraissant, tous les jours, s’enfoncer un peu plus loin dans le lointain, et se reculer de la vie vivante. […] Quand il recommandait quelqu’un pour les prix, il le perdait… » Du poète décédé, Sainte-Beuve passe aux salons de Paris, et nous décrit celui de Mme de Circourt : salon très éclectique, très plein, très mêlé, très vivant, un peu trop bruyant, et où l’on tombait sur n’importe qui, et où l’on parlait beaucoup trop, tous à la fois. « C’était un étourdissemeht, dit-il, plutôt qu’une conversation. » Puis Sainte-Beuve parle des deux uniques salons que fréquentent maintenant les hommes de lettres : le salon de la princesse Mathilde, le salon de Mme de Païva. […] Un intérieur provincial austère, et la jeune fille vivant entre la studiosité de son oncle et la gravité de sa grand-mère, a pour les hôtes d’aimables paroles, de gais regards bleus, et aussi une jolie moue de regret, quand, sur les huit heures, après le bonsoir de ma vieille, adressé par le fils à sa mère, la grand-maman emmène sa petite-fille dans sa chambre, pour bientôt se coucher.

1202. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Nous sommes parvenus à définir le mouvement des planètes par la force tangentielle et l’attraction qui le composent ; nous définissons déjà en partie le corps chimique par la notion d’équivalent, et le corps vivant par la notion de type. […] Par là nous désignons d’avance le terme de toute science, et nous tenons la puissante formule qui, établissant la liaison invincible et la production spontanée des êtres, pose dans la nature le ressort de la nature, en même temps qu’elle enfonce et serre au coeur de toute chose vivante les tenailles d’acier de la nécessité. […] Si la fourmi était capable d’expérimenter, elle pourrait atteindre l’idée d’une loi physique, d’une forme vivante, d’une sensation représentative, d’une pensée abstraite ; car un pied de terre sur lequel se trouve un cerveau qui pense renferme tout cela ; donc, si limité que soit le champ d’un esprit, il contient des données générales, c’est-à-dire répandues sur des territoires extérieurs fort vastes, où sa limitation l’empêche de pénétrer. […] Si quelqu’un recueillait les trois ou quatre grandes idées où aboutissent nos sciences, et les trois ou quatre genres d’existence qui résument notre univers ; s’il comparait ces deux étranges quantités qu’on nomme la durée et l’étendue, ces principales formes ou détermination de la quantité qu’on appelle les lois physiques, les types chimiques et les espèces vivantes, et cette merveilleuse puissance représentative qui est l’esprit, et qui, sans tomber dans la quantité, reproduit les deux autres et elle-même ; s’il découvrait, entre ces trois termes, la quantité pure, la quantité déterminée et la quantité supprimée47, un ordre tel que la première appelât la seconde, et la seconde la troisième ; s’il établissait ainsi que la quantité pure est le commencement nécessaire de la nature, et que la pensée est le terme extrême auquel la nature est tout entière suspendue ; si ensuite, isolant les éléments de ces données, il montrait qu’ils doivent se combiner comme ils sont combinés, et non autrement ; s’il prouvait enfin qu’il n’y a point d’autres d’éléments, et qu’il ne peut y en avoir d’autres, il aurait esquissé une métaphysique sans empiéter sur les sciences positives, et touché la source sans être obligé de descendre jusqu’au terme de tous les ruisseaux. […] A mesure que la grande ligne d’ombre reculait, les fleurs apparaissaient au jour brillantes et vivantes.

1203. (1876) Romanciers contemporains

Flaubert a évoqués ; ce sont des personnes vivantes, agissantes, avec lesquelles nous avons commerce tant que dure notre lecture. […] Nous avons devant nous des corps vivants, et, l’œil sec, vous travaillez sur eux comme sur des cadavres ! […] On ne l’y voyait pas respirant à son aise et vivant de sa vie propre. […] Le mort est encore plus tenace que les vivants. […] Les tableaux abondent dans cet ouvrage, et ils sont aussi variés que vivants.

1204. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

. —  Comment elle est vivante. —  Les ariens. —  Les méthodistes. […] Le duc de Newcastle, « dont le nom était perfidie », espèce de caricature vivante, le plus maladroit, le plus ignorant, le plus moqué, le plus méprisé des nobles, reste ministre trente ans et dix ans premier ministre à cause de sa parenté, de sa fortune, des élections dont il dispose et des places qu’il peut donner. […] Ces marquises musquées, ces fats en dentelles, tout ce joli monde paré, galant, frivole, court à la philosophie comme à l’Opéra ; l’origine des êtres vivants et les anguilles de Needham, les aventures de Jacques le Fataliste et la question du libre arbitre, les principes de l’économie politique et les comptes de l’Homme aux quarante écus, tout est matière pour eux à paradoxes et à découvertes. […] Le même instinct se révèle encore par les mêmes signes ; la doctrine de la grâce subsiste toujours vivante, et la race, comme au seizième siècle, met sa poésie dans l’exaltation du sens moral. […] Rien de vivant ; c’est un squelette avec toutes ses attaches grossièrement visibles.

1205. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Cependant une solide philosophie court à travers ces pages si vivantes, et l’auteur se déploie librement dans les questions les plus délicates et les plus élevées. […] Or il y a deux passages infranchissables jusqu’ici à toute science, à toute analyse, à toute expérience, c’est le passage de la matière brute à la matière vivante et de la matière vivante à la pensée. […] Je ne méconnais ni ne dédaigne ces derniers liens qui rattachent encore la philosophie nouvelle au platonisme et au spiritualisme ; mais cette doctrine d’un idéal non réel ne me paraît pas un moyen terme satisfaisant, c’est trop ou trop peu : trop pour les esprits positifs, qui n’admettent que les faits, trop peu pour les vrais idéalistes, qui veulent un monde intelligible et divin, type vivant et existant du monde sensible. […] Je conçois que l’on dise : Il faut à la vertu un type vivant et réel, Jésus-Christ suivant les chrétiens, Dieu suivant les platoniciens ; mais ira-t-on pour cela jusqu’à confondre le stoïcisme avec l’épicurisme, et, parce qu’il poursuit une vaine perfection, l’assimiler à ceux qui nient toute perfection ? […] Le spectacle de la nature nous offre trois classes d’êtres, ou, si l’on veut, trois degrés d’êtres profondément différents : au premier degré, la matière brute, obéissant à des lois mécaniques, à des combinaisons fatales et mathématiques, se développant en apparence sans raison et sans but ; au second degré, la vie, dont le caractère le plus saisissant est une combinaison de moyens appropriés à une fin, qui manifeste par conséquent l’idée de but et l’idée de choix ; seulement ce choix, dans les êtres vivants, paraît être l’objet d’un instinct aveugle, d’une activité qui s’ignore.

1206. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Il est sensuel et triste ; il est tendre et désabusé, il est violent et délicat, et il donne à ses personnages une âme vivante et des paroles qui vont au cœur et le déchirent. […] Il montre ainsi qu’elles sont bien vivantes, et cette vie même nous console de la misère qui y est attachée. […] Quel principe (je parle d’un principe réel et vivant) pourrons-nous opposer à la foule, qui croit son tour venu de jouir ? […] Ce livre a une vie individuelle, comme tout ce qui est vivant. […] Connaître les hommes, c’est là ma curiosité, mais comprenez-moi bien, des hommes vivants ; la psychologie, la morale et toutes ces abstractions ne sont ni de mon goût, ni de mon métier.

1207. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

mon fils est vivant… Mais comédien, hélas ! […] Pour avoir déterré dans le passé une douzaine de poètes méconnus jusqu’à nous, et dont la plupart ne valaient certes pas les frais d’exhumation, combien de vivants néglige-t-elle, dignes de fixer l’attention ! […] Le style des premiers est vivant ; celui des seconds, galvanisé. […] Et le caprice, ici, n’exclut pas la passion : sous le vent brûlant de l’inspiration lyrique on voit parfois les marbres anciens palpiter et frémir comme une chair vivante ! […] Revenir à la poésie vivante, exprimer l’amour tout naïvement, un amour qui ne s’appellerait pas Éros, qui ne serait pas de marbre ou de pierre ?

1208. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Soumise à la fécondation du système antique ou du système moderne, cette donnée pouvait-elle enfanter une fable vivante et terrible ? […] Puisqu’il s’agit de François Ier, et non pas d’un autre, le poème doit être la vivante expression des mœurs et des passions de son temps. […] Il ne s’agit pas cependant de torturer un vivant, de décourager un jeune homme, d’éteindre un talent naissant, de tuer un avenir, de ternir une aurore. […] Lockroy, malgré la netteté de son intelligence, est d’une tristesse monotone : c’est une vivante élégie. […] Au nom de la tradition, ils ont fait de l’art dramatique, le plus vivant et le plus énergique de tous les arts, une momie inerte, immobile.

1209. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Agriculteur pendant quinze ans, vivant dans un frottement continuel avec la classe peu élevée de la société, il n’a pas toute la dignité, toute la tenue désirables. […] Sa retraite et sa mort ont laissé douteuse, à son grand honneur, la question de savoir si, lui vivant, le siège de Sébastopol et toute l’expédition de Crimée n’eussent point été considérablement abrégés ; car sa retraite, après le premier grand coup d’épée, eut pour effet immédiat de supprimer la rapidité dans les opérations, cette rapidité foudroyante qui était sa pensée même et qui, à ce début, était le premier élément de succès. […] Il a de l’artiste, du soldat, de l’homme surtout, et si l’on voulait donner à quelque étranger de distinction, à quelqu’un de nos ennemis réconciliés, la définition vivante de ce qu’est un brillant officier français de notre âge, on n’aurait rien de plus commode et de plus court que de dire : Lisez les lettres du maréchal de Saint-Arnaud.

1210. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Sainte-Beuve était son portrait vivant. […] Sainte-Beuve a recueilli tout récemment cet article en appendice dans le IIe volume, donné de son vivant, de la nouvelle et dernière édition des Portraits contemporains 8. […] Sainte-Beuve chez sa mère, ce qui ne laissait pas de la troubler un peu : sans cesse préoccupée sur le sort et l’avenir de son fils, en bonne et simple bourgeoise qu’elle était, vivant dans la retraite, ayant connu dans son enfance des temps orageux et terribles, elle redoutait qu’il ne fût entraîné trop loin par une relation trop chevaleresque. — Et ce que toutes les mères et les pères aussi qui s’intéressent à la carrière d’un fils, lancé dans cette voie épineuse des Lettres, comprendront, elle ne crut véritablement le sien sauvé que le jour où il fut reçu de l’Académie française. — Je retrouve à l’instant même une lettre qui avait beaucoup touché M. 

1211. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

N’était-ce pas plutôt parce que les paroles, une fois écrites, deviennent mortes et froides comme la cendre dont la flamme s’est envolée, et qu’ils aimaient mieux s’en fier à l’écho vivant des lèvres humaines qu’à la lettre morte de leurs écrits ? […] Mais, tel qu’il fut et tel que nous allons le voir dans ses œuvres, Platon était le plus merveilleux écho vivant que la providence de la Grèce eût pu préparer à un sage tel que Socrate, pour donner un éternel retentissement à la philosophie spiritualiste. […] Il a servi de texte ou de commentaire aux premiers conciles chrétiens ; il a été le crépuscule de bien des dogmes ; il a nourri à lui seul la philosophie romaine de Cicéron ; il a lutté dans le moyen âge avec la philosophie expérimentale d’Aristote, puis de Bacon ; il a été submergé un moment par la philosophie presque matérialiste de Locke, de Hobbes en Angleterre ; d’Helvétius, de Diderot, des encyclopédistes en France ; mais il est ressuscité plus vivant et plus populaire que jamais il y a peu d’années, par la traduction, par les commentaires et par les leçons d’un jeune philosophe, M. 

1212. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Quand on a mesuré tes arcs et tes ruines, Et fouillé quelques noms dans l’urne de la mort, On se retourne en vain vers les vivants : tout dort. […] À la place du fer, ce sceptre des Romains, La lyre et le pinceau chargent tes faibles mains ; Tu sais assaisonner des voluptés perfides, Donner des chants plus doux aux voix de tes Armides, Animer les couleurs sous un pinceau vivant, Ou, sous l’adroit burin de ton ciseau vivant, Prêter avec mollesse au marbre de Blanduse Les traits de ces héros dont l’image t’accuse.

1213. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

D’après lui, en effet, l’individu est l’agent nécessaire du progrès social, l’incarnation vivante et active du déterminisme social. […] Par là elle est la source de l’ironie qui nous fait tourner en dérision soit nos semblables, soit nous-mêmes, eu tant que vivant en société et nourris des idées sociales conventionnelles. […] Supposons un esprit supérieur vivant dans une société étroite, incurieuse et superstitieuse.

1214. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

d’autres ne se jouant jamais, vivant pourtant toujours ? […] L’intelligence est certainement un instrument merveilleux, mais c’est seulement un instrument, qui ne fonctionnerait pas, si la partie sensitive, c’est-à-dire vraiment vivante de notre être, ne lui fournissait pas le mouvement et les matériaux. […] Ce qui, dans le drame, nous apparut, immédiatement, au travers de l’action vivante, nous le saisissons ici, et comme le fond très-intime de cette action : et les émotions sont également précises que nous produisent, dans le drame, la force naturelle des caractères, ici, les motifs du musicien recréant l’être profond agissant en ces caractères.

1215. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

De ce principe que les choses ne sont qu’en tant que sensations, que rien n’existe si ce n’est des sensations, que la vie est une suite de sensations, de ce principe (évident, quelles que soient les métaphysiques, quelles que soient les théologies qu’on y joigne ou qu’on y insère) toute dialectique doit descendre ; l’homme, étant d’essence sensationnel, vivant de sensations, est nécessairement besogneux de sensations, et, besogneux de sensations, il veut les séries sensationnelles plus intenses ; or, une série sensationnelle sera plus intense si elle est plus homogène, c’est-à-dire si, parmi les sensations qui la composent, les sensations du même ordre logique admettent l’entremêlement d’un moins grand nombre de sensations d’un ordre logique différent. […] Tel sera atteint le second degré du fictif dans la vie, le second degré de l’art, après la primitive élimination des sensations étrangères à l’objet artistique, par la restriction des sensations à un seul ordre sensitif ; et, après l’art théâtral, les arts séparés de la peinture, de la littérature et de la musique seront acquis, quand sera démontré le pouvoir de chacun de ces arts de donner à lui seul l’impression d’une chose vivante. […] La musique, expression de la vie supérieure et réelle de l’âme, est la force capable à l’auditeur idéal (idéal : le Pur et Simple) pour suggérer toute la réelle et supérieure vie de l’âme : mais à nous, l’auditeur non idéal, à nous, hélas, le misérable végétant, impur et perverti, à l’accoutumé de l’unique Apparence, au vivant de l’Illusion, à l’ignorant du Vrai, hélas, à nous la pure musique ne sera-t-elle pas l’inintelligible langage d’un inonde inconnu, et ne dirons-nous pas le dissolvant « pourquoi ? 

1216. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

On y prononçait les plus cocasses défenses d’accusés, des oraisons funèbres de personnes vivantes, des plaidoiries grasses qui duraient trois heures. […] Il est sorti vivant de quelques raclées que lui a fait distribuer Adèle Courtois, et aujourd’hui il est propriétaire de la maison qu’il habite. » En descendant l’escalier d’Aubryet, je demande à Gautier s’il ne souffre pas de ne plus habiter Paris. […] Et alors vers ma table, le crâne et le front balayés et baignés de grandes mèches de cheveux blancs, quelqu’un d’à peine vivant, d’oublié par la mort, par la guerre, s’approche, branlant comme une ruine.

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