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769. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Félix Clément est quelquefois exclusif, et il abonde dans son propre sens : mais si l’on peut contester quelques-unes de ses assertions, il faut rendre hommage à l’idée essentielle de son livre, et le louer de la manière exacte dont il l’a mise en œuvre. […] Il y avait des moments où il se disait bien pourtant qu’il s’élevait d’autres gloires que la sienne, et que la poésie latine n’avait plus la faveur dont elle avait joui autrefois auprès des grands ; il sentait d’une manière confuse qu’en étalant sa denrée de vers latins à cette heure où tout présageait la grande saison de la langue française, il s’était fait, comme on dit, poissonnier la veille de Pâques. […] Du Périer, à sa manière, le rendait bien à Santeul, qu’il prétendait avoir formé, et dont il se repentait, disait-il : « Paenitet me fecisse hominem » Leurs querelles, leurs paris en présence de Ménage pris pour arbitre, faisaient alors d’amusantes histoires. […] Le Tourneux une insinuation de Feller qui n’a pas craint de dire : « La manière dont il (M. 

770. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Rempli de la poésie des anciens et particulièrement des Grecs, la goûtant dans ses hardiesses les plus harmonieuses et les plus naturelles Fénelon savait tout le faible de la poésie moderne et de la nôtre en particulier ; il l’a indiqué encore en d’autres endroits de cette lettre, et on n’a jamais dit à une Académie accoutumée à se célébrer elle-même, ainsi que sa propre langue, des vérités plus fortes d’une manière plus douce. […] Ces derniers mots couverts paraissent avoir été à l’adresse de Mellin de Saint-Gelais, poète de cour et homme de goût comme nous dirions, lequel s’était permis dès l’abord, contre Ronsard et sa manière, des railleries qu’il continua encore quelque temps, et dont enfin il se désista : Mellin vieillissait et allait mourir, et après les premières escarmouches, il sentit qu’il valait mieux faire sa paix avec cette jeunesse que de soutenir une guerre inégale. […] Il y a une suspension qui est imitative et d’un effet pittoresque : Il verse parmi l’air un peu de poudre… La plupart des critiques que l’on a adressées à la première manière ardue et rocailleuse de Ronsard trouveraient peu leur application, à considérer cette portion plus rassise de ses œuvres ; je lui reprocherais plutôt d’y être trop détendu et de se relâcher dans le prosaïque, bien que de temps en temps il y ait des retours de verves et que le cheval de race y retrouve des élans. […] Sauf de rares passages dans le ton de ce que je viens de citer, sauf de courts moments où le vieux coursier de guerre se redresse comme au son du clairon, il s’oublie, il se traîne ; il ne donne pas à sa propre manière son perfectionnement graduel, et, après une si fière et tumultueuse entrée, il a une fin lente, inégale et incertaine.

771. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Je ne me dédis en rien de ce que j’ai écrit autrefois dans ce même journal23 ; seulement ceux qui ont cru que, de ma part, c’était une manière de commencer, se sont mépris sur mon intention ; c’était une manière de finir. […] Je vous soumettrai mon raisonnement à cet égard : qu’il vous suffise aujourd’hui de savoir que mes nouvelles sont honnêtes, et que je crains que le calcul et l’honnêteté leur nuisent et même m’en dégoûtent. »   Lui-même il nous signale l’écueil de ses chansons trop travaillées ; et à cette époque, en effet, il était à bout de voie pour les chansons de sa première manière ; car le sentiment patriotique et antibourbonien était encore loin : il possédait, il est vrai, l’instrument complet, mais du moment qu’il s’interdisait la gaillardise, le motif était rare et faisait défaut. […] Je suis particulièrement insulté de la manière la plus grossière dans ce livre de M. 

772. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

Ces défauts étaient revêtus de plusieurs belles qualités : il était bien fait, il avait les manières agréables et polies, il parlait bien diverses langues ; il avait de l’esprit, du savoir, de la valeur, et tous les dehors du mérite, sans mérite même. » Huit jours avant sa mort, était arrivée la nouvelle du mariage de Mademoiselle, qui s’était fait à Fontainebleau par procuration, le Prince de Conti y représentant le roi d’Espagne. […] Dès que la reine eut traversé la rivière de Bidassoa, et qu’elle eut été remise aux mains des Espagnols dans l’île des Conférences, célèbre par le traité des Pyrénées, la jeune princesse, fille de cette aimable Madame, Henriette d’Angleterre, et jusque-là habituée à toutes les douceurs et « les manières aisées dont on vit en France », passa sous un régime tout nouveau. […] Le travail de la cabale continuait, et la camarera-mayor avait, depuis Burgos, imprimé de plus en plus dans l’esprit du roi cette idée que « la reine étant une personne jeune et vive, élevée dans les manières libres de France, entièrement opposées à la sévérité d’Espagne », il convenait de redoubler les formalités et de bien établir au début les barrières. […] Le Journal du Voyage d’Espagne, de Mme d’Aulnoy, une femme de beaucoup d’esprit, qui était allée à Madrid dans le même temps, et qui raconte à sa manière les mêmes choses, mériterait aussi (en tout ou en partie) une réimpression ; ce n’est pas moins piquant dans son genre que les Lettres du président de Brosses sur l’Italie.

773. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Les Allemands, qui vont être amis particuliers de Mme de Staël, tels que Guillaume Schlegel, sont d’une autre génération déjà que Goethe et Schiller, et ceux-ci avaient une manière de penser antérieure et un peu différente. […] C’est une étrange manière que de faire des accaparements de tout, même d’infortune. » Ceci se rapporte à ce malheur exagéré sans doute, mais si réel puisqu’il était moralement ressenti, à ce mal de Paris et de l’exil qui agitait et torturait Mme de Staël, même dans un beau lieu et sous de magnifiques ombrages. […] Dans une lettre à sa mère, du 16 janvier 1812, il disait avec une naïveté parfaite et en livrant le fond de son cœur : « Genève est devenue chaque année plus triste et plus déserte pour Mme de Staël ; elle en a de l’humeur ; elle juge avec une extrême sévérité, et elle ne met presque rien de son cru pour réparer tout cela : il m’arrive très souvent de m’ennuyer chez elle, et cela arrivait aussi l’année passée, et cependant elle parle de l’ennui des autres d’une manière qui me met souvent en hostilité avec elle. […] Or, le maître et l’oracle en telle matière l’a observé, « le genre de bien-être que fait éprouver une conversation animée ne consiste pas précisément dans le sujet de cette conversation ; les idées ni les connaissances qu’on peut y développer n’en sont pas le principal intérêt ; c’est une certaine manière d’agir les uns sur les autres, de se faire plaisir réciproquement et avec rapidité, de parler aussitôt qu’on pense, de jouir à l’instant de soi-même, d’être applaudi sans travail, de manifester son esprit dans toutes les nuances par l’accent, le geste, le regard ; enfin, de produire à volonté comme une sorte d’électricité qui fait jaillir des étincelles, soulage les uns de l’excès même de leur vivacité, et réveille les autres d’une apathie pénible ».

774. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Napoléon revenu de l’île d’Elbe inaugure ce nouvel empire si rapide et si court qui peut s’intituler l’Empire constitutionnel : il change de système, il modifie profondément sa manière de gouverner, il introduit dans les Constitutions de l’Empire ce fameux Acte additionnel dont Benjamin Constant est le principal rédacteur, reconnaissable à la parfaite clarté et à l’élégance ; dont Sismondi, alors à Paris, se fait l’avocat et le défenseur officieux dans le Moniteur, et qui est destiné à donner satisfaction au parti libéral, à tous les patriotes ralliés. […] Thiers d’une manière un peu leste et comme de haut en bas ; elle montre l’illustre historien préoccupé avant tout de chercher « des croyants à la conversion de Napoléon aux idées libérales » ; elle le rappelle à l’ordre pour n’avoir pas eu présents certains passages du livre des Considérations : « Lorsqu’il s’agit, dit-elle, d’un écrivain de l’ordre de Mme de Staël, il ne peut être permis de lui prêter des opinions autres que celles qu’elle a elle-même exprimées. […] C’était la seule manière d’assurer la durée. […] Je ne suis pas bien sûr que Mme de Staël partage ce sentiment… » Elle le partageait pourtant, et Sismondi lui-même allait l’annoncer à Mme d’Albany dans une autre lettre du 26 mai : « J’ai reçu aujourd’hui d’une manière indirecte des nouvelles de Mme de Staël.

775. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Racine s’occupe de la manière dont est tourné le berceau de Louis Racine : c’est estimable ; Voltaire s’inquiète de la manière dont tournera la civilisation, notre berceau à tous, et il y met la main. […] L’historiette qui a rapport à ses armoiries résume la question d’une manière sensible et piquante. […] Par exemple, en terminant une Histoire de Port-Royal où le grand Racine aurait rempli toute la place qu’il doit tenir, et où l’on aurait montré l’esprit religieux de cette sainte maison s’exprimant par sa bouche avec un caractère unique de tendresse, de mélodie et de grandeur, dans l’œuvre d’Athalie et surtout dans celle d’Esther on ajouterait quelque chose comme ceci : « Il est un autre Racine que l’on aurait aimé à y joindre, ce Racine fils qui n’a pas été tout à fait sans doute le poète tendre, plaintif, l’élégiaque chrétien, le Cowper janséniste qu’on aurait souhaité à Port-Royal expiré, mais qui en a eu quelques accents ; ce Racine fils qui offre le modèle de la manière la plus honorable de porter un nom illustre quand on est engagé dans la même carrière ; car si le crime d’une mère est un pesant fardeau, la gloire d’un père n’en est pas un moins grand, et Racine fils n’a cessé de le sentir en même temps qu’il a suffi dignement encore à ce rôle difficile.

776. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

» — Et Mysis exprimant encore quelques craintes, et Pamphile s’animant de plus en plus : « Tout ce que je sais, dit la suivante qui a sa réserve d’expression et sa délicatesse à sa manière, c’est qu’elle mérite bien que vous ne l’oubliiez pas. » — « Que je ne l’oublie pas, ô Mysis, Mysis ! […] « Ne pleurez pas, lui dit Chrémès, et quelle que soit la chose, dites-moi tout : pas de réticence, ne craignez rien ; confiez-vous à moi, vous dis-je, et consolation ou conseil, ou de tout autre manière, je vous aiderai. » Et Ménédème, que son secret oppresse, et qui a besoin de l’épancher, ne résiste plus : « Vous voulez le savoir ?  […] Cet homme des champs a deux fils dont il a donné l’un à l’oncle de la ville, qui l’a adopté et qui l’élève à sa manière, c’est-à-dire fort doucement et en lui laissant la bride sur le cou, il a gardé l’autre avec lui et l’a de tout temps tenu fort sévèrement : il l’a élevé à la Caton. […] M. de Belloy a traduit ce passage de la manière la plus agréable : CHÉRÉAS.

777. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

De nouveaux noms de poètes se lèvent et scintillent sur bien des points, un peu confusément et au hasard, sans prééminence d’aucun ; il serait prématuré et téméraire d’entreprendre de les classer ; mais, en première ligne désormais, le dernier et le plus jeune d’entre les anciens, se détache et brille un rare talent, une muse charmante, capricieuse, colorée de tous les tons, philosophique aussi à sa manière, et qui n’a pas encore reçu les couronnes qui lui sont dues : tous ceux qui aiment l’art et qui apprécient le style ont nommé Théophile Gautier. […] Ma manière de travailler est si fatigante ! […] … À chaque rappel d’un souvenir, il lui dit comme Juliette à Roméo : « Ne pars pas ; non, ce n’est pas l’aurore… » Et dans une suite de couplets, réitérant sa supplication tendre, il lui nomme tour à tour, en manière de refrain, les constellations qui tiennent encore leur place nocturne dans le ciel : « Non, ce n’est, pas l’aurore, l’étoile de Vénus est encore loin. — Non, ce n’est pas l’aurore, près du Cygne rayonne encore Jupiter. — Non, ce n’est pas l’aurore, la constellation de la Lyre est encore au zénith. » Tout ce motif est poétique et charmant. […] j’étais jeune, plein d’avenir, ou du moins d’espérance ; mon cœur surabondait d’une continuelle joie, …, Je ne comptais que des heures sereines. » Quant aux descriptions en vers de ces lieux et de ces temps, et du charme particulier qui s’y attache, je ne puis que les indiquer à tous ceux qu’attire la vérité de l’impression : lisez le Hêtre sur l’écorce duquel le poète a gravé un nom ; c’est une pièce qu’on dirait de la dernière manière de Fontanes ; — lisez cette autre pièce plus grave, plus méditative, l’If de Tancarville, cet if dix fois séculaire, contemporain des premiers barons normands, et devant lequel le poète en contemplation s’écrie : Oh !

778. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Casimir Delavigne. » Ainsi encore, à propos d’une pièce de Marivaux, il glissera ce spirituel éloge de la manière : « Marivaudage ! […] La manière l’a sauvé. » On ne peut mieux dire en parlant de Marivaux, ni mieux plaider indirectement pour soi-même, quand on est Théophile Gautier. […] Ce n’est pas un de ces talents qui se réservent pour donner en deux ou trois grandes occasions, qui s’y préparent à l’avance, et qui, une fois le grand site décrit, le grand morceau exécuté, se détendent et se reposent : c’est chez lui un état pittoresque habituel, facile, une manière continue, et pour ainsi dire inévitable, de tout voir et de montrer ce qu’il a vu. […] » Théophile Gautier, pour cela, s’y prit d’une manière bien simple : ayant vu l’Espagne pour son compte, il la fit voir telle et toute pareille à tous.

779. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

» — « Le bon sens ou les habitudes d’un peuple d’agriculteurs sont bien plus près des plus hautes et des plus saines notions de la politique que tout l’esprit des oisifs de nos cités, quelles que soient leurs connaissances dans les arts et les sciences physiques. » — « Les grandes propriétés sont les véritables greniers d’abondance des nations civilisées, comme les grandes richesses des Corps en sont le trésor. » Il ne cesse d’insister sur les inconvénients du partage égal et forcé entre les enfants, établi par la Révolution et consacré par le Code civil : « Partout, dit-il, où le droit de primogéniture, respecté dans les temps les plus anciens et des peuples les plus sages, a été aboli, il a fallu y revenir d’une manière ou d’une autre, parce qu’il n’y a pas de famille propriétaire de terres qui puisse subsister avec l’égalité absolue de partage à chaque génération, égalité de partage qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, détruit tout établissement agricole et ne produit à la fin qu’une égalité de misère. » Il trace un idéal d’ancienne famille stable et puissante, qui rappelle un âge d’or disparu : « S’il y avait, dit-il, dans les campagnes et dans chaque village une famille à qui une fortune considérable, relativement à celle de ses voisins, assurât une existence indépendante de spéculations et de salaires, et cette sorte de considération dont l’ancienneté et l’étendue de propriétés territoriales jouissent toujours auprès des habitants des campagnes ; une famille qui eût à la fois de la dignité dans son extérieur, et dans la vie privée beaucoup de modestie et de simplicité ; qui, soumise aux lois sévères de l’honneur, donna l’exemple de toutes les vertus ou de toutes les décences ; qui joignît aux dépenses nécessaires de son état et à une consommation indispensable, qui est déjà un avantage pour le peuple, cette bienfaisance journalière, qui, dans les campagnes, est une nécessité, si elle n’est pas une vertu ; une famille enfin qui fût uniquement occupée des devoirs de la vie publique ou exclusivement disponible pour le service de l’État, pense-t-on qu’il ne résultât pas de grands avantages, pour la morale et le bien-être des peuples, de cette institution, qui, sous une forme ou sous une autre, a longtemps existé en Europe, maintenue par les mœurs, et à qui il n’a manqué que d’être réglée par des lois ?  […] Autrefois, après la lutte, on trouvait dans l’atelier et dans la maison la paix et un repos réparateur : aujourd’hui la lutte est dans la maison même ; elle continue d’une manière sourde, lorsqu’elle n’éclate pas ouvertement ; elle mine donc incessamment la société en détruisant toute chance de bonheur domestique. » La Révolution française, en s’attaquant aux désordres des règnes antérieurs et, du même coup, à tout l’ordre ancien, a dû faire appel à la passion plus encore qu’à la vérité. […] D’autres font un autre genre d’objections qui couperait l’idée à sa racine, et ils disent : Quand vous accorderiez la liberté de tester au père de famille, l’égalité est si bien passée dans nos mœurs, dans notre manière de voir et de sentir, que l’immense majorité des pères n’en userait que dans le sens du droit établi et dans l’esprit de la loi actuelle ; et rien ne serait changé. […] Le Play s’en sépare nettement par sa manière d’entendre les rapports du Clergé avec l’État, par ses idées en matière de presse, par tant de vues neuves qui prouvent à quel point il se confie en la vertu et la fécondité du principe moderne, tout favorable à l’initiative individuelle.

780. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

La Grèce, après l’Égypte, vérifie entièrement cette manière de voir, le pays de la liberté comme celui des castes et du despotisme. […] Association de pères de famille, agriculteurs et guerriers, qui couvre peu à peu les sept collines, ayant au-dessous d’elle des clients nombreux, la cité est d’abord un patriciat jaloux qui retient d’une manière incommunicable, non-seulement le gouvernement, mais le culte, le droit civique, et comme la famille même et la propriété. » On sait toutes les crises par où l’on dut passer avant de forcer une à une les barrières : patriciat hautain et féroce, révoltes populaires, sécessions à main armée et droits conquis, puissance des tribuns ; puis, en dehors de Rome, le travail des peuples latins et italiens, leur révolte aussi, la guerre sociale, et les alliés vaincus faisant irruption pourtant dans la cité et gagnant en définitive leur cause. […] C’est ainsi que l’historien s’explique que Marc-Aurèle, pendant un règne de dix-neuf ans, n’ait pas plus fait ni tenté pour restaurer radicalement l’Empire, pour en améliorer la Constitution d’une manière durable et qui lui survécût : « Pauvres politiques, se disait tout bas le sage, ceux qui prétendent régler les affaires sur les maximes de la philosophie ! […] Cicéron l’a dit aussi, à sa manière ; il lui en venait souvent la nausée, et il y eut un moment où tout lui parut odieux, excepté la mort.

781. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

« Je m’empresserai de vous faire parvenir toutes les vues que le Directoire me chargera de vous transmettre, et la Renommée, qui est votre organe ordinaire, me ravira souvent le bonheur de lui apprendre la manière dont vous les aurez remplies. » Voilà qui est bien débuté, et le courtisan dans le ministre ne se fait pas attendre. […] La grâce, le goût, l’art de l’insinuation, il faut qu’il les ait eus au plus haut degré pour que, dans ses Mémoires sobres et sévères, Napoléon, racontant ce qui se passa à son retour de l’Italie et de Rastadt, et la manière dont il fut accueilli par le Directoire, les fêtes qu’on lui donna, ait songé à distinguer celle du ministre des affaires étrangères. […] M. de Chateaubriand, dans son antipathie d’humeur et de nature pour le personnage, lui qui avait autant le ressort de l’honneur et le goût du dépouillement que l’autre les avait peu et savait aisément s’en passer, a dit, à propos de la manière dont M. de Talleyrand négociait les traités : « Quand M. de Talleyrand ne conspire pas, il trafique. » Ce mot sanglant, au moins dans sa seconde partie, n’est que la vérité même. […] C’est à cette laide affaire que sir Henry Bulwer fait allusion dans une note où il est dit : « Quant à ses habitudes à cet égard (à sa manière de s’enrichir), il ne sera peut-être pas mal d’avoir recours à la correspondance américaine, Papiers d’État et documents publics des États-Unis (t.

782. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

La mort surtout de chacun de ces chefs indomptables a de quoi se graver dans la mémoire, par la manière dont l’historien nous l’a fixée. […] Le chœur aussi, cet excellent chœur débonnaire, est plutôt disposé à apaiser Électre, et il ne joue pas le rôle de provocateur, il ne donne pas le rimbecco à la manière corse. […] Au moment où, par le sujet et par la manière, il a l’air de se ressouvenir le moins des modèles enseignés, tout d’un coup il les rejoint et les touche au vif sur un point, parce que, ainsi qu’eux, il a visé droit à la nature. […] Mérimée et de sa manière avec assez de développement au tome II, page 196 du présent ouvrage.

783. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Il entre dans la manière qui les distingue de leurs contemporains une grande part d’imitation de l’âge précédent ; et, dans ce frappant contraste qu’ils nous offrent avec ce qui les entoure, il faut savoir reconnaître et rabattre ce qui revient de droit à leurs devanciers. […] Chez Molière au contraire, chez Dante, Shakspeare et Milton, le style égale l’invention sans doute, mais ne la dépasse pas ; la manière de dire y réfléchit le fond, sans l’éclipser. […] La Fontaine manque un peu de souffle et de suite dans ses compositions ; il a, chemin faisant, des distractions fréquentes qui font fuir son style et dévier sa pensée ; ses vers délicieux, en découlant comme un ruisseau, sommeillent parfois, ou s’égarent et ne se tiennent plus ; mais cela même constitue une manière, et il en est de cette manière comme de toutes celles des hommes de génie : ce qui autre part serait indifférent ou mauvais, y devient un trait de caractère ou une grâce piquante.

784. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Mais, d’une manière générale, l’harmonie de la vie individuelle et de la vie sociale paraît à peu près faite chez l’animal. […] De plus, c’est un miroir dont la courbure ne ressemble exactement à celle d’aucun autre, et qui déforme les objets d’une manière inimitable. […] Établir le maximum d’harmonie et de solidarité entre les individus, entre les groupes, entre les peuples, c’est un idéal qui s’impose et que chacun, du reste, se représente à sa manière. […] Parfois elle a su profiler de ce que l’homme inventait, elle a organisé la sélection des produits de l’esprit humain, elle a trié, éliminé, écarté, favorisé ou repoussé, parfois ouvertement, parfois d’une manière sournoise, les sentiments et les idées qui naissent continuellement, en même temps qu’elle rectifiait, transformait et parfois tuait ou pervertissait les anciens.

785. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Spinoza, on le sait, expliquait toutes nos passions par le désir, la joie et la peine, qu’il ramenait à l’inclination fondamentale de tout être : « être et persévérer dans son être. » Jouffroy arrivait à la même conclusion sous une autre forme et d’une autre manière. […] Elle nous apprend qu’il est de la nature de la force nerveuse de se dépenser, de se décharger de l’une des manières suivantes ; L’excitation nerveuse tend toujours à produire le mouvement musculaire, et elle le produit toujours quand elle atteint une certaine intensité. […] C’est une nécessité que la force nerveuse existant à chaque instant, et qui produit d’une manière inexplicable ce que nous appelons sentiment, suive l’une de ces trois directions : exciter de nouveaux sentiments, agir sur les viscères, produire des mouvements. […] L’orateur qui, au Parlement, remet et tire sans cesse son lorgnon, l’écolier qui, en récitant sa leçon, remue quelque chose entre ses doigts, les actes automatiques de certains avocats ou autres gens parlant en public : ce sont là autant d’exemples de la manière dont le trop plein des émotions peut se dépenser, et empêcher par suite qu’elles ne paralysent l’intelligence.

786. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

La manière n’est qu’à lui, et ce serait manquer de goût que de prétendre lui en rien dérober. Cette manière est aussi académique par la politesse, qu’elle l’est peu par le reste des qualités ou même des légers défauts qui la composent. […] Mais ce qu’il savait être surtout dans ces leçons, c’était un improvisateur animé, intéressant, pittoresque, anatomiste avec feu devant les gens du monde, décrivant les appareils des sens d’une manière visible, les développant de l’expression et du geste, poursuivant du doigt dans l’espace les moindres filets nerveux, les fibres les plus ténues, déroulant à n’en pas finir des considérations peu précises, peu concluantes, mais ingénieuses souvent et déliées comme leurs objets. […] Sa manière est large, facile, heureuse ; son talent comme son cœur a de l’effusion.

787. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Il pensait comme Hamilton24 que, « pourvu que la raison conserve son empire, tout est permis ; que c’est la manière d’user des plaisirs qui fait la volupté ou la débauche ; que la volupté est l’art d’user des plaisirs avec délicatesse et de les goûter avec sentiment ». — « Je suis fait de sentiments et de volupté », disait-il, — De telles maximes supposent bien de l’oisiveté, du raffinement, et tout un art que nos âges de lutte et de labeur ont peine à comprendre. […] Je ne sais si Mme d’Aligre mena La Bruyère plus loin que l’amitié ; quant à Chaulieu, qui la posséda, la perdit et la reconquit tour à tour, il l’a célébrée elle et sa grâce, son esprit de saillie, ses vivacités brillantes et ses infidélités même, d’une manière qui fait un contraste piquant, mais non pas un désaccord avec le portrait nuancé de La Bruyère. […] Au point de vue littéraire et poétique, il ne faudrait voir Chaulieu que de cette manière, tout à fait vieux, et devenu dès lors aussi tout à fait honnête homme, assis sous ses arbres de Fontenay ou à l’ombre de ses marronniers du Temple. […] Le marquis de La Fare, né en 1644, c’est-à-dire plus jeune que Chaulieu de cinq ans, était entré de bonne heure au service ; il y avait débuté avec toutes sortes d’avantages : Ma figure, qui n’était pas déplaisante, dit-il, quoique je ne fusse pas du premier ordre des gens bien faits, mes manières, mon humeur, et mon esprit qui était doux, faisaient un tout qui plaisait assez au monde, et peu de gens, en y entrant, ont été mieux reçus… Voilà comment les honnêtes gens autrefois s’exprimaient en parlant d’eux-mêmes, sans se trop glorifier et sans se déprécier non plus, ce qui est une autre forme de vanité.

788. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Comme tout cela est imprimé et publié, je ne vois pas pourquoi j’en ferais mystère, car il n’y a pas deux manières de publier. […] Je l’ai montrée de temps en temps à ceux qui s’approchaient, et je l’ai considérée de toutes manières pour vous mander ce qu’il m’en semble. […] L’air est noble, et les manières polies et agréables ; j’ai plaisir à vous en dire du bien, car je trouve que, sans préoccupation et sans flatterie, je le peux faire, et que tout m’y oblige. […] La manière dont elle sut défendre le prince son époux contre la cabale du duc de Vendôme, l’éclatante revanche qu’elle prit contre celui-ci en plein Marly, et le coup de revers par lequel elle l’évinça, font entrevoir ce qu’elle aurait pu, ce qu’elle pouvait de suivi et d’habile quand les choses lui tenaient à cœur.

789. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Mais, en étant femme-auteur comme tant d’autres et plus que toute autre, elle eut sa manière de l’être, qui la caractérise. […] Quand elle fut entrée au Palais-Royal comme l’une des dames de la duchesse de Chartres (mère de Louis-Philippe), elle y réussit beaucoup, y excita de l’admiration et de l’envie, et y devint une manière de centre. […] Enfin, sous la Restauration, Mme de Genlis ne discontinua pas d’écrire ; mais ses écrits d’alors, productions trop faciles d’une plume qui ne s’était jamais contenue, et qui s’abandonnait plus que jamais à ses redites, reproduisent, en les exagérant, tous les défauts de son esprit et de sa manière. […] La manière dont elle conçut et dirigea, dès le premier jour, l’éducation des enfants d’Orléans, est extrêmement remarquable, et dénote chez l’institutrice un sens de la réalité plus pratique que ses livres seuls ne sembleraient l’indiquer.

790. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Même en forçant et en gâtant sa manière, il n’a pas atteint à la réalité de ce qu’il voulait peindre, ou il l’a dépassée. […] Le Napoléon des dernières années y est parfois avec des traits où M. de Lamartine a combiné son style nouveau et quelque chose de ses anciennes préventions ; il a retraduit dans sa manière moderne son ancienne poésie. […] Pour que l’un et l’autre portraits fussent vrais et réellement ressemblants, on pourrait sans doute en garder bien des traits, et il suffirait presque toujours de réduire ; mais c’est cette réduction précisément dont M. de Lamartine s’est bien gardé, et qui est contraire à sa présente manière, dont le procédé est de tout amplifier, de tout pousser à l’excès et à l’effet. […] Lainé est en général très bien peint par M. de Lamartine, sauf un point qui me semble accusé d’une manière bien absolue : « Il n’était point du parti des Bourbons, nous dit M. de Lamartine de M. 

791. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Il sort bientôt du cercle étroit que lui prescrit le dogme, pour entrer dans les régions immenses que lui ouvre l’opinion. » Le jeune homme, nourri dans la tradition et dans la pratique religieuse, paraît préoccupé des querelles et des dissensions théologiques qui agitaient encore à ce moment plusieurs classes de la société : « Un enthousiaste, dit-il spirituellement, ne cherche point dans les ouvrages divins ce qu’il faut croire, mais ce qu’il croit ; il n’y démêle point ce qui s’y trouve, mais ce qu’il y cherche… Les livres sacrés sont comme un pays où les hommes de tous les partis vont comme au pillage, où ils s’attaquent souvent avec les mêmes armes et livrent bien des combats d’où tous croient sortir également victorieux69. » On devine, à la manière dont il parle du « judicieux abbé Fleury », qu’il n’est disposé à donner dans aucun extrême en fait de doctrine ecclésiastique, de même qu’on le trouve très en garde contre les écrits de Rousseau. […] On nous dit que, par sa manière de plaider, il fit révolution au barreau, et je me figure, en effet, que ce parlement distingué, mais éloigné comme il était de la capitale, avait conservé beaucoup de ses formes antiques et surannées, de celles dont on avait vu le jeune d’Aguesseau s’affranchir en son temps en portant la parole au parquet de Paris. […] Portalis faisait de cette affreuse époque de la veille un tableau vrai, avec des traits tirés de Tacite ; il ajoutait avec une observation fine qui n’était qu’à lui : On poursuivait les talents, on redoutait la science, on bannissait les arts ; la fortune, l’éducation, les qualités aimables, les manières douces, un tour heureux de physionomie, les grâces du corps, la culture de l’esprit, tous les dons de la nature, étaient autant de causes infaillibles de proscription… Par un genre d’hypocrisie inconnu jusqu’à nos jours, des hommes qui n’étaient pas vicieux se croyaient obligés de le paraître… On craignait même d’être soi ; on changeait de nom ; on se déguisait sous des costumes grossiers et dégoûtants ; chacun redoutait de se ressembler à lui-même. […] Après avoir traité la question dans sa généralité, il arrivait au fond même, et il ne craignait pas de dire le secret des cœurs : « Les prêtres non assermentés sont, dit-on, violemment soupçonnés de n’avoir jamais aimé la Révolution. » Et en ne les justifiant qu’autant qu’il le fallait pour rester dans le vrai, il maintenait que le cours des pensées est libre et doit être ménagé tant qu’il ne se traduit point en actes coupables : « Quand il s’opère une grande révolution dans un État, il n’est pas possible que tous les membres de cet État changent d’habitudes, de mœurs et de manières dans un instant.

792. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Lorsque plus tard, dans ses fameux procès, on lui reprocha son extraction bourgeoise, Beaumarchais parla de ce père d’une manière charmante, et qui rappelle Horace : Vous entamez ce chef-d’œuvre, disait-il à Mme Goëzman (sa partie adverse), par me reprocher l’état de mes ancêtres. […] Beaumarchais part, muni de lettres de Pâris-Duverney (y compris beaucoup de lettres de change), et appuyé de toutes manières auprès de l’ambassadeur. […] Tout ce motif, la manière dont il est conçu et exécuté, avec tant de largeur, de supériorité, de gaieté et d’ironie, tout d’une venue et d’une seule haleine, compose un des plus admirables morceaux d’éloquence que nous puissions offrir dans notre littérature oratoire. […] Le soir de cette condamnation, le prince de Conti venait s’écrire chez Beaumarchais, et l’invitait à passer chez lui la journée du lendemain : « Je veux, disait-il dans son billet, que vous veniez demain ; nous sommes d’assez bonne maison pour donner l’exemple à la France de la manière dont on doit traiter un grand citoyen tel que vous. » Toute la Cour suivit l’exemple du prince et s’écrivit chez le condamné.

793. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Regnard, qui menait à sa manière quelque chose de ces mêmes mœurs, en ne les corrigeant que par l’esprit, ne songeait pas trop, en les peignant, à faire une leçon ; il donnait carrière à sa veine et à ce démon de gaieté qui l’animait. […] Voilà de ces vers encore, entre tant d’autres de Regnard, qui m’aideront à définir sa manière, et dans lesquels il se sent comme un rejaillissement de l’esprit de Rabelais. […] Il y a longtemps que La Harpe avait parlé du Légataire comme « d’une pièce charmante, où tous les inconvénients possibles du célibat sont peints vivement, et où l’auteur n’a rien oublié, si ce n’est peut-être de résumer d’une manière précise et directe, en dix ou douze vers, la morale de son ouvrage ». […] Je ne sais, madame, si vous avez vu Trianon dans cette saison-ci ; mais, il faut vous l’avouer, je serais plus à mon aise dans une cave, la paix étant faite à des conditions raisonnables, que je ne le suis dans un palais enchanté et parfumé comme celui-ci. » Qu’on pense ce qu’on voudra de Mme de Maintenon, cette manière de sentir est plus honorable.

794. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Ce bon goût dans les manières, cette fleur de la conversation, cette mesure en toutes choses, ce tact exquis des convenances, nous ne perdrons point tout cela tant que nous n’aurons pas renoncé à la société des femmes ; et il faut espérer que nous n’y renoncerons jamais, ou plutôt nous sommes dans cette heureuse nécessité. […] Je suis obligé de citer encore l’Angleterre ; car la manière dont s’est formée la constitution anglaise est un fait si considérable dans ce moment, que nous ne pouvons pas nous abstenir d’avoir toujours les yeux sur ce qui s’est passé dans cette île. […] Le bon goût et l’élégance des manières, qui pour être parfaits ont besoin d’être des choses naturelles au lieu d’être des choses apprises, donnent tout de suite de grands avantages aux femmes sur les hommes, et entretiennent dans notre nouveau système social des limites analogues à celles qui existaient auparavant. […] Mais, comme il est impossible de régner à la fois de deux manières, il est certain que cette puissance dont nous parlions tout à l’heure, la puissance des salons, s’affaiblit de jour en jour sous le rapport de l’opinion ; il lui restera néanmoins l’influence des mœurs.

795. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Cette réflexion que nous avons faite depuis longtemps doit nous servir de point de départ dans notre manière de juger les livres sortis des journaux ou faits pour la publication périodique, et nous ne savons guère de roman aujourd’hui qui sorte de ces deux catégories. […] La triste présence de Rolla et de Franck influe d’une manière pénible sur la composition des deux poèmes auxquels ces deux égoïstes farouches donnent leurs noms. […] Les trépieds, les boîtes d’or, les surtouts de Laconie, et même quelquefois des mots grecs, peu nécessaires à la clarté du récit, papillotent devant les yeux d’une manière qui pourrait devenir fatigante. […] Ce roman ou ce poème en prose, comme on voudra, est une production importante parmi celles de l’écrivain que nous étudions ; sa manière y développe complètement les ressources dont elle peut disposer. […] Il n’est question que de mettre en lumière le rude défi que l’écrivain vient de jeter à toutes les pruderies de France et de Germanie, sous la forme d’un très mince volume, d’une manière de pamphlet, intitulé modestement : Allemagne, conte d’hiver.

796. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

C’est encore une manière de mettre de l’imaginaire dans le réel, et du merveilleux dans le monde. […] Dès lors, l’image se fixe d’une manière définitive ; l’interprétation ne se modifiera plus. […] Le timbre de certains instruments agit sur l’imagination visuelle d’une manière spéciale. […] Cette musique sera toujours de quelque manière en correspondance avec les visions qui l’ont inspirée. […] Si l’un des termes de la comparaison est concret, il faut que l’autre le soit aussi de quelque manière.

797. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Examen du clair-obscur » pp. 34-38

Outre ce que le peintre perdrait du côté de la variété des formes et des lumières qui naissent des plis et du chiffonnage des vieux habits, il y a encore une raison qui agit en nous sans que nous nous en apercevions, c’est qu’un habit n’est neuf que pendant quelques jours et qu’il est vieux pendant longtemps, et qu’il faut prendre les choses dans l’état qu’elles ont d’une manière la plus durable. […] Un jeune homme fut consulté par sa famille sur la manière dont on voulait qu’on fît peindre son père ; c’était un ouvrier en fer.

798. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

Sachez, l’ami Pierre, qu’il ne faut pas copier ou copier mieux, et de quelque manière qu’on fasse, il ne faut pas médire de ses modèles. La fuite en Egypte est traitée d’une manière Tableau de 5 pieds piquante et neuve ; mais le peintre n’a pas su de haut sur quatre de large. tirer parti de son idée.

799. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Et n’est-ce pas chez lui qu’on doit aller chercher le mot le plus expressif pour rendre la douceur même (the milk of human kindness), cette qualité que je demande toujours aux talents énergiques de mêler à leur force pour qu’ils ne tombent point dans la dureté et dans la brutale offense, de même qu’aux beaux talents qui inclinent à être trop doux, je demanderai, pour se sauver de la fadeur, qu’il s’y ajoute un peu de ce que Pline et Lucien appellent amertume, ce sel de la force ; car c’est ainsi que les talents se complètent ; et Shakespeare, à sa manière (et sauf les défauts de son temps), a été complet. […] Quelle est la meilleure et la plus sûre manière de maintenir la tradition ? […] L’enseignement est tenu, bon gré mal gré, de s’y orienter derechef, de s’y raviser ; il a de quoi s’y renouveler aussi, de quoi y modifier sa manière de servir le goût et de défendre la tradition. […] La meilleure manière, non seulement de sentir, mais de faire valoir les belles œuvres, c’est de ne point avoir de parti pris, de se laisser faire chaque fois en les lisant, en en parlant ; d’oublier s’il se peut, qu’on les possède de longue main, et de recommencer avec elles comme si on ne les connaissait que d’aujourd’hui. […] Je m’oublie, messieurs ; nous aurons assez d’occasions d’appliquer ensemble et de vérifier dans une pratique assidue ces diverses observations que je vous présente ici sans trop d’ordre et de méthode, l’Art poétique de notre maître Horace nous ayant dès longtemps autorisés à cette manière de discourir librement des choses du goût.

800. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Ce n’est ni de sa manière de penser ni de son style. On l’appelle attique et, en un sens, on a raison ; mais convenez aussi que jamais esprit proclamé attique n’a été loué d’une manière plus asiatique et plus somptueuse. […] L’ayant rencontré dans une maison tierce, il lui demanda la permission de les lui porter : « Non, non, lui répondit sir Charles, je ne reçois personne chez moi, et quand vous voudrez me voir, vous me trouverez tous les jours ici de deux à quatre heures ; mais, ajouta-t-il, si je ne puis vous recevoir, je vous serai utile d’une autre manière, en vous faisant connaître le terrain sur lequel vous vous trouvez. » Et sur ce, il passa en revue avec son interlocuteur tous les botanistes anglais, lui peignant le caractère de chacun avec une exactitude que celui-ci eut bientôt l’occasion de vérifier, lui indiquant les moyens d’être bien reçu de tous et de n’en choquer aucun. […] Il aimait moins le latin que le grec, mais il le savait en perfection, bien qu’il l’écrivît d’une manière trop raffinée et tout artificielle. […] demandera-t-on. — A bien peu sans doute, à glisser une aménité au milieu d’un sujet aride, à se dérider et à sourire entre gens instruits, et qui ont leur jeu de honchets à leur manière.

801. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Un jeune homme, à peu près du même âge qu’avait alors M. de Tocqueville, visite, à trente-trois ans d’intervalle, les mêmes contrées, le même empire transatlantique ; ce jeune homme a été élevé dans des conditions à peu près semblables à celles dans lesquelles l’avait été en son temps M. de Tocqueville, ou du moins il a été nourri dans un milieu fort approchant ; mais quelle manière différente d’aborder son sujet ! […] Le fait est qu’il faut une loupe pour nous apercevoir en France ; mais, en Amérique, on nous considère avec un télescope ; l’illusion dure encore, bien que nous continuions à être polis comme de pauvres diables, et que nous n’ayons pu encore nous habituer au sans-gêne et aux manières impertinentes des gens de conséquence. […] Nous les déposerons demain dans les solitudes de l’Arkansas. » C’est là, convenons-en, une manière bien française, — française de l’ancienne école, — de voir les choses et de les montrer. […] L’ouvrage, de cette manière, pourrait avoir tout à la fois un intérêt permanent et un intérêt du moment. […] Royer-Collard, baissant un peu le ton dans l’une des lettres suivantes, était plus dans le vrai lorsqu’il insistait sur l’action utile et prolongée de l’écrivain, sur cette vocation qui n’avait pas été la sienne, à lui, et qui était de nature moins viagère ; on ne saurait définir d’une manière plus noble toute l’ambition permise à une littérature élevée, toute sa portée dans l’avenir, en même temps que ses difficultés, ses arrêts et ses limites : « … Vous, monsieur, il vous est donné de marquer autrement votre passage sur la terre et d’y tracer votre sillon ; vous l’avez commencé ; vous le suivrez sans l’achever jamais ; car aucun homme n’a jamais rien fini.

802. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

» La Mennais, il est vrai, paraît se prononcer dès lors ouvertement pour la liberté de la presse, et il raille d’une manière fort piquante les projets élaborés par l’abbé de Montesquiou. […] La seule manière de me servir véritablement est de ne s’occuper de moi en aucune façon. […] Peut-être m’y déciderai-je, quoiqu’avec répugnance… Je sens d’avance qu’enchaîné pour le choix des questions à traiter et pour la manière de les traiter, j’écrirai avec dégoût, mal par conséquent, et il est triste de s’ennuyer pour ennuyer les autres. […] Il se cabrait en dedans ; il n’avançait qu’à son corps défendant et par manière de corvée dans cette carrière où, du dehors et pour le public, il avait l’air d’être lancé à plein collier et de vouloir distancer tous les autres : « (27 décembre 1817)… Je ne saurais prendre sur moi de travailler à mon deuxième volume. […] Avec les grands écrivains, c’est encore peut-être la plus sûre manière de conclure.

803. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Ainsi, bien vite chez lui, et dès la Salamandre, le vaisseau ne devint autre chose qu’une diversion et un cadre au spleen, un yacht de misanthropie ou de plaisance, une manière de vis-à-vis du Bois ou du Jockey-Club. […] Sans se faire reflet ni écho de personne en particulier, il s’est laissé couramment inspirer des divers essais et des vogues d’alentour, et en a rendu quelque chose à sa manière. […] » Je ne puis indiquer en courant tout ce qu’il y a de parfait de manière et de bien saisi dans les observations et les propos de monde jetés à travers52. […] Tout en continuant de peindre les tristes réalités qu’il sait, il évitera de les forcer, de les trancher outre mesure ; sa manière, dans le détail même, y devra gagner en fusion. […] La manière dont ils furent pris indiqua à l’auteur une voie nouvelle, et la facilité d’une partie du public ouvrit à son talent des jours dont il profita.

804. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Elle part de Voiture, Saint-Évremond ; elle est assez d’accord avec la première manière de La Fontaine ; elle se cantonne, durant Boileau et Racine, à l’hôtel Bouillon, chez les Nevers, les Des Houlières, Hesnault, Pavillon, Charles Perrault ; voici l’anneau trouvé avec Fontenelle. […] Les vers allégoriques à ses enfants : Dans ces prés fleuris, etc., ne sont qu’une manière de placet à Louis XIV, désigné comme le dieu Pan, une inspiration très-positive enveloppée avec grâce. […] Fréron, depuis, et d’autres sont entrés en lice : nous les y laissons, certain que l’idée de s’adresser à des moutons n’est pas neuve, et que la manière dont l’a fait Mme Des Houlières s’approprie au tour exact de son esprit193. […] Voltaire, si plein de tact en courant quand il est désintéressé, nous indique du doigt, dans son Temple du Goût, « le doux mais faible Pavillon, faisant sa cour humblement à Mme Des Houlières, qui est placée fort au-dessus de lui. » Pour revenir à l’école même qu’elle représente, et que nous avons montrée un peu jetée de côté dans le dix septième siècle, il semble qu’elle ait eu sa revanche au dix-huitième ; je veux dire que, même sans qu’on s’en rendît compte, cette manière avant tout spirituelle, métaphysique, moraliste et à la fois pomponnée, de faire des vers prévalut et marqua désormais au front la poésie du siècle, avec quelques différences de rubans et de nœuds seulement. […] Mais le goût d’un jour, la manière, est-elle pour cela absente ?

805. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Un jour que Mme de Monnier était venue dîner au château de Joux, chez M. de Saint-Mauris, Mirabeau vit pour la première fois cette jeune dame qui n’avait pas de peine à être la première de Pontarlier par la beauté et les manières comme par la condition. […] Vous me montrâtes une sorte d’esprit et une manière de sentir et d’observer que je ne m’attendais point à trouver au pied du Mont-Jura. » — « J’avoue, lui répond Mme de Monnier, que vous m’inspirâtes cette prévention qui donne de la confiance. […] M. de Saint-Mauris, pourtant, n’avait cessé d’avoir l’œil sur l’étrange historiographe qu’il s’était donné, et la manière dont il l’avait vu accueilli chez Mme de Monnier pendant la fête ne l’avait pas du tout rassuré. […] C’est pour une femme la moins embarrassante manière de répondre à quelqu’un qui vient de lui dire : Je vous aime. […] La marquise serait assez embarrassée de se le dire : « Ce jeune homme, qui n’a rien de très séduisant dans l’extérieur, n’est remarquable ni par son esprit ni par sa stupidité… Son étourderie est fatigante, son ton tranchant et présomptueux, ses manières évaporées.

806. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Comme il n’a jamais rien pensé d’une manière commune, il nous eût laissé sur ce point des observations intéressantes et instructives9. […] Sans doute, dans toutes les sociétés, il y a certaines institutions qui peuvent être mises à l’abri de la discussion par l’inquiétude jalouse de la société et par l’intérêt de la sécurité publique ; mais, à prendre les choses d’une manière générale et dans leur ensemble, on ne peut nier qu’au xviie  siècle il n’y eût plus de liberté de pensée en Hollande qu’en France, qu’il n’y en ait plus aujourd’hui en Amérique qu’en Russie, et dans la France de nos jours que dans celle du moyen âge. […] Ici, à la vérité, je me rencontre précisément sur le terrain où M. de Tocqueville croit sentir le plus clairement la main toute-puissante de l’État. — Le progrès de l’industrie, dit-il, amène le développement de la puissance publique de trois manières : d’abord l’industrie, en réunissant un grand nombre d’hommes dans des cités populeuses, appelle des lois de police, une surveillance compliquée et coûteuse, la crainte des révolutions et par conséquent l’augmentation de la force publique ; en second lieu, un pays où l’industrie prospère a besoin de routes, de ponts, de ports, de canaux : de là un immense déploiement des travaux publics, et par suite de la puissance de l’État. […] Il semble qu’ici l’auteur laisse un peu trop paraître son dédain pour les sociétés démocratiques, puisqu’il les juge complètement incapables d’entendre parler de la vertu d’une manière désintéressée. […] Cette manière d’entendre la politique pourrait avoir des inconvénients entre les mains d’un esprit corrompu, comme Machiavel, ou un peu trop indifférent, comme Aristote et quelquefois Montesquieu ; car, en se contentant d’observer comment les hommes agissent, on peut oublier comment ils devraient agir, et prendre leur conduite habituelle pour règle et pour mesure du juste et du droit.

807. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Nous avons tous une beauté divine, la seule qu’on doive aimer, la seule qu’on doive conserver pure et fraîche pour Dieu qui nous aime. » Simple et profonde manière de se voir et de s’accepter qu’elle eut toute sa vie et qui aurait sauvé Mme de Staël, qu’on appelle une laide de génie, de ses tristesses sans grandeur ! […] C’était déjà, pour elle, ce Maurice dont elle devait dire avec cette manière de parler qui n’appartient qu’à elle et qui crée : « Lui et moi, c’étaient les deux yeux d’un même front !  […] Elle quittait parfois sa terrasse et sa tourelle du Cayla, et s’enfermait une huitaine à ce Rayssac, par exemple, qu’elle nous a peint en trois coups, à la manière noire de son frère : « Rayssac, montagnes aux croupes de chameau, au front hérissé de forêts et de rochers, nature agreste et sauvage » Elle avait même ailleurs que dans son voisinage des amies épistolaires, qui devinrent plus tard des amies complètes, et c’est ici que nous touchons au grand événement et au seul bonheur, très vif, de cette existence que Dieu s’était, à ce qu’il semblait, particulièrement réservée : nous voulons dire au voyage à Paris de la bergère du Cayla et au mariage de son frère. […] « Quand les hommes de génie, a dit un poëte allemand contemporain, ne souffrent pas pour l’humanité, ils souffrent pour leur propre grandeur, pour leur horreur du vulgaire et leur grande manière d’être. » Il était donc tout simple que Guérin souffrit. […] Elle eut la même manière de souffrir et de s’éteindre.

808. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

C’est une manière de lire Tartuffe que d’y chercher ce que Molière a pensé de la religion, mais évidemment ce n’est pas la seule, ni surtout la plus littéraire. […] Et quand on ne saurait dire de quelle manière, en quel point précis l’influence a opéré, les effets n’en seraient pas moins certains, mais plus intérieurs et plus profonds seulement. […] De toutes les manières, par tous les moyens, ils vont s’efforcer de se tirer de pair, et par tous les moyens aussi, de toutes les manières, ils vont s’efforcer de discréditer leurs rivaux de popularité. […] Et il y a du moine, ou du cordelier, pour mieux dire, dans l’indélicatesse de sa plaisanterie, dans la grossièreté de son langage, dans la liberté de ses manières. […] — Qu’il y a quelque afféterie, quelque affectation de mignardise et de naïveté dans sa manière.

809. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Parny sut se préserver mieux qu’aucun autre de la contagion, il sut s’en préserver à sa manière tout autant que Fontanes ; il ramena et observa suffisamment le goût et le naturel dans l’élégie, mais il ne créa pas le style : Or, il aurait fallu le retremper alors tout entier. […] La seconde manière de Parny est comme une preuve perpétuelle de ce triste progrès, et on aurait peut-être, depuis lui, à citer encore d’autres exemples185. […] Quelques honnêtes auditeurs s’y méprirent pourtant et crurent que Garat avait voulu blâmer d’une manière couverte le récipiendaire. […] On crut déjà remarquer, dans les nudités de ce badinage, quelque recherche d’invention et d’expression ; mais, dans son poëme des Rose-Croix (1807), ses admirateurs eux-mêmes se virent forcés de reconnaître de l’obscurité et de la sécheresse, défauts les plus opposés à sa vraie manière. […] Parny avait la position et le renom du premier élégiaque de son temps et, pour mieux dire, de toute notre littérature ; comme Delille, comme Fontanes à cette époque, il régnait, lui aussi, à sa manière, bien que dans un jour plus voilé et plus doux.

810. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

La conséquence d’une telle manière de voir, c’est que le riche n’est pas très considéré ; on estime beaucoup plus l’homme qui se consacre au bien public ou qui représente l’esprit du pays. […] Il possédait une façon d’ironie, une manière de plaisanter sans qu’on fût averti, ni que rien préparât le trait, que je n’ai vues à personne. […] Quand je demandais à ma mère de me donner l’explication de cette singularité, elle répondait toujours d’une manière évasive, me parlait vaguement d’aventures dans les mers de Madagascar, refusait de répondre. […] Z… est le seul homme un peu comme il faut de notre entourage ; il a une belle position ; il est riche, estimé, on ne lui demande pas compte de la manière dont il a pu acquérir sa fortune. […] Un des anciens bouddhas antérieurs à Cakya-Mouni atteignit le nirvana d’une étrange manière.

811. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Locke, dans son Essai sur le gouvernement civil, ne séparait pas encore cette science des autres manières d’être de la vie sociale ; avec Boisguillebert elle prit une position plus distincte ; enfin Quesnay et Smith lui constituèrent un domaine indépendant, et depuis, cette indépendance à l’égard de la métaphysique s’est accrue de jour en jour. […] Universelle à l’origine, dans l’avenir elle sera universelle encore, mais d’une autre manière. […] II), « que les mystiques ont seuls connu la vraie manière de philosopher », n’est-ce pas dire que la métaphysique est d’autant plus haute qu’elle ressemble plus à une effusion ou à une rêverie ? […] Heine (de l’Allemagne), a dit du plus sec des métaphysiciens : « La lecture de Spinoza nous saisit comme l’aspect de la grande nature dans son calme vivant : c’est une forêt de pensées hautes comme le ciel, dont les cimes fleuries s’agitent en mouvements onduleux, tandis que leurs troncs inébranlables plongent leurs racines dans la terre éternelle : On sent dans ses écrits flotter un souffle qui vous émeut d’une manière indéfinissable : on croit respirer l’air de l’avenir. » Les métaphysiciens sont donc des poëtes qui ont pour but de reconstituer la synthèse du monde Ces grandes épopées cosmogoniques disparaîtront-elles ? […] Supposons que par une accumulation d’expériences sûres et variées on en soit venu à constater, par exemple, que telle manière de sentir suppose elle-même telle variété d’imagination, qui suppose elle-même telle façon de juger et de raisonner, qui suppose telle manière de vouloir et d’agir, etc., etc, que cette détermination soit aussi précise que possible, on pourrait à l’aide d’un seul fait reconstituer un caractère, puisque le problème se réduirait à ceci : Etant donné un membre de la série, retrouver la série tout entière.

812. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Il a sa manière, facile à imiter. […] Sa force d’expression en est accrue d’une manière remarquable. […] L’artiste ne peut nous faire tous vibrer de la même manière ; mais il frappe en nous les mêmes cordes. […] Léonard de Vinci avait à un degré éminent cette faculté d’invention qui demande de toutes manières à s’exercer. […] Mais il les modifie de diverses manières.

813. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Mais vous, mon cher, si vous ne trouvez pas d’autre manière de commencer votre pamphlet que de citer M.  […] refusez-lui cette estime d’une manière piquante et imprévue, et vous serez comique. […] Aucune manière de raisonner ne peut être plus franche et plus noble que la simple position de cette question. […] Il ne faut imiter de Shakspeare que l’art, que la manière de peindre, et non pas les objets à peindre. […] 7º On nous dit : le vers est le beau idéal de l’expression  : une pensée étant donnée, le vers est la manière la plus belle de la rendre, la manière dont elle fera le plus d’effet.

814. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Soumet, nous dit-on, dans la vie privée, avait de l’esprit, de la grâce, une sorte de courtoisie romanesque qui se conciliait d’une manière assez aimable avec les vanités du poëte et de légers ridicules. […] Ce charmant chez Soumet revient tous les trois ou quatre vers, qu’il s’agisse de tragédie ou d’épopée ; on pourrait appliquer encore à sa manière pompeuse, sonore et creuse, à son vers spécieux et brillant, le bellum caput, sed cerebrum non habet du fabuliste : belle forme, mais vide d’idées !

815. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

On y embrasserait dans un seul coup d’œil les premiers essais gigantesques, excessifs, un peu extravagants, d’un talent pittoresque et passionné, tout neuf, sa perfection presque aussitôt, sa saison toute classique dans René et dans Eudore, sa manière parfaite encore, mais déjà un peu sèche et roide, dans l’Abencerage. […] Le Dernier Abencerage, enfin, qui marque chez l’auteur une manière plus avancée, paraîtra sans doute aujourd’hui concerté, antithétique, un peu guindé.

816. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Le talent de Paul Fort est une manière de sentir autant qu’une manière de dire.

817. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

Hartley les explique de la même manière. […] En d’autres termes, les états de l’esprit les plus complexes ou les plus abstraits, les notions dites a priori, les idées les plus étrangères en apparence à l’expérience, les sentiments les plus raffinés ; tout, sans exception, est réductible par l’analyse aux sensations primitives, qui associées et fondues de mille manières, par suite des combinaisons qu’elles forment, des métamorphoses qu’elles subissent, deviennent méconnaissables au sens commun.

818. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé Boileau, et Jean-Baptiste Thiers. » pp. 297-306

On tournoit en ridicule la personne du docteur, son air, sa figure, ses manières, ses discours. […] On veut qu’il soit mort d’une manière singulière, pour s’être renversé de dessus sa chaise, à force de rire, entendant faire des contes orduriers.

819. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Mais tournez-vous de grâce… Molière n’aurait pas dit la chose d’une manière plus comique. […] La manière dont le roi distribue les emplois de son armée est très-ingénieuse ; ces quatre vers qui expriment la moralité de cette fable sont excellens, et le dernier surtout est parfait.

820. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Le patriotisme qui bouillonnait au fond de l’âme d’un Grec et d’un Romain bouillonne de la même manière au fond de toute âme patriotique ; l’éloquence de Démosthène lui appartenait à lui seul. […] Que demain la ville de Paris soit en flammes ou par un accident ou par une hostilité, et mille âmes fortes se décèleront : pour sauver leurs enfants, des pères mourront, des mères marcheront à travers des charbons ardents ; toute l’énergie de la bonté naturelle se dévoilera en cent manières effrayantes.

821. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 17, quand ont fini les représentations somptueuses des anciens. De l’excellence de leurs chants » pp. 296-308

Durant toute la nuit on y chantoit des airs profanes, et les gesticulateurs y déclamoient. " apparemment que quelque chrétien avoit mis en vers la passion de saint Cyprien, et qu’on executoit ce poëme sur son tombeau, de la même maniere qu’on executoit les pieces prophanes sur le théatre. […] Ces saints ne créerent pas une nouvelle musique pour composer ceux des chants de leur office qu’ils firent lorsqu’ils reglerent ces offices : car il paroît par la maniere dont s’expliquent les auteurs contemporains qu’ils admirent dans les églises plusieurs chants dont on se servoit déja.

822. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Le théologien, spéculant sur l’absolu, sur la simplicité essentielle d’un dogme révélé, n’a pas à tenir compte de ces variétés, qui ne menacent d’aucune manière les vérités fondamentales ; mais comment le philosophe nationaliste s’empêcherait-il de les enregistrer ? […] Il n’y a qu’un Dieu ; les chrétiens de France et d’Allemagne le confessent, mais il peut être conçu de plusieurs manières.

823. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin § I Nous avons montré dans ce Livre jusqu’à l’évidence que dans toute leur vie politique les nations passent par trois sortes d’états civils (aristocratie, démocratie, monarchie), dont l’origine commune est le gouvernement divin. […] Or comme dans les républiques, un puissant ne se fraie le chemin à la monarchie, qu’en se faisant un parti, il est naturel qu’un monarque gouverne d’une manière populaire.

824. (1923) Au service de la déesse

C’est, en quelque manière, un témoignage. […] Et voilà, en quelque manière, une loi de l’histoire. En quelque manière ! […] Ernest Bovet, d’une manière assez ingénieuse. […] C’est si loin de la manière dont j’ai été élevé.

825. (1886) Le naturalisme

Vu la manière de composer de Balzac, c’est ce qui devait arriver. […] Une page de Théophile Gautier définit fort bien cette manière de sentir l’Art. […] Car, les mots nouveaux ne leur suffisant pas, ils songèrent à les placer d’une manière inaccoutumée, pourvu qu’ils exprimassent ce que l’auteur désirait leur faire exprimer. […] Il parle toujours de sa femme, non pas d’une manière galante ou passionnée, — ce qui n’est pas dans ses notes, — mais affectueusement et avec une extrême cordialité. […] Il ne se repent pas ni ne se corrige, il accentue sa manière à chaque livre.

826. (1890) Nouvelles questions de critique

Elles sont la plupart fort incorrectes, et le sont chacune à sa manière, diversement, capricieusement. […] La manière de Voltaire, car il en a une, et celle de Montesquieu, ne sont pas des modèles dont il soit interdit de s’écarter. […] et quand on fait à Buffon ce reproche, ne méconnaît-on point ce qui fait la grandeur et l’originalité de sa manière ? […] Mais on peut le montrer d’une autre manière encore. […] On prouve tout avec des chiffres, et même parfois la vérité, quand on sait la manière de s’y prendre.

827. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Mais cette manière n’est pas la seule… il en est une autre qui est sans danger. […] Il n’y a pas de procédés, chacun a les siens, parce que chacun voit à sa manière. […] J’adopterai souvent la manière de désenchâsser l’idée du vers pour voir ce qu’elle vaut. […] Voici comme l’Anglais comprend l’amour, et cela à l’époque de sa première manière, dit M.  […] Rien de plus dissemblable, de plus opposé que ces deux talents, non seulement comme pensée, mais encore comme manière de sentir et de rendre.

828. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Ce bœuf peut donc entrer en nous de deux manières. […] Copier la nature, en ce qu’elle a d’illimité, c’est une manière de concevoir l’art, mais ce n’est peut-être pas une manière de concevoir la nature. […] Si la manière d’écrire le mot lui donnait en même temps la manière exacte de le prononcer, le travail de la lecture se trouverait compliqué d’autant, sauf pour les mots nouveaux ou inconnus. […] Une grande partie de nos manières usuelles d’écrire facilement, ou mal, date du dix-huitième siècle. […] Songez qu’il a créé des manières de dire telles que « Faire sensation » !

829. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Son voisin, par ses manières exquises, met encore dans un plus grand jour sa gaucherie et sa grossièreté. […] Comment voulez-vous que cette manière de penser naisse parmi nos habitudes bourgeoises ? […] Il n’est pas jusqu’aux travers du noble qui ne soient nobles. « Il n’y a rien de si délié, dit La Bruyère, de si simple, de si imperceptible, où il n’entre des manières qui nous décèlent. […] Bien tenez, voyez là votre argent. » Le singe de La Fontaine a des manières plus insinuantes et plus flatteuses. […] vraiment, vous y voici, Reprit l’ours à sa manière.

830. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Voyant les choses en ce misérable état, si éloignées d’accommodement, je pris la résolution de passer en Géorgie, de quelque manière et à quelque risque que ce pût être. […] D’autres intéressés dans ce même endroit me chargèrent aussi du même message, de manière que je crus être obligé de le rapporter à cet envoyé, afin qu’il pût prendre plus sûrement ses mesures. […] Ce droit est le principal émolument de ces officiers ; et lorsque le roi commande que quelque habit soit délivré gratis, et défend d’exiger ce droit, chose qui arrive fort rarement, il en fait bon aux officiers, de manière qu’ils ne le perdent jamais. […] On me disait que les murs partout étaient couverts de cette manière ; et il faut observer que de temps en temps on change l’argent en ducats, le seul or qui vienne en Perse. […] Des manières grossières et insolentes envers les étrangers et les chrétiens caractérisent les Turcs ; celles des Persans, au contraire, honoreraient toute nation civilisée, etc. » Voyage du Bengale en Perse, t. 

831. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

S’il s’agissait de résoudre cette question d’une manière absolue, nous aimerions presque autant dire : Convient-il à la nature de donner du génie aux femmes ? Mais, s’il s’agit de la résoudre d’une manière relative et au point de vue de la société et de la famille, où la femme occupe une place si distincte de celle que la nature, la société, la famille, assignent à l’homme, la question prend un autre aspect, et nous présenterons à notre tour quelques considérations préliminaires à ceux qui cherchent à cet égard la convenance ou la vérité. […] On reconnut dans le portrait la manière du modèle ; on y reconnut surtout une certaine audace d’idées et une certaine indépendance de jugements qui rappelaient la séve étrangère et qui marquaient alors toutes les œuvres écrites au bord du lac de Genève. […] C’était un homme déjà mûr d’années, d’une figure noble, d’une distinction de manières qui répondait à sa considération personnelle dans le monde, d’un esprit suffisant pour jouir des succès de sa femme sans prétendre à l’égaler, un de ces hommes qui acceptaient les seconds rangs partout, même dans leur maison. […] répliquai-je, « il ne s’agit pas de ce que je veux, mais de ce que je pense. » J’ignore si cette réponse lui a été rapportée, mais je suis bien sûre du moins que, s’il l’a sue, il n’y a attaché aucun sens ; car il ne croit à la sincérité des opinions de personne, il considère la morale en tout genre comme une formule qui ne tire pas plus à conséquence que la fin d’une lettre ; et, de même qu’après avoir assuré quelqu’un qu’on est son très-humble serviteur, il ne s’ensuit pas qu’il puisse rien exiger de vous, ainsi Bonaparte croit que lorsque quelqu’un dit qu’il aime la liberté, qu’il croit en Dieu, qu’il préfère sa conscience à son intérêt, c’est un homme qui se conforme à l’usage, qui suit la manière reçue pour expliquer ses prétentions ambitieuses ou ses calculs égoïstes.

832. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Les moralités délicates disaient qu’il allait tuer comme les tubéreuses tuent les femmes en couche, et il tue en effet de la même manière. […] , ce livre sera moral à sa manière ; et ne souriez pas ! cette manière n’est rien moins que celle de la Toute Puissante Providence elle-même, qui envoie le châtiment après le crime, la maladie après l’excès, le remords, la tristesse, l’ennui, toutes les hontes et toutes les douleurs qui nous dégradent et nous dévorent pour avoir transgressé ses lois. […] Charles Baudelaire, appeler un art sa savante manière d’écrire en vers ne dirait point assez. […] C’est ce que j’ai fait dans mon livre d’une manière lumineuse ; plusieurs morceaux non incriminés réfutent les poèmes incriminés.

833. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Ces faits qu’il épingle, ces citations dont il arrange la mosaïque insidieuse et éblouissante, il a sa manière personnelle, sa manière à lui de les montrer, de les arranger, de les mettre en valeur, — pour en tirer lui-même ou en faire tirer aux autres des conclusions… L’homme est ainsi fait qu’il ne peut pas ne point ajouter aux choses qu’il touche. […] Taine lui-même, en dépit de sa méthode, a des manières de faire jouer le jour dans les faits et les opinions historiques. […] On peut avoir une manière à soi de l’écrire, mais il faut la concevoir comme tous les hommes de génie qui l’ont écrite l’ont conçue. […] Et, en effet, c’est le métaphysicien qu’il est encore, sans le vouloir, contre la métaphysique ; c’est le philosophe, qui, dans les premières années de sa vie intellectuelle, partit de Condillac pour aller à Hegel, où tout le monde philosophique allait alors, comme on va maintenant à Notre-Dame de Lourdes, puis qui revint à Condillac, dégoûté d’allemanderie, en véritable esprit français fait pour le léger et le clair, et qui, s’il a maintenant perdu la légèreté immatérielle de notre race, en a du moins gardé la clarté, sous les accumulations et les épaississements de son style et de sa manière. […] Les éditeurs ont une manière à eux de compter les éditions.

834. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Il n’admet guère qu’une manière d’aimer et de servir l’État et son maître, qui est la sienne. […] » À l’affaire d’Aumale (1592) où Henri s’expose si imprudemment, Rosny est dépêché par les plus fidèles serviteurs du roi pour lui faire remontrance sur le terrain même et le prier de ne point se hasarder ainsi sans besoin : « Sire, ces messieurs qui vous aiment plus que leurs vies, m’ont prié de vous dire qu’ils ont appris des meilleurs capitaines, et de vous plus souvent que de nul autre, qu’il n’y a point d’entreprise plus imprudente et moins utile à un homme de guerre que d’attaquer, étant faible, à la tête d’une armée. » À quoi il vous répondit : « Voilà un discours de gens qui ont peur ; je ne l’eusse pas attendu de vous autres. » — « Il est vrai, Sire, lui repartîtes-vous, mais seulement pour votre personne qui nous est si chère ; que s’il vous plaît vous retirer avec le gros qui a passé le vallon, et nous commander d’aller, pour votre service ou votre contentement, mourir dans cette forêt de piques, vous reconnaîtrez que nous n’avons point de peur pour nos vies, mais seulement pour la vôtre. » Ce propos, comme il vous l’a confessé depuis, lui attendrit le cœur… Il y a dans ces Mémoires de Sully, et si l’on en écarte les cérémonies et les lenteurs, des scènes racontées d’une manière charmante et même naïve. […]  » les ordres qu’il envoie à l’instant, l’alerte donnée aux plus prochains quartiers, et sa présence d’esprit, son coup d’œil qu’il avait toujours le plus ferme et le plus judicieux, une fois en selle et l’épée au poing, sont rendus d’une manière vive et des plus françaises. […] Rosny, par manière d’épreuve, lui demanda de faire une tournée en province avec autorité de destitution et de remplacement sur les gens de finance.

835. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Si donc, dans la rigidité féodale et seigneuriale de la génération précédente, il y avait encore un excès de mœurs antiques, on voit, dans la seule façon dont le prince de Ligne en parle, qu’il y a chez lui de l’excès opposé, une légèreté de bel air et une affectation de laisser-aller qui suppose quelque manière et du genre. […] Puis il est à croire qu’à ses débuts, le prince de Ligne forçait en effet sa manière. […] Il faut nourrir cette amabilité, en avançant, de toutes sortes d’idées justes et solides sans en avoir l’air : l’homme aimable de soixante ans, même pour paraître n’en avoir jamais que vingt, ne doit pas être aimable comme on l’est à vingt, où l’on paye de mine et de jolies manières en bien des cas ; il faut, tout en conservant le désir de plaire, qu’il y joigne bien des qualités qu’il n’avait pas à cet âge ; il faut qu’en sentant toujours de concert avec la jeunesse, il ait l’expérience de plus, et qu’elle accompagne sans se marquer. […] Ceux qui ont ce trait, ce neuf, ce piquant, peuvent encore ne pas être parfaitement aimables ; mais, si l’on unit à cela de l’imagination, de jolis détails, peut-être même des disparates heureux, des choses imprévues qui partent comme un éclair, de la finesse, de l’élégance, de la justesse, un joli genre d’instruction, de la raison qui ne soit pas fatigante, jamais rien de vulgaire, un maintien simple ou distingué, un choix heureux d’expressions, de la gaieté, de l’à-propos, de la grâce, de la négligence, une manière à soi en écrivant ou en parlant, dites alors qu’on a réellement, décidément de l’esprit, et que l’on est aimable.

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