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1102. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

A sa vue, le glaive était tombé des mains de l’époux ravi. […] Son royaume n’est pas de ce monde ; il combat pour combattre, en vue d’un idéal tout abstrait et tout intérieur. […] Sa gorge, au pied de la lettre, est déjà trop grosse, quoiqu’elle soit une des plus belles que j’aie jamais vues. […] De Charles-Quint à Charles II, la dynastie s’abâtardit à vue d’œil. […] Ils se gardent l’un l’autre mutuellement à vue.

1103. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Aujourd’hui, en abordant Mme de Krüdner sous son auréole mystique, dans sa blancheur nuageuse, dans la vague et blonde lumière d’où elle nous sourit, notre vue et notre conjecture se reportent d’abord bien au delà de notre siècle et des deux précédents : nous n’hésitons pas à la replacer plus haut. […] Pourtant le mouvement teutonique de réaction contre la France, ou du moins contre l’homme qui la tenait en sa main, allait bientôt gagner Mme de Krüdner et la pousser, par degrés, jusqu’au rôle où on l’a vue finalement. […] Nous la perdrons aussi de vue dans notre récit ; ce que nous aurions à ajouter ne serait guère qu’une variante monotone de ce qui précède.

1104. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

Comme la vie se hâte sur la mort, et que c’est triste à notre vue ! […] « Entre autres beaux effets du vent à la campagne, il n’en est pas qui soient beaux comme la vue d’un champ de blé tout agité, bouillonnant, ondulant sous ces grands souffles qui passent en abaissant et soulevant si vite les épis par monceaux. […] Elle n’en a pas seulement la vue, elle en a l’intelligence et le goût, elle en fait partie, elle en est le centre.

1105. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Mais lors même qu’il nie ainsi, c’est qu’il aspire encore vers cet avenir entrevu un instant et qui s’est dérobé à sa vue. […] Ainsi, nous trouvions à la fois une confirmation de nos vues sur l’avenir de la société dans l’art actuel, et une explication de cet art même dans l’état de la société. […] Il porte plus haut sa vue ; il est trop philosophe pour être chrétien et homme de cette façon : il veut, sans oser bien se l’avouer, un autre ciel, une autre terre.

1106. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Jacques Chaumié semble inattaquable à première vue. […] À première vue, il ne semble pas qu’il en soit ainsi, mais c’est à voir avec la statistique, et je n’y suis point maître. […] Ceci n’est plus de l’histoire, et les malveillants pourraient aller racontant que je me mêle de politique… Fernand Divoire À première vue, je ne vois pas que M. 

1107. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Introduction Un missionnaire du siècle dernier, montant en chaire pour la première fois devant l’élite de la société parisienne, s’exprimait ainsi : « À la vue d’un auditoire si nouveau pour moi, il semble que je ne devrais ouvrir la bouche que pour vous demander grâce en faveur d’un pauvre missionnaire dépourvu de tous les talents que vous exigez, quand on vient vous parler de votre salut. » Ne devrais-je pas, à l’exemple du père Bridaine, vous demander grâce en faveur d’un obscur missionnaire de la religion des lettres qui vient vous entretenir des objets sacrés de son culte ? […] L’enfant encore inculte, le paysan grossier, éprouvent une sensation de plaisir à la vue d’un beau spectacle, au récit d’une aventure intéressante. […] Le débit oral, ou l’élocution, est sans doute indépendant de la pantomime, et la pantomime peut également, sans l’aide du langage, servir d’interprète à la pensée ; mais ils se prêtent un mutuel secours, et l’âme ne recevrait qu’une sensation incomplète, si les sens de l’ouïe et de la vue n’étaient affectés qu’isolément.

1108. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

De là, dans ses œuvres, distinguées plutôt que de premier ordre, la délicatesse tournant à la manière, la finesse à l’énigme ; de là un poète qui, pour se dérober aux yeux des profanes, s’enveloppe d’ombres, et finit par se perdre de vue lui-même. […] Le caractère philosophique de ces livres, la morale tirée des événements, la profondeur et la gravité des maximes ; des vues supérieures et des leçons éloquentes sur la part de chacun dans la bonne et la mauvaise fortune des sociétés ; plus de penchant pour le principe d’autorité que pour le principe de liberté, dans une conviction égale de la nécessité des deux choses pour la bonne conduite et pour la gloire des sociétés humaines : toutes ces qualités indiquent que les nobles habitudes de l’enseignement public ont passé par là. […] Nous l’avons vue aussi parmi les choses les plus voyantes et les plus bruyantes, moitié rêve, moitié chant lyrique, idéalisant les multitudes, et cherchant les grands hommes dans les propos de leurs valets, tombant des hauteurs du symbole dans l’anecdote, mais éloquente, vivante, dans une langue dont les emportements mêmes sont savants et qui est travaillée jusqu’au souci du rythme.

1109. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

C’était une belle et grande fille (tu ne l’as vue que fanée) ; elle avait de la sève de nature, un teint splendide, un sang pur et fort. […] Assister à la messe encore une dernière fois, quoique morte ; entendre ces paroles consolantes, ces chants qui sauvent ; être là sous le drap mortuaire, au milieu de l’assemblée des fidèles, famille qu’elle avait tant aimée, tout entendre sans être vue, pendant que tous penseraient à elle, prieraient pour elle, seraient occupés d’elle ; communier encore une fois avec les personnes pieuses avant de descendre sous la terre, quelle joie ! […] On s’entendit pour qu’elle fût placée à l’hospice ; c’est là que tu l’as vue.

1110. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Je savais bien qu’elle était condamnée ; mais l’avoir vue jeudi, si vivante encore, presque heureuse, gaie… Et nous voilà tous les deux marchant dans le salon avec cette pensée que fait la mort des personnes : Nous ne la reverrons plus ! […] Aux murs de la pièce exposée au nord, de la pièce froide et nue, il y a, je ne m’explique pas pourquoi, deux vues du Vésuve encadrées, de malheureuses gouaches, qui semblent, là toutes frissonnantes et toutes dépaysées. […] Cet affreux déchirement du voile que nous avions devant les yeux, c’est comme l’autopsie d’une poche pleine d’horribles choses dans une morte tout à coup ouverte… Par ce qui nous est dit, j’entrevois soudainement tout ce qu’elle a dû souffrir depuis dix ans : et les craintes près de nous d’une lettre anonyme, d’une dénonciation de fournisseur, et la trépidation continuelle à propos de l’argent qu’on lui réclamait et qu’elle ne pouvait rendre, et la honte éprouvée par l’orgueilleuse créature pervertie, en cet abominable quartier Saint-Georges, à la suite de ses fréquentations avec de basses gens qu’elle méprisait, et la vue douloureuse de la sénilité prématurée que lui apportait l’ivrognerie, et les exigences et les duretés inhumaines des maquereaux du ruisseau, et les tentations de suicide qui me la faisaient un jour retirer d’une fenêtre, où elle était complètement penchée en dehors… et enfin toutes ces larmes que nous croyions sans causes ; — cela mêlé à une tendresse d’entrailles très profonde pour nous, à un dévouement, comme pris de fièvre, dans les maladies de l’un ou de l’autre.

1111. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Que l’on relise pour constater jusqu’où va cette contention et cette lutte, les ressources infinies de ce style jamais las, la magnifique série de chapitres où se trouve décrite la tempête funeste à l’ourgue des Compachicos : Les grands balancements du large commencèrent ; la mer dans les écartements de l’écume était d’apparence visqueuse ; les vagues vues dans la clarté crépusculaire à profil perdu, avaient des aspects de flaques de fiel. […] Enfin qu’il s’agisse de l’effronterie d’un gamin ou d’une vue d’ensemble sur la vie monastique, de la manie d’un ancien capitaine à pronostiquer le temps, ou d’une redoutable crise de conscience, du spectacle funèbre d’un pendu épouvantant ses commensaux ailés des soubresauts dont l’anime le vent dans la nuit sur une plage, ou d’une considération historique sur la Convention, de plaintes sur la mort ou d’exultations sur la vie, M.  […] Une nuit étoilée vue aux heures où tous dorment, le ciel bas d’une soirée d’hiver, L’air sanglote et le vent râle, Et sous l’obscur firmament, La nuit sombre et la mort pâle Le regardent fixement, le bois sombre plein de souffles froids où Cosette, la nuit, va pour chercher un seau d’eau, pénètrent d’une horreur sacrée.

1112. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

La vérité scientifique en soi n’est donc pas d’un autre ordre que les vérités qu’on l’a vue quelquefois essayer, non seulement de se subordonner, mais d’« intérioriser. » La connaissance que nous avons des lois de la nature n’a rien de plus « objectif », ou de plus « absolu », que celle que nous pouvons acquérir des lois de l’esprit ou de celles de l’histoire. […] Aussi loin que s’étende la portée de notre vue, nous ne sortons pas du champ du « relatif » ; nous n’en sortons pas davantage, aussi profondément que nous nous efforcions de pousser nos recherches. […] III Quelques adversaires du positivisme ne s’y sont pas mépris, dont Renan, — le Renan jeune, et sincère encore, de L’Avenir de la science ; — et ils ont bien compris que ce qui s’évanouissait, dans ce passage de l’un à l’autre point de vue, c’était le mirage d’une religion de la science, vers le milieu du XIXe siècle, ne pouvant faire que la religion fût assez scientifique à leur gré, quelques philosophes avaient essayé de transformer la science en une religion.

1113. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Vue de loin, en effet, l’histoire prend assez bien cet aspect sériaire et simple. […] Mais cette définition initiale énonce comme une chose ce qui n’est qu’une vue de l’esprit. […] Les moralistes ne sont pas encore parvenus à cette conception très simple que, comme notre représentation des choses sensibles vient de ces choses mêmes et les exprime plus ou moins exactement, notre représentation de la morale, vient du spectacle même des règles qui fonctionnent sous nos yeux et les figure schématiquement ; que, par conséquent, ce sont ces règles et non la vue sommaire que nous en avons, qui forment la matière de la science, de même que la physique a pour objet les corps tels qu’ils existent, non l’idée que s’en fait le vulgaire.

1114. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

De plus heureux l’ont vue, entourée de chefs-d’œuvre, chez M.  […] Ce poète des millions est grand par l’audace des vues et par l’ampleur du rêve. […] Si l’on publie jamais certaines lettres du poète, que j’ai vues chez M.  […] Elles sont pleines de vues très hardies dont plusieurs se rapprochent des vôtres. […] Je me retirai dans ce lieu, où l’ancien monde ne me trouble plus la vue.

1115. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

L’odeur et la vue des plaies les offusquent. […] Relisez Choses vues. […] Ainsi se trouve réalisée la nécessité mère, selon moi, de toute œuvre d’art : une vue d’ensemble formée de pièces méticuleuses. […] Car la réflexion est une vue seconde, plus patiente et moins volage. […] Et puisque l’homme est partout l’homme, la Chine n’eut pas le monopole de ces vues profondes et si vraies.

1116. (1925) Dissociations

Je me suis borné à rassembler quelques vues nouvelles qui pourraient, il me semble, servir de point de départ à une science nouvelle : la biologie militaire. […] Sans doute ce n’est là qu’une vue esthétique, mais on ne la retrouve pas en regardant ceux des mammifères qui passent, dans les vieilles classifications à la Hæckel, pour être les devanciers de l’homme. […] Et cette vue semble assez juste. […] Cette vue serait bien imprudente au point de vue social. […] Le souvenir de Moréas que j’accompagnais là me guide et nous arrivons en vue d’un tombeau recouvert d’une bâche.

1117. (1886) Le roman russe pp. -351

Insensiblement, depuis un siècle, d’autres vues ont prévalu. […] Et tout cela peint en quelques traits rapides et forts, relevé d’images personnelles qu’on n’a vues nulle part. […] La théorie internationale leur fit perdre de vue la réalité russe. […] Il faut pourtant l’avouer, ce pouvoir sert quelquefois nos intérêts mieux que nous-mêmes, et les lettres de cachet sont généralement d’accord avec les vues de la Providence. […] Il y a dans ce morceau un réalisme minutieux, une claire vue de soi-même dans la gradation du désespoir, qui rappellent certaines pages de Dostoïevsky.

1118. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

La vue élevée et anticipée qu’eurent de ces choses, dans l’Antiquité même, les Sénèque, les Lucrèce, les Aristote, les Empédocle, M.  […] Littré fut amené à s’occuper avec suite des origines de notre langue ; il passa décidément de l’antiquité grecque et latine à cette autre demi-antiquité si ingrate et si confuse d’apparence, à celle du moyen âge, et il y prit goût, il y prit pied au point de penser déjà à ce Dictionnaire de la Langue qu’il exécute aujourd’hui, qui s’élève chaque jour à vue d’œil, et qui devient le monument de la seconde moitié de sa carrière. […] Les choses purement littéraires, s’il les traite par ce procédé, peuvent quelquefois souffrir d’être prises et serrées comme dans un étau ; j’aimerais mieux, par moments, un ignorant sagace ou un sceptique allant à l’aventure en chaque étude, s’y éveillant chaque jour d’une vue matinale, recommençant et rafraîchissant chaque fois son expérience, comme s’il n’avait pas de parti pris. […] Ce faisceau chez lui est un peu dense et compacte à la vue, tandis qu’il paraît du lâché dans le Dictionnaire historique de l’Académie.

1119. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

La qualité de chef de la littérature, fût-elle une addition étrangère à la souveraineté, en devient l’appui et l’ornement : l’appui, parce qu’elle oblige les empereurs à donner à leurs enfants une éducation qui les force à l’application, leur inspire l’estime et l’amour des sciences, les accoutume à réfléchir, étend leur pénétration et remplit leur esprit d’une infinité de principes et de vues, de maximes et de faits qui leur sauvent bien des méprises. […] Ce n’est pas tout : un prince y voit une infinité de choses qu’on tâche de lui faire perdre de vue, et, s’il s’est fait un plan de gouvernement, il lui est aisé d’être conséquent et de tendre sans cesse à son but. […] C’est au nom du Tien qu’on agit ; c’est sa justice qui doit diriger : on ne doit y mêler aucune vue particulière. […] Leur abdication et le regret amer qu’ils témoignèrent après avoir abdiqué sont une preuve sans réplique qu’ils redoutaient, dans l’autorité suprême, ce qu’elle a de laborieux, de pénible et de rebutant, quand on veut l’exercer avec gloire, et qu’ils ne voulaient que jouir des prétendus avantages qu’elle présente, quand on a en vue une vaine prééminence sur les autres et la facilité malheureuse de pouvoir se livrer à tous ses penchants.

1120. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Ce qui se passa dans son âme à cette vue, Dieu seul le sait ; mais ses sens n’eurent pas la force de sa volonté : elle tomba inanimée dans les bras de son amie, qui la reconduisit à son palais, vide désormais de sa plus chère amitié. […] Ballanche m’a fait grand plaisir : il vous avait vue ; il m’apportait quelque chose de vous. […] « Faites représenter à Paris mon Moïse ; ce sera ma dernière ambition et ma dernière vue de ce monde qui se retire devant moi ! […] « Le hameau où je suis arrêté », conte-t-il d’un village de Bourgogne, dans sa course à Venise, « a une belle vue au soleil couchant, sur une campagne assez morne.

1121. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Tantôt il s’arrête, troublé, ébloui, contraint de baisser la vue, et il demande « à remettre ses sens étonnés », Ailleurs il décide d’enthousiasme, il ordonne, il enjoint, et cet « instinct qui le pousse », plus convaincant que la logique de l’école, plus habile que toutes les adresses de la rhétorique, lui suggère des preuves inattendues et saisissantes. […] Il les voit d’une vue claire dans le mystère de leur unité et de leur existence personnelle. […] Ce n’est pas assez que ses maximes aient été des vues désintéressées de son esprit ou des inspirations de son cœur ; il lui faut une foi qui donne à sa morale le caractère d’une croyance transmise, et qui la mette au-dessus de ce droit capricieux que nous avons sur nos pensées. […] Mais cette humeur, ces vues, ces impressions personnelles, ces épanchements de cœur, ces retours sur soi-même, tout ce qui est de sa propre histoire dans sa morale, voilà le vrai charme de cet aimable auteur.

1122. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Les découvertes de la science témoignent chaque jour de la justesse des vues de Buffon. […] Si c’est l’enfant, elle peut être pressante sans qu’il la voie, elle peut lui coûter la vie avant qu’il l’ait vue. […] Descartes avait en vue ce type d’esprit, quand il écrivait cette phrase si significative : « Ce sont ceux qui se connaissent le moins qui sont le plus sujets à s’enorgueillir et à s’humilier plus qu’ils ne doivent110. » Se connaître n’est pas chose facile, même à ceux qui se cherchent. […] A côté des fausses vues, des illusions, des subtilités de l’esprit d’utopie, il y a mille vérités de détail qui leur donnent des démentis ; à côté du moraliste arbitraire, qui façonne le cœur humain pour sa philosophie, et qui fait l’élève pour le maître, il y a le moraliste selon la morale universelle, qui glisse, comme en cachette de l’autre, quelques grains du plus pur froment dans l’ivraie de cette fausse philosophie.

1123. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Je conçois idéalement un révolutionnaire vertueux, qui agirait révolutionnairement par le sentiment du devoir et en vue du bien calculé de l’humanité, de telle sorte que les circonstances seules seraient coupables de ses violences. […] Car de tels actes ne vont pas sans que la passion s’en mêle, et réciproquement de telles passions ne vont pas sans éveiller quelque vue désintéressée. […] S’ils n’ont eu en vue, au contraire, que des considérations égoïstes, ce sont des tyrans et des infâmes. […] Les vues les plus superficielles et les plus rebattues présentées sur un ton de grossière plaisanterie, qui fait grincer les dents à tout esprit délicat, font battre des mains aux ignorants.

1124. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

La petite troupe allait, sans doute, se rendre à première vue, devant l’immensité de son armée déployée. […] Un temple de Héra, la Vierge-épouse, l’ennemie mortelle de l’impure Asie, l’alliée fidèle des Grecs de l’Iliade, se dressait en vue des deux aimées, sur un coteau qui couvrait Platée. […] A la vue de ce banquet Pausanias se prit à rire ; et commanda à ses Ilotes de lui apprêter un souper à la laconienne. […] Cet Empire, si longtemps l’épouvante du monde, décroît à vue d’œil.

1125. (1894) Textes critiques

Guillaumin a rajouté à ses œuvres connues une série de vues de la Creuse : arbres roux frisés, mamelons fermant le ciel de leur pelote ronde partout couverte de têtes d’épingle en pierres précieuses ; une des plus belles, le Moulin Brigand (Crozan), avec un arbre au fond qui miroite comme un lézard dans une grotte. […] C’est que Bourrienne parle des choses qu’il a vues ; il a fait campagne avec Bonaparte en Egypte et en Syrie ; il a participé au coup d’Etat de Brumaire, aux transformations et à l’accaparement du Consulat ; son récit est mouvementé, curieux en détails, attachant lorsqu’il renonce à ses paperasses documentaires ; et il faut lire par exemple les chapitres consacrés à l’amiral Brugs et au désastre d’Aboukir, à la détresse de l’armée française d’Orient décimée par les maladies, les suicides, les assassinats des bédouins, abandonnée finalement par son chef dont l’ambition rêve un soir de conquérir l’Asie, et qui s’échappe pour revenir en France violenter la Fortune et se faire acclamer comme un libérateur. […] René Ghil — Voici mon avis d’éliminer, motivé à première vue par le manque de qualité et de quantité, à la fois, d’une oeuvre littéraire sérieuse ; MM. d’Audiffret-Pasquier, de Broglie, Costa de Beauregard, de Freycinet, Gréard, Edouard Hervé, Rousse, Alfred Sorel, Thureau-Dangin, pour l’Académie Française. — Octave Mirbeau, pour l’autre.‌ […] Parmi les toiles de Pissarro, il faut noter une vue de la gare St Lazare.

1126. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

déjà fatigués de vos misères, vous qui, à demi privés de la vue de l’intelligence, n’avez foi que dans les pas en arrière, — ne savez-vous donc pas que nous ne sommes que des vers de terre nés pour devenir l’angélique papillon qui vole invincible au-devant de l’éternelle justice ? […] « Ô vous », s’écrie alors le poète saisi d’enthousiasme, « vous qui, sur une trop petite nacelle, désirez suivre mon navire qui chante en voguant, — rebroussez chemin vers les bords, ne vous lancez point sur cette vaste mer ; car, si vous veniez à me perdre de vue, vous resteriez égarés ! […] « Comme l’oiseau parmi les feuilles dont il aime l’ombre, étendu sur le nid de ses deux nouveau-nés pendant la nuit qui nous voile toute chose, pour jouir de la vue de ses chers petits, et pour chercher la nourriture dont il les embecque, soins qui lui font trouver douces les plus dures fatigues, devance l’heure matinale sur la plus haute branche nue et attend avec une ardente impatience le soleil, regardant fixement le côté où l’aube se lève… » C’est par ces vers qu’il prélude à l’apparition de la Vierge Marie, à laquelle il chante, dans le vingt-troisième chant, un Te Deum de l’amour. […] « La foi », dit-il, « est la substance des choses espérées et l’argument des choses invisibles, et cela en vérité me paraît la quiddité, l’essence de la foi ; et de cette foi il convient de syllogiser, sans en avoir d’autre vue, puisque l’intention y tient lieu de preuve.

1127. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Que d’admirables vues sur les passions, sur la volupté et ses dégoûts (sermon de L’Enfant prodigue) ; sur l’ambition et ses convoitises (sermon de L’Emploi du temps) ; sur l’envie et ses tortuosités (sermon du Pardon des offenses) ; sur les misères même d’une tendresse criminelle heureuse, d’un engagement de passion agréé et partagé (sermon de La Pécheresse) : Quelles frayeurs que le mystère n’éclate ! […] L’accueil plein de bonté que nous lit ce vieillard illustre, la vive et tendre impression que firent sur moi sa vue et l’accent de sa voix, est un des plus doux souvenirs qui me restent de mon jeune âge.

1128. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Il y a de ces remarques qui concernent Parny, Le Brun, Ginguené, Fontanes ; elles ont cela de précieux de n’être point faites à distance et de souvenir falsifié comme les notes de 1826, ni en vue d’aucun public, mais de peindre les choses et les gens à nu, tels qu’on les voit pour soi et qu’on les note à l’instant sur son carnet. […] Quoi qu’il en soit, la sincérité de l’émotion dans laquelle Chateaubriand conçut la première idée du Génie du christianisme est démontrée par la lettre suivante écrite à Fontanes, lettre que j’ai trouvée autrefois dans les papiers de celui-ci ; dont Mme la comtesse Christine de Fontanes, fille du poète, possède l’original ; et qui, n’étant destinée qu’à la seule amitié, en dit plus que toutes les phrases écrites ensuite en présence et en vue du public.

1129. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Cette Histoire universelle de d’Aubigné, son grand ouvrage sérieux, et qui semble indigeste à première vue, ne le paraît plus autant lorsqu’on y pénètre, et mérite plus d’une sorte de considération. […] L’auteur n’y perd jamais de vue un plan de composition et même une symétrie extérieure qu’il s’est imposée : c’est ainsi qu’il termine tous ses livres (et il y en a cinq dans chaque tome) par un traité de paix, ou, quand la paix fait faute, par quelque édit ou trêve qui y ressemble : il tient à couronner régulièrement chaque fin de livre par ce chapiteau.

1130. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Ramond a varié plus d’une fois cette vue générale et supérieure à laquelle il tend par nature et élévation d’esprit ; il l’a renouvelée et complétée une dernière fois au sommet du Pimené, dans les Voyages imprimés en 1801. […] J’ai vu les hautes Alpes, je les ai vues dans ma première jeunesse, à cet âge où l’on voit tout plus beau et plus grand que nature ; mais ce que je n’y ai pas vu, c’est la livrée des sommets les plus élevés revêtue par une montagne secondaire.

1131. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Au milieu de bien des vues justes et rapides qui recommandent ce chapitre, il y abondait trop pourtant dans le sens de bonhomie et d’attendrissement. […] Le grand Frédéric, lui, était un roi essentiellement écrivain ; et quand il écrivait en prose, sauf les germanismes inévitables, c’était un écrivain ferme, sensé, vraiment philosophe, plein de résultats justes et de vues d’expérience, et doué aussi par endroits d’une imagination assez haute et assez frappante.

1132. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

On avait échoué, mais, selon moi, en partie seulement ; car il était possible encore, dans l’ensemble confus des poésies oubliées de cette époque, de recueillir à première vue et de faire goûter une certaine quantité de pièces vives, neuves, d’un rythme ferme et varié, d’une couleur charmante, d’une expression imprévue et pourtant bien française. […] [NdA] Dans toutes les éditions que j’ai vues on lit : « Tant que le froid hiver lui ait donné sa force… », ce qui est contraire au sens.

1133. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Rodolphe Boulanger de la Huchette, qui l’avait vue quelques jours auparavant chez elle, en conduisant à son mari un paysan pour être saigné, M.  […] cela relève, cela console, et la vue de l’humanité n’en est que plus complète.

1134. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

L’origine était peu de chose : un grand-père, né de quelque honnête marchand, de quelque commis au greffe, avait commencé la fortune, humblement, laborieusement ; il s’était élevé degrés par degrés, en passant par tous les bas et moyens emplois, en se faisant estimer partout, en se rendant utile, nécessaire, en sachant mettre à profit les occasions ; il avait à la fin percé, il était arrivé, déjà mûr, à quelque charge honorable et y avait assez vieilli pour confirmer son bon renom : il avait eu un fils, pareil à lui, mais qui, né tout porté, avait pu appliquer dès la jeunesse les mêmes qualités à des objets en vue et en estime, à des affaires publiques et d’État. […] Il jeta ses vues sur la famille de M. de Morvilliers, évêque d’Orléans et conseiller d’État, et rechercha une de ses nièces qui lui fut accordée : cette jeune personne appartenait du côté paternel à la famille de saint François de Paule, pour qui la famille d’Ormesson aura une dévotion toute particulière.

1135. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Elle a été galante, elle a été légère, elle a ébloui les yeux des princes et de ceux qui sont devenus rois ; elle n’a pas cru qu’on dût résister à la magie de sa beauté ni qu’elle dût y résister elle-même ; elle a tout naturellement cédé et sans combat, elle a triomphé des cœurs à première vue et n’a pas songé à s’en repentir ; elle a obéi à cette destinée d’enchanteresse comme à une vocation de la nature et du sang ; il lui a semblé tout simple de jouer tantôt avec les armes royales de France, et tantôt avec celles d’Angleterre qu'elle écartelait à ses panneaux : mais tout cela lui a été et lui sera pardonné, à elle par exception ; tous ses péchés lui seront remis, parce qu’elle a si bien pensé, parce qu’elle a si loyalement épousé les infortunes royales, comme elle en avait naïvement usurpé les grandeurs ; parce qu’elle est entrée dans l’esprit des vieilles races à faire honte à ceux qui en étaient dégénérés ; parce qu’elle a eu du cœur et de l’honneur comme une Agnès Sorel en avait eu ; parce qu’elle a eu de l’humanité au péril de sa vie, parce qu’elle a confessé la bonne cause devant les bourreaux, et qu'elle a osé leur dire en face : Vous êtes des bourreaux ! […] À peine sorti de prison, il m’envoya une livre de thé vert, le meilleur que j’aie jamais pris, et une petite provision de sucre. » Mais le souvenir du 21 janvier s’interposait toujours, et elle ne put s’empêcher d’être ingrate. — Le régime de la prison en vue d’une mort commune et prochaine est la plus grande leçon d’égalité.

1136. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Il a eu la seconde et la troisième vue trop promptes, mais il a anticipé bien des choses qui s’opéreront ; il les a vues à l’état de catastrophe, tandis que ce ne sera peut-être que par voie de transformation qu’elles s’introduiront insensiblement ; mais si le résultat est au bout, cela peut suffire pour l’indulgence des futurs neveux.

1137. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Et comme il faut qu’il y ait toujours quelque chose d’individuel dans ce qui paraît le plus indépendant, elle ajoutait : “Le retour de l’Empereur est prodigieux et surpasse toute imagination ; je vous recommande mon fils.” » Je ne laisse cette mesquine et malicieuse insinuation de la fin que pour montrer que le souvenir est précis, et qu’une lettre d’elle aura été vue, en effet, par le duc de Rovigo. […] J’ai en ce moment présente à l’esprit une épreuve à laquelle je les ai vues bien souvent soumises et dans fort peu de cas résister.

1138. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Le comte Joseph de Maistre, dans une de ses Soirées de Saint-Pétersbourg, s’est tenu à cette vue première. […] Dans la famille Racine, le génie n’est pas à vue d’œil comme dans la famille Pascal.

1139. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Son procédé, entendu ainsi qu’il doit l’être, signifie : « Supposez, pour simplifier, que les choses se soient passées comme on le dit là, et vous ne serez pas très-loin de la vérité. » Cette extrême bonne foi dans l’exposé de ses vues ne sera invoquée contre lui que par ceux qui n’entrent pas dans sa pensée et qui, ayant un parti pris, interdisent toute recherche. […] C’est d’un effet singulier à première vue, et ces messieurs ne se doutent pas de l’impression que cela produit sur le spectateur honnête.

1140. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Cela constitue le second jugement, réfléchi et pondéré, en vue du public : c’est celui de l’équité et de l’intelligence. […] Cette vue avait la grandeur et l’aspect de la mer : des chaînes de montagnes, sur lesquelles l’éloignement passait son niveau, se déroulaient avec des ondulations d’une douceur infinie, comme de longues houles d’azur.

1141. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Il prit donc parmi eux des ministres, des préfets surtout ; et dans les choix qu’il fit il n’en est pas un peut-être qui ait mieux répondu à ses vues que Jean-Bon, celui que désigna bientôt l’inévitable calembour populaire « Jean-Bon de Mayence ». […] Les vues qui lui tenaient à cœur, plus grandioses que pratiques, et qui dans leur exagération embrassaient toute la Méditerranée, allaient à contrecarrer les plans autrement positifs du jeune général qui avait tant contribué à la prise de Toulon, et les propositions détaillées qu’il faisait dans le même temps pour la défense et l’armement des côtes ; les deux systèmes durent être, un instant, en présence et en balance.

1142. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Mais, en écrivant à Marie-Antoinette, elle dissimule presque entièrement cette différence d’esprit et de vues, et elle la réduit à n’être, à un moment, qu’une altercation légère qui portait moins sur le fond de l’affaire que sur la forme ou les moyens, tandis que la dissidence était radicale et profonde. […] « Madame ma chère fille, la maladie de Mercy (l’ambassadeur) ne pouvait venir plus mal à propos ; c’est dans ce moment-ci où j’ai besoin de toute son activité et de tous vos sentiments pour moi, votre maison et patrie, et je compte entièrement que vous l’aiderez dans les représentations différentes qu’il sera peut-être obligé de vous faire sur différents objets majeurs, sur les insinuations qu’on fera de toutes parts de nos dangereuses vues, surtout de la part du roi de Prusse qui n’est pas délicat sur ses assertions, et qui souhaite depuis longtemps de se rapprocher de la France, sachant très bien que nous deux ne pouvons exister ensemble : cela ferait un changement dans notre alliance, ce qui me donnerait la mort, vous aimant si tendrement. » Quelques-unes de ces lettres sonnent véritablement l’alarme, et chaque ligne est comme palpitante de l’émotion qui l’a dictée : « Vienne, le 19 février 1778.

1143. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

Je trouve cette affaire avantageuse de tout point pour votre maison, et je descendrai sans regret au ténébreux empire, après l’avoir vue terminée ; j’aurai rempli ma carrière : j’ai joui des délices de ce monde ; la gloire me comble de ses bienfaits ; il ne me restait plus qu’à vous être utile, et toute ma destinée aura été remplie d’une manière bien satisfaisante. […] Il rend bonnes grâces pour bonnes grâces, et voit tout sous le meilleur jour :  « J’ai été enchanté de Mme la Dauphine, écrit-il au comte de Loss, et n’osais pas m’imaginer la trouver comme je l’ai vue ; j’en ai rendu un compte au roi qui, sûrement, lui fera grand plaisir.

1144. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Quand je dis que cette langue romane des xie et xiie  siècles est sortie du latin vulgaire et populaire graduellement altéré, j’ai peur de me faire des querelles ; car, d’après les modernes historiens philologues, les transformations du latin vulgaire ne seraient point, à proprement parler, des altérations : ce seraient plutôt des développements, des métamorphoses, des états successifs soumis à des lois naturelles, et qui devinrent décidément progressifs à partir d’un certain moment : il en naquit comme par voie de végétation, vers le xe  siècle, une langue heureuse, assez riche déjà, bien formée, toute une flore vivante que ceux qui l’ont vue poindre, éclore et s’épanouir, sont presque tentés de préférer à la langue plus savante et plus forte, mais plus compliquée et moins naïve, des âges suivants. […] Ces idées et vues de Corneille, excellentes en principe, me paraissent avoir été un peu compliquées et confuses dans l’exécution.

1145. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

« Il était laid, nous dit un contemporain628 : sa taille ne présentait qu’un ensemble de contours massifs ; quand la vue s’attachait sur son visage, elle ne supportait qu’avec répugnance le teint gravé, olivâtre, les joues sillonnées de coutures ; l’œil s’enfonçant sous un haut sourcil, … la bouche irrégulièrement fendue ; enfin toute cette tête disproportionnée que portait une large poitrine… Sa voix n’était pas moins âpre que ses traits, et le reste d’une accentuation méridionale l’affectait encore ; mais il élevait cette voix, d’abord traînante et entrecoupée, peu à peu soutenue par les inflexions de l’esprit et du savoir, et tout à coup montait avec une souple mobilité au ton plein, varié, majestueux des pensées que développait son zèle. » Et Lemercier nous montre « les gestes prononcés et rares, le port altier » de Mirabeau, « le feu de ses regards, le tressaillement des muscles de son front, de sa face émue et pantelante ». […] Il dirigeait leur travail, le contrôlait, le gardait ou le modifiait selon ses vues, l’animait de son éloquence.

1146. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Toutes les précautions que ce loyal esprit a prises pour éviter le parti-pris, les vues étroites ou exclusives, pour saisir toutes les parties et manifester tous les aspects de la vérité, ont donné le change aux esprits superficiels ou prévenus : en même temps que notre grossière façon d’entendre l’opposition théorique de la science et de la foi nous faisait mal juger tous ces fins sentiments, ces expansions affectueuses ou enthousiastes, qui se mêlaient sans cesse chez Renan aux affirmations du déterminisme scientifique. […] Il a ses limites et ses préjugés : mais que de pénétration, quel jugement sain et droit, quelle abondance de vues personnelles !

1147. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Il se borne à rapporter l’opinion reçue : « On dit que Boileau avait en vue madame Deshoulières, une des protectrices de Pradon, et qui fit un sonnet sur la Phèdre de Racine. » On dit, est fort sage, en effet, en 1677, quand Phèdre a paru, madame Deshoulières avait depuis longtemps rompu avec les écrivains qui avaient intéressé sa première jeunesse, tels que les d’Urfé, les La Calprenède, les Scudéry. […] On me dit que je repousse en vain dans les nuages le véritable nom de la précieuse que Boileau avait en vue ; qu’il s’agit de madame de Sévigné dans la satire de 1693.

1148. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Cette fête coûta cent mille livres à M. de Vendôme, qui n’en avait pas plus qu’il ne lui en fallait ; et comme M. le grand prieur, l’abbé de Chaulieu et moi avions chacun notre maîtresse à l’Opéra, le public malin dit que nous avions fait dépenser cent mille francs à M. de Vendôme pour nous divertir nous et nos demoiselles ; mais certainement nous avions de plus grandes vues que cela. Ces grandes vues, encore une fois, c’était de plaire sans doute au Dauphin qui devait régner, et de placer l’enjeu sur sa tête.

1149. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Littré, avec hauteur de vues, indépendance et fermeté. […] Il les égaie par des anecdotes historiques piquantes ; il les orne au moins par la concision ; il les relève toutes les fois qu’il peut par des vues morales qui ont leur beauté, même lorsqu’elles touchent au lieu commun, par un sentiment profond de l’immensité sacrée de la nature, et aussi par celui de la majesté romaine.

1150. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

La foule était si grande et les chambres si petites que le roi, après y avoir demeuré quelque temps, fit sortir tout le monde, et puis rentra chez lui, où il nous dit qu’il allait commencer à écrire à Mme de Maintenon ce qu’il pensait de la princesse, et qu’il achèverait de lui écrire après souper, quand il l’aurait encore mieux vue. […] Elle a la meilleure grâce et la plus belle taille que j’aie jamais vue, habillée à peindre et coiffée de même ; des yeux très vifs et très beaux, des paupières noires et admirables, le teint fort uni, blanc et rouge, comme on peut le désirer ; les plus beaux cheveux blonds que l’on puisse voir, et en grande quantité.

1151. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Je n’insiste pas davantage sur ces premiers écrits à demi politiques, pleins de vues libérales ou même déjà législatrices entremêlées dans l’esprit de corps, et où la doctrine des anciens parlements se retrouve dans toute sa plénitude et sa beauté en expirant : mais Portalis ne s’y montrait encore que comme l’avocat d’une province, et j’ai hâte de l’atteindre au moment où il devient le conseiller et la lumière de toute la France. […] Rien ne serait plus faux qu’une telle vue.

1152. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Elle était brune de cheveux, ce qui ne semblait point alors une beauté ; c’était le blond qui régnait : Je l’ai vue aussi s’habiller quelquefois avec ses cheveux naturels sans y ajouter aucun artifice de perruque, nous dit Brantôme ; et, encore qu’ils fussent noirs, les ayant empruntés du roi Henri son père, elle les savait si bien tortiller, frissonner et accommoder, en imitation de la reine d’Espagne sa sœur, qui ne s’accommodait guère jamais que des siens, et noirs à l’espagnole, que telle coiffure et parure lui seyait aussi bien ou mieux que toute autre que ce fût. […] Distinguée et non supérieure, toute à ses passions elle avait des finesses, des artifices de détail, mais point de vues et encore moins de caractère.

1153. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

Au camp de Boulogne, employé alors dans les fourrages de l’armée, il avait fait, pour le divertissement des troupes, deux petites bluettes qui l’avaient mis en vue, et M.  […] Rien n’était curieux comme la vue de la salle à cette première représentation : le plus vif du spectacle consistait dans les spectateurs : Il était piquant, dit M. 

1154. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Mérimée, ayant toujours en vue son grand sujet de César, veut exercer et aguerrir ses troupes dans les montagnes avant de les faire descendre dans la plaine. […] Il nous montre un de ses interlocuteurs, l’avocat orateur Antoine, qui se pique peu de littérature grecque, discourant toutefois à merveille des historiens de cette nation, et les ayant lus plus qu’on ne croirait : Si je lis quelquefois ces auteurs et d’autres de la même nation, dit Antoine, ce n’est pas en vue d’en tirer quelque profit par rapport à l’éloquence, c’est pour mon agrément quand je suis de loisir.

1155. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Nisard sur Montesquieu est plein de vues fines et neuves, il fait penser. […] La mélancolie, dira-t-on, est un sentiment de décadence : c’est un sentiment qui naît de la vue des ruines, du doute, du dégoût de la vie, c’est donc un sentiment peu viril et sans beauté.

1156. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Mais ce qu’il ne faut point perdre de vue, et ce qu’on est beaucoup trop disposé à oublier, c’est que la nation française n’a jamais été sans libertés. Ce qu’il ne faut point perdre de vue non plus, c’est que la couronne a toujours été l’alliée de la nation, surtout depuis que la race des Bourbons est montée sur le trône.

1157. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Les quelques pages qui précédent n’ont été écrites qu’en vue d’une conclusion contraire, celle-ci : que les préraphaélites et ceux qui les suivirent demeurent pour nous à l’écart de la réelle peinture contemporaine, de celle que l’on peut hardiment qualifier d’art nouveau. […] Et nous estimons que Ruskin fut mauvais prophète, lorsqu’il affirma que les préraphaélites « jetteraient en Angleterre les fondations de l’école d’art la plus noble qu’on ait vue depuis trois cents ans38 ».‌

1158. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

La question peut paraître, à première vue, étroite et purement sectaire, mais en présence de la réaction romaine qui s’accentue de jour en jour, elle n’en est pas moins au fond d’une importance capitale, d’une poignante actualité. […] J’aspire pour elle à quelque édifice grandiose, à quelque temple national dont la vue quotidienne pût inspirer aux Parisiens d’autres sentiments que celui de l’indifférence et du mépris pour un symbole mensonger.

1159. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Presque tous sont des gens austères, et quelques-uns, sceptiques déterminés, sont des modèles de vertu ; la méditation amortit les sens, et les vues générales impriment dans l’âme la préoccupation du bien public. […] Il habite rue Bretonvilliers, à la pointe extrême de l’île Saint-Louis ; c’est la plus belle vue de Paris.

1160. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

Il me paroît que l’assemblée des notables auroit dû s’occuper de cet objet, elle qui n’avoit en vue que le bien du peuple. […] La seule chose qui me plaît dans les environs de votre bonne ville, c’est la vue des potagers, que vous nommez vulgairement marais. […] Il avoit de bonnes vues, mais mille préjugés qui partoient néanmoins d’un fond d’humanité. […] N’est-ce pas allumer son imagination à pure perte, que de s’enflammer à la vue des désordres qu’on ne peut empêcher. […] Ce fut le sujet d’une longue conversation avec quatre personnes de ma connoissance, qu’une promenade au Jardin des Tuileries offrit à ma vue.

1161. (1888) Portraits de maîtres

C’est encore la Grèce vue à travers l’idylle et l’élégie latine, une Grèce virgilienne et tibullienne, à peine syracusaine. […] Idées, divines Idées, vous êtes telles que Platon vous a vues, menant des chœurs éternels au-dessus des tumultes humains, vierges de nos ambitions et de nos passions, pures et sublimes. […] Tentative des plus neuves et des plus hardies, audace de précurseur que les romantiques avaient bien comprise, mais que depuis on a trop perdue de vue et de souvenir. […] On a pu se demander comment Sainte-Beuve était devenu critique et seulement critique de poètes en vue et en pleine lutte. […] Grâce à cet universel savoir, à cette vue qui s’étendait sur tous les âges, Théophile Gautier nous a donné la vision multiple et cosmopolite du Beau.

1162. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

La nature a voulu que notre vue, nos oreilles, notre goût, notre odorat aient leurs exigences, et vous ne nierez pas qu’elle ait créé les choses qui les charment et celles qui leur répugnent. […] Il m’avoua être tout étonné de ce succès, et cela non pas avec cette modestie orgueilleuse que j’ai vue passer tant de fois, mais avec une entière et absolue candeur. […] C’est cette conscience même, cette profusion de détails qui pourrait parfois troubler le lecteur et dont le papillotement pourrait détourner sa vue de l’action, du mouvement principal. […] Voilà une vue d’ensemble sur ce chapitre que je regrette d’avoir écourté. […] On perd la vue d’ensemble, indispensable à toute création artistique, et on se plaît à ne nous montrer que des enfants à deux têtes, des veaux à cinq pattes et des gens sans cœur.

1163. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Dumas ne serait-il pas arrivé à cette hauteur de vues, lui qui a si sérieusement et si sincèrement étudié son temps ? […] Il y a une vue profondément philosophique dans cette hypothèse. […] « Je réfléchis », soupire Charles Demailly, « je réfléchis combien un de mes sens, la vue, m’a coûté. […] Nous l’avons vue à l’extrémité de toutes ses idées rencontrer le vague, l’indéfini abîme du rêve. […] Leurs héros réfléchissent parfois aux circonstances qui les oppriment, et parfois aussi, chez Euripide par exemple ou chez Virgile, formulent d’un mot quelque vue philosophique sur la destinée.

1164. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

Les différents articles qui les composent, et dont l’analyse ne saurait embrasser la variété, n’ont entre eux de commun que le mérite littéraire, le seul que je puisse apprécier d’une vue générale : apprécier le mérite littéraire d’un livre, quel qu’il soit, c’est d’ordinaire donner l’exacte mesure de sa valeur réelle.

1165. (1875) Premiers lundis. Tome III « Eugène-Scribe. La Tutrice »

Scribe y songe : la haute muse comique, qui à la vue des excès du vaudeville est blessée au cœur et nous boude avec raison, a tendu la main à l’auteur de la Camaraderie, et le protégerait de préférence à beaucoup d’autres, si, au lieu d’éparpiller ses forces, il s’appliquait à les réunir ; s’il livrait plus souvent de véritables combats, au lieu d’escarmouches sans fin ; s’il donnait à son observation plus d’étendue et de profondeur, et s’il ne dédaignait pas aussi ouvertement cette puissance ombrageuse qui ne se laisse captiver que par de continuels sacrifices, mais qui seule aussi peut faire vivre l’écrivain : c’est du style que je veux parler.

1166. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

Et cependant madame de Maintenon n’était point heureuse : on devinera aisément pourquoi, en lisant ce qu’elle écrivait à son frère après un nouveau séjour à Maintenon, « Maintenon, dit-elle, est fort embelli ; en entrant dans la galerie, la première chose que j’ai vue, c’est le portrait du maréchal d’Albret : j’ai pleuré.

1167. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

Or, après tant de grandes choses que nos pères ont faites, et que nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne sortirions-nous pas de la vieille forme poétique ?

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