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986. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Permettons-lui, sous ce rapport, d’en vouloir un peu à la philosophie moderne qui tend à désenchanter le monde du prestige des conquêtes, et qui, modifiant l’opinion de l’Europe et le ton de l’histoire, fait demander quelles furent les vertus d’un héros, et de quelle manière la victoire influa sur le bien-être des nations. […] Dans le plus tendre petit billet, elle lui cite et lui applique cette pensée de Vauvenargues : « Nous prenons quelquefois pour le sang-froid une passion sérieuse et concentrée qui fixe toutes les pensées d’un esprit ardent et le rend insensible aux autres choses. » Madame de Tessé a-t-elle donc tout à fait tort ? […] Un jour, causant avec Bonaparte, à Morfontaine chez Joseph, il s’aperçut que les questions du Consul tendaient à lui faire étaler ses campagnes d’Amérique : « Ce furent, répondit-il en coupant court, les plus grands intérêts de l’univers décidés par des rencontres de patrouilles. » Il a beaucoup de ces mots-là, soit au balcon populaire et en plein vent, comme il dit, soit dans le salon. […] Voilà comment cet ange si tendre a parlé dans sa maladie, ainsi que dans les dispositions qu’elle avait faites il y a quelques années, et qui sont un modèle de tendresse, de délicatesse et d’éloquence du cœur. […] Chez celui-ci, en effet, l’humilité chrétienne, au-dessus de laquelle, comme beauté morale, il n’y a rien, a pourtant pris la forme d’une âme plus tendre et douce que vigoureuse, et, plus qu’il n’était nécessaire à l’angélique attitude de la victime, ce que j’appelle le généreux humain y a péri.

987. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

« Ainsi les cas très-variés dans lesquels beaucoup de rosée se dépose s’accordent en ceci, et, autant que nous pouvons l’observer, en ceci seulement, qu’ils conduisent lentement la chaleur ou la rayonnent rapidement, —  deux qualités qui ne s’accordent qu’en un seul point, qui est qu’en vertu de l’une et de l’autre le corps tend à perdre sa chaleur par sa surface plus rapidement qu’elle ne peut lui être restituée par le dedans. […] Ici il est complétement prouvé que la présence ou l’absence d’une communication non interrompue avec le ciel cause la présence ou l’absence de la rosée ; mais puisqu’un ciel clair n’est que l’absence des nuages, et que les nuages, comme tous les corps qu’un simple fluide élastique sépare d’un objet donné, ont cette propriété connue, qu’ils tendent à élever ou à maintenir la température de la surface de l’objet en rayonnant vers lui de la chaleur, nous voyons à l’instant que la retraite des nuages refroidira la surface. […] Toutes tendent à devenir déductives ; toutes aspirent à se résumer en quelques propositions générales desquelles le reste puisse se déduire. […] Je puis dire non pas que la ligne droite est la plus courte d’un point à un autre, ce qui est une propriété dérivée, mais qu’elle est la ligne formée par le mouvement d’un point qui tend à se rapprocher d’un autre, et de cet autre seulement ; ce qui revient à dire que deux points suffisent à déterminer une droite, en d’autres termes que deux droites ayant deux points communs coïncident dans toute leur étendue intermédiaire ; d’où l’on voit que si deux droites enfermaient un espace, elles ne feraient qu’une droite et n’enfermeraient rien du tout. […] It thus appears that the instances in which much dew is deposited, which are very various, agree in this, and, so far as we are able to observe, in this only, that they either radiate heat rapidly or conduct it slowly : qualities between which there is no other circumstance of agreement, than that by virtue of either, the body tends to lose heat from the surface more rapidly than it can be restored from within.

988. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

» Et il s’interrompt pour dire : « — Tenez, Veyne, qu’est-ce que j’ai là, un abcès, et il tend le poignet. […] Il y a un excès de catholicisme qui habitue tellement la femme à la souffrance qu’elle s’y endurcit pour elle et les autres : elle perd le tendre. […] » Enfin cela s’apaise, Saint-Victor tend la main à Edmond, et le dîner reprend. […] Là-dessus marchent doucement, d’une marche harmonieuse et lente, des masses de petits nuages, balayés, ouateux et déchirés, d’un violet aussi tendre que des fumées dans un soleil qui se couche, et leurs cimes sont roses comme des hauts de glaciers, d’un rose de lumière. […] … La mère qui regardait sa toute petite fille, sa fille de huit ans, se renversant sur moi, et me jetant par ses yeux, par ses gestes, par l’étreinte de ses mains, par tout son corps, la tendresse de sa petite âme si étrangement tendre, se mit à dire avec un sourire, le sourire de la Joconde : « Oh !

989. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Ainsi les cas très-variés dans lesquels beaucoup de rosée se dépose s’accordent en ceci, et, autant que nous pouvons l’observer, en ceci seulement, qu’ils conduisent lentement la chaleur ou la rayonnent rapidement, — deux qualités qui ne s’accordent qu’en un seul point, qui est qu’en vertu de l’une et de l’autre le corps tend à perdre sa chaleur par sa surface plus rapidement qu’elle ne peut lui être restituée par le dedans. […] Ici il est complètement prouvé que la présence ou l’absence d’une communication non interrompue avec le ciel cause la présence ou l’absence de la rosée ; mais puisqu’un ciel clair n’est que l’absence des nuages, et que les nuages, comme tous les corps entre lesquels et un objet donné il n’y a rien qu’un fluide élastique, ont cette propriété connue, qu’ils tendent à élever ou à maintenir la température de la surface de l’objet en rayonnant vers lui de la chaleur, nous voyons à l’instant que la retraite des nuages refroidira la surface. […] Toutes tendent à devenir déductives ; toutes aspirent à se résumer en quelques propositions générales desquelles le reste puisse se déduire. […] Je puis dire non pas que la ligne droite est la plus courte d’un point à un autre, ce qui est une propriété dérivée, mais qu’elle est la ligne formée par le mouvement d’un point qui tend à se rapprocher d’un autre, et de cet autre seulement ; ce qui revient à dire que deux points suffisent à déterminer une droite, en d’autres termes que deux droites ayant deux points communs coïncident dans toute leur étendue intermédiaire ; d’où l’on voit que si deux droites enfermaient un espace, elles ne feraient qu’une droite et n’enfermeraient rien du tout. […] It thus appears that the instances in which much dew is deposited, which are very various, agree in this, and, so far as we are able to observe, in this only, that they either radiate heat rapidly or conduct it slowly : qualities between which there is no other circumstance of agreement, than that by virtue of either, the body tends to lose heat from the surface more rapidly than it can be restored from within.

990. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Monseigneur nous tendait son anneau d’améthyste à baiser et nous donnait sa bénédiction. […] À lire les tendres poèmes de M.  […] Le doux et tendre Célio ? […] Un roman d’amour, aussi ; une étude de la passion tendre et voluptueuse. […] Tendre et profond dévouement. — J. 

991. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Je retourne aux mauvaises manières, je n’en suis pas fâché pour mon petit doigt qui se tend, reprend sa forme accoutumée. […] Il restait dans tous les coins des échos de sa voix chaude et tendre, si prompte à mentir. […] Daniel resta le bras tendu, immobile. […] On cherche à voir, on rôde, on va, le cou tendu. […] Dès sa plus tendre enfance, la contradiction lui fut insupportable.

992. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

(Elle la tend à son mari.) […] Sanglés dans leur tunique noire, ils tendaient sous la casquette plate à galons rouges des visages maussades : moustaches fauves et durs yeux bleus. […] Et ce tendre silence, où l’on s’embrassa, fut doux au cœur des vieux et de M. de Francœur. […] » Et l’homme, soutenu sur l’un de ses bras, l’autre appuyé sur son genou relevé, tend la main vers le doigt de Dieu en signe d’assentiment. […] Il y a aussi plus qu’une soumission passive dans la réponse d’Adam à l’appel divin, il y a un tendre acquiescement.

993. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Tous les braves gens du village, sa fiancée, tendent les bras vers le bateau qui le ramène. […] La pure clarté matinale allume, brûle et dissout en cendre rose les tendres cimes. […] Lui, comme une églantine ouverte, tend sa bouche. […] Sa lucidité, longtemps merveilleuse, se trouble graduellement à mesure que s’approche l’heure crépusculaire, il se jette à genoux et tend ses bras au divin flambeau qui va s’éteindre. […] Là, une exquise et tendre créature espéra, s’ennuya, sourit, mourut.

994. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Elle doit tendre à la décomposition même du talent et des moyens d’exécution. […] Quelquefois son disque tout entier paraissait à l’extrémité d’une avenue, et la Tendait toute étincelante de lumière. […] Mais Hippias, d’un âge plus avancé, semblait devoir accabler Télémaque, dont la tendre jeunesse était moins nerveuse. […] Vous n’avez les mains liées que parce vous les tendez. […] C’est sec, c’est tendu, le vernis craque.

995. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Il n’est point dans la nature de l’amour qu’Orosmane, outré de la fausseté de Zaïre, qui lui jure le plus tendre amour, quand il croit avoir dans ses mains la preuve du contraire, ne lui montre pas, pour la confondre, la lettre de Nérestan ; mais il fallait un dénouement. […] J’aime aussi beaucoup Orosmane, parce qu’il aime de bonne foi ; mais du moment qu’il a reçu la lettre de Nérestan, ce n’est plus le jeune et superbe Orosmane, c’est Arnolphe ou Géronte qui tend un piège à sa pupille. […] des plus tendres feux sa bouche encor m’assure ! […] Écoutez Voltaire : rien n’est plus franc, plus généreux qu’Orosmane ; voyez la pièce : Orosmane est un amant très dissimulé, très fourbe, qui tend à sa maîtresse un piège digne d’un vieux tuteur. […] Zaïre fit pleurer ceux qu’Amphiaraüs avait fait rire ; et, galimatias pour galimatias, on préféra celui qui du moins était tendre et galant.

996. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

Philarète Chasles) a déjà relevé dans la Revue de Paris quelques-unes des infidélités de la traduction, infidélités qui tendent à parodier à la moyen âge l’expression de la simplicité et de la passion antiques.

997. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

L’enquête faite, ces jours-ci, auprès des auteurs dramatiques, a confirmé cette pensée que l’art, avec une infinité de moyens divers, tend vers la justice et la bonté.

998. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Les soirs d’été, les fleurs ont des langueurs de femmes, Les fleurs semblent trembler d’amour, comme des âmes ; Palpitantes aussi d’extase et de désir, Les fleurs ont des regards qui nous font souvenir De grands yeux féminins attendris par les larmes, Et les beaux yeux des fleurs ont d’aussi tendres charmes.

999. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Un grand voyageur de commerce »

Elle tend à devenir une fonction du commerce moderne  la plus noble, puisqu’elle en est la plus périlleuse.

1000. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La réforme prosodique » pp. 120-128

L’abus de la rime riche tendait à faire de la poésie un jeu de versification, un exercice de bouts rimés.

1001. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Éphémérides poétiques, 1891-1900 » pp. 179-187

Ferdinand Hérold : Images tendres et merveilleuses.

1002. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Il était célèbre dans le monde galant par sa beauté, ses grâces, son esprit et son tendre cœur.

1003. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Le fameux qu’il mourût , dans la bouche d’un père moins tendre que citoyen énergique, est une naïveté sublime.

1004. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

Où sont ces armes guerrières, ces marteaux d’armes tant vantés, et ces arcs qu’on ne vit jamais tendus en vain ?

1005. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Il s’agit seulement de savoir si leur but est moral, si elles tendent mieux que les lois elles-mêmes à conduire la foule à la vertu.

1006. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

Nous n’attendons pas de lendemain aux Rougon ; nous imaginons trop bien ce que vont être les romans sur les Chemins de fer, sur l’Armée : le fameux arbre généalogique tend ses bras d’infirme, sans fruits désormais !

1007. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

On ne conçoit pas bien, à la vérité, en quoi ce joli spectacle, à la fois très factice et assez voluptueux, avec sa musique tendre et ses danses de villageoises de théâtre, peut remédier aux maux affreux causés par la science et les arts. […] Il faut le considérer comme une sorte de poème, comme une vision de nabi, de prophète en chambre, bien ordonnée et écrite en style didactique et tendu. […] Il nous parle de son « tendre délire », et de ses « érotiques transports ». […] Son père lui tient les discours les plus tendres et les plus sensés du monde. […] Ou bien, si cette éducation n’est pas l’asservissement entier de l’élève au maître, elle tend à la rupture de toute tradition.

1008. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Donc, les vices, tels que les a compris la candeur ou la bienveillance de ce tendre La Rochefoucauld, sont destinés à se ruiner à mesure qu’ils prendront plus conscience d’eux-mêmes. […] Assez, en effet, mais dans un esprit qui en vicie parfaitement l’étude et qui tend à la rendre assez inutile. […] D’un geste de l’ancien métier, subitement retrouvé, il tendit le corps du côté de la porte, comme s’il entendait venir l’adjudant de semaine. […] Tout mot tend à devenir un acte, et parler n’est qu’une manière d’agir, ou une manière de provoquer à l’action. […] Il est bien certain que l’art est subordonné à la morale comme à sa dernière fin, puisque la morale est la règle définitive de la vie, et que tout, sous peine d’être funeste et mortel, y doit tendre.

1009. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Elles s’accoutument ainsi, dès la plus tendre enfance, à tourner à tout vent. […] Quel est le lien, invisible mais réel, qui rapproche tous ces peuples par le haut et tend à les ramener tous à la civilisation française ? […] Sa voix n’en est que plus secourable : plus il a souffert, plus elle devient tendre, pénétrante. […] C’est par ordre des médecins qu’il s’en allait en Grèce, quand Horace, son ami, lui adressait cet adieu si tendre ! […] Génie pathétique avant tout, Delacroix n’a presque jamais représenté les affections douces ou tendres.

1010. (1901) Figures et caractères

Sa langue en reste amère et éloquente ; son geste tendu et saccadé. […] Elles tendent vers lui leurs mains sanglantes et il les prend entre les siennes. […] Il avait tendu l’arc avant eux. […] Une intention générale anime la chaîne des mots, la tend ou la relâche. […] Elle est familière ou respectueuse, grave et tendre ; elle est diverse.

1011. (1894) Critique de combat

Comme individu, l’homme tend à se développer dans son intégrité. Comme être sociable, il tend à s’unir plus étroitement avec ses semblables. […] Sévère pour la cour, il n’est pas tendre pour les Jacobins. […] Arrière tous ceux qui tendent à faire du français un grimoire ! […] Ce brutal est au fond un tendre.

1012. (1913) Poètes et critiques

Son cœur tendre, aisément exalté, d’une sensibilité délicate, mais élégiaque, s’enivrait de mélancolie dans les pages passionnées et troublantes des onfessions. […] Je ne vous rappellerai pas dans le détail ce que fut la vie de Jouffret, ce que furent surtout ses plus jeunes années, si tendres à la fois et si viriles. […] Aux craintes tendres d’Hermia, le mélancolique amoureux ajoute, pour surenchérir, un couplet tout formé de sombres pressentiments. […] Plus d’un morceau reste si constamment tendu vers l’effet de simplicité, qu’il n’a plus l’air d’avoir été écrit pour être lu, mais pour être chanté. […] Ne vous fiez pas à cet homme. » C’est une exaltation tout aussi vive, mais plus tendre, qui remplit plusieurs scènes du Soir des Rois.

1013. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Encore un mouchoir rouge tendu à M.  […] Pour l’instant, le débat tend de plus en plus à se limiter à la partie négative de notre synthèse. […] C’est là un de ces pièges que tend le dictionnaire aux âmes simples. […] La science authentique, plus elle tend à épuiser le connaissable, le mensurable, le formulable, moins elle se flatte de tenir la raison dernière de quoi que ce soit. […] Jousse sur le style oral (archives de philosophie, Beauchesne, 1925), spiritualité et discipline expérimentale s’y rejoignent ou tendent à s’y joindre en l’intimité la plus étroite.

1014. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

j’aime le café, monsieur Kobus. » Le vieux rebbe regardait la petite d’un air tendre et paternel ; il voulut sucrer lui-même son café, disant : « Ça, c’est une bonne petite fille ; oui, une bonne petite fille, mais elle est un peu trop craintive. […] Et le vieux rebbe se redressa content, la regardant d’un air tendre tremper ses lèvres roses dans la tasse. […] Seulement, il faut que tu me donnes la main ; sans cela, je croirai que tu es fâchée contre moi. » Alors Sûzel, sa jolie figure cachée dans son tablier, et la tête penchée en arrière sur l’épaule, lui tendit la main ; et quand Fritz l’eut serrée, elle rentra dans l’allée en courant. […] On comprit aussitôt que ce serait quelque chose d’étrange ; la valse des Esprits de l’air, le soir, quand on ne voit plus au loin sur la plaine qu’une ligne d’or, que les feuilles se taisent, que les insectes descendent, et que le chantre de la nuit prélude par trois notes : la première grave, la seconde tendre, et la troisième si pleine d’enthousiasme qu’au loin le silence s’établit pour entendre. […] Mayel, son balai à la main, regardait, le cou tendu, dans l’embrasure de la cuisine ; et tout autour des fenêtres, à cinq ou six pas, on apercevait des figures curieuses, les yeux écarquillés, se penchant pour voir et pour entendre.

1015. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Enfin Rousseau s’indigne des vices de la civilisation, et la rejette ; tandis que toutes les pensées de Bernardin de Saint-Pierre tendent à perfectionner les vertus sociales. […] Ils se revirent de temps en temps, toujours avec un intérêt plus tendre, mais le silence qu’ils s’imposaient ne faisait qu’accroître leur tendresse muette. […] Si je rencontre quelque infortuné, je tâche de venir à son secours par mes conseils, comme un passant, sur le bord d’un torrent, tend la main à un malheureux qui s’y noie. […] Elle fit les plus tendres adieux à madame de la Tour, « dans l’espérance, lui dit-elle, d’une douce et éternelle réunion. […] On a mis auprès de Virginie, au pied des mêmes roseaux, son ami Paul, et autour d’eux leurs tendres mères et leurs fidèles serviteurs.

1016. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

si un jour on fouille nos correspondances, monsieur de Sainte-Beuve, on verra que nous avons tendu la main à pas mal de coquins !  […] Et le soir, après avoir passé en revue tous ces types de beauté éclatante ou sauvage, que montrent la rue, le Pincio, le Corso, je trouve qu’il n’y a qu’une Anglaise ou une Allemande qui vous donne la sensation aimante, le remuement tendre. […] Tout le tendre, tout le sensitif, tout le beau ému du moderne, vient du Christ. […] Allons donc, lui bon, tendre, pitoyable ! […] Du lit, deux mains se tendent chaudes et douces.

1017. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Dieu l’a créée infatigable, inépuisable, innombrable dans les végétations, moins nombreuse, moins palpable, moins fourmillante dans les animaux, excepté les insectes, parce que l’intelligence les anime, et que la nourriture plus recherchée leur manquerait dans leurs pâturages terrestres ; mais il leur mesure les aliments et l’intelligence à proportion de leurs masses, de leurs besoins ; entre eux et l’homme il a placé la barrière des langues qui se parlent, mais qui ne se comprennent pas entre elles, excepté les animaux domestiques, premiers esclaves et tendres amis de l’homme. […] C’est le coup sourd des vagues qui s’amoncellent et qui viennent de minute en minute heurter les flancs du vaisseau ; ce sont les plaintes des madriers et des solives qui, dans cet immense chantier flottant, tendent à se détacher les uns des autres pour reprendre leur liberté ; ce sont les sifflements des ailes du vent à travers les voilures, dont cinq cents matelots intrépides prennent les ris ; le tumulte des hommes sur le pont tremblant, la voix et le sifflet du commandant, les voiles qui se déchirent et qui emportent dans les airs la force échappée de leurs plis, les mâts surchargés qui se rompent et qui tombent avec leurs vergues et leurs cordages sur les bastingages, le pas précipité des matelots courant où le signal les appelle, les coups de haches qui précipitent à la mer ces débris pour que leur poids ajouté au roulis du navire ne l’entraîne pas dans l’abîme ; le tangage colossal de ces débris mesuré par six cents pieds de quille, tantôt semble gravir jusqu’aux nuages la lame écumeuse et la diriger en plein firmament, tantôt, arrivé au sommet de la vague, se précipiter la tête la première, les bras des vergues tendus en avant dans l’abîme où il glisse, le gouvernail touchant au fond de l’océan ; les matelots suspendus aux câbles décrivent des oscillations gigantesques sur l’arc des cieux ; les canons détachés de leurs embouchures roulent çà et là sur les trois ponts avec des éclats de foudre ; à chaque effondrement du vaisseau entre des montagnes d’écumes qui semblent l’engloutir, un cri perçant monte de la prison des condamnés, puis des voix de femmes et d’enfants qui croient toucher à leur dernière heure.

1018. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Antonio ne pouvait pas aussi bien voir sa fille à cause du voile qu’il a sur ses pauvres yeux ; mais quand il entendait les éclats de sa voix, à la fois tendre, joyeuse et argentine, comme les gouttes de notre source, quand elles résonnent en tombant des tiges d’herbes dans le bassin, il croyait entendre sa pauvre défunte, ma sœur. […] Elle avait peur sans savoir de quoi ; les yeux de cet homme ne lui plaisaient pas ; plus ils étaient tendres, plus ils l’effrayaient ; elle priait sa tante ou son cousin de ne jamais la laisser seule avec lui. […] m’écriai-je en me précipitant les deux bras ouverts et tendus devant moi pour me jeter entre l’arbre et la hache ; mais c’est comme si vous commandiez de ne pas m’opposer à ce qu’on enlevât ma tête aveugle de dessus mes épaules !

1019. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Quelle tendre mélodie ! […] « Il est vrai qu’Amélie et moi nous jouissions plus que personne de ces idées graves et tendres, car nous avions tous les deux un peu de tristesse au fond du cœur : nous tenions cela de Dieu ou de notre mère. […] Jure, tandis que je te presse sur mon cœur, jure que c’est la dernière fois que tu te livreras à tes folies ; fais le serment de ne jamais attenter à tes jours. » « En prononçant ces mots, Amélie me regardait avec compassion et tendresse, et couvrait mon front de ses baisers ; c’était presqu’une mère, c’était quelque chose de plus tendre.

1020. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Ce dur logicien était un très bon homme, doux, aimable, le plus respectable et le plus tendre des pères, qui écrivait à ses enfants des lettres charmantes, pleines de fine raison et de sensibilité délicate. […] C’était un livre apocalyptique, écrit en versets, tour à tour violent et tendre, sombre et serein, où nulle doctrine positive ne se formulait, mais où éclataient toutes les tendances démocratiques et socialistes de l’esprit évangélique, une charité passionnée, douloureuse, révoltée contre l’État et l’Église oppresseurs des faibles. […] Il voyait, comme par une direction providentielle, toute l’histoire européenne depuis l’invasion des barbares tendre partout, et particulièrement en France, à former, élever, éclairer, enrichir une classe moyenne : son œuvre d’historien a consisté à dessiner ce mouvement.

1021. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Il vit de fèves et de pain bis… Le poète façonne la bouche tendre et balbutiante des enfants ; il défend leur oreille contre les propos grossiers ; il forme leur cœur par de belles maximes ; il leur enseigne l’humanité et la douceur… Il console le pauvre et celui qui souffre. […] On trouve dans Horace les plus fortes maximes de vie intérieure, de vie retirée et retranchée en soi, supérieure aux accidents, attachée au seul bien moral et l’embrassant uniquement pour sa beauté propre. — Soldat de Brutus, il accepta le principat d’Auguste par raison, par considération de l’intérêt public ; mais il fut, ce semble, moins complaisant pour l’empereur et pour Mécène et sut beaucoup mieux défendre contre eux sa liberté et son quant-à-soi que le tendre Virgile. […] Alphonse Daudet Ce que l’on va rendre à la terre cet après-midi, c’est l’enveloppe mortelle d’une âme charmante, servie par les sens les plus fins et qui sut exprimer par des mots les frissons qu’elle recevait des hommes et des choses ; âme infiniment impressionnable, tendre, frémissante, aimante.

1022. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

C’est pourquoi je ne sais rien de plus utile que les entreprises de représentations, qui tendent à se multiplier, même dans les théâtres officiels, pour lesquelles l’espoir de la centième ni même de la troisième représentation n’entre pas en ligne de compte. […] Si la mode est à la violence et à la brutalité, les entrepreneurs de spectacles commandent à leurs fournisseurs des pièces violentes et brutales ; si la mode est aux doux sentiments et à l’optimisme, les mêmes entrepreneurs exigent des pièces tendres et fades. […] Mais il y a pis que le théâtre — il y a le cinéma qui abrutira les basses classes par sa laideur et son mutisme, sinistre invention qui tuera le vrai théâtre comme l’illustration tend à réduire la lecture aux légendes des ignominieuses instantanées.

1023. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

XIII Madame Gay, aussi étincelante au moins d’esprit que sa fille, bonne, tendre, généreuse, héroïque de passion et de courage, fidèle à ses amis jusque sous la hache, cœur d’honnête homme dans la poitrine d’une femme d’un temps corrompu, n’avait qu’un défaut. […] Et quant au tendre reproche qu’elle m’adresse du fond de son cercueil sur la froideur et sur la déception de mon amitié pour elle, ce reproche serait pour moi un cruel remords, si ce n’était un malentendu de nos deux existences. […] Mais jamais mon amitié réelle, constante et tendre ne souffrit de cette réserve ; et quand nous nous retrouverons dans la sphère des sentiments sans ombre et des amitiés éternelles, elle reconnaîtra qu’elle n’a laissé à personne, en quittant cette boue, une plus vive image de ses perfections dans le souvenir, une plus pure estime de son caractère dans l’esprit, un vide plus senti dans le cœur, une larme plus chaude et plus intarissable dans les yeux.

1024. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Pourtant je n’en suis pas sûr, et tout ce que je puis affirmer est que l’impression laissée dans mon esprit était absolument sui generis, et qu’elle tendait, à travers mille difficultés, à se transformer en nom propre. […] L’image dont nous allons nous servir n’est donc pas une image visuelle arrêtée : ce n’est pas une image arrêtée, puisqu’elle variera et se précisera au cours de l’apprentissage qu’elle est chargée de diriger ; et ce n’est pas non plus tout à fait une image visuelle, car si elle se perfectionne au cours de l’apprentissage, c’est-à-dire à mesure que nous acquérons les images motrices appropriées, c’est que ces images motrices, évoquées par elle mais plus précises qu’elle, l’envahissent et tendent même à la supplanter. […] Tout se passe comme si l’on tendait une rondelle de caoutchouc dans divers sens en même temps pour l’amener à prendre la forme géométrique de tel ou tel polygone.

1025. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

J’ai déjà remarqué cela pour Volney : ceux à qui a manqué cette sollicitude d’une mère, ce premier duvet et cette fleur d’une affection tendre, ce charme confus et pénétrant des impressions naissantes, sont plus aisément que d’autres dénués du sentiment de la religion. […] Selon Gibbon, les Géorgiques de Virgile ont eu un grand à-propos sous Auguste, un but politique et patriotique mêlé à leur charme : il s’agissait d’apprivoiser aux travaux de la paix et d’attacher à la culture des champs des soldats vétérans devenus possesseurs de terres, et qui, avec leurs habitudes de licence, avaient quelque peine à s’y enchaîner : « Qu’y avait-il de plus assorti à la douce politique d’Auguste, que d’employer les chants harmonieux de son ami (son ami est une expression un peu jeune et un peu tendre) pour les réconcilier à leur nouvel état ?

1026. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

On en trouverait, en descendant, d’autres exemples compatibles avec l’agrément et une certaine décence dans la vie, amour ou liaison, ou attachement respectueux et tendre, peu importe le nom79. […] [NdA] J’aime à me représenter cet amour français ou cette amitié tendre, dans ses diversités de nuances, par les noms de Mme de La Fayette, de Mme de Caylus, de Mme d Houdetot, de Mme d’Épinay, de Mme de Beaumont, de Mme de Custine ; jamais la grâce n’y est absente.

1027. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

On n’avait pas plus de douceur et de sel tout ensemble : C’était, a dit de lui son tendre ami Chaulieu, un homme qui joignait à beaucoup d’esprit simple et naturel tout ce qui pouvait plaire dans la société ; formé de sentiment et de volupté, rempli surtout de cette aimable mollesse et de cette facilité de mœurs qui faisait en lui une indulgence plénière sur tout ce que les hommes faisaient, et qui, de leur part73, en eurent pour lui une semblable… Les siècles auront peine à former quelqu’un d’aussi aimables qualités et d’aussi grands agréments que M. de La Fare. […] Revenant en idée sur cet amour délicat et tendre qui avait honoré son passé, sur ce souvenir qui aurait dû lui être sacré de Mme de La Sablière, il ne craignait pas de le comparer et de le sacrifier aux images de cette vie sans retenue et sans scrupule qui l’envahissait désormais tout entier : De Vénus-Uranie, en ma verte jeunesse,       Avec respect j’encensai les autels, Et je donnai l’exemple au reste des mortels       De la plus parfaite tendresse.

1028. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Écoutons-le dans ce passage délicat et charmant18 : L’amoureux évite aussi les affaires et les alarmes, tendre adorateur de charmes absents. […] Passez donc sans retard à des scènes plus actives, rassemblez les vérités éparses que glane l’étude ; mêlez-vous au monde, mais à ce qu’il a de plus sage ; ne donnez plus tout votre cœur à une idole, votre cœur ne lui appartient pas, il ne vous appartient pas à vous-même… Il décrit aussi, et pour l’avoir trop cruellement éprouvée, la manie maladive et la mélancolie funeste se cachant dans la solitude et y méritant toutes les tendres sympathies de la pitié ; puis les délices d’une convalescence où l’on jouit avec attendrissement de chaque beauté de la nature comme à un réveil du monde.

1029. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Tout en elle exprimait une vivacité pure, innocente et tendre. […] Ajoutons vite (car ceci n’est point une biographie que nous prétendons esquisser, et nous ne voulons que faire connaître l’homme et le poète par ses traits principaux) que dès que Cowper s’aperçut que la présence de lady Austen pouvait à la longue chagriner Mme Unwin, et que l’aimable fée apportait dans le commerce habituel un principe trop vif de sensibilité ou de susceptibilité, propre à troubler leurs âmes unies, il n’hésita point une minute ; et sans effort solennel, sans coquetterie, par une simple lettre irrévocable, il sacrifia l’agréable et le charmant au nécessaire, et l’imagination tendre à l’immuable amitié.

1030. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Je n’oserais assurer qu’il ait trouvé cette expression et qu’elle lui soit venue aussi vive, aussi légèrement tendre qu’elle aurait pu l’être, le jour où, à peine âgé de vingt ans, il fit un matin à je ne sais quelle dame la déclaration suivante, qu’il a pris soin de nous conserver mot pour mot : Déclaration d’amour prononcée à une toilette le 25 juin 1714 : « Jusques à quand, madame (il débute tout comme Cicéron dans sa fameuse harangue : Jusques à quand, Catilina…), — jusques à quand, madame, prendra-t-on des marques d’amour pour des marques de mépris ? […] Parlant quelque part d’un homme d’un esprit étroit et faux qui mettait son orgueil à déplaire, et qui méprisait par principe la bonté et la douceur des gens véritablement grands : « Il n’admire du fer, dit-il, que la rouille. » Parlant du caractère des Français qu’il a si bien connus, qui sont portés à entreprendre et à se décourager, à passer de l’extrême désir et du trop d’entrainement au dégoût, il dit : « La lassitude du soir se ressent de l’ardeur du matin. » Enfin, voulant appeler et fixer l’attention sur les misères du peuple des campagnes dont on est touché quand on vit dans les provinces, et qu’on oublie trop à Paris et à Versailles, il a dit cette parole admirable et qui mériterait d’être écrite en lettres d’or : « Il nous faut des âmes fermes et des cœurs tendres pour persévérer dans une pitié dont l’objet est absent. » Si ce n’est pas un écrivain, ce n’est donc pas non plus le contraire que d’Argenson : sa parole, livrée à elle-même et allant au courant de la plume, a des hasards naturels et des richesses de sens qui valent la peine qu’on s’y arrête et qu’on les recueille.

1031. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Il ne crut point non plus devoir se rendre de sa personne à Soleure pour y lutter d’intrigue et d’argent, et travailler à faire casser le décret : « La chose était possible, dit-il ; mais, indépendamment de ce que je trouvais le théâtre un peu petit pour me donner la peine d’y préparer cette scène, elle m’aurait demandé du temps que je ne pouvais prendre qu’au détriment de ma machine militaire qui commençait à se monter, et qui voulait ma présence pour tendre à sa perfection. » Après avoir écrit une lettre de soumission respectueuse, il s’en remit donc au cours naturel des choses. […] Demandez donc à de telles âmes qui, dès la tendre jeunesse, ont logé en elles un si faux idéal, une si misérable forme de bonheur, d’avoir une grande ambition, de se tourmenter pour un noble but, et eussent-elles reçu de la nature des facultés supérieures et fortes, de les tourner vers de généreux emplois.

1032. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Ne craignez pas de me faire partager votre ennui ; je ne partagerai que vos sentiments, et j’en aurai toujours un infiniment tendre pour vous. […] M. de Choiseul le sent bien, et pour moi, il faut vous l’avouer, j’en ai la tête tournée… Ainsi la voyons-nous s’exalter héroïquement pour son seigneur et maître ; tous ses intérêts sont les siens ; elle les embrasse sans calcul, sans réserve ; elle s’exagère sa gloire ; elle la voit pure et sans tache : si on hésite, si on n’accorde pas tout, si on a l’air de transiger avec les puissances ennemies, elle se courrouce dans son âme généreuse, elle est comme un lion. — Elle est femme surtout et avant tout, redevenue honnêtement coquette, tendre, empressée, se montrant éprise, comme au premier jour, de l’homme qui jusque-là ne l’avait pas gâtée, et à qui plus que jamais elle se consacre : (Chanteloup, janvier 1771.

1033. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Ses lettres de reproches et de conseils à ce fils sont sensées, tendres et tout à fait paternelles. […] qu’il est ennuyeux de tendre ainsi la main !

1034. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

A Bade, ville catholique, il est frappé de la pratique sévère du plus grand nombre, qui va jusqu’à faire maigre le mercredi, et il y vérifie cette observation, qu’il n’est rien de tel, pour se tendre et se resserrer dans sa dévotion, que d’être en regard et en contradiction permanente de l’opinion contraire. […] Je ne le vis jamais moins las ni moins se plaignant de ses douleurs, ayant l’esprit, et par chemin et en logis, si tendu à ce qu’il rencontrait, et recherchant toutes occasions d’entretenir les étrangers, que je crois que cela amusait son mal.

1035. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Il était une de ces organisations tendres et vagues, ouvertes et profondes, que l’aspect de la nature physique et champêtre passionne et attire jusqu’à les enivrer, jusqu’à les absorber en soi et, par moments, les anéantir. […] Rien de plus monotone que sa vie ; elle a perdu sa mère depuis bien des années ; elle habite avec son père au château du Cayla ; elle a une autre sœur plus jeune qu’elle, Marie ou Mimi ; elle a un frère Éran ou Érembert, aimable et assez dissipé ; mais le frère chéri, le frère unique, celui de qui elle dirait volontiers ce que cette reine de Hongrie, la digne sœur de Charles-Quint, disait du grand Empereur, son frère : « Il est mon tout en ce monde après Dieu », c’est Maurice, le génie tendre et sans défense, qu’elle considère comme aventuré à travers tous les écueils de la vie et du monde.

1036. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Je ne veux, entre ses divers romans, citer ici que les Souffrances du professeur Delteil, ce pauvre souffre-douleur de ses méchants écoliers, cet amoureux muet et désespéré d’une des trois sœurs modistes, et recommander la figure de ce docteur indulgent et tendre qui épouse celle même qui s’est rendue coupable d’une faute et qui le lui avoue. […] Il y en a de bien des sortes en tout pays, de gaies, de gaillardes, de grivoises, de crues et de grossières (le peuple n’est pas toujours délicat), de légères aussi, de mélancoliques et de tendres : celle-ci par exemple, qui se chante dans le Bourbonnais, mais qui, par sa douceur et le nom de la rivière qui y est nommée, sent aussi bien son Berry ou sa Touraine ; j’y laisse les liaisons contraires à l’orthographe que la prononciation villageoise y a semées : que n’y puis-je noter la tendresse du chant, qui y infuse une ravissante et mélancolique langueur !   

1037. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

Liautard, cet homme d’activité et d’intrigue, dont l’action tendait à s’étendre fort au-delà de son collège, se vantait d’être un antagoniste déclaré, un ennemi. […] Ce sont les effets qui se révèlent, et ils tendaient à empoisonner la nation.

1038. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Cet air de parfaite insensibilité (vous le savez mieux que moi) ne provient souvent que d’une pudeur extrême de la sensibilité la plus tendre, qui rougirait de se laisser soupçonner aux yeux du monde et des indifférents. […] Il paraît assez clairement que le romancier n’est pas pressé, qu’il ne tend pas au but. qu’il tourne le dos à cette forme de récit courante et naturelle qui n’intéresse que par le fond et qui se fait oublier.

1039. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Je ne suis choqué, dans la description que j’ai citée et que j’abrège, que du choix des mots, de la façon rude, désobligeante, dont on le traite, et qui tend à le ridiculiser dans l’esprit du lecteur. […] Exposé à bien des périls dans son enfance et plus d’une fois en danger de mort par accident ou par suite de sa fragilité de complexion et de nature, on a conservé des preuves touchantes de sa tendre et durable reconnaissance pour ceux qui lui avaient porté intérêt ou qui avaient contribué à le sauver.

1040. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Aujourd’hui partie complète est gagnée pour les premiers, et les choses sont retournées du tout au tout : les plus grands et les primitifs règnent et triomphent ; les seconds même en invention après eux, mais naïfs et originaux encore de pensée et d’expression, les Regnier, les Lucrèce, sont remis à leur juste rang, et ce sont les modérés, les cultivés, les polis, les anciens classiques, qu’on tend à subordonner et qu’on est disposé, si l’on n’y prend garde, à traiter un peu trop sous jambe : une sorte de dédain et de mépris (relativement parlant) est bien près de les atteindre. […] Quand on a l’âme si ouverte et si tendre aux beautés, et jusqu’à en pleurer comme Pope, on l’a également sensible aux défauts jusqu’à s’en piquer et s’en irriter.

1041. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Elle est souriante, maligne et un peu tendre. […] On sait l’histoire : Mme de Mailly ne régnait plus alors, elle faisait déjà pénitence ; c’était sa sœur, Mme de Châteauroux, beauté altière, imposante et tendre, de celles qui sont faites pour un rôle historique, pour agir et dominer, c’était cette vaillante qui régnait véritablement sur Louis XV et qui tenait le gouvernail de ce triste cœur.

1042. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Je parle au peuple : milices, poissardes, tous me tendent la main : je la leur donne. […] L’Assemblée est le foyer du mal ; elle tend à s’emparer de tous les pouvoirs et à annihiler complètement le roi : il m’avait semblé qu’on aurait dû essayer de composer avec les meneurs et de les gagner.

1043. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Des deux frères qui étaient dans l’armée en même temps que lui, l’un mourut au siège de Lille en 1667 ; l’autre appelé Croisilles, avec qui il resta lié de tout temps d’une étroite tendresse, était capitaine au régiment des gardes ; retiré du métier des armes pour cause de santé et à la suite de blessures, il devint le tendre ami de Fénelon et paraît avoir été doué de toutes les délicatesses morales ; il refusa d’être sous-gouverneur du duc de Bourgogne. […] Il est permis de penser qu’en plaidant cette mauvaise cause Catinat sentait le côté juste des raisons qu’on lui opposait ; il a des expressions d’estime, et presque des éloges pour la partie adverse : « J’ai trouvé, disait-il dans sa lettre à Louvois (15 octobre 1681), ces gens-ci tout autrement que je n’avais pensé ; j’espérais beaucoup de la permission d’offrir de l’argent ; à quoi ils m’ont paru fort insensibles, et toutes les offres qui ont tendu à cela ont été très-mal reçues.

1044. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Il arriva alors que, sentant en Saint-Simon un ami qui pourrait bien devenir prochainement incommode et gênant, le duc de Noailles eut l’idée de lui tendre un piège qui le compromît dès le début de la Régence et lui cassât le cou, comme on dit. […] L’homme habile, qui s’est blessé dans le piège qu’il avait tendu imprudemment à d’autres, y regarde désormais à deux fois.

1045. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Le ciel est bleu pâle, d’un bleu presque vert, comme si une émeraude y était fondue ; là-dessus marchent doucement, d’une marche harmonieuse et lente, des masses de petits nuages balayés, ouateux et déchirés, d’un violet aussi tendre que des fumées dans un soleil qui se couche ; quelques-unes de leurs cimes sont roses, comme des hauts de glacier, d’un rose de lumière. […] Ils sont bien des hommes de la fin du xviiie  siècle en cela ; mais ils sont tout à fait des artistes du xixe   par les touches successives du tableau et les nuances à l’infini : « Se trouver, en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour, juger le journal, remuer le passé comme si l’on tisonnait l’histoire ; faire jaillir, au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme, ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison, courir sa cervelle ; regarder se mêler ou se séparer, sous la discussion, le courant des natures et des tempéraments ; voir ses paroles passer sur l’expression des visages, et surprendre le nez en l’air d’une faiseuse de tapisserie ; sentir son pouls s’élever comme sous une petite fièvre et l’animation légère d’un bien-être capiteux ; s’échapper de soi, s’abandonner, se répandre dans ce qu’on a de spirituel, de convaincu, de tendre, de caressant ou d’indigné ; jouir de cette communication électrique qui fait passer votre idée dans les idées qui vous écoutent ; jouir des sympathies qui paraissent s’enlacer à vos paroles et pressent vos pensées comme avec la chaleur d’une poignée de main : s’épanouir dans cette expansion de tous et devant cette ouverture du fond de chacun ; goûter ce plaisir enivrant de la fusion et de la mêlée des âmes, dans la communion des esprits : la conversation, — c’est un des meilleurs bonheurs de la vie, le seul peut-être qui la fasse tout à fait oublier, qui suspende le temps et les heures de la nuit avec son charme pur et passionnant.

1046. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

On ne disserte point comme autrefois, à perte de vue, sur le sonnet de Job ou d’Uranie, sur la carte de Tendre ou sur le caractère du Romain ; mais on cause ; on cause nouvelles de cour, souvenirs du siège de Paris ou de la guerre de Guyenne ; M. le cardinal de Retz raconte ses voyages, M. de La Rochefoucauld moralise, Mme de La Fayette fait des réflexions de cœur, et Mme de Sévigné les interrompt tous pour citer un mot de sa fille, une espièglerie de son fils, une distraction du bon d’Hacqueville ou de M. de Brancas. […] C’était, comme dit Mme de Sévigné, des conversations infinies : « Après le dîner, écrit-elle quelque part à sa fille, nous allâmes causer dans les plus agréables bois du monde ; nous y fûmes jusqu’à six heures dans plusieurs sortes de conversations si bonnes, si tendres, si aimables, si obligeantes et pour vous et pour moi, que j’en suis pénétrée7. » Au milieu de ce mouvement de société si facile et si simple, si capricieux et si gracieusement animé, une visite, une lettre reçue, insignifiante au fond, était un événement auquel on prenait plaisir, et dont on se faisait part avec empressement.

1047. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Elle s’efforçait ainsi de se distraire des souffrances du corps en peignant celles de l’âme ; elle répandait en même temps sur chacune de ces pages tendres un reflet des hautes consolations vers lesquelles chaque jour, dans le secret de son cœur, elle s’acheminait. […] Mais on se fera idée surtout de sa manière de moraliste chrétien et de cette subtilité tendre qui va jusqu’au dernier repli d’un sentiment, par la méditation sur l’indulgence : L’INDULGENCE.

1048. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Il doit avoir l’âme naïve comme celle des enfants, tendre, compatissante et pleine de pitié comme celle des femmes, ferme et impassible comme celle des juges et des vieillards, car il récite les jeux, les innocences, les candeurs de l’enfance, les amours des jeunes hommes et des belles vierges, les attachements et les déchirements du cœur, les attendrissements de la compassion sur les misères du sort : il écrit avec des larmes ; son chef-d’œuvre est d’en faire couler. […] On le regardait comme bientôt capable, malgré sa tendre jeunesse, d’enseigner lui-même dans l’école et de succéder un jour à Phémius.

1049. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Le vieux Galba, proclamé empereur par les légions, s’avance et tend la main vers le sceptre. […] On assure qu’il tendit courageusement la gorge aux meurtriers, en leur disant d’agir et de frapper, si c’était pour l’avantage de la république.

1050. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Elle était pleine de monde en deuil que les cloches, annonçant le supplice, et la prière des morts, avaient réveillé et rassemblé dès le matin ; un cordon de sbires les tenait à distance ; les pénitents, en longues files, m’entouraient et me suivaient : un petit enfant, à côté du père Hilario, marchait devant moi et tendait une bourse aux spectateurs pour les parents du meurtrier. […] puis, reconnaissant dans ses yeux la couleur des siens, et sur ses lèvres le rire gai et tendre d’Hyeronimo, elle le rapprochait de son visage et le baisait avec cette sorte d’ivresse que l’enfant à la mamelle donne à sa mère.

1051. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

« Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d’heure, contentez un peu l’envie qu’il a de vous embrasser. » La véritable métaphore présente à la fois deux objets à l’imagination, l’un qui est dans le sens propre du mot, l’autre qui par le moyen du premier s’éveille dans la pensée. […] — Mais, de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d’heure ; contentez un peu l’envie qu’il a de vous embrasser.

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