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1191. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Quand les psychologues parlent du souvenir comme d’un pli contracté, comme d’une impression qui se grave de plus en plus profondément en se répétant, ils oublient que l’immense majorité de nos souvenirs portent sur les événements et détails de notre vie, dont l’essence est d’avoir une date et par conséquent de ne se reproduire jamais. […] Pour prendre un exemple souvent emprunté à Winslow 62 celui du sujet qui avait oublié la lettre F, et la lettre F seulement, nous nous demandons si l’on peut faire abstraction d’une lettre déterminée partout où on la rencontre, la détacher par conséquent des mots parlés ou écrits avec lesquels elle fait corps, si on ne l’a pas d’abord implicitement reconnue. Dans un autre cas cité par le même auteur 63, le sujet avait oublié des langues qu’il avait apprises et aussi des poèmes qu’il avait écrits. […] C’est ainsi qu’il nous arrive, ayant retenu l’initiale d’un nom oublié, de retrouver le nom à force de prononcer l’initiale 68. — Ainsi, dans les faits du second genre, c’est la fonction qui est atteinte dans son ensemble, et dans ceux du premier genre l’oubli, plus net en apparence, ne doit jamais être définitif en réalité. […] Graves cite le cas d’un malade qui avait oublié tous les noms, mais se souvenait de leur initiale, et arrivait par elle à les retrouver.

1192. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Il se garda bien d’y oublier le colonel : « Brave homme, écrivit-il, un peu bête peut-être, mais si décoratif !  […] Que deviendrait donc une pareille maison si on oubliait le respect qu’on doit au maître ! […] Dans les rues de la méchante ville, il oublia de soigner la fleur splendide. […] Comme si dans le poète on pouvait jamais oublier l’homme ! […] Ou bien pendant le travail je l’oubliais complètement, ou bien, en m’y tenant je faisais fausse route.

1193. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

C’est le charme encore de ces volumes que j’allais oublier, — ne sont-ils pas, eux aussi, mélanges ? […] Écrire, pour lui, c’est « poursuivre la rondeur des contours jusque dans ses replis les plus fuyants. » Il trouve ainsi le moyen de gagner son pain à la fois et d’oublier sa vie. […] Les Méditations étaient, sinon oubliées, du moins reculées dans un lointain de froid respect, trop prématuré pour ne pas annoncer l’oubli. […] À mesure que Sorel vieillissait, les signes se multipliaient, lui révélant que les leçons de 1870 n’avaient pas été comprises ou qu’elles avaient été oubliées. […] Cet apprentissage de misère, il ne l’oublia jamais.

1194. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Cros avait connu Rimbaud, il avait notion de beaux vers qu’il avait oubliés ; il en voulait à Rimbaud de ceci : il avait donné l’hospitalité à Rimbaud. […] J’ai conservé des pages sur Poictevin qu’on oublie trop. […] Qu’on en sourie plus tard, lorsqu’on aura oublié leurs droits à se plaindre, c’est possible ; le mot pourra rester un des meilleurs pour les définir (sauf M.  […] L’hommage que lui adressait Verlaine lui rendit les poètes qui l’oubliaient un peu, depuis que Sainte-Beuve et Baudelaire avaient cessé de la vanter. […] Il se rattache à Sainte-Beuve par un souci de connaissance exacte et reprend l’œuvre oubliée de Bertrand.

1195. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

Il y a plusieurs circonstances et applications personnelles qui faisaient tout l’agrément de ces petits ouvrages poétiques ; ces sortes d’idées sont effacées, et j’abandonne sans peine ces vers que j’ai oubliés à qui les voudra.

1196. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — III »

Mieux lui sied encore, je pense, nous raconter tout le ménage de Belle-Chasse sans oublier le registre de la dépense et le prix du marché, ou nous exposer les règlements et les charmes mystiques de la Trappe, que dans son enthousiasme elle place bien au-dessus de l’Œil-de-Bœuf.

1197. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

A Berlin surtout, dans une cour timide, froide et naguère ennemie, en présence d’une Académie peut-être encore philosophique et frondeuse, en présence de cette colonie de réfugiés français qui n’avaient pas oublié les injures de leurs pères3, combien une noble contenance eût été séante, combien elle eût racheté de préjugés et d’erreurs !

1198. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

Ce fut en de telles mains que tomba en dernier espoir la cause de l’humanité ; et quels qu’aient été ces hommes, qu’on n’oublie pas en les jugeant qu’ils moururent pour elle.

1199. (1874) Premiers lundis. Tome I « Bonaparte et les Grecs, par Madame Louise SW.-Belloc. »

Il renvoya donc Dimos et l’oublia.

1200. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Bœrne. Lettres écrites de paris pendant les années 1830 et 1831, traduites par M. Guiran. »

Nous n’avons pas totalement oublié, durant la révolution, quoi qu’il en dise, nos études philosophiques du xviiie  siècle, nous les avons même poussées plus avant et plus haut ; nous pouvons nous croire, sans vanité, capables encore de comprendre Condillac et même quelque chose au-delà.

1201. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Perier qu’il était question, tant les hommes nécessaires s’oublient vite de nos jours.

1202. (1875) Premiers lundis. Tome III « Émile Augier : Un Homme de bien »

— N’oublions pourtant pas d’ajouter que l’oncle Bridaine, si bien joué par Provost, et qui rentre dans les anciennes données comiques, est excellent : il prête aux meilleures scènes de l’ouvrage, et le second acte lui a dû son espèce de succès.

1203. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

Oui, empêtrés dans les niaiseries d’un théâtre incolore et d’une littérature vulgaire et mercantile, nous voulons, nous appelons à grands cris une œuvre où se trouve réuni tout ce dont nous avons soif : l’héroïsme, l’idéal, l’outrance (pour nous faire oublier tant de platitudes !)

1204. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

On ne sait pourquoi tout d’abord, on ne sait pourquoi ensuite, mais il reste de tout ce qu’il écrit une impression profonde et qu’on n’oublie plus.

1205. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XII. Mort d’Edmond de Goncourt » pp. 157-163

Mais, dès l’origine, son optique était aussi particulière : dans une seule année de son Journal, une des premières, il n’oublie de mentionner que l’apparition du Fils de Giboyer et la révélation du Tannhäuser à Paris !

1206. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

M. de Voltaire s’est donc oublié, à son ordinaire, quand il a dit que cet Ouvrage n’étoit qu’un Recueil d’Epigrammes, & qu’il appeloit l’Auteur Arlequin-Grotius *.

1207. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

A part les grands moments où l’on peut s’oublier totalement, on est si souvent en présence de soi-même dans cette guerre !

1208. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Je n’ai pu reprocher le tort de son âge, comme un obstacle au développement de ses talents, à un jeune écrivain dont les talents font oublier l’âge, s’ils n’en acquièrent un lustre de plus. […] Ai-je oublié ce que le docte Molière adresse, dans la Critique de l’École des femmes, aux pédants qui se récrient si fort sur l’importance des règles ? […] Harpagon veille nuit et jour sur un trésor pour lequel il oublie le soin de sa personne et de sa famille ; on le lui vole, et son désespoir le jette dans la démence. […] Tel fut à peu près le sens des paroles de Fabre d’Églantine ; sa leçon me parut si bonne, et si bien mise en pratique dans son Philinte, que je ne l’oubliai plus. […] Pourquoi n’oublie-t-on pas le Misanthrope ?

1209. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Mais, au milieu de notre propre discussion mêlée à nos conjectures et à nos désirs sur la destinée du poëme, nous oublions Jocelyn en personne, qui est entré au petit séminaire, et qui a dû, il est vrai, y rester six longues années. […] Mais, le corps étendu, n’oublions pas que l’âme, De même que l’oiseau monte sans agiter  Son aile, ou qu’au torrent, sans fatiguer sa rame, Le poisson sait tout droit en flèche remonter, — L’âme (la foi l’aidant et les grâces propices)  Peut monter son air pur, ces torrents, ses délices ! […] Dans les tours de Bothwell, prisonnier autrefois, Plus d’un brave oubliait (tant cette Clyde est belle !) 

1210. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

… Et quant à ce qui est des jeunes filles poëtes qui parlent aussi tout haut de la beauté des jeunes inconnus, nous aurions à invoquer plus d’un brillant et harmonieux témoignage, que personne n’a oublié, et où l’on n’a pas entendu malice apparemment8. […] Il faut ne pas oublier cette éducation pre mière en la lisant ; mais surtout un trait chez elle absout ou du moins relève la femme, et la venge des inculpations vulgaires : elle eut la passion, l’étincelle sacrée, c’est-à-dire, dans sa position, le préservatif le plus sûr. […] Les diverses sortes d’amour et d’amitié, l’amour conjugal, fraternel, y sont célébrés ; Apollon cite Oreste et Pylade, et n’oublie pas David et Jonathas ; Mercure à son tour citera Salomon.

1211. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

De là souvent un peuple qui aime à rire ne voit que diable et qu’enfer. » Il se réservait pourtant de grands et sombres tableaux à retracer : « Lorsqu’il sera question des sacrifices humains, ne pas oublier ce que partout on a appelé les jugements de Dieu, les fers rouges, l’eau bouillante, les combats particuliers. […] Un jeune Thurien67, aussi beau qu’elle est belle (Son nom m’est inconnu), sortit presque avec elle : Je crois qu’il la suivit et lui fit oublier Le grave Pythagore et son grave écolier. […] Viens, Fanny : que ma main suspende Sur ton sein cette noble offrande… La pièce reste ici interrompue ; pourtant je m’imagine qu’il n’y manque qu’un seul vers, et possible à deviner ; je me figure qu’à cet appel flatteur et tendre, au son de cette voix qui lui dit Viens, Fanny s’est approchée en effet, que la main du poëte va poser sur son sein nu le collier de poésie, mais que tout d’un coup les regards se troublent, se confondent, que la poésie s’oublie, et que le poëte comblé s’écrie, ou plutôt murmure en finissant : Tes bras sont le collier d’amour !

1212. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Dans les cabanes émerveillées de la plus haute montagne, les jeunes garçons et les jeunes filles ouvraient les volets de leur chambre, se penchaient en dehors, oubliaient de dormir, et croyaient que toute la vallée s’était transformée en un orgue d’église, où les anges jouaient des airs du paradis pendant le sommeil des vivants. […] Cette doctrine, qui ne contredit aucune de ses doctrines chrétiennes, et qui agrandit le Créateur en agrandissant son œuvre, est une vérité vieille comme le monde, et qui ressemble à une audace, tant le monde moderne semble l’avoir oubliée. […] Ce que la loi rejette est pris par l’Évangile, Des épis oubliés sa moisson s’enrichit ; À lui tout ce qui pleure et tout ce qui fléchit ; À lui la pénitente obscure et méprisée ; À lui le nid sans mère, et la branche brisée ; À lui tout ce qui vit sans filer ni semer ; À lui le lis des champs qui ne sait qu’embaumer, L’oiseau qui vole au ciel, insoucieux, et chante ; À lui la beauté frêle, et l’enfance touchante, Et ces hommes rêveurs qui sont toujours enfants.

1213. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

(Lamartine) « Il n’est pas de danseuse qui ne quittât sa robe de bal et sa guirlande de fleurs, pas de jeune fille qui n’oubliât sa beauté, personne qui ne revînt meilleur de cette terre des morts. » XIX Ainsi cela se poursuit parmi tous les événements de la vie, petits ou grands, tristes ou gais ; c’est la vicissitude éternelle, mais la vicissitude interprétée, sentie, comprise par une âme intelligente de ce qu’elle souffre et joyeuse de ce qu’elle cueille en passant sur le bord du chemin. […] « Rien ne me fait du bien comme d’écrire, parce qu’alors je m’oublie. […] C’est de Montels que je t’écris, dans une chambre écartée où j’ai, par bonheur, trouvé de l’encre ; j’avais oublié d’en prendre, et c’était grande privation de ne pouvoir rien tracer de tout ce qui se peint en moi dans cette demeure de mon goût.

1214. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Peut-être la critique aurait-elle noté encore, en ses derniers écrits, une mise en œuvre disproportionnée, par moments, à l’importance des faits, si elle avait pu oublier que, réduit par la cécité à chercher par les mains et à voir par les yeux d’autrui, Augustin Thierry s’attachait avec une sorte de passion inquiète à ces faits rendus trop précieux par leur rareté même, et qu’il les agrandissait ou les embellissait à force d’y penser uniquement, dans ce travail où l’histoire finit par se confondre avec une composition poétique. […] Nous sommes reconnaissants envers les écrivains qui ont éclairé et instruit nos pères, nous oublions ceux qui les ont amusés. […] La tragédie est plus tôt négligée et plus vite oubliée que la comédie.

1215. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Il ne faut pas oublier que cette année Tristan a été monté. […] Qu’on n’oublie pas qu’à Lœwenbraeu comme autre part, l’orchestre est un orchestre d’harmonie, presque toujours une musique militaire. […] La disposition des instruments est celle de Parsifal ; il ne faut pas oublier que le nombre des instruments à vent était plus considérable pour la Tétralogie.

1216. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d’une littérature oubliée et d’une société disparue, la Tragédie, était définitivement morte ; si dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l’intérêt, à l’émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches ; si, en un mot, les larmes qu’on pleure en bas, pourraient faire pleurer comme celles qu’on pleure en haut. […] Et qu’il cherche l’Art et la Vérité ; qu’il montre des misères bonnes à ne pas laisser oublier aux heureux de Paris ; qu’il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charité ont le courage de voir, ce que les Reines autrefois faisaient toucher de l’œil à leurs enfants dans les hospices : la souffrance humaine, présente et toute vive, qui apprend la charité ; que le Roman ait cette religion que le siècle passé appelait de ce vaste et large nom : Humanité ; — il lui suffit de cette conscience : son droit est là. […] Taine, en faveur du Suédois ou du Canadien16, qui sait aux trois quarts le français ou l’a oublié à moitié, je ne ferai pas à cette théorie l’honneur de la discuter.

1217. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

L’histoire d’une langue n’est que l’histoire de déformations successives, presque toujours monstrueuses, si on les juge d’après la logique de la raison ; — mais la faculté du langage est réglée par une logique particulière : c’est-à-dire par une logique qui oublie constamment, dès qu’elle a pris son parti, les termes mêmes du problème qui lui était posé. […] Sans doute herboriste est la corruption d’arboriste ; sans doute il peut sembler fâcheux qu’on ait confondu confrairie et confrérie, palette avec poëlette, chère avec chair, que le féminin de sacristain soit sacristie, qu’ornement ait donné ornemaniste et fusain, fusiniste, et que, dans le vocabulaire des injures politiques, on oublie, en écrivant salaud, que le féminin de cette délicieuse épithète est salope, mais avant de condamner des formes qui, malgré les grammairiens, se permettent de dévier un peu de la logique apparente, il faudrait peut-être les examiner avec quelque minutie et quelque bienveillance. […] On a abandonné depuis longtemps tistre pour tisser, semondre pour semoncer ; imbiber remplace imboire, qui devient archaïque ; on oublie émouvoir et l’on abuse d’émotionner.

1218. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

La manière la plus commune, et par conséquent la plus défectueuse, d’amener une exposition, c’est de faire faire à un acteur, par un autre, tous les récits dont il a besoin, tantôt dans le dessein d’instruire un personnage qui n’est pas au fait, tantôt en lui rappelant ce qu’il peut avoir oublié, quelquefois même en lui disant qu’il s’en souvient, comme si c’était une raison de le lui redire. […] Encore que je n’aie point trouvé le terme de monologue chez les auteurs anciens qui nous ont parlé du théâtre, ni même dans le grand œuvre de Jules Scaliger, lui qui n’a rien oublié de curieux sur ce sujet, il ne faut pourtant pas laisser d’en dire mon sentiment, selon l’intelligence des modernes, pour ne pas me départir des choses qui sont reçues parmi eux. […] Cette considération fait disparaître l’autre ; et parce que nous sommes bien aises d’être instruits, nous oublions que l’acteur devrait se taire.

1219. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

On oublie que ce système était celui du physicien réel, que les autres sont seulement ceux de physiciens imaginés, qu’on avait cherché un mode de représentation convenant en même temps à ceux-ci et à celui-là, et que l’expression équation avait précisément été le résultat de cette recherche : on commettrait donc une véritable pétition de principe en s’autorisant de cette expression commune pour mettre tous les systèmes au même rang et pour déclarer que tous leurs Temps se valent, puisqu’on n’avait obtenu cette communauté d’expression qu’en négligeant la différence entre le Temps de l’un d’eux — seul Temps constaté ou constatable, seul Temps réel — et les Temps de tous les autres, simplement imaginés et fictifs. […] C’est ce qu’on oublie parfois quand on parle de la secousse ressentie par le voyageur dans le train. […] C’est ce que les théoriciens de la Relativité semblent parfois oublier, et c’est d’ailleurs à quoi ils n’ont pas besoin de prendre garde en tant que physiciens, puisque la distinction entre la vision réelle et la vision virtuelle, entre le système de référence qui est réellement adopté et celui qui est simplement représenté comme tel, disparaît nécessairement, comme nous l’avons montré, de l’expression mathématique de la théorie.

1220. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Et si cette troupe n’est pas sans analogie avec une bande de sauvages, il ne faut pas oublier que ces pauvres sauvages possèdent en germe le principe des développements et des transformations qui en feront une société politique avec le temps et sous l’influence de milieux différents, tandis que jamais aucune espèce animale n’est parvenue à un véritable état politique, malgré les changements de conditions géographiques ou domestiques. […] N’oublions pas qu’il y a plusieurs manières d’étudier l’homme, et que chacune de ces méthodes est bonne, à condition de ne point poursuivre des problèmes qui ne sont pas de sa compétence. […] Il ne faut point oublier qu’elle est une réaction salutaire à certains égards contre les tendances peu scientifiques des écoles qui l’ont précédée, soit en Angleterre, soit en France.

1221. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Mais j’oubliais. […] Sa fierté, sa dignité, il oublie tout. […] Ses remords se calmeront, et il oubliera comme un mauvais rêve cette tragédie fatale, consolé par l’affection et la tendresse maternelle. […] Je les prie de ne pas m’oublier non plus en passant. […] Elle oublie donc cet outrage, elle s’immole, elle se vend ; à peine sa mère a-t-elle fait mine de l’en détourner.

1222. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Je n’oublie pas qu’on peut et qu’on doit beaucoup en attendre. […] Certes, une telle découverte est, entre toutes, celle qu’on n’oublie plus. […] Mais il faut ici dépasser les apparences et oublier si l’on peut le point de vue de l’esprit gaulois. […] Car on s’imagine que l’apaisement peu à peu viendra, qu’on oubliera ; on n’oublie pas. […] Les sens ne pardonnent pas plus qu’ils n’oublient.

1223. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Il a reçu de Paris un accueil auquel il a été particulièrement sensible ; je ne crois pas qu’il oubliera sa rencontre avec M.  […] Raymond Radiguet revenait, justement: « J’ai oublié mes chaussettes, fit-il en riant. […] Pourtant Crémieux s’oublie, se sacrifie, c’est inscrit dans son programme critique ; on ne le voit pas, il n’évoque pas les souvenirs qu’il a de son ami. […] Je le sais trop intelligent pour avoir complètement oublié qu’il ne suffit pas seulement de l’être, quand on l’est à ce point. […] Mais Philippe et Shelley oublient l’offense avec une facilité vraiment extraordinaire, et presque dans les mêmes termes.

1224. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Enfin, après tant d’années, nous sortons de la déclamation notée, nous entendons une voix d’homme ; bien mieux, nous oublions la voix pour l’émotion qu’elle exprime, nous ressentons par contre-coup cette émotion en nous-mêmes, nous entrons en commerce avec une âme. […] Ces doux instants ne durèrent pas. « Au mieux, disait-il, mon esprit a toujours un fonds mélancolique ; il ressemble à certains étangs que j’ai vus, qui sont remplis d’une eau noire et pourrie, et qui pourtant dans les jours sereins réfléchissent par leur surface les rayons du soleil1189. » Il souriait comme il pouvait, mais avec effort ; c’était le sourire d’un malade qui se sait incurable et tâche de l’oublier un instant, du moins de le faire oublier aux autres. « Vraiment, je m’étonne qu’une pensée enjouée vienne frapper à la porte de mon intelligence, encore plus qu’elle y trouve accès. […] Le jour où, pour la première fois, « sous un platane », il ouvrit les volumes où Percy avait rassemblé les fragments de l’ancienne poésie, il oublia de dîner « malgré son appétit de treize ans », et dorénavant « il inonda » de ces vieux vers non-seulement ses camarades d’école, mais encore tous ceux qui voulaient l’entendre. […] Mais le métal est véritablement noble, et, outre plusieurs sonnets très-beaux, il y a telle de ses œuvres, entre autres la plus vaste, Une Excursion, où l’on oublie la pauvreté de la mise en scène pour admirer la chasteté et l’élévation de la pensée. […] J’oublie nos façons françaises insouciantes, notre habitude de laisser couler la vie.

1225. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

On oubliera que l’histoire, dont les faits sont la matière, exclut les ornements qui embellissent la Poésie, dont l’essence est la fiction. […] On n’a pas oublié l’époque où l’amour des sciences, le zèle naissant pour les découvertes, l’intérêt des belles-lettres, inspirèrent le louable dessein d’ouvrir cet asile à l’instruction et aux arts. […] Ils ont le temps pour sauvegarde, et les réflexions pour les défendre ; ou, du moins, l’obscurité pour mourir sans bruit, aussitôt oubliés qu’imprimés. […] Mais telle est l’ingratitude commune, qu’une seule faute dans la plus longue et la plus difficile besogne, fait oublier cent bonnes choses et le plaisir qu’on eut à les entendre. […] On en voit l’exemple dans la distribution des rôles d’Ériphile et d’Aricie qui coopèrent à la première action, ne l’interrompent jamais, et ne sont pourtant oubliés nulle part.

1226. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

La première moitié florissante de l’existence de Delille, il ne faut pas l’oublier, est de 1770 à 89 ; il eut là près d’une vingtaine d’années de succès, de faveur, de délices ; c’est au goût de ce moment du xviiie  siècle qu’il se rapporte directement. […] Votre conversation l’attache, il est vrai ; mais il passe aussi fort bien deux heures à caresser son cheval, que pourtant il oublie aussi quelquefois, ou bien à s’égarer dans les bois où, quand il n’a pas peur, il rêve à la lune, a un brin d’herbe, ou, pour mieux dire, à ses rêveries. » Elle conclut en disant : « C’est le poëte de Platon, un être sacré, léger et volage. » C’était du moins, à coup sûr, le plus aimable des causeurs et des hôtes familiers ; on se l’enviait, on se l’arrachait. […] La critique la plus célèbre qui parut contre les Jardins est celle de Rivarol, c’est-à-dire le Dialogue du Chou et du Navet, qui se plaignent d’avoir été oubliés par l’abbé-poète dans ses peintures de luxe : Le navet n’a-t-il pas, dans le pays latin, Longtemps composé seul ton modeste festin, Avant que dans Paris ta muse froide et mince Égayât les soupers du commis et du prince ? […] On les oublie ensuite, et on croit les retrouver pour son compte, en supposant chez les contemporains une unanimité d’admiration qui n’a jamais existé.

1227. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

car ton chant, tu ne l’emporteras pas dans l’Érèbe, qui fait tout oublier. » Suivent les couplets où Thyrsis déplore la mort de Daphnis, de ce premier chantre pastoral qui mourut victime, comme Hippolyte, de la vengeance de Vénus. […] Remarquons pourtant comme elle n’oublie pas sa toilette ni cette parure empruntée à une amie, et qui apparemment lui seyait bien ; elle n’oublie pas non plus les circonstances singulières de cette procession qui est devenue l’événement fatal de sa vie ; et même il y avait une lionne ! […] Traduire de cette sorte Théocrite, c’est un peu comme si l’on allait puiser à une source vive dans le creux de la main, ou encore comme si l’on essayait d’emporter de la neige oubliée l’été dans une fente de rocher de l’Etna : on a fait trois pas à peine, que cette neige déjà est fondue et que cette eau fuit de toutes parts.

1228. (1929) Dialogues critiques

N’oublions pas, d’ailleurs, que beaucoup d’intellectuels sont dispensés d’additions et d’impôt global ou cédulaire, parce qu’ils gagnent moins que des terrassiers. […] Pierre J’en ai peut-être oublié quelques-unes. […] L’histoire montre que même dans les grands siècles, à côté d’un petit nombre de vrais génies, il y a eu des multitudes de grimauds, et que ceux-ci, maintenant bien oubliés, houspillaient et irritaient les quelques élus. […] Pierre Vous oubliez vos chers tortonistes.

1229. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Les préjugés dont il n’était pas subjugué, les passions factices dont il n’était pas la proie n’offusquaient point à ses yeux, comme à ceux des autres, ces premiers traits si généralement oubliés ou méconnus… En un mot il fallait qu’un homme se fût peint lui-même, pour nous montrer ainsi l’homme primitif, et, si l’auteur n’eût été tout aussi singulier que ses livres, jamais il ne les eût écrits… Si vous ne m’eussiez dépeint votre Jean-Jacques, j’aurais cru que l’homme naturel n’existait plus. […] Rien de plus innocent selon la nature que les amours de Julie et de Saint-Preux : mais ils ont oublié que la vie selon la nature est actuellement impossible. […] Elle n’oublie jamais qu’elle agit devant « l’œil éternel qui voit tout ». […] Nous finissons par oublier d’habituer l’enfant à penser, à force d’étaler devant lui les pensées des autres ; nous l’écœurons de littérature, et nous n’en faisons même pas un lettré.

1230. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Celle-ci s’affuble d’une robe de camelot, couvre sa tête d’un large chapeau de nonne, sans oublier son psautier ni ses patenôtres. […] Il parle des attaques dont il fut l’objet, et s’il oublie celles de Christine de Pisan, il mentionne celles de Martin Franc, poète du xve  siècle, lequel y vit un outrage aux dames, dont il se disait le champion. […] A moins donc de prétendre que la Renaissance n’a été pour les modernes qu’une confiscation du génie national, et qu’il eût été plus glorieux que, séparée du passé, enfermée dans son, territoire chaque nation recommençât pour ainsi dire tout l’esprit humain, comment ne vouloir pas qu’un poème qui rattachait par quelques fils, même grossiers, le génie français au génie antique, ait plus mérité de vivre que tant d’écrits oubliés par la France, pour n’avoir su que l’amuser ? […] Entre la froide remarque que rime lourdement le poëte royal, et cette charmante évocation que fait l’enfant du peuple de tant de beautés célèbres, presque toutes françaises (n’oublions pas ce trait), il y a la différence d’un agréable bel esprit à un poète.

1231. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

* * * Le jour où tous les hommes sauront lire et où toutes les femmes joueront du piano, le monde sera en pleine désorganisation, pour avoir trop oublié une phrase du testament du cardinal de Richelieu : « Ainsi qu’un corps qui auroit des yeux en toutes ses parties, seroit monstrueux, de même un État le seroit, si tous les sujets étoient savants. […] Son nom, qui est quelque part dans un contrat de vente, je l’ai oublié, mais le personnage était un vieux marchand de sabots, — oui, un marchand de sabots artiste, — qui, sa fortune faite, avait donné asile, pendant deux ou trois ans, à deux sculpteurs italiens de passage dans la province, et qui, affolé de musique et de gentille sculpture, sur les marches de son perron, devant la fête de la façade de sa maison, amusait les échos de la grande place, debout toute la journée, penché sur le radotage d’un antique violon. […] On s’apprend les mariages et les morts, et l’on vous gronde doucement d’avoir oublié d’anciens amis… Et nous voilà dans la maison du docteur Fleury, causant avec Banville, quand tombe dans notre conversation le vieux dieu du drame, le vieux Frédérick Lemaître… Dans tout cela, par tous ces chemins, en toutes ces rencontres, dans ce que le hasard fait repasser devant nous de notre vie morte, dans ces revenez-y de notre jeunesse qui semble nous promettre une vie nouvelle, nous roulons, écoutant et regardant tout comme un présage, tantôt bon, tantôt mauvais, pleins de pensées qui se heurtent autour d’une idée fixe, prêtant aux choses un sentiment de notre fébrilité et croyant, dans un air d’orgue qui passe, entendre l’ouverture de notre pièce. […] * * * — Il n’est pas impossible que, dans une grande douleur, une femme oublie de penser à la façon de sa robe de deuil.

1232. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

Ces pensées nous venaient dans un petit cimetière, caché dans un bouquet d’arbres, et découvert par nous dans le bois de Boulogne, un cimetière fermé, muré, scellé d’un cadenas fermant une grille rouillée, dont les barreaux laissent voir un coin de terre oublié qui semble promettre à ses morts la perpétuité du repos de la tombe, sous les branches de ses rosiers vagabonds. […] Le malheureux Patin oublie tous les jours, au bas de l’escalier, la physiologie que le physiologiste lui a apprise dans son cabinet. […] Ses gestes sont des gestes de rêve, et ses lèvres très souvent oublient de boire au verre, qui touche ses dents… On dirait que c’est un chef-d’œuvre du chagrin ! […] Je dois déclarer, qu’une fois la juste colère de la princesse, dépensée dans deux ou trois sorties de ce genre avec nous et d’autres amis, la princesse oublia ses griefs contre l’ancien familier de sa maison, et ne se rappela que le charme de sa causerie, de son esprit, de sa sociabilité, et redevenue tout à fait amie de sa mémoire, quand il fut mort, défendit chaleureusement cette mémoire contre tous, contre moi-même.

1233. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Ils oublient qu’un fils de vendéen, M. de  Rochejacquelein, enrôlé dans le Sénat du second Empire, répondit cavalièrement à de semblables reproches : « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais. » Le poète, incapable de ce dédain aristocratique, ne lança jamais au parti qu’il désertait cette impertinente excuse : mais il voulut expliquer aux républicains pourquoi il avait été royaliste. […] Au lieu d’embourser son mécompte et de contenir son indignation comme s’était son habitude, il s’oublia et se jeta impétueusement dans l’opposition. […] Il avait dans son aveugle emportement lancé des déclarations si catégoriques, et pour son malheur elles eurent un retentissement si considérable ; il avait marqué les hommes du coup d’État de vers si cuisants, qu’il était impossible de les faire oublier ; il lui fallut rester républicain et renoncer à la politique ; il jugea qu’il valait mieux accepter bravement le rôle de martyr de la République, de victime du Devoir. […] Shakespeare mourait oublié de son siècle.

1234. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Jamais je n’oublierai cette première entrée de nuit dans la ville de Dante. […] XXX Je n’oublierai jamais non plus ce réveil. […] Je ne demandais qu’à oublier le rude français. […] Je vais vous y faire conduire. » Puis elle fit signe à un vieil abbé, dont j’ai oublié le nom, de m’accompagner dans deux pièces voisines.

1235. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Le Français en a, car il est essentiellement bon ; il s’oublie en toute occasion lui-même pour voler au secours de tout le monde. […] Que pour jamais, foulant vos prés délicieux, Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde, Et, connu de vous seuls, oublier tout le monde ! […] Et ces délices étaient des prémices, il ne faut pas l’oublier. […] De tels services à la langue française, au bon sens et au bon goût, rendus en beaux vers par un bon esprit, ne pourraient être méconnus sans injustice ni oubliés sans ingratitude par la nation du bon sens, du bon esprit et du bon goût comme la France.

1236. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

C’est là ce que les psychologues oublient trop souvent quand ils concluent, de ce qu’une sensation remémorée devient plus actuelle quand on s’y appesantit davantage, que le souvenir de la sensation était cette sensation naissante. […] On oublie que le rapport de contenant à contenu emprunte sa clarté et son universalité apparentes à la nécessité où nous sommes d’ouvrir toujours devant nous l’espace, de refermer toujours derrière nous la durée. […] Des souvenirs qu’on croyait abolis reparaissent alors avec une exactitude frappante ; nous revivons dans tous leurs détails des scènes d’enfance entièrement oubliées ; nous parlons des langues que nous ne nous souvenions même plus d’avoir apprises. […] Le sujet, revenu à la vie, déclare avoir vu défiler devant lui, en peu de temps, tous les événements oubliés de son histoire, avec leurs plus infimes circonstances et dans l’ordre même où ils s’étaient produits 85.

1237. (1903) La renaissance classique pp. -

Ils ont oublié cette grande vérité : que l’art suppose la vie, dont il n’est que le reflet. […] Mais n’oublions pas que pour nous, littérateurs et artistes, l’imagination poétique est plus qu’un don aimable et comme un ornement de notre intelligence, elle en est l’organe indispensable. […] Cette intuition des réalités utiles à la vie complétée par le savoir, c’est ce qu’on appelait autrefois l’« humanisme », beau mot dont nous avons à peu près oublié le sens ! […] Nous ne faisons que reprendre une expression de notre Flaubert dans la Tentation de saint Antoine : « … Ils ont maintenant des âmes d’esclaves, oublient les injures, les ancêtres, le serment ; et partout triomphent la sottise des foules, la médiocrité de l’individu, la hideur des races. » Une bonne moitié de notre préface n’est guère que le commentaire de ces lignes.

1238. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

J’ai tâché de les oublier, mais je souffrais comme un musicien quand il entend des instruments qui ne sont pas d’accord. » Il passe de là à l’armée de Moldavie, auprès du maréchal Roumiantsev, celui-là militaire, mais encore plus astucieux que Potemkine, et qui ne l’écoute pas davantage. […] Les émigrés, selon lui, ont emporté l’honneur (dans le sens royaliste) ; les rebelles n’ont gardé de leur nation que l’intelligence et le courage : il oublie que ces rebelles, qui sont à peu près tout le monde, ont, de plus, gardé intact le sentiment de patrie.

1239. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Elle parlait beaucoup et parlait bien : elle aimait surtout à parler sa langue naturelle que près de cinquante années de séjour en France n’ont pu lui taire oublier ; ce qui était cause qu’elle était charmée de voir des seigneurs de sa nation et d’entretenir commerce de lettres avec eux. […] Elle n’oublie pas une chose essentielle qu’elle fait en se levant et qu’une autre qu’elle n’aurait jamais eu l’idée de dire.

1240. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Il a dit encore de lui-même dans une ballade, qu’au bruit du vin qu’il entend verser de la bouteille, qu’au fumet des viandes appétissantes qu’il voit servir sur les tables, son esprit se renouvelle, et qu’il se renouvelle encore à voir chaque fleur en sa saison, et les chambres éblouissantes de lumières pendant les longues veilles, comme aussi à trouver bon lit après la fatigue, sans oublier la friande collation arrosée de clairet, que l’on fait pour mieux dormir. […] Claverhouse en convient : il insiste sur son idée en la poussant cruellement à bout ; il l’exprime en des termes énergiques que nul, certes, n’a oubliés, distinguant entre le sang et le sang, entre celui « des braves soldats, des gentilshommes loyaux, des prélats vertueux, et la liqueur rouge, dit-il, qui coule dans les veines de manants grossiers, d’obscurs démagogues, de misérables psalmodieurs… ».

1241. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

J’ai déjà nommé du Périer, un des grands poètes latins de ce temps-là, et aujourd’hui tout à fait oublié ; il était neveu de cet autre du Périer, le seul connu, parce qu’une belle ode de notre Malherbe a couronné son nom : Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle ! […] Femmes, moines, vieillards, tout était descendu ; L’attelage suait, soufflait, était rendu… « En fait d’essoufflement pittoresque, voilà, ô poète latin, ce qui vaut encore mieux que ton vers, et ce qui le fera oublier. » Mais personne sans doute alors ne faisait ces comparaisons.

1242. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

La vie que Santeul menait à l’abbaye de Saint-Victor nous paraît assez extraordinaire chez un homme de cloître et un moine ; elle ne le paraissait pas trop à ses confrères ni à ses supérieurs, qui se contentaient de le rappeler quelquefois au bercail quand il s’en écartait trop longtemps et qu’il s’oubliait pendant des mois dans les riches maisons de campagne où on l’invitait. […] … C’était tout simplement Mme la Duchesse qui, à table et la conversation s’échauffant sur ce que Santeul avait toujours oublié de la chanter au milieu des merveilles de Chantilly, lui avait donné un soufflet en plein visage.

1243. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Acanthe, assis au pied d’un aulne, exhale donc ses regrets et maudit la poésie, qu’il accuse fort injustement de son malheur ; il allait de dépit briser ses chalumeaux, lorsque du lit profond de la Saône, qui coule devant lui, il voit sortir et apparaître un fantôme, une ombre vêtue à la romaine, celle du poète Maynard, l’auteur de deux ou trois belles odes et de quantité d’épigrammes oubliées. […] Je ne profite pourtant pas souvent de cette commodité, et je suis souvent des huit jours entiers sans sortir de chez moi que pour aller à l’église, dont j’ai à choisir de trois ou quatre, m’occupant fort agréablement et sans ennui de mes jardins et de mes livres, sans oublier les muses, avec lesquelles j’ai toujours quelque petit entretien ; car quand une fois on est frappé de cette agréable folie, on peut s’assurer d’en tenir pour le reste de ses jours, et de mourir, pour ainsi dire, en rimant.

1244. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Quand mes frères donnent le bon exemple aux autres, ce m’est la plus sensible joie du monde, et quand cela n’est pas, j’oublie en ce moment toute parenté pour faire mon devoir, qui est d’entretenir tout en ordre pendant ma vie. […] Pourtant ce n’est pas à nous d’oublier les intentions bienveillantes du prince Henri, de celui duquel Mirabeau écrivait dans sa correspondance de Berlin en 1786 : « Encore une fois, ce prince est, il sera et mourra Français. » — Dans les deux voyages que fera le prince Henri en France, il en recevra assez de remerciements publics et de flatteuses louanges.

1245. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Ils persuadaient au faible duc que tout ce qui se faisait était pour le bien de son pays, et alors tout ce que j’avais dit était oublié. […] Le trône écroulé, le roi arrêté et mis en jugement, lui, prince du sang, il se figurait qu’il allait continuer de vivre à Paris à son aise, dans les plaisirs et en riche citoyen ; et son amie Mme de Buffon, femme gracieuse, qui montra plus tard bien du dévouement, écrivait au duc de Biron (un autre intime), alors à la tête de l’armée du Rhin, une lettre curieuse, incroyable34, où elle lui racontait à sa manière et sur un ton badin, les événements du 10 août, les arrestations qui en étaient la suite, les exécutions qui devaient commencer le lendemain au Carrousel : Au milieu de ces arrestations, disait-elle, Paris est calme pour ceux qui ne tripotent point. — J’oubliais de vous dire que Mme d’Ossun est à l’Abbaye.

1246. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Sainte-Beuve n’est pas homme à oublier cependant, dans la ferveur d’une réaction, que parmi les idées nouvelles il y en avait de très raisonnables. […] D’ailleurs, ne l’oublions pas il avait tant de gens à admirer et à louer d’office, qu’on ne saurait s’étonner s’il se divertit tout d’un coup et semble à la fête quand il peut s’en donner sur un adversaire.

1247. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Perdu sur la montagne, entre deux parois hautes, Il est un lieu sauvage au rêve hospitalier, Qui, dès le premier jour, n’a connu que peu d’hôtes ; Le bruit n’y monte pas de la mer sur les côtes, Ni la rumeur de l’homme : on y peut oublier. […] Il n’a rien oublié, ni le mal ni le bien ; le méchant et le lâche l’a mordu, et il en frémit encore : il souhaite aux autres meilleure chance, plus de fortune, une lutte moins étroite avec la vie.

1248. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

demain, après-demain, tout sera remis en question et à demi oublié par de nouveaux arrivants, par des recrues ignorantes et insolentes qui ne vous ont pas vu, qui ne vous ont pas connu, et qui sont disposées à douter de tous ces grands exploits dont on leur parle et dont ils demandent la preuve actuelle et présente. […] Mme de Staël n’avait pas parlé seule, car elle admettait bien la réplique, mais elle avait tout animé, tout élevé et monté à son propre ton, à son degré d’enthousiasme : une électricité avait fait oublier l’autre.

1249. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Personne mieux que Gœthe ne s’entendait à prendre la mesure des esprits et des génies, de leur élévation et de leur portée ; il savait les étages ; c’est ce que trop de critiques oublient et confondent aujourd’hui. […] Ce qui vous fera plaisir, c’est qu’il croit à l’amour du Tasse et à celui de la princesse ; mais toujours à distance, toujours romanesque et sans ces absurdes propositions d’épouser qu’on trouve chez nous dans un drame récent… » N’oublions pas que la lettre est adressée à Mme Récamier, favorable à tous les beaux cas d’amour et de délicate passion.

1250. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Le second ami, qui est, lui, un pur sceptique, et de ceux qui sous ce nom modeste savent très-bien au fond ce qu’ils pensent, est entré brusquement, m’a abordé d’un air contrarié et presque irrité, comme si j’y étais pour quelque chose, et m’a dit, — vous remarquerez que je n’avais pas encore ouvert la bouche : « Tu me diras tout ce que tu voudras (j’oubliais encore d’ajouter que ce second ami est un camarade de collège et qu’il me tutoie), ce livre est une reculade. […] Au dernier siècle, beaucoup de choses ont été dites qu’on a oubliées depuis.

1251. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

L’auteur promettait pour un troisième volume quantité de pièces plus légères, plus familières, des chants ou des causeries d’autrefois, des épîtres, des odes ; cependant les années s’écoulaient, et le volume promis ne venait pas : je le regrettais, car j’avais eu communication de quelques-unes de ces pièces tout à fait inédites ou parfaitement oubliées, et elles me semblaient très-dignes d’être mises ou remises en lumière. […] Pour le reste il a tardé, ajourné, préparé sans cesse ; il oubliait trop que les choses poétiques ne se mènent point avec lenteur, par acquisition graduelle et progrès continu.

1252. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Cette édition47 où le texte est soigneusement collationné, où l’on donne les variantes, les corrections successives et authentiques, où rien n’est oublié au sujet de chaque pièce, ni les sources et origines, ni les termes de comparaison, ni les morceaux même de polémique qui s’y rapportent ; où l’on insérera des lettres de Corneille jusqu’ici éparses ou restées manuscrites, des pièces de vers publiées çà et là dans des recueils du temps et jusqu’aux plus minces productions du grand poète, promet d’être un modèle en son genre et tout à fait monumentale. […] Un soir, Mme de Motteville, le célèbre auteur de Mémoires, était dans le salon de la duchesse de Bouillon et s’oubliait à rêver, tandis qu’on jouait autour d’elle aux propos interrompus.

1253. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Peu de princes, ne l’oublions pas, ont eu un plus sincère amour de l’humanité, une pensée plus fixe et plus suivie d’améliorer le sort des hommes confiés à leurs soins. […] Je n’ai jamais pu oublier, quand j’ai eu à parler de Joseph II, ce reste de tradition vivante, égarée et comme perdue si loin de sa source, mais vive et directe encore, qu’il m’a été donné de recueillir.

1254. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

D’autres esprits plus précis et plus fermes étaient écoutés : Dumarsais, Duclos, — n’oublions pas un de leurs prédécesseurs, le Père Buffier, un jésuite doué de l’esprit philosophique, — l’abbé Girard, — mais Voltaire, surtout, Voltaire le grand simplificateur, qui allait en tout au plus pressé, et qui, en matière d’orthographe, sut se borner à ne demander qu’une réforme sur un point essentiel, une seule : en la réclamant sans cesse et en prêchant d’exemple, il finit par l’obtenir et par l’imposer. […] » Ce que cet ancien ministre, homme d’esprit, a observé là à l’occasion d’un mot spécial, l’Académie, avec son sens délicat, aura à le faire à l’occasion de bien des mots nouveaux : elle aura à indiquer le point et le temps d’arrêt, le degré d’innovation possible et permis ; mais qu’elle ne l’oublie pas, ce point à déterminer n’est point fixe, ni donné par les livres ou par les anciens vocabulaires : il est mobile, et c’est à l’usage et au goût combinés à le saisir et à l’indiquer.

1255. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

On ne doit pas oublier toutefois quelle légèreté M. de Choiseul apporta dans ces affaires mêmes des colonies, et d’après quel « plan insensé » furent conduites les expéditions aventureuses de la Guyane (1763-1767). […] Mais avec lui les absents bientôt avaient tort : il aima mieux oublier l’Orient, laisser le conquérant lointain courir ses risques, et rester à Paris ministre d’une politique qui était sans doute beaucoup trop révolutionnaire et propagandiste pour qu’il l’acceptât sincèrement, mais à laquelle aussi, à travers les remaniements des petits États, il y avait beaucoup pour lui à gagner, à pêcher, comme on dit, en eau trouble.

1256. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Il explique l’animosité des Jésuites contre lui par un passage du livre des Progrès de la Révolution (1829), et il ajoute après avoir cité ce passage : « On conçoit donc pourquoi leur institut ne nous paraissait pas suffisamment approprié aux besoins d’une époque de lutte entre le pouvoir absolu des princes et la liberté des peuples, dont le triomphe à nos yeux est assuré, » et il oublie que, pour l’accord logique, il faudrait était assuré, ce qui serait inexact en fait, et même entièrement faux, puisqu’en 1829 ce n’était point par ce côté, mais par l’autre bout, qu’il remuait les questions sociales. […] L’opinion et le bruit flatteur, et de nouvelles âmes plus fraîches comme il s’en prend toujours au génie, font beaucoup oublier sans doute et consolent : mais je vous dénonce cet oubli, dût mon cri paraître une plainte !

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