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476. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

Mon point de vue d’ailleurs est restreint, et, sans fuir ce qui me semble à dire en politique, je me bornerai le plus possible à ce qui est de la langue et du goût. […] Mais, ô nuit charmante, o vere beata nox, pour mille jeunes recluses, bernardines, bénédictines, visitandines, quand elles vont être visitées… Voilà Camille qui commence à se révéler avec ses goûts de saturnales, sa république de Cocagne comme il la rêve, cette république qu’il a presque inaugurée, le 12 juillet, en plein Palais-Royal, et qui dans son imagination s’en ressentira toujours. […] Si nous ne considérions aujourd’hui ce journal que comme un témoignage d’un passé éloigné, comme une mazarinade du temps de la Fronde, nous pourrions y relever littérairement des portraits piquants, des caricatures très gaies : toutes les fois que l’auteur sent sa verve se refroidir, il la ravive et se remet en goût en taillant quelque tranche de l’abbé Maury ou de Mirabeau-Tonneau. […] Après cela ne demandez à Camille, dans ces numéros, ni goût ni ton soutenu. […] On se prend à s’écrier en se rejetant en arrière : Ô le style des honnêtes gens, de ceux qui ont tout respecté de ce qui est respectable, qui ont placé dans les sentiments mêmes de l’âme le principe et la mesure du goût !

477. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

La duchesse y fit ses débuts dans cette vie de féerie et de mythologie à laquelle elle prit tant de goût, qu’elle n’en voulut bientôt plus d’autre, et que l’idée lui vint de se mettre en possession de tout le vallon. […] Au point de vue littéraire qui, de près ou de loin, est toujours le nôtre, l’inconvénient de ce train de vie tumultueux était au fond d’être incompatible avec le vrai goût. Le vrai goût discerne, examine ; il a ses temps de repos, et il choisit. […] M. le Duc (de Bourbon), propre frère de la duchesse du Maine, prit dans un temps un très grand goût pour elle ; ces sortes de goûts n’étaient pas rares dans la famille des Condé. […] Malgré ce goût de l’esprit et des gens qui en avaient le plus, on ne saurait dire pourtant que l’influence de la cour de Sceaux ait été profitable aux lettres, ni qu’elle ait rien inspiré.

478. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Cependant elle marquait de bonne heure le goût de l’esprit, du bel et fin esprit, de celui qui sert à la conversation ; son père y excellait : elle raconte comment à Tours, chaque soir, elle aimait à entendre Monsieur l’entretenir de toutes ses aventures passées, « et cela fort agréablement, comme l’homme du monde qui avait le plus de grâce et de facilité naturelle à bien parler ». […] Mademoiselle, dans des lettres adressées à Mme de Motteville en 1660, lui parle de la conversation comme étant, « à votre goût et au mien, dit-elle, le plus grand plaisir de la vie, et presque le seul à mon gré ». […] En attendant elle obéissait sans beaucoup de suite à ses goûts romanesques et grandioses, et, passant de son ancienne aversion pour le prince de Condé à une amitié subite, elle brûlait de se signaler pour la cause commune par quelque service éclatant. […] Pendant les séjours un peu forcés qu’elle fit dans les terres de ses apanages, elle prit goût aux lettres et au bel esprit. […] Ce qui manque à sa vie, à son caractère comme à son esprit, c’est le goût, c’est la grâce, c’est la justesse, ce qui devait précisément marquer la belle époque de Louis XIV.

479. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Il y régnait, depuis quelques années, un goût de l’esprit, du bel esprit littéraire, dans lequel il entrait beaucoup plus de zèle et d’émulation que de discernement et de lumières. […] Mais si quelque chose me prouve que Pellisson, malgré son élégance et sa pureté de diction, ne fut jamais un attique véritable et qu’il ignora toujours les vraies grâces, c’est précisément son goût déclaré pour une telle idole. […] Il y a toute une leçon de goût dans ce seul rapprochement des noms. […] Elle est l’écho fidèle de l’hôtel de Condé en telle matière, comme en matière de goût elle était l’écho de l’hôtel Rambouillet, M.  […] Car n’oublions jamais l’opinion des gens de goût du temps, et des plus délicats, sur ces ouvrages que nous prétendons réhabiliter, et demandons-nous quelquefois s’ils ne souriraient pas de notre excès de sérieux ?

480. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

On allait jusqu’à dire que, le jour de son baptême, et pendant la cérémonie, il avait annoncé par ses cris son caractère irascible, et présagé son goût pour les futurs vacarmes littéraires. […] La Harpe n’eut pas dans le goût la fermeté et la force de sentir cela, ni de se retrancher net ses prétentions contestables, pour se tenir à sa seule et véritable vocation. […] Ami et précurseur d’André Chénier, il sentait tout ce qu’il y avait de faible, d’incomplet et de court dans le goût de La Harpe, lorsque celui-ci prétendait juger des vers. […] Quand La Harpe était à Paris, il ne résistait pas au monde qui le reprenait, et, en homme qui se gouvernait peu lui-même, il se laissait aller à ses goûts, à son faible pour la table, sauf ensuite à se repentir de ses rechutes. […] Nous sommes devenus difficiles et de haut goût ; nous aimons les choses fortes, fortes en couleur, sinon en nature et en sentiment.

481. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Au milieu d’une société étrangère par ses goûts et ses besoins à ces sortes de théories, une vive sympathie dut bientôt réunir et liguer ensemble les jeunes réformateurs : aussi ne manquèrent-ils pas de s’agréger étroitement, et de se constituer envers et contre tous missionnaires et chevaliers de la doctrine commune. […] Cette fois, ils pourraient rencontrer la gloire et mériter la reconnaissance du public : car, il ne faut pas s’y tromper, malgré ses goûts positifs et ses dédains apparents, le public a besoin et surtout avant peu de temps aura besoin de poésie ; rassasié de réalités historiques, il reviendra à l’idéal avec passion ; las de ses excursions éternelles à travers tous les siècles et tous les pays, il aimera à se reposer, quelques instants du moins, pour reprendre haleine, dans la région aujourd’hui délaissée des rêves, et à s’asseoir en voyageur aux fêtes où le conviera l’imagination. […] Hugo je ne sais quel travers d’imagination contre lequel le goût français se soulève.

482. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre I. La poésie »

Il corrige donc les caractères des dieux, des héros, leurs actions brutales, leurs injurieux discours, la prolixité des descriptions, la négligence des redites, tout ce qui choque la morale, la politesse, le goût d’un siècle éclairé. […] Mme Dacier fut scandalisée de ce travestissement : elle fulmina contre La Motte ses Causes de la corruption du goût, cédant à son adversaire l’avantage de la politesse. Il n’avait pas besoin de cela pour mettre de son côté un public dont il exprimait le goût secret.

483. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Quelle ardeur, quel goût du travail elles supposent ! […] la main sur la conscience, cette vie, dont il est devenu à la mode de médire, je l’ai trouvée bonne et digne du goût que les jeunes ont pour elles. […] Allez, allez, ne perdez jamais le goût de la vie.

484. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

Nous laissons donc, sans plus de commentaires, la parole au jeune chef des « naturistes » : La jeunesse contemporaine, à laquelle répugnent si évidemment les institutions de la République, ne se trouve pas mieux satisfaite par tant de chimériques romances, d’allégories et de drames languissants dont Richard Wagner, Tolstoï et Ibsen nous ont peu à peu inspiré le goût, et qui menaçaient de détruire, chez nous, les dernières apparences de l’esprit national. […] En effet, nul doute que les jeunes écrivains eussent tout à fait pris goût à ces jeux de rythme et de sentiment où se complaisaient nos aînés, si les aventures de la mort, de la déroute et de l’émeute n’avaient communiqué une tragique véhémence à nos âmes, élevées dans ces souvenirs. […] Quand les qualités d’ordonnance qui forment la base du caractère français (cela apparaît assez dans notre architecture, la symétrie de nos jardins taillés et les lois de notre équilibre, auxquelles se sont toujours soumis nos grands écrivains classiques) ; quand ces qualités d’ordonnance semblaient tout à fait détruites, au contact de poètes allemands si incohérents dans leur frénésie, Zola en garda le goût, et ses romans en portent l’empreinte.

485. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

Si les mœurs sont corrompues, croyez-vous que le goût puisse rester pur ? […] Tu détruis tout, et le goût et les mœurs ; tu arrêtes la pente la plus douce de la nature. […] … peut-être. ô Cérès, les peintres, les poëtes, les statuaires, les tapisseries, les porcelaines, et ces magots même, goût ridicule, peuvent s’élever d’entre tes épis.

486. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Le goût de Paris s’est trouvé conforme à celui d’Athènes. […] Dans le Génie du christianisme, c’est encore le bon goût, le grand goût, le goût formé à l’aide des anciens — et des plus anciens, si l’on peut ainsi dire, parmi les modernes, — qui demeure juge de l’art. Dans l’Allemagne de Mme de Staël, ce grand goût n’est plus que le goût français, ou le goût latin, qu’elle oppose au goût teutonique. […] Si l’on n’admet pas que le paganisme et le christianisme, le Nord et le Midi, la chevalerie et les institutions grecques et romaines se sont partagé l’empire de la littérature, l’on ne parviendra jamais à juger sous un point de vue philosophique le goût antique et le goût moderne. […] Quand il s’agit de témoins historiques, je conçois des équivalents ; je n’en connais pas en matière de goût.

487. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

Ce n’était pas seulement un homme de goût et d’un tact très-fin, c’était un fort bon écrivain que Vaugelas. […] La pureté est toute du ressort de la grammaire ; la netteté relève déjà du goût, et c’est un commencement, et mieux qu’un commencement de talent. […] Homme de sens, sans supériorité d’ailleurs, il avait tant lu de choses qu’il savait que tout a été dit et pensé, et il en concluait que toute opinion a sa probabilité à certain moment, que la diversité des goûts et des jugements est infinie. […] Aujourd’hui, même après tout ce qui est survenu, même après tant d’invasions qui ont brisé toutes les barrières, on reconnaît encore l’esprit français à quelques-unes des mêmes marques, à ce goût si répandu dans notre pays et qu’on a, soit à la ville, soit parmi le peuple et jusque dans les ateliers, pour la curiosité de la diction, pour les questions de langue bien résolues. […] On peut vérifier et suivre ce goût général d’amusements et de récréations philologiques, ce goût à la Vaugelas, jusque dans ces derniers temps, jusqu’à Charles Nodier si connu et presque populaire à ce titre.

488. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Il faut seulement en faire une mention proportionnée, dans une histoire où la première place, après les ouvrages durables, appartient de droit à ceux qui y ont préparé le goût public. […] Le goût ne pouvait sur ce point devancer les mœurs. […] C’est à la faveur de ces préoccupations du jour ou simplement des idées à la mode, que s’introduisait la réforme littéraire ; et le goût se formait par ce qui d’ordinaire le corrompt. […] Déjà la fureur en était allée si loin, que la fille adoptive de Montaigne, Mlle de Gournay, qui en 1626, et plus tard, en 1634, avait lancé l’anathème contre quiconque oserait, après sa mort, « ajouter, diminuer, ou changer jamais aucune chose, dans les Essais, soit aux mots ou en la substance », en donnait, en 1635, une édition châtiée, pour obéir aux libraires, complaisants intéressés du goût public. […] Balzac avait donné le goût de quelque chose de meilleur que ses écrits ; c‘est la première gloire après celle de contenter ce goût.

489. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

L’« amour de la science » dont il se pique se résolvait ainsi dans un goût passionné pour les objets de la science, dans l’amour des êtres vivants, dans la sympathie universelle. […] Hennequin n’a pas examiné, d’autre part, si le goût littéraire d’un peuple à tel moment de son histoire est toujours l’expression exacte de sa nature à ce moment. […] Nos goûts littéraires eux-mêmes varient sans cesse ; l’un chasse l’autre, et dans la même journée : ce matin George Sand, ce soir Balzac. […] On peut donc en certains cas, de ce qu’une œuvre originale a eu du succès, conclure non qu’elle répondait aux facultés existantes alors dans la masse, mais qu’elle répondait à ses facultés latentes, à ses aspirations et qu’elle a satisfait son goût du nouveau. […] A Paris, l’hétérogénéité sociale atteint un tel degré que personne ne se trouve empêché de manifester son originalité ; et, comme tout artiste est orgueilleux de ses facultés, il n’en est que fort peu, et des plus médiocres, qui consentent à se renier, et à flatter pour un plus prompt succès le goût de telle ou telle section du public. » Aussi, dans un milieu aussi défini socialement que le Paris de la fin du second empire et du commencement la troisième république, les esprits les plus divers ont trouvé place (voir M. 

490. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Honorons-la surtout de ce qu’elle fit alors, pour le goût et les arts ! […] Peut-être ici le goût du poëte fut heureusement aidé par la crainte de blesser un despotisme jaloux ; nulle vaine pompe n’a surchargé l’éloge du héros. […] Laissons à la religion ses mystères, à la poésie son délire ; et ne nous plaignons pas qu’au seizième siècle le génie de la Renaissance ait épargné cet alliage à la raison et au goût. […] De là ces erreurs de goût, cette fausse poésie et ces faux jugements d’un siècle, parfois si puissant par le naturel et la vigueur qu’il portait dans la philosophie, la critique savante, la controverse, l’histoire. […] Ainsi, de ce poëte laborieux enseveli sous un in-folio, il a survécu, par le choix du goût, quelques vers charmants, de même que le temps et le hasard avaient sauvé quelques parcelles de la couronne d’or de Simonide ou d’Alcée.

491. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Angellier, Auguste (1848-1911) »

Auguste Angellier vient de publier sous ce titre : À l’Amie perdue, et avec cette jolie épigraphe latine, dans le goût ancien : Amissæ Amicæ . […] Il faudrait avoir le goût très blasé par les grosses nourritures pour n’y pas reconnaître d’abord quelque chose de délicat, de subtil et de rare, dont la ténuité si frêle et si pénétrante résiste à l’oubli.

492. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre premier. La question de fait et la question de goût » pp. 30-31

La question de fait et la question de goût Supposons que nous ayons dressé comme il convient, la liste des différentes périodes, qui sont comme les étapes de notre itinéraire à travers le passé. […] Cela revient à dire qu’en présence d’une œuvre littéraire se posent toujours deux questions : une question de fait, sur laquelle l’accord peut s’opérer ; une question de goût, sujet d’interminables discussions.

493. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 179-182

Un homme dépourvu de génie & de goût, s’exercera instructueusement dans un genre de Poésie quelconque, lors même qu’il observera avec le plus d’exactitude toutes les regles dont ce genre est susceptible. […] Le choix du sujet, par exemple, la contexture du plan, l’art de préparer les incidens, de nouer & de dénouer l’intrigue, la nécessité de soutenir l’action, la disposition des actes, la coupe & la liaison des scènes, & cent autres particularités sur lesquelles les Anciens ne sont entrés dans presque aucun détail, sont présentés chez lui avec une clarté de principes & une sûreté de goût, qui le mettent bien au dessus de tous ceux qui se sont exercés à écrire sur la Théorie & la Pratique du Théatre.

494. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 465-468

Le Parnasse réformé, & la Guerre des Auteurs, qui en est la suite, eurent beaucoup de succès dans leur nouveauté, & seroient encore aujourd’hui des Ouvrages piquans, si la plaisanterie & l’ironie qui y dominent étoient d’un meilleur goût. […] Malgré le goût du Siecle pour les choses frivoles, on a accueilli, avec autant d’admiration que de reconnoissance, le savant Ouvrage qu’il a publié sous le titre d’Histoire véritable des temps fabuleux, dans lequel il nous apprend que tout ce qu’Hérodote, Manéthon, Eratosthène & Diodore de Sicile racontent de l’Egypte & des Egyptiens, n’est qu’une imitation défigurée & pleine d’erreurs des endroits de l’Ecriture-Sainte, qui concernent cette nation & la contrée qu’elle habitoit.

495. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 100-103

On sait qu’il ne s’est point assujetti à rendre scrupuleusement son modele ; qu’il l’a réformé, changé, imité, selon les divers effors de sa Muse & les inspirations de son goût ; & l’on peut dire que son travail est d’autant plus propre à lui faire honneur, que les morceaux où il s’est le plus écarté de l’original, ne sont pas les moins estimables de son Poëme. […] Il faut cependant convenir qu’il mérite, à plusieurs égards, l’estime des gens de goût.

496. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 489-492

Seroit-ce par le goût qui regne dans ses Poésies ? […] Il est vrai qu’il a fait quelques Contes dont les enfans s’amusent, & qu’on peut lire encore dans un âge avancé, pour affoiblir un moment d’ennui ; mais un homme qui fait tomber un aune de boudin par la cheminée, qui occupe le grand Jupiter à attacher ce boudin au nez d’une Héroïne, n’a pas prétendu travailler pour les Gens de goût, encore moins se destiner par-là à figurer parmi les Coopérateurs du grand chef-d’œuvre de l’esprit humain.

497. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 162-165

Son autre Poëme sur le Génie, le Goût & l'Esprit, fait connoître qu'il ne possede aucune de ces trois qualités qu'il a voulu célébrer. […] Il est vrai qu'une Histoire dans le goût des nouvelles Annales de Toulouse n'eût certainement pas obtenu à son Auteur, de la part des Archontes, des Lettres de Citoyen, & le titre d'Homme de génie.

498. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VI. Architecture. — Hôtel des Invalides. »

Nos temples, moins petits que ceux d’Athènes, et moins gigantesques que ceux de Memphis, se tiennent dans ce sage milieu où règnent le beau et le goût par excellence. […] Mais quel goût dans cette simplicité !

499. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

et comme, en fin de compte, toutes contradictions vidées, on se trouvait avoir plus gagné, plus appris qu’on ne l’eût jamais fait en s’en tenant au procédé négatif, répulsif et commodément paresseux de l’ancienne école, dite l’école du goût ! […] Il n’est que le plus gracieux et le plus parfait des menus trouvères de son temps, dans le goût à la mode. Tout à côté, un autre prince poète, le bon roi René, nous présente, dans l’exubérance et l’anachronisme déjà sensible de certains de ses goûts, une espèce de caricature amusante et toute débonnaire du moyen âge finissant. […] C’est bien de François Ier, de l’avènement du jeune roi vainqueur à Marignan, que date chez nous la vraie Renaissance, cette espèce d’aurore soudaine qui se leva sur les esprits et les intelligences, sur le goût public. […] Le bel esprit et le faux goût des salons régnants avaient dès longtemps corrompu cette veine unique et si heureuse, quand le règne de Louis XIV s’inaugura.

500. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Le mathématicien d’Alembert publie de petits traités sur l’élocution ; le naturaliste Buffon prononce un discours sur le style ; le légiste Montesquieu compose un essai sur le goût ; le psychologue Condillac écrit un volume sur l’art d’écrire  En ceci consiste leur plus grande gloire ; la philosophie leur doit son entrée dans le monde. […] L’esprit est un gourmet ; servons-lui des plats savoureux, délicats, accommodés à son goût ; il mangera d’autant plus que la sensualité aiguisera l’appétit. […] Il est d’autant plus vif que, cette fois, la disposition passagère est d’accord avec l’instinct héréditaire, et que le goût de l’époque vient fortifier le goût national. […] Quel débouché pour les facultés comprimées, pour la riche et large source qui coule toujours au fond de l’homme et à qui ce joli monde ne laisse pas d’issue   Une femme de la cour a vu près d’elle l’amour tel qu’on le pratique alors, simple goût, parfois simple passe-temps, pure galanterie, dont la politesse exquise recouvre mal la faiblesse, la froideur et parfois la méchanceté, bref des aventures, des amusements et des personnages comme en décrit Crébillon fils. […] Mon père causait avec Mme de Puisieux sur la facilité de composer les ouvrages libres ; il prétendait qu’il ne s’agissait que de trouver une idée plaisante, cheville de tout le reste, où le libertinage de l’esprit remplacerait le goût.

501. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Sainte-Beuve, qui rendent notre pensée beaucoup plus éloquemment que nous ne pourrions le faire : « On vit, chose inouïe jusque-là, une littérature moderne appliquer le goût le plus exquis à ses plus nobles chefs-d’œuvre ; la raison prévenir, assister le génie, et, comme une mère vigilante, lui enseigner l’élévation et la chasteté des sentiments, la grâce et la mélodie du langage. […] Racine et Corneille ont exploité magnifiquement ces trois antiquités, en les arrangeant, sans les dénaturer, selon le goût de leur siècle ; car les poètes dramatiques (et c’est ce qui nuit beaucoup à la durée de leurs ouvrages) ne peuvent pas toujours pousser très loin la fidélité des mœurs et la vérité du langage ; ils sont obligés, pour être entendus et goûtés, de prendre, dans leur style et dans leurs caractères, une moyenne proportionnelle entre le siècle qu’ils mettent sur la scène et le siècle dans lequel ils vivent. […] Villemain sur ce créateur de la tragédie moderne, et qu’ils voient comment le goût le plus pur se prosterne devant le génie. […] Convenons aussi que nos grands tragiques, tout en gémissant, ont trop souvent sacrifié au goût de leur siècle, la peinture sévère de l’antique qu’ils imitaient. […] Chênedollé, mais que les beaux et grands vers du Génie de l’homme sont restés dans la mémoire des gens de goût ; enfin, nous dirons avec tout Paris, qu’on ne fait pas des vers plus colorés, ni plus fortement trempés que ceux de MM. 

502. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Vous savez que le héron dédaigne tous les poissons qu’il pourrait prendre parce que c’est un être dédaigneux, susceptible, je l’ai appelé « neurasthénique » dans une conférence précédente, et il montre un goût dédaigneux Comme le rat du bon Horace. […] C’est être d’un goût bien raffiné et bien difficile de reprocher à un homme d’être trivial et familier dans un genre aussi familier que la fable. […] Seulement Muralt est frappé sans doute des conseils de bonne résignation, de bonne médiocrité, de prudence, de sagesse, répandus dans La Fontaine et de là, sans doute, son goût pour lui. […] Il est un classique supérieur et voilà tout ; car ma définition du classique est celle-ci : le classique est un homme qui a des qualités de romantique, car il lui faut de l’imagination, de la sensibilité ; qui a des qualités de réaliste, qui a l’observation du réel avec passion, avec une fidélité passionnée — et qui, avec cela, a du goût. […] Le défaut de la réalité, si le réel peut avoir un défaut, le défaut de la réalité, c’est de ne pas se présenter par grandes masses, au gré de notre goût et de notre esprit, c’est de se présenter toujours d’une façon fragmentaire, toujours dans un détail minutieux et qui paraît dispersé et dissipé.

503. (1886) Le naturalisme

Le classicisme dominait alors, dans les sphères officielles, comme dans le goût et l’opinion de la foule, ainsi que le prouve l’anecdote du mouchoir. […] C’est grand dommage qu’obéissant au goût de son époque, il les ait semés de passages licencieux absolument inutiles. […] Leur succès est peut-être dû à la curiosité et au goût dépravé du public, qui préfère certains sujets, et cherche dans le roman la satisfaction de certains appétits. […] Quand Zola pèche contre le goût je puis fort bien dire, pour ma part, que je n’y trouve nul plaisir. […] Voilà comment mon illustre ami Alarcon, sans être encore un vieillard, peut se vanter d’avoir captivé deux générations de goûts bien différents.

504. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

Le goût de notre époque, qui s’est reporté sur les vieux papiers et qui a mis l’inédit en honneur, favorisait cette idée, qui, toute de curiosité pour nous, est une idée de piété chez ceux qui l’ont conçue. […] … Elle est fille d’une mère qui a été fort persécutée des tyrans, qui l’ont voulu étouffer dans le sang de ses martyrs, et encore des hérétiques, qui ont fait mille efforts à ce qu’elle ne mît point ce béni enfant au monde ; mais enfin elle s’est couronnée de lys aussi bien que de roses, portant en son sein des vierges et des martyrs… Cette excellente épouse n’a jamais été maltraitée de son mari, qui au contraire est mort pour elle… Et elle continue sur ce ton, multipliant, épuisant les images, les allusions emblématiques, s’y jouant plus que de raison, oubliant un peu le goût, mais faisant ses preuves en fait de grâce : je prends le mot dans le double sens, dans le sien et dans le nôtre. […] Mais elle est plus dans le sens de sa propre nature et de son goût, lorsqu’à l’occasion du miracle ou prétendu miracle de la Sainte-Épine, dont Port-Royal était si glorieux, elle engage la même Mlle Pascal, devenue la sœur Euphémie, à le célébrer en vers : et elle fut grondée pour avoir pris sur elle de lui donner ce conseil à demi littéraire et profane. […] Faugère et les inconnus qu’il représente, que ces deux volumes devront s’ajouter désormais à la trentaine de volumes originaux et historiques qu’il suffit à l’homme de goût et au curieux raisonnable d’avoir dans sa bibliothèque, s’il veut connaître son Port-Roval très honnêtement et par le bon côté, par le côté moral, sans entrer dans la polémique et la théologie : c’était à peu près le chiffre auquel M. 

505. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

On sent, en lisant ces paroles unies et en s’approchant de près du personnage, combien il y avait peu, dans la religion toute réelle et pratique de ce temps-là, de cette poésie que nous y avons mise après coup pour accommoder l’idée à notre goût d’aujourd’hui et pour nous reprendre à la croyance par l’imagination. […] J’y trouve assez de goût pour croire que je ne m’ennuierai point de la vie que je fais… » Mais, après cette sorte d’étape et ce premier temps de repos, Rancé se relève et se met en marche pour une pénitence infatigable et presque impitoyable, à l’envisager humainement : « Je vous assure, Monsieur, écrit-il à l’abbé Favier (24 janvier 1670), que depuis que l’on veut être entièrement à Dieu et dans la séparation des hommes, la vie n’est plus bonne que pour être détruite ; et nous ne devons nous considérer que tanquam oves occisionis. » A côté de ces austères et presque sanglantes paroles, on ne peut qu’être d’autant plus sensible aux témoignages constants de cette affection toujours grave, toujours réservée, mais de plus en plus profonde avec les années, qu’il accorde au digne vieillard, son ancien maître ; les jours où, au lieu de lui dire Monsieur, il s’échappe jusqu’au très-cher Monsieur, ce sont les jours d’effusion et d’attendrissement. […] Dès que Rancé fut informé de son dessein, il lui écrivit pour le prier de passer la brosse sur tout ce qui le concernait ; cette lettre du 17 juillet est d’une humiliation de ton, d’un abaissement d’images qui sent plus l’habitué du cloître que l’homme de goût : non content de s’y comparer à un animal ( sicut jumentum factus sum ), Rancé trouve que c’est encore un trop beau rôle pour lui dans le paysage, et il descend l’échelle en ne voulant s’arrêter absolument qu’à l’insecte et à l’araignée. […] Quand on a du goût comme M. 

506. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Le nom d’Aristarque, le maître en ce genre de sagacité grammaticale, est passé en circulation à l’état de type, et signifie l’oracle même du goût. […] Lors même que la décadence du goût est déjà avancée, quand Tacite (ou tout autre) écrivait ce Dialogue des orateurs, où toutes les opinions, même celles des romantiques du temps, sont représentées, l’agrément et la raillerie ne nuisaient pas au sérieux ; aucun système n’est sacrifié dans cet excellent dialogue, et chaque côté de la question est défendu tour à tour avec les meilleures raisons et les plus valables. […] Et sur celui-ci, sur sa candeur et sa modestie de juge, sur la droiture de sa méthode littéraire, et sur Fénelon et sur Voltaire, à ne les prendre tous deux que comme simples critiques et gens de goût, que ne dirait-on pas ? […] Il a des commencements de chapitres, parfaits de ton, de tenue, de sévérité, d’une haute critique ; puis il descend ou plutôt il s’élance, il saute à des points de vue tout opposés. « Mais ce n’est point ma faute à moi, dira le critique ; je n’invente pas mon sujet, je suis obligé d’en descendre la pente, et de suivre les modernes dans ces recoins du cœur humain où ils se jettent, après que les sentiments simples sont épuisés. » — Pardon, répondrai-je encore ; votre ingénieuse critique, en faisant cela, n’obéit pas seulement à une nécessité, elle se livre à un goût et à un plaisir ; elle s’accommode à merveille de ces recoins qu’elle démasque, et dont elle nous fait sentir, en se jouant, le creux et le faux.

507. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

La Fontaine tire un parti ingénieux du ton qu’il vient de prêter au bœuf, c’est de le faire appeler déclamateur par l’homme qui lui reproche de chercher de grands mots : tout cela est d’un goût exquis. […] Les meilleures fables sont celles où les animaux sont peints dans leur naturel, avec les goûts et les habitudes qui naissent de leur organisation. […] La naïveté de son caractère, la simplicité de son âme, son goût pour la retraite le mettent vite à la place de ceux qui forment des vœux pour le séjour de la campagne, pour la médiocrité, pour la solitude. […] Ce perroquet qui crève les yeux au fils du roi ; ce roi qui va pérorer le perroquet perché sur le haut d’un pin ; cela n’est pas d’un goût bien exquis.

508. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Pour nous, à mesure que nous lisions les pages les plus heureuses de l’auteur genevois, il nous semblait retrouver, au sortir d’une vie étouffée, quelque chose de l’air vif et frais des montagnes ; une douce et saine saveur nous revenait au goût, en jouissant des fruits d’un talent naturel que n’ont atteint ni l’industrie ni la vanité. […] Cet excellent père, éclairé par l’expérience, et qui avait conquis lui-même son instruction, la voulut ménager à son fils de bonne heure, et pour cela il eut à lutter contre les goûts presque exclusifs d’artiste que dénotait le jeune enfant. […] Le grand prêtre de l’art, qui ne dédaignait rien d’humain, y prit goût et voulut voir les autres : tous les cahiers à la file se mirent en route pour Weimar, Goëthe en dit un mot dans un numéro du journal Kunst und Alterthum. […] Ce goût d’enfance pour la langue d’Amyot, que Rousseau, si travaillé pourtant, avait aussi, rendit plus tard M. […] dans cette vie, y aurait-il lieu vraiment à la moindre rouille pour l’esprit, pour le goût ?

509. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lebrun, Pierre (1785-1873) »

Il est bien, en effet, un poète de transition et de l’époque intermédiaire, en ce sens qu’il unit en lui plus d’un ton de l’ancienne école et déjà de la nouvelle ; mais, ce que je prétends, c’est que ce n’est nullement par un procédé d’imitation ou par un goût de fusion qu’il nous offre de tels produits de son talent, car il est, il a été poète, sincèrement poète, de son cru et pour son propre compte ; il en porte la marque, le signe, au cœur et au front : il a la verve. […] Pour mesurer le vide de cette poésie officielle, le faux goût de ces oripeaux mythologiques du Style Empire, qu’on aille méditer cette chute d’une strophe du temps, en face du bas-relief de l’Arc-de-Triomphe où Napoléon est si lourdement couronné : Et qui pourra prêter, pour tracer ton histoire, Une plume à Clio ?

510. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

En second lieu, il s’est expliqué si souvent lui-même en faveur de la bonne & vraie Comédie, contre celle à laquelle il a sacrifié, qu’un jugement si désintéressé n’est propre qu’à lui procurer une double gloire, l’une d’avoir fait les deux meilleures Pieces d’un genre qu’il condamne lui-même, l’autre de savoir rendre hommage aux regles & au goût. […] On peut même penser que c’est pour rendre hommage au goût & réparer ses propres écarts, qu’il s’est occupé à rajeunir plusieurs Pieces de notre ancienne & vraie Comédie.

511. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Brenet » p. 257

On dirait avec Le Clerc De Montmercy, qui ne veut devoir l’aisance à personne : un grabat dans un grenier sous les tuiles, une cruche d’eau, un morceau de pain dur et moisi et des livres… et l’on suivrait la pente de son goût. […] Je rencontre sur mon chemin une femme belle comme un ange ; je veux coucher avec elle, j’y couche ; j’en ai quatre enfants, et me voilà forcé d’abandonner les mathématiques que j’aimais, Homère et Virgile que je portais toujours dans ma poche, le théâtre pour lequel j’avais du goût ; trop heureux d’entreprendre l’ encyclopédie à laquelle j’aurai sacrifié vingt-cinq ans de ma vie.

512. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Il n’y avait pas un goût, pourvu qu’il fût franc, qui n’y trouvât la chose qu’il aimait le mieux, et en perfection. […] Je sais des juges instruits et de goût qui n’admettent pas la restriction. […] C’était un homme d’esprit et de goût. […] Mais qu’il soit ou non de mon goût, l’esprit de mot est et sera toujours en faveur dans notre pays. […] Il est vrai que les mêmes mains battent aux deux ; Beaumarchais n’en a que plus de succès : il a pour lui le goût et la mode.

513. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Toujours un changement de la décoration intérieure et du mobilier accompagne et trahit un changement dans les goûts littéraires. […] Le goût du confort et du luxe amène d’aimables métamorphoses. […] Les révolutions du mobilier continuent jusqu’à nos jours à s’associer à celles du goût littéraire. […] § 5. — De même qu’il est utile à l’historien de chercher le goût d’une époque dans les objets dont l’homme aime à s’entourer, de même il lui importe de connaître les types de femmes qui ont été tour à tour à la mode. […] En toute époque, il y a une enquête semblable à faire ; et, bien menée, elle peut jeter quelque lumière sur les plus délicates variations du goût littéraire.

514. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Son enfance précoce annonça ce qu’il serait : il s’est décrit lui-même dans des pièces de vers selon le goût du temps, imitées, dans la forme, du Roman de la Rose, allégoriques, et plus faciles et abondantes qu’originales. […] Voilà bien Froissart : reprenons un à un ses goûts. […] N’est-ce pas lui qui dans son poème de Psyché, dans cet hymne à la Volupté, c’est-à-dire à la Plaisance, comme dirait Froissart, nous a confessé ses goûts divers : J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique, La ville et la campagne, enfin tout : il n’est rien         Qui ne me soit souverain bien, Jusqu’aux sombres plaisirs d’un cœur mélancolique. […] Le charmant poète Gray qui, dans sa solitude mélancolique de Cambridge, étudiait tant de choses avec originalité et avec goût, écrivait à un ami en 1760 : Froissart (quoique je n’y aie plongé que çà et là par endroits) est un de mes livres favoris : il me semble étrange que des gens qui achèteraient au poids de l’or une douzaine de portraits originaux de cette époque pour orner une galerie, ne jettent jamais les yeux sur tant de tableaux mouvants de la vie, des actions, des mœurs et des pensées de leurs ancêtres, peints sur place avec de simples mais fortes couleurs. […] Cette sorte de preuve, n’en déplaise au savant investigateur, est bien périlleuse, bien décevante, prête bien à l’illusion, et peut tromper même des gens de goût. — Froissart, en poésie, n’a pas de style, il n’a qu’un genre qui est celui de son temps, le genre en vogue à cette date ; et ce genre, qui nous dit que d’autres à côté de lui ne le cultivaient pas avec autant de facilité ?

515. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Ce qui eût été besogne et corvée pour d’autres, n’en était pas une pour lui : il s’y mettait avec bienveillance, facilité et goût. […] Et il cite à quelques pages de la lettre du général Bonaparte à Villetard, dans laquelle il est dit des bavards et des fous, à qui il n’en coûte rien de rêver la république universelle : « Je voudrais que ces messieurs vinssent faire une campagne d’hiver. » Traversant avec Bonpland les forêts de l’Amérique centrale et rencontrant dans une mission écartée un curé théologien qui se mit à les entretenir avec enthousiasme du libre arbitre, de la prédestination, et de ces questions abstruses chères à certains philosophes, Alexandre de Humboldt, en sa relation, ajoute : « Lorsqu’on a traversé les forêts dans la saison des pluies, on se sent peu de goût pour ce genre de spéculations. » Faire une campagne d’hiver, ou traverser les forêts vierges dans la saison des pluies, double recette pour se guérir ou de la fausse politique ou de la vaine métaphysique ; c’est la même pensée de bon sens rendue sous une image différente, et je me suis plu souvent à rapprocher les deux mots. […] Lui, il était surtout favorable aux productions sérieuses, et il croyait voir que le goût du public et des lecteurs s’y portait de plus en plus103. […] Je m’y suis adonné de bonne heure, plutôt par goût que par prévoyance. […] Enfin, les revers, les chagrins sont venus ; peu de vies en sont exemptes : j’ai dû alors au goût et à l’habitude du travail les seuls remèdes que l’on puisse opposer soit au vide de l’âme qui suit souvent la perte du pouvoir, soit aux épreuves qui vous frappent dans la vie de ceux que l’on aime.

516. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

La Motte est sceptique ; c’est un esprit froid, fin, sagace, qui pratique la maxime de Fontenelle et se défendrait de l’enthousiasme s’il pouvait en être susceptible ; il n’a rien à faire de son loisir et de son esprit qu’à l’appliquer indifféremment à toutes sortes de sujets auxquels il s’amuse : « Hors quelques vérités, pense-t-il, dont l’évidence frappe également tous les hommes, tout le reste a diverses faces qu’un homme d’esprit sait exposer comme il lui plaît ; et il peut toujours montrer les choses d’un côté favorable au jugement qu’il veut qu’on en porte. » Il se flatte que la dispute présente est du nombre de celles qui se prêtent à plus d’une solution ; il affecte de la considérer comme plus frivole qu’elle n’est, qu’elle ne peut le paraître à ceux en qui la raison se rejoint au sentiment et qui mettent de leur âme dans ces choses de goût. […] Elle publia, avant la fin de cette même année 1714, son livre intitulé Des causes de la corruption du goût, une des productions solides de l’ancienne critique française, et où il y a plus d’esprit qu’on ne pense : La douleur, dit-elle en commençant, de voir ce poète si indignement traité, m’a fait résoudre à le défendre, quoique cette sorte d’ouvrage soit très opposée à mon humeur, car je suis très paresseuse et très pacifique, et le seul nom de guerre me fait peur ; mais le moyen de voir dans un si pitoyable état ce qu’on aime et de ne pas courir à son secours ! […] Elle se moque d’une de ces critiques qui porte à la fois sur la conduite d’Hélénus, d’Hector et de Diomède, qu’Homère donne pour sages et qui, au moment même, se seraient emportés comme des imprudents : « Voilà un beau coup de filet pour M. de La Motte, dit-elle assez gaiement, d’avoir pris en faute trois héros d’Homère tout à la fois. » Quand elle en vient au travestissement en vers qu’il a donné de l’Iliade, elle en fait ressortir tout le chétif et l’indignité ; elle montre très bien, par exemple, que les obsèques d’Hector, exposé sur un lit dans la cour du palais, avec l’entourage lugubre des chanteurs et les gémissements de tout un peuple de femmes qui y répondent, sont devenues chez M. de La Motte quelque chose de sec et de convenu : « On croit voir, dit-elle, un enterrement à sa paroisse. » Mais ces traits d’esprit, que Mme Dacier oppose à ceux de l’adversaire, se mêlent trop d’images, de comparaisons et de citations qui juraient avec le goût moderne. […] « On eût dit, remarque Voltaire, que l’ouvrage de M. de La Motte était d’une femme d’esprit, et celui de Mme Dacier d’un homme savant… La Motte traduisit fort mal l’Iliade, mais il l’attaqua fort bien. » La Motte avait orné sa défense de toutes sortes de jolis mots et de maximes de bonne compagnie : Une douce dispute est l’âme de la conversation. — La diversité de sentiment est l’âme de la vie, et l’assaisonnement même de l’amitié. — Quand tout s’est dit de part et d’autre, la raison fait insensiblement son effet ; le goût se perfectionne, et il s’affermit alors, parce qu’il est fondé en principe. — Il faut que les disputes des gens de lettres ressemblent à ces conversations animées, où, après des avis différents et soutenus de part et d’autre avec toute la vivacité qui en fait le charme, on se sépare en s’embrassant, et souvent plus amis que si l’on avait été froidement d’accord. […] La jeunesse du temps fut pour lui presque à l’unanimité : Les jeunes gens, s’écriait Mme Dacier dès les premières pages de son livre sur la Corruption du goût, sont ce qu’il y a de plus sacré dans les États, ils en sont la base et le fondement ; ce sont eux qui doivent nous succéder et composer après nous un nouveau peuple.

517. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Les jugements de goût sont depuis longtemps épuisés, et ils ne seront pas surpassés. […] Le goût, dans sa délicatesse et ses promptitudes de fatigue, peut gémir que tant d’appareil critique, grammatical, philologique, etc., soit devenu nécessaire, et qu’il faille dresser toute cette immensité d’échafaudage pour quatre ou cinq chefs-d’œuvre, les seuls qu’on relise et qui vivront ; mais la science ne fait point de ces partages, dès qu’elle prend les choses en main ; elle établit sa méthode et ne souffre pas de choix ni d’exception. […] Est-il un homme de goût, de rapide lecture, un Voltaire tout le premier, est-il un correcteur d’imprimerie attentif, qui laisse passer cela ; qui ne se dise aussitôt : « Dans le trône n’est pas possible, c’est sur le trône qu’il fallait mettre ? […] Lessing en particulier, dans ses rigueurs et sa vivacité de polémique contre Corneille, visait avant toute chose à purger la scène allemande des imitations françaises qui l’avaient envahie : il faisait acte, en s’insurgeant, de nationalité à la fois et de goût. […] Saint-René Taillandier et qui a failli, quand il le traduisait, lui faire tomber la plume des mains, Schiller ne dit guère rien de plus d’ailleurs que ce qu’avait déjà écrit Vauvenargues : le jeune sage, dans la franche ingénuité de son goût naturel, refusait presque tout à Corneille ; mais un tel arrêt mûri et réfléchi, et venant d’un rival et d’un frère d’armes, compte davantage et tombe de plus haut.

518. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

II Mais (et c’est ce qui, suivant les goûts, nous gâte M.  […] C’est un rhétoricien révolté contre les lois et la morale et contre la modestie du goût classique, mais classique lui-même, et jusqu’aux moelles, dans son insurrection. […] tant de goût pour la gueuserie, tant de férocité dans l’irrévérence, cela n’est pas naturel. […] Richepin sans parti pris, vous sentirez certainement, à l’origine de toutes ses inspirations, un très sincère et violent instinct de libre vie animale et de révolte contre tout, qui a sa grandeur ; mais le malheur est que la rhétorique s’en mêle ensuite, et, très visiblement, le goût de la virtuosité pour elle-même, et aussi le désir puéril d’épouvanter les philistins. […] On ne peut s’empêcher de sourire, après cela, des grands airs qu’il prend dans sa préface. « Je doute que beaucoup de gens aient le courage de suivre, anneau par anneau, la chaîne logique de ces poèmes, pour arriver aux implacables conclusions qui en sont la fin nécessaire. » Et dans l’impayable post-scriptum à Bouchor, où il pardonne noblement à son ami d’avoir repris subrepticement goût au mauvais vin de l’idéal, des illusions spiritualistes, de la foi en l’éternelle justice : « Je ne chercherai désormais qu’en moi-même mes templa serena.

519. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Chacun sait combien il a fallu d’étapes au goût français pour s’élever peu à peu, à partir de Rousseau, de la forêt et de la prairie plus gracieuses encore que grandioses, jusqu’aux âpres et tragiques splendeurs des hautes régions alpestres. […] Mais ce n’est pas assez de constater les rapports du milieu physique et de la littérature qui peuvent être considérés comme de simples indices des goûts d’une époque ; il faut pousser plus avant et tâcher de mettre en lumière les phénomènes physiques qui peuvent être regardés comme des causes véritables de phénomènes littéraires. […] Le goût des voyages est alors né presque partout à la fois, et une foule d’œuvres ont surgi pour satisfaire ce goût, qui était chez nos grands-pères une rareté. […] Elle en a répandu le goût en éveillant les imaginations, en faisant briller devant, elles le mirage de l’inconnu.

520. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Il y avait aussi ceux qu’on appelait les vivants : Jean Richepin, solide rhétoriqueur, doué de tant de verve et de goût, Théocrite des gueux, Don César de Bazan des bohèmes, dépenaillé d’or et de pourpre. […] Il dit, il répète : « Tout s’en va, il n’y a rien, plus de style, plus de goût, plus de France, plus de tradition. » Le novateur dit : « Mais la tradition c’est moi qui la maintiens, je vais essayer de le prouver. » Alors les esprits ouverts et conciliants, les témoins bienveillants, les sages qui ont du goût pour le passé et quelque tendresse vis-à-vis de l’avenir disent aux novateurs : « On a eu tort vis-à-vis de vous, on vous méconnaît ! […] Sans admettre que le vers devienne un verset complet, et là le goût et l’oreille sont suffisants pour avertir le poète, on peut grouper en un seul vers trois ou quatre éléments ayant intérêt à ce que leur jaillissement soit resserré. […] Sous l’appel de l’émotion, les leitmotiv peuvent être précipités, ainsi on peut rimer en fin de vers et de la même rime une strophe ou diluer les rappels de sonorités à intervalles lointains dans le corps du poème, selon le sens et le goût, surtout d’après le sens (les rappels pour le sens sont nécessaires), mais aussi en arabesque, selon les timbres, les consonances, les allitérations, au gré du poète, à distance du machinalisme et de l’écholalie.

521. (1887) Essais sur l’école romantique

Il n’y a plus qu’à mettre une majuscule à Sentiment et à Goût. […] J’ai crié par les rues l’opinion formidable de tous les gens de goût et de tous les gens de bien, de tous les pères et de toutes les mères de famille. […] De goût, de sens critique, il n’y en a pas plus que de raison ; outre que M.  […] C’est le fruit d’une double imitation ; mais c’est un fruit d’un goût relevé et savoureux. […] — la lyre ne nourrit pas le poète, et ce n’est pas seulement par goût que M. 

522. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Charles V, un des plus sages et par conséquent des plus grands princes qui aient jamais régné, quoique moins célébré dans l’histoire qu’une foule de rois qui n’ont été qu’heureux ou puissants, fit quelques efforts pour ranimer dans ses États le goût des sciences. […] La noblesse française, toute portée qu’elle est à prendre aveuglément ses rois pour modèles, ne montra pas pour les lettres le même goût que François Ier. […] Car il en est de l’esprit et du goût comme de la philosophie, rien n’est plus rare que d’en avoir, plus impossible que d’en acquérir, et plus commun que de s’en croire beaucoup. […] Du moins l’honneur qu’ils nous font de venir chercher en France nos goûts, nos airs, et jusqu’à nos préjugés, est une sorte d’éloge tacite et involontaire, dont la vanité française doit s’accommoder mieux que d’aucun autre. […] Son goût pour les sciences et pour les beaux-arts, est d’autant plus éclairé, d’autant plus vrai, et d’autant plus louable, qu’il ne prend rien sur des soins plus importants, et qu’il sait être roi avant toute autre chose.

523. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Et quand on pense que Diderot, dont se recommandent les réalistes, blâmait même Rubens de manquer de goût en s’en tenant à la race flamande trop plantureuse et trop massive, suivant lui. […] Diderot dans ses critiques sur l’art qui s’appliquent également aux lettres, fait à chaque page appel au goût, et il comprend ce terme dans son acception la plus haute le goût, c’est-à-dire le sentiment élevé de l’ordonnance des choses, assignant à chacune d’elles la place qui lui revient suivant sa valeur esthétique, intellectuelle ou morale. « Il ne suffit pas d’avoir du talent, dit-il, il faut y joindre le goût ; le talent imite la nature, le goût en inspire le choix ; le technique s’acquiert à la longue, l’idéal ne vient point, il faut l’apporter en naissant. » « Qu’est-ce donc que le goût ? […] Pour que l’ouvrier se garde de ces habitudes abrutissantes et meurtrières, il suffit qu’il ait de bons sentiments et le goût du travail. […] Émile Zola a, en outre, des procédés de style d’un goût plus que douteux.

524. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

L’étude de l’antiquité n’était pas pour lui une simple recherche de curiosité ; il demandait aux anciens des exemples et des leçons, des exemples de l’association intime du bien faire et du bien dire, des leçons de goût, de mesure, d’honnêteté, données avec l’autorité du génie. […] Son goût littéraire n’était pas l’admiration banale qui s’arrête au beau langage ; c’était un salutaire commerce avec un monde plus pur que le nôtre, un sentiment filial pour ces vieux sages dont nous faisons à bon droit les précepteurs et les consolateurs de notre vie.

525. (1912) L’art de lire « Avant-propos »

Fiches relatives à l’invention, aux idées nouvelles ; fiches relatives à la disposition, au plan, à la manière dont l’auteur conduit ses idées ou conduit son récit, ou mêle ses idées à son récit ; fiches sur le style, sur la langue ; fiches de discussion enfin, c’est-à-dire sur les idées de l’auteur comparées aux vôtres, sur son goût comparé à celui que vous avez, sur ses idées encore et son goût comparés à ceux de notre génération ou à ceux de la génération dont il était, etc.

526. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Un cas de pédanterie. (Se rapporte à l’article Vaugelas, page 394). »

Le critique, un docteur Joulin, que ses amis appellent un homme d’esprit, me dénonçait pour ce discours comme faisant honte à l’Académie française, comme ne sachant pas un mot de français, sinon à la réflexion et à tête reposée, comme ne pouvant écrire couramment deux lignes sans pataquès ; et il notait dans ce seul discours jusqu’à cinquante-trois fautes de langue et de goût. […] Dans tous les cas, je suis de ceux qui, placés entre une légère faute grammaticale qui disparaît dans le débit, et une faute de goût qui, au contraire, choquerait tout le monde, se laisseraient plutôt aller à la première ; et quittassions eût été une faute de goût, une parole choquante.

527. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Par le goût littéraire, le xviiie  siècle est, ou se croit classique, continue, ou croit continuer le xviie siècle. […] L’originalité de B. de Saint-Pierre Ceux qui se figurent Bernardin de Saint-Pierre595 d’après ses oeuvres, se le représentent comme un suave bonhomme, au sourire angélique, à l’œil humide, les mains toujours ouvertes pour bénir : c’était un nerveux, inquiet, chagrin, pétri de fierté et d’amour-propre, ambitieux, aventureux, toujours mécontent du présent, et toujours ravi dans l’avenir qui le dégoûtait en se réalisant, un solliciteur aigre, que le bienfait n’a jamais satisfait, mais a souvent humilié, un égoïste sentimental, qui aimait la nature, les oiseaux, les fleurs, et qui a sacrifié à ses aises, à ses goûts, les vies entières des deux honnêtes et douces femmes qu’il épousa successivement : il accepta ces dévouements béatement, sereinement, comme choses dues, sans un mouvement de reconnaissance, sans même les apercevoir. […] Avec une philosophie moins niaise, il représenterait moins bien un moment décisif de l’évolution du goût en France.

528. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Dans la seconde moitié du siècle dernier renaissent en France des goûts qu’on n’y connaissait plus ; on s’y éprend à la fois des voyages, de l’agriculture, des idylles, des jardins anglais, des romans champêtres, des sites sauvages qualifiés de « romantiques », des tableaux représentant la vie du village : choses d’ordre différent, mais qui se ressemblent et qu’on peut réunir sous une seule formule en disant : la France revient à la nature extérieure. […] Il ne trouve pas à cette variation du goût de causes physiques ou physiologiques. […] Il songe à cette tyrannique nécessité de changement, à cette alternance régulière qui emporte les nations d’un extrême à l’autre ; il comprend que la France et l’Europe ont repris goût à la verdure des bois et des prairies et aux charmes de la solitude, précisément parce qu’elles étaient lasses et dégoûtées de spectacles et de plaisirs contraires ; il trouve enfin dans cette réaction violente contre les prédilections du siècle précédent un cas particulier de cette grande loi du rythme qui semble être une des lois de la vie universelle.

529. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Balzac, et le père Goulu, général des feuillans. » pp. 184-196

On doit le compter sans doute parmi le petit nombre des écrivains originaux, quoique son genre soit bien insupportable à tout homme de goût & de bon sens. […] Le stile épistolaire est l’opposé de ce goût, & néanmoins ce fut dans ce genre qu’il s’acquit tant de réputation ; ce furent ses lettres qui le firent appeller le seul homme éloquent de son siècle. […] Il ne manque à cet écrivain d’une imagination élevée, d’un stile énergique, harmonieux, pittoresque & correct, que d’être né trente ans plus tard, & d’avoir pris le goût des grands écrivains du siècle de Louis XIV.

530. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Son genre de vie & son goût pour les belles-lettres le déterminèrent à renoncer à son bénéfice, & à venir fixer son séjour dans la capitale. […] Mais toutes les satisfactions qu’il imagina pour s’acquitter envers l’auteur du Temple du goût & de la tragédie de la Mort de César, n’appaisèrent point l’offensé, peut-être trop sensible. […] Quoique Sémiramis, Rome sauvée, l’Orphelin de la Chine, Tancrède, l’Essai sur l’Histoire générale, le Siècle de Louis XIV & la Pucelle, poëme dans le goût de l’Arioste pour l’invention & pour la singularité, n’eussent point encore paru du vivant de l’abbé Desfontaines, il avoit cependant assez vu de productions de ce génie brillant & fécond, pour avoir remarqué qu’il étoit aussi créateur.

531. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

Castillon : deux auteurs qui savent rendre justice au mérite, & qui écrivent avec soin & avec goût. […] Une obligation qu’on lui a, c’est d’avoir poursuivi sans relâche le phœbus, le clinquant, le goût des pointes & du néologisme. […] Chaque lecteur doit se décider suivant son goût, ou plûtôt suivant le parti qu’il a pris.

532. (1762) Réflexions sur l’ode

Avec une oreille sensible et sonore, un choix heureux d’expressions, que le goût seul peut donner, et surtout des idées et de l’âme, on sera poète lyrique ; c’est bien assez de conditions, sans y ajouter encore la tyrannie de quelques lois arbitraires. […] Je suis bien éloigné, en hasardant ce parallèle, de prétendre affaiblir la juste admiration qu’on doit à ce poète, celui de tous les anciens qui a réuni au plus haut degré le plus de sortes d’esprit et de mérite, l’élévation et la finesse, le sentiment et la gaieté, la chaleur et l’agrément, la philosophie et le goût. […] Le premier est de prétendre surpasser les anciens en apercevant leurs fautes : il y a loin du goût qui analyse avec justesse, au génie qui produit avec chaleur ; le plus grand tort de La Motte n’est pas d’avoir critiqué l’Iliade, c’est d’en avoir fait une.

533. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Les dernieres armes des apologistes des anciens, c’est la différence du goût des tems. Ils reprochent toujours aux critiques, et quelquefois avec raison, l’injustice qu’ils ont de vouloir ramener tout au goût de leur siecle : mais souvent aussi, c’est un pur abus que ce reproche. Qu’un homme ose blâmer Homere de ses répétitions, croira-t’on lui fermer la bouche, en disant que c’étoit le goût du tems ? […] Il y a au contraire des lecteurs dégoûtés, qui trop pleins de nos usages, et de nos goûts, ne sçauroient se transporter à des tems si différens des nôtres. […] Si le goût se corrompoit ; la langue sortiroit bientôt de cet esclavage qu’on lui reproche, mais qui dans l’avenir lui méritera peut-être la préférence sur les autres.

534. (1925) Portraits et souvenirs

Cet imaginatif avait, à certains moments, le goût de la réalité. […] Chez lui, le talent du littérateur s’alliait au goût du lettré. […] C’était une femme de la plus rare intelligence, du goût le plus éclairé. […] Notre goût est mauvais juge. […] J’aime ce goût.

535. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 424-428

Aussi ne faut-il pas être surpris que le Public, dont le Compilateur bénévole a voulu pressentir le goût, n’ait pas désiré de lui voir augmenter sa Collection. […] A-t-il pu ignorer que ceux de Périclès, d’Auguste, de Léon X, & de Louis XIV, seront toujours, par excellence, les Siecles du goût & de la raison ?

536. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 94-98

Même solidité de principes, même justesse d'observations, même sûreté de goût. […] Elevés , dit-il, dans les principes séveres du goût & de la vérité, nous ne nous en écarterons jamais ; & la seule estime dont nous soyons jaloux est celle des honnêtes gens.

537. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104

Ce qui a paru de lui dans le Public, se réduit à des Odes au dessous du médiocre, à une Satire sur le Goût, dont les principes sont assez judicieux, & la versification heureuse par intervalles ; à un Poëme intitulé Mon Odyssée, qu'on croiroit avoir été fait pour des Lecteurs tudesques, tant le style en est dur & baroque, tant les rimes en sont bizarres : qu'on ajoute à cela la pauvreté du sujet, & l'on aura l'idée du plus pitoyable Ouvrage qui ait été fait depuis d'Assoucy jusqu'à nous, puisque le Héros de ce Poëme est M. […] Robé n'a-t-il pas bonne grace de nous accuser de poltronnerie & de lâcheté, lorsque le courage avec lequel nous avons défendu les principes du Goût, de la Morale, & de la Religion, contre une Secte d'autant plus dangereuse qu'elle est plus puissante, a fait l'étonnement de quiconque connoît les intrigues & le fanatisme persécuteur de la plupart de ceux qui la composent ?

538. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième cours d’études. Une classe de perspective et de dessin. » pp. 495-496

Le dessin est d’une utilité si générale, il provoque si naturellement la naissance de la peinture et de la sculpture, et il est si nécessaire pour juger avec goût des productions de ces deux arts, que je ne suis point étonné que le gouvernement en ait fait une partie de l’éducation publique ; mais point de dessin sans perspective. […] Plus les édifices publics sont durables, plus longtemps ils attestent le bon ou le mauvais goût d’une nation, plus il convient que ceux qui président à cette partie de l’administration aient le goût sûr et grand.

539. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Ce goût ainsi que l’étude des poètes, l’avaient porté à la mélancolie. […] Il se prend d’un goût précoce pour la solitude. […] Que de goûts semblables ! […] Ce jeune homme a toujours eu le goût de la vie solitaire. […] Là, le goût de la science l’emporte en lui sur le goût de la poésie.

540. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Quelle conclusion hâtive de voyageur, tirée de ce fait que le dessin de Greco est précipité, et qu’il eut du goût pour les ébauches ! […] Lemaître, qui est, paraît-il, un lecteur admirable, a le goût trop délicat pour lire des pages qui soient d’apparence écrite. […] Pareillement la critique de goût, la critique créatrice commencent où l’érudition finit. […] Le goût culinaire sert de métaphore fidèle et utile au goût littéraire ; entre les grands vins et les belles pages, le délicat sait établir bien des correspondances, qu’une psychologie du goût ne saurait négliger : mens expers in corpore experto. […] C’est par goût des situations nettes.

541. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gregh, Fernand (1873-1960) »

Gregh que sur des pensers des plus nouveaux il a fait des vers antiques, ce pédantisme de collège ne laisserait pas de marquer avec justesse son attitude et son goût. […] Il a plus de goût que de force, et plus de souplesse que de souffle.

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