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988. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Mon corps est sain ; dompté par le travail, il est moins rebelle à l’âme. […] Je crus voir d’abord ma petite fille que j’ai perdue ; elle lui ressemble beaucoup : si vous ne me croyez pas, demandez à Guillaume, le médecin de Ravenne, et à notre Donat, qui l’ont vue ; ils vous diront que c’est le même visage, le même rire, la même gaieté dans les yeux ; que, pour le geste, la démarche, et même la forme du corps, on ne peut rien voir qui se ressemble davantage, si ce n’est que ma fille était un peu plus grande que la vôtre et un peu plus âgée. […] L’affaiblissement de son corps n’avait nullement atteint son âme ; il vivait du souvenir de Laure ; ce souvenir semblait se rajeunir dans son âme à mesure que sa vieillesse l’éloignait du temps de son grand amour. […] La langue dans laquelle ces vers s’épanchent ne semble avoir été composée ni pour les hommes, ni pour les esprits délivrés de leurs corps ; mais c’est une langue entre ciel et terre, entendue également en haut et en bas, qui a de la terre la passion et la douleur, qui a du ciel l’espérance et la sérénité.

989. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Pourtant, sachez-le bien, si, à quelques défauts près, qui ne sont que des taches sur un beau corps, mon naturel est vertueux, mes inclinations droites, mon âme innocente et pure (qu’on me passe pour cette fois les louanges que je me donne) ; si avec raison on ne peut rien me reprocher de bas, rien de sordide, rien de honteux ; si enfin je suis cher à mes amis, c’est à mon excellent père que je le dois. […] Aussi, dès qu’il eut terminé ses études à Athènes et qu’il y eut appris par les lettres de Cicéron à son fils le meurtre de César et la renaissance de la liberté, Horace s’enflamma d’ardeur pour cette renaissance de la république, et il s’attacha corps et âme à la cause de Brutus. […] Ce grade donnait droit au commandement d’une légion, corps de six mille hommes de toutes armes. […] Pendant que Brutus se plongeait son épée dans le corps, Horace jeta la sienne, ainsi que son bouclier, pour s’éloigner plus légèrement du champ de carnage ; le poète Alcée, son modèle, en avait fait autant dans une circonstance semblable.

990. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

La grande Mademoiselle a pour logis un galetas sans fenêtres et elle gîte par terre, sur un matelas, avec sa petite sœur qui voit la « bête » et hurle de peur ; l’altière princesse n’a pour tout linge de corps que deux chemises qu’elle est réduite à faire blanchir tour à tour. […] Il soufflette un M. de Rieux qui lui rend son soufflet, et l’on est obligé de les tenir à bras le corps pour les empêcher de se ruer l’un sur l’autre. […] Il est pris entre les deux battants d’une porte, le corps d’un côté, la tête de l’autre. […] Paris, que Henri III appelait déjà « tête trop grosse pour le corps », a pris une telle prépondérance qu’il a imposé sa langue, son goût, ses modes au reste du pays.

991. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Ceci vous deviendra plus évident l’année prochaine, quand je prendrai devant vous corps à corps les poètes, les philosophes, les orateurs, les écrivains français depuis l’origine des lettres chez nous, et que je les comparerai, en les analysant, aux maîtres des autres littératures de l’Europe moderne. […] Voulez-vous voir le chef-d’œuvre, dépouillez la statue ; cela est aussi vrai de l’esprit que du corps. […] Oui, la robe ne transforme pas les difformités du corps.

992. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Si dans un individu il y a disette d’inertie et surabondance d’énergie, l’être est saisi de violence comme par le milieu du corps et jetté par une force innée sous la ligne ou sous l’un des pôles : c’est Anquetil qui s’en va jusqu’au fond de l’Indoustan, étudier la langue sacrée du brame ; voilà le cerf qu’il eût poursuivi jusqu’à extinction de chaleur, s’il fût resté dans l’état de nature. […] Le détail dans une description produit à peu près le même effet que la trituration ; un corps remplit dix fois, cent fois moins d’espace ou de volume en masse qu’en molécules ; M. de Réaumur ne s’en est pas douté, mais faites-vous lire quelques pages de son traité des insectes, et vous y démêlerez le même ridicule qu’à mes descriptions. […] On est dans l’ombre, on voit tout ombre autour de soi, puis l’œil rencontrant la pyramide lumineuse où il discerne une infinité de corpuscules agités en tourbillons, la traverse, rentre dans l’ombre et retrouve des corps ombrés. […] L’intéressant, j’ai presque dit le merveilleux, c’est que le corps lumineux étant supposé au-delà de la toile, dans une direction tout à fait oblique à l’arcade, cette arcade ne laisse passer dans l’intérieur de la ruine, qu’un rideau mince de clarté ; c’est que ce rideau est comme tendu entre des ténèbres qui lui sont antérieures et des ténèbres qui lui sont postérieures.

993. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

En pleine beauté de corps et de génie, il mourut du delirium tremens dans la rue, — ce n’est pas assez dire : dans le ruisseau, — couché là, abattu, loin de Dieu et damné, croyait-il ; — car il le croyait ! […] un corps vivant encore, mais que la Mort avait déjà marqué de sa royale estampille. Sur ce corps, dont on ignorait le nom, on ne trouva ni papiers ni argent, et on le porta dans un hôpital. […] Je n’ai pas le cœur de les citer, mais un seul, qui donnera une idée des autres, c’est que la femme de Poe, qu’il avait épousée par amour et qu’il avait adorée toute sa vie avec une impeccable fidélité, mourut devant lui, sur une planche, roulée dans les haillons d’un vieux châle, et littéralement sans chemise, n’ayant pour réchauffer son agonie que le corps de son chat, qu’elle s’était mis sur la poitrine.

994. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

L’Institut est un corps de l’État : les pensées, les opinions de chacun de ses membres sont diverses et libres ; mais chaque président, chaque secrétaire perpétuel, portant la parole dans les séances publiques au nom de la compagnie qu’il représente, ne parle plus en son nom propre, et s’il lui arrive de froisser à dessein les opinions et les vues paisibles de beaucoup de ses collègues, il est dans le cas d’être redressé par l’un d’eux. […] Il avait une langue pure, facile et pleine, une perception vive et pénétrante de la nature, un tour d’imagination assez romanesque, et un sentiment exquis de critique littéraire : il aurait pu se porter sur plus d’un sujet qui eût du corps, s’y reposer du moins et s’y refaire dans les intervalles de ses soliloques psychologiques trop prolongés.

995. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Wattebled, député au Corps législatif, M.  […] Randouin, préfet de l’Oise, en novembre 1852, ne dit rien sur cette circonstance qui, dans tous les cas, a dû être dissimulée ; on n’y voit rien non plus qui la contredise absolument ni qui l’exclue : L’an mil sept cent soixante-trois, le vendredi vingt-cinq du mois de novembre, dit l’Extrait mortuaire, a été trouvé au lieu dit la Croix de Courteuil, sur le territoire de cette paroisse, expirant et frappé d’un coup de sang, le corps de Dom Antoine-François Prévost, âgé de soixante-trois ans (il faut lire soixante-six), aumônier de S. 

996. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Il a couru après d’une course précipitée, sautant les montagnes, c’est-à-dire les ordres des anges, il a couru comme un géant à grands pas et démesurés, passant en un moment du ciel en la terre… Là il a atteint cette fugitive nature ; il l’a saisie, il l’a appréhendée au corps et en l’âme. […] … Ici encore il me semble que Bossuet jeune excède un peu ; et de même que, dans la première partie, il avait été jusqu’à parler, à propos du Dieu fait homme, des qualités du sang et de la température du corps, il va insister dans cette seconde partie sur les horreurs de la famine et les détails infects de la contagion.

997. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

À leur sommet on respire si librement, la circulation est si facile, tous les organes transmettent si vivement à l’âme les impressions des sens, que tout est plaisir, que le travail le plus opiniâtre devient facile, et qu’on supporte les incommodités du corps avec courage et même avec gaieté. […] Revenant ailleurs sur cette idée d’une transformation qu’éprouvent à de certaines hauteurs les organes du corps et les facultés de l’esprit, il fait appel à tous ceux qui en ont, un jour ou l’autre, ressenti les effets dans l’ascension vers les hauts lieux : Quelque merveilleux que soit ce que j’avance, je ne manquerai point de garants, et je ne trouverai d’incrédules que dans le nombre de ceux qui ne se sont jamais élevés au-dessus de la plaine.

998. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

C’était donc le chef le plus désigné et le plus qualifié pour conduire l’Université sans imprudence et sans faiblesse, pour manier les corps savants et traiter pertinemment avec eux, pour répandre dans le pays, à tous les degrés, le goût de l’instruction saine, des études et des recherches ; et c’est ce qu’il fit en partie pendant quelques bonnes et fécondes années. […] Bertin de Vaux, notamment, ce sage épicurien, témoignait alors, dans l’intimité, qu’il ne croyait guère à la stabilité et à la durée de l’édifice qui portait sur une base sociale aussi restreinte, sur un corps électoral aussi trié que le voulait M. 

999. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

Anselme Petetin avait trouvé dans l’Imprimerie Impériale un corps d’élite qui sait ce que c’est que le dévouement, qui l’a montré notamment à de certains jours, et qui est accoutumé aussi à rencontrer chez ses directeurs des chefs faits pour l’apprécier et pour le conduire. […] « C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez point où vous trouverez de quoi manger pour le soutien de votre vie, ni d’où vous aurez des vêtements, pour couvrir votre corps… « Considérez les oiseaux du ciel : ils ne sèment point, ils ne moissonnent point, et ils n’amassent rien dans des greniers ; mais votre Père céleste les nourrit : n’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux ?

1000. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Les hommes influents, les Corps dont la réforme opérée diminuait radicalement, — ou plutôt momentanément, comme je le crois, — l’autorité et l’influence, ont parlé haut et se sont récriés : la jeunesse, qui ne demande jamais mieux que de remuer et de s’agiter, ne fût-ce que pour le mouvement seul, s’est partagée en deux camps, fort inégaux, il est vrai. […] La forme n’est pour lui qu’un vêtement dont il couvre ses constructions, sans se préoccuper si ce vêtement est en harmonie parfaite avec le corps, et si toutes ses parties sont la déduction d’un principe.

1001. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Ils étaient là, de père en fils, laborieux, instruits, secrets, sachant l’échiquier, alors si compliqué, des États de l’Europe, le personnel des Cours, le droit public et les traités, le mécanisme et l’organisme du Corps germanique et de l’Empire, les prétentions et les casus belli de tout genre, tous les mystères et les arcanes des chancelleries ; on leur demandait des mémoires sur les questions les plus ardues ; ils les rédigeaient aussitôt, du jour au lendemain, avec exactitude, clarté, sans qu’on eût même l’idée d’y rattacher leur nom. […] Si, par un hasard qui n’en était pas un et qui devait assez souvent se produire, quelque pièce dont ils étaient les premiers auteurs et rédacteurs sortait au jour, si quelque combinaison dont ils avaient suggéré le plan prenait corps et vie et devenait manifeste, ils se gardaient bien de dire : Elle est de moi, ou même de le penser seulement.

1002. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

La jeunesse est sujette à prendre au pied de la lettre tout ce qui s’écrit ; et, ce qui doit donner à penser à ceux qui écrivent, elle met ses actions, sa personne et sa vie au bout des phrases ; elle s’embarque, corps et âme, sur la foi des paroles. […] On lit dans son Journal à cette date : « Le poëte sans fortune est le plus malheureux des hommes : la courtisane ne livre que son corps, libre de garder au fond du cœur les sentiments qui lui restent ; l’autre, au contraire, doit, pour vivre, livrer ses soupirs, ses émotions, les pensées qui lui sont chères, et jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son âme, et cela à un public libre de noircir le tout de la plus injurieuse critique ou du mépris le plus insultant. » — C’est le Journal d’où sont tirées ces paroles si senties, qu’il serait curieux de connaître : on nous le doit.

1003. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Voici que pour la première fois l’éloquence politique semble se constituer chez nous, par la coïncidence heureuse du retour à l’antiquité, qui offre les grands modèles, et d’un demi-siècle de discordes, qui, affaiblissant le pouvoir central, ouvrent aux divers corps de l’État la liberté de la parole218. […] Le corps de la satire est formé par la copieuse et bouffonne description des Etats de la Ligue.

1004. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Elle fait ce que nulle n’avait osé faire avant elle : elle joue avec tout son corps. […] Sur ce corps élastique et grêle, sur cette fausse maigreur qui est au théâtre un élément de beauté, car par elle les attitudes se dessinent avec plus de netteté et de décision, la toilette contemporaine, insensiblement transformée, prend une souplesse qu’on ne lui voit pas chez les autres femmes, et comme une grâce et une dignité de costume historique.

1005. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Il y a quelques années, un Russe de distinction, le prince Alexandre Labanoff, s’est mis à rechercher avec un zèle incomparable, dans les archives, dans les collections et les bibliothèques de l’Europe, toutes les pièces émanant de Marie Stuart, les plus importantes comme les moindres de ses lettres, pour les réunir et en faire un corps d’histoire, et à la fois un reliquaire authentique, ne doutant pas que l’intérêt, un intérêt sérieux et tendre, ne jaillît plus puissant du sein de la vérité même. […] et déjà blanchie avant l’âge ; quand on l’entend, dans la plus longue et la plus remarquable de ses lettres à Élisabeth (8 novembre 1582), lui redire pour la vingtième fois : « Votre prison, sans aucun droit et juste fondement, a jà détruit mon corps, duquel vous aurez bientôt la fin s’il y continue guère davantage, et n’auront mes ennemis beaucoup de temps pour assouvir leur cruauté sur moi : il ne me reste que l’âme, laquelle il n’est en votre puissance de captiver » ; quand on a entendu ce mélange de fierté et de plainte, la pitié pour elle l’emporte, le cœur a parlé ; ce doux charme dont elle était douée, et qui agissait sur tous ceux qui l’approchaient, reprend le dessus et opère sur nous à distance.

1006. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Certes ils n’ont rien de mécanique, de fait sur un plan, de prévu et de logique, les esprits que le romancier russe a logés dans le corps émacié de Raskolnikoff ou dans la grosse enveloppe du mari de la Krotkaïa. […] Les criminels, les débauchés, les filles séduites et les filles souillées, les petites méchantes gens, toute la saleté et les pustules du corps social, sont oints et pansés de ses maigres mains ; avec de simples paroles de compassion, ils sont consolés et attendris par l’articulation de leur sourd et gros murmure.

1007. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

On peut trouver que cette expérience n’a pas été d’abord très-heureuse, car il n’est pas aussi facile d’expérimenter sur les sociétés vivantes que sur les corps bruts. […] Quant à Galilée, est-il bien certain qu’il ait eu lui-même l’idée claire de la révolution scientifique qu’il accomplissait, et n’attachait-il pas beaucoup plus d’importance à la démonstration géométrique de la rotation de la terre qu’à ses expériences sur la chute des corps ?

1008. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

De là, par exemple, cette représentation tout imaginative de l’âme, qui nous la montre dans le corps « comme un pilote dans son navire », selon l’expression d’Aristote, et en dehors de Dieu comme un homme est en dehors de sa maison, — de là cette idée de substance suivant laquelle l’âme serait une espèce de bloc solide, revêtu de ses attributs comme un homme de son manteau. […] Entre la substance abstraite de l’âme et la substance abstraite du corps, ils ne voient aucune différence, et ils ont raison ; mais l’esprit est tout autre chose, et c’est ce qu’ils n’aperçoivent pas.

1009. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

C’est la force motrice de la machine qui, semblable à celle qui retient les corps célestes dans leurs orbes et les entraîne, agit en raison inverse de la distance. […] C’est que le corps de l’homme, sa poitrine, ses bras, ses épaules, c’est que les pieds, les mains, la gorge d’une femme sont plus beaux que toute la richesse des étoffes dont on les couvrirait.

1010. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Je ne veux pas mutiler l’homme ; je ne veux rien trancher dans ce que Dieu a fait en l’entremêlant de corps et d’âme avec un art, si c’en est un, si prodigieusement consommé. […] il a plus d’esprit à son petit doigt que Flaubert dans tout son grand corps de Suisse robuste.

1011. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

On voit, dans ses œuvres, des parties naissantes, et à demi animées, d’un corps qui se forme, et qui se fait, mais qui n’a gardé d’être achevé. […] La maladie minait son corps, son cœur était las, et sa raison, qu’il avait impérieuse, le tyrannisait en lui faisant voir à découvert toutes les choses. […] Les poètes ses amis portèrent son corps sur leurs épaules jusqu’à l’église des Vieux-Augustins où il fut enterré près du Chœur. […] Madeleine des Roches semblait la sœur aînée de sa fille Catherine, qui était son portrait vivant pour les avantages du corps et de l’esprit. […] Les cheveux envolés autour de sa large face, son corps robuste couvert d’une sorte de houppelande fourrée, le bon dramaturge regarde dans l’infini.

1012. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

Il est aussi difficile de circonscrire dans un corps vivant une émotion morale, esthétique ou autre, que d’y circonscrire de la chaleur ou de l’électricité ; les phénomènes intellectuels ou physiques sont essentiellement expansifs ou contagieux.

1013. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Panurge » pp. 222-228

Les plaisirs physiques, que nos corps supportent plus mal et moins longtemps, nous abandonnent, et d’ailleurs ne nous suffiraient pas.

1014. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

Les hommes qui se consacrent au culte des Muses se laissent plus vite submerger à la douleur que les esprits vulgaires : un génie puissant use bientôt le corps qui le renferme : les grandes âmes, comme les grands fleuves, sont sujettes à dévaster leurs rivages.

1015. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 25, des personnages et des actions allegoriques, par rapport à la poësie » pp. 213-220

Les personnages allegoriques parfaits sont ceux que la poësie créé entierement, ausquels elle donne un corps et une ame, et qu’elle rend capables de toutes les actions et de tous les sentimens des hommes.

1016. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Au cours de cette nuit qui mérite de demeurer comme une cime dans l’histoire religieuse de l’humanité, l’âme déploya ses ailes au-dessus du corps sacrifié.

1017. (1922) Gustave Flaubert

Il a eu des passions de tête et de corps, pour la femme très femme, aux larges hanches et à la poitrine maternelle. […] corps, esprit, tendresse ? […] L’œuvre de la journée finie, ce grand corps sédentaire a besoin de réaction physique. […] Mais après avoir été, par son corps, le mâle vainqueur, Léon devient, par son âme, au contraire de Rodolphe, le mâle dominé. […] Ce style a pour corps la force intelligente, condensée et comme épigrammatique de Voltaire et de Montesquieu, et pour âme un souffle oratoire discipliné à la Chateaubriand.

1018. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Ce sont les débris d’un corps vivant qui semblent s’appeler, se rechercher, mais qui, dans le fait, restent isolés et sans vie. […] La loi morale, corps de notions, objet composé, qui se combine d’une part avec le sentiment, de l’autre avec les choses extérieures, est par là même altérable, et a beaucoup souffert depuis la chute de l’homme. […] Positive, écrite, inviolable, la loi prend un corps ; elle n’est plus cette loi intérieure, affaiblie, devenue vague, à laquelle l’homme n’échappait que trop facilement. […] Elles n’étaient que l’image de la réalité dont le corps est en Christ ; le sacrifice de Christ les a donc abolies. […] Aujourd’hui, la société, quels que soient ses défauts, forme un corps organisé, souple, dispos, où les articulations transmettent les mouvements de l’une à l’autre extrémité.

1019. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Une dette énorme pesait sur moi ; elle ne m’était point personnelle : quand on se dévoue corps et bien pour son pays, on brûle ses vaisseaux, on prend de l’argent partout où les braves gens vous en offrent. […] Il fallut oublier les mystiques tendresses, Et les sonnets d’amour dits à l’écho des bois ; Il fallut, m’arrachant à mes douces tristesses,        Corps à corps combattre les rois. […] Elle m’aimait pourtant… ; et ma mère aussi m’aime, Et ma mère à son tour mourra ; bientôt moi-même                  Dans le jaune linceul Je l’ensevelirai ; je clouerai sous la lame Ce corps flétri, mais cher, ce reste de mon âme ;                  Alors je serai seul ; Seul, sans mère, sans sœur, sans frère et sans épouse ; Car qui voudrait m’aimer, et quelle main jalouse                  S’unirait à ma main ? […] « Si votre ami est beau, bien fait, amoureux des avantages de sa personne, ne négligez pas trop la vôtre ; gardez-vous qu’une maladie ne vous défigure, qu’une affliction prolongée ne vous détourne des soins du corps ; car cette sorte d’amitié, qui vit de parfums, est dédaigneuse, volage, et se dégoûte aisément.

1020. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

C’est pourquoi, d’après le grand agronome Marshall, les cornes sont d’une haute valeur pour classer les races bovines, parce qu’elles sont moins variables que la forme ou la couleur du corps, etc., tandis que chez les Moutons les cornes n’ont pas la même utilité, parce qu’elles sont moins constantes. […] Ainsi les ressemblances dans la forme du corps, et dans la disposition des membres antérieurs en nageoires qu’on observe entre le Dugong, qui est un Pachyderme, et la Baleine, ou entre ces deux mammifères et les poissons, sont purement analogiques. […] Ainsi la forme du corps et les membres en nageoires sont des caractères purement analogiques dans la comparaison d’une Baleine et d’un poisson, parce qu’ils résultent dans les deux classes d’une même adaptation qui leur permet également la natation ; mais la forme du corps et les membres en forme de nageoires prouvent de véritables affinités entre les divers membres de la famille des Baleines ; car ces différents Cétacés se ressemblent par tant de caractères de petite ou de grande importance, qu’on ne saurait douter qu’ils n’aient hérité leur forme générale et la structure de leurs membres d’un commun ancêtre. […] Chez les articulés nous voyons le corps divisé en une série de segments d’où partent également des prolongements extérieurs.

1021. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Le corps ? […] Son beau corps n’est qu’une infirmité ! […] Vous vous êtes donnés à moi corps et âme. […] Une brassée de lauriers couvre son corps. […] Blessé lui-même, il doit abandonner le corps qui n’a pu être retrouvé.

1022. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

l’homme moral d’à présent est dédaigné parce que son corps n’a pas une guenille rouge ? […] L’infinie variété de l’homme moral se traduit par des aspects où la géométrie a moins de part, aspects irréguliers du corps et du vêtement. […] Ne faut-il pas étudier anatomiquement et partie par partie tout corps organisé pour formuler sa physiologie ? […] Un jeune dandy parisien à qui le malheur donne quelques jours de sensibilité qui, forcé de lutter corps à corps contre la fortune et d’adopter des mœurs californiennes, s’y pétrifie, y devient un égoïste dur et basé, oublie Eugénie et perd à son insu les trésors de sa chaste tendresse et les dix-sept millions du père Grandet. […] Nous verrons donc nos amis arriver au Corps législatif.

1023. (1902) Le critique mort jeune

» crie Delrio sur le corps de sa demi-sœur. […] Le reste de son corps paraît à demi sous le voile liquide ; l’eau dégoutte de sa blonde chevelure. […] On connaît des personnes qui ne peuvent pas plus endurer la lecture de Michelet qu’un passage d’effluves électriques à travers leur corps. […] Sa robe de satin faisait de beaux plis sur son corps et retombait sur la pointe d’une mule verte. […] Non moins occupé d’ailleurs de l’équilibre des âmes que du libre jeu des corps, M. 

1024. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

Ne crains pas pourtant que sa flamme Lui donne d’injustes transports : Nous avons les peines de l’âme Sans avoir les plaisirs du corps.

1025. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Leur haine se tourna naturellement sur ces jeunes chefs, au profit desquels on déshéritait leurs services ; il y eut division dans chaque corps : et cependant la nation commençait de lutter avec la cour, celle-ci se couvrait de l’armée, à laquelle d’autre part on rappelait son origine citoyenne.

1026. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Jeûner, aller ou pèlerinage ou à la croisade, donner de l’argent ou frapper de l’épée pour le service de Dieu, fonder des messes ou des couvents, tout ce que le corps peut souffrir ou la main faire, on le souffre ou on le fait : mais la profonde philosophie, la pure moralité du christianisme, ne sont pas à la portée de ces natures ignorantes et brutales.

1027. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Elles signifient que l’École est un corps si sacré et d’une si prodigieuse excellence qu’il faut, pour y entrer, souffrir des épreuves longues et compliquées, — comme pour être admis dans la maçonnerie aux temps héroïques de la Comtesse de Rudolstadt, alors que cette Compagnie de Jésus à rebours n’était pas encore tombée dans le décri.

1028. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

. — Séparés de corps, comédie en un acte (1873). — Théophile Gautier, entretiens, souvenirs et correspondances (1879). — Le Nom, comédie en cinq actes (1883)

1029. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemercier, Népomucène Louis (1771-1840) »

Le Portugal délivré de ses oppresseurs avec tant de courage et d’activité ; une révolution durable et complètement faite en quelques heures ; une seule victime, Vasconcellos ; la multitude agissante, et soudain le calme rendu à cette multitude redevenue corps de nation : tout cela ne paraissait guère susceptible de ridicule.

1030. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

De corps, oui sans doute ; et pourtant, même sur ce point, j’aurais beaucoup à dire.

1031. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Ses chapitres font autant de petits corps de lumiere, qui, réunis ensemble, forment un Tout, dont l’effet est d’éclairer & de diriger l’esprit du Lecteur sur les objets qu’il doit appercevoir & sentir.

1032. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

Ces âmes ne reprendront point leurs corps au jour de la résurrection ; elles les traîneront dans l’affreuse forêt pour les suspendre aux branches des arbres, auxquelles elles sont attachées.

1033. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

quand on est loin de corps, mais non pas de cœur.

1034. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

« Tout d’un coup, au plus fort du tumulte, s’avance hors de sa loge le grand corps de Voltaire, qui, gesticulant de sa canne vers les spectateurs, leur crie de sa plus tonnante voix : “Magnifiques et très honorés seigneurs ! […] Paris était déjà cet absorbant immense, cet énorme cerveau d’un corps débilité, dont nous avons pu, en certains moments, juger par nous-mêmes les effets apoplectiques. […] La philosophie du dernier siècle et cette épidémie d’irréligion qu’elle répandit sur la France, ce n’était pas seulement une attaque contre l’Église considérée comme puissance séculière, contre le clergé à l’état de corps politique. […] Ce corps gigantesque vivait en lui, par lui, pour lui. […] Trois siècles s’écoulent ; et voilà ce grand corps disloqué et brisé, membre à membre ; voilà, s’en allant en poussière, tout ce qui formait sa vie extérieure, tout ce qui le rattachait par des chaînes de fer à l’antiquité, sa mère et sa nourrice.

1035. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

J’ai quitté l’Angleterre pour l’Amérique, avec autant d’indifférence que si je faisais mon premier pas pour une promenade d’un mille : il en a été de même de la France, mais il n’en a pas été de même de l’Italie : c’est là que j’ai joui pour la première fois de mon indépendance, c’est là que j’ai été le plus puissant de corps et d’esprit. […] « On s’établit dans la vie ; on est las de ce qu’il y a de roide et de contemplatif dans les premières années de la jeunesse ; on est un peu plus avant dans le secret des Dieux ; on sent qu’on a à vivre pour soi, pour son bien-être, son plaisir, pour le développement de toutes ses facultés, et non-seulement pour réaliser un type abstrait et simple ; on vit de tout son corps et de toute son âme, avec des hommes, et non seul avec des idées. […] Le corps fut transporté et inhumé au Père-Lachaise, dans la partie du cimetière où reposent les morts de Juillet.

1036. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Demidoff, le père, qui vivait alors à Florence dans une opulence sans limites, entretenait dans son palais une troupe de comédiens français très distingués, et un orchestre italien réunissait, une fois par semaine, chez lui, tout ce que la cour, la ville et le corps diplomatique renfermaient de spectateurs. […] Dès l’âge de dix à douze ans, elle avait compris d’elle-même qu’il y avait un langage souverainement expressif dans les poses et dans les attitudes du corps, comme il y en a un dans les sons. […] Une révélation de son génie inné lui avait fait imiter sans efforts l’expression des fortes sensations : effroi, amour, contemplation, tristesse, deuil, désespoir, sur le visage et dans la pose du corps, pour produire sur l’œil ce que la poésie dramatique ou épique la plus éloquente produit sur l’imagination la plus sensible.

1037. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Les poètes dont il s’était moqué ont été rendus à la lumière, et comme ces corps qu’exhume une curiosité indiscrète, la seule impression de la lumière les a fait tomber en cendres. […] Le monde moral et le monde physique se confondent ; les sentiments sont des sensations ; les idées ont des contours ; l’abstrait prend un corps, et l’invisible même veut qu’on le voie. […] Ainsi il faut me taire sur ces écrits d’État, si ce mot m’est permis, bulletins de victoire, notes politiques, discours aux grands corps de l’État, par lesquels la France du dix-neuvième siècle a parlé au monde avec un si grand retentissement.

1038. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

C’était un beau corps, presque sans âme. […] Toutes ces chimères arrivèrent à prendre un corps et l’amenèrent à un acte étrange qui ne peut être expliqué que par l’état de folie où elle était décidément depuis quelque temps. »   Ce qui suit, en effet, serait incompréhensible, si l’on ne tenait compte de certains traits du caractère breton. […] Elle fit appeler le vicaire ; une faveur inouïe occupait son imagination : c’était que, pendant la grand’messe du dimanche, son corps restât exposé sur le petit appareil qui sert à porter les cercueils.

1039. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Passe encore que d’un deuxième acte de Tristan on supprime la dernière scène : un corps sans jambes se conçoit : mais un corps sans torse, la tête à la place du ventre, cela se conçoit-il ? […] L’homme naît seulement dans une famille, une maison, une nation, une race ; à ces origines il appartient corps et âme ; et tout homme qui appartient à une autre origine est séparé de lui par des barrières que la nature seule ne pourrait jamais aplanir.

1040. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Bientôt ils fuient le taillis et, parmi la clairière où vit « dans une virginale paix un peuple de digitales », leur corps s’allonge « au milieu des fleurs empoisonnées, comme une herbe fauchée ». […] Il veut que son corps rentre immédiatement au grand rythme de la vie matérielle tandis que son âme ira rejoindre les autres forces de renouvellement et continuera son œuvre. […] Il croit retrouver en elle, plus gaie, plus superficielle, moins dangereuse aussi, la promesse d’amour, l’illusion naïve et chantante à laquelle il tendit les bras en sa prime venue et qui, suivie par son regard, suivie par tout son corps oublieux de l’équilibre, fut pour beaucoup dans les brutalités de la chute.

1041. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

En réalité, ce qu’il défend, ce sont les corps organisés, académies ou anciens parlements, tous ceux où la liberté du bourgeois trouve un asile et sa tyrannie une force d’oppression, tous ceux que j’appellerai indulgemment les communes morales. Que le menu peuple soit écrasé indirectement par « le souverain », directement par « les corps intermédiaires » et M. Faguet, fragment de la pâte banale dont on pétrit les corps intermédiaires, sera satisfait.

1042. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Quand un être vivant, sous l’influence de la douleur, fait des mouvements en tous sens et réagit énergiquement, il lui est inutile de concevoir la suppression future de la douleur ; il n’a besoin que de sentir la douleur actuelle, obstacle à son bien-être également senti ; la douleur entraîne le besoin de changement, donc de mouvement ; ce besoin est la volonté de changer, et le mouvement du corps en tous sens est la manifestation de cette volonté. […] Peu à peu, une association s’est faite entre telles parties du corps de la chenille et les piqûres. […] Chez les oursins, par exemple, dit Romanes, si l’on applique simultanément deux excitations équivalentes à deux points quelconques du corps, la direction selon laquelle s’opérera le retrait de l’animal sera la diagonale.

1043. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Stuart Mill l’a dit avec une grande raison : la conscience ne peut pas plus apprendre à un homme à quelle loi son esprit obéit que la contemplation des corps qui tombent ne peut lui donner l’idée des lois de la gravitation21. […] Leibnitz a aperçu ces limites de la hauteur de son génie, lorsque, mettant en opposition l’activité prévoyante de l’esprit et l’aveugle fatalité du corps, il dit, dans sa langue énergique : quod in corpore Fatum, in animo est providentia . […] « Il importe bien de remarquer ici que, dans le point de vue de l’observateur de la nature extérieure, la cause qui produit ou amène une série de faits analogues, ne peut jamais être donnée a priori, ni conçue en elle-même, encore moins imaginée dans le comment de la production des phénomènes qui s’y rattachent ; aussi la langue des sciences naturelles manque-t-elle toujours du terme propre qui signifie précisément l’activité productive, l’énergie essentielle de toute cause efficiente, manifestée actuellement par les phénomènes sensibles qu’elle produit, mais non constituée par eux, puisqu’elle est connue comme étant nécessairement avant, pendant et après ces phénomènes26. » Ainsi, comme le remarque ici judicieusement un philosophe : « Dans ce que nous appelons, par exemple, force d’attraction, d’affinité, ou même d’impulsion, la seule chose connue (c’est-à-dire représentée à l’imagination et aux sens), c’est l’effet opéré, savoir, le rapprochement des deux corps attirés et attirant.

1044. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Ces suites sont d’ailleurs des doctrines d’école, qui ont séduit pendant soixante ans les esprits les plus divers, et qui font corps avec l’esprit oratoire. […] René, publié dans le corps même du Génie de 1802, contribua à son triomphe. […] Avec Ferney, la monarchie d’un homme de lettres avait revêtu le corps d’une résidence à la Versailles. […] Ils ont passé sur les corps de leurs camarades et les survivants restent affaiblis, désorganisés. […] Ce que Hugo appelle l’idée y anime et y remplit sans l’outrepasser ni l’agiter, un corps bien proportionné.

1045. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Ce n’est pas pour bénir et pour pardonner qu’il ouvre les bras, ce corps blafard aux ombres noires, dont tous les muscles sont tendus par la douleur. […] Constatant que la dimension des corps des animaux terrestres a de beaucoup diminué depuis les premières époques du monde, M.  […] Mais déjà un autre corps mort venait à résonner sur la terre meurtrière. […] La nuit aux bises mortelles secoue votre manteau, qui n’est plus, trous, pièces et reprises, qu’une chose innommable à travers laquelle on aperçoit la lamentation de votre corps. […] Mimande ne nie pas qu’il soit des améliorations impossibles à obtenir, et que, par exemple, il soit, parmi les forçats, un esprit de corps fait pour décourager les meilleures volontés.

1046. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Certes qui pourroit pratiquer la même chose en la section des corps plus parfaits auroit atteint la connoissauce d’un secret dont l’excellence n’auroit pas de comparaison. […] Si l’on repousse, comme il se doit, la distinction primitive entre l’âme et le corps, si l’on n’admet que le corps, si l’on croit que tout est physique, cette manière de connaître doit être étudiée parallèlement à celles qui ressortissent à chacun de nos divers sens ou à leur concours. […] Non seulement ce corps ne s’était jamais cristallisé spontanément, mais aucun moyen artificiel n’avait eu plus de succès. […] L’homme, au contraire, glissera très facilement son bras libre sous le bras féminin, maintenu un peu loin du corps par ses occupations mêmes. […] Paul Meyer nous apprend que Descartes préférait l’orthographe cors à celle de corps.

1047. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Car une âme comme celle de Pascal peut bien toujours demeurer « maîtresse du corps qu’elle anime », c’est-à-dire de ses actions ; elle l’est peut-être moins constamment du cours que prennent ses pensées. […] J’avais ôté mon justaucorps, j’allais achever de me mettre en chemise, et Mlle votre fille n’attendait que le moment de m’embrasser et de se jeter à corps perdu sur moi. […] La ressemblance avait bien un corps, puisque je ne suis pas seul à l’avoir aperçue. […] Des paysans qui survinrent par hasard, ayant aperçu son corps étendu au pied d’un arbre, le portèrent au curé du village le plus voisin. […] Elle se rassembla sur-le-champ avec précipitation, et fit procéder par le chirurgien à l’ouverture du corps.

1048. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Il ne peut pas s’en tenir à l’expression simple ; il entre à chaque pas dans les figures ; il donne un corps à toutes ses idées ; il a besoin de toucher des formes. […] La société a pour fondement le drap. « Car, comment sans habits pourrions-nous posséder la faculté maîtresse, le siége de l’âme, la vraie glande pinéale du corps social, je veux dire une bourse ?  […] Est-ce que l’imagination n’est pas obligée de tisser des vêtements, des corps visibles par lesquels les inspirations et les créations invisibles de notre raison sont révélées comme le seraient des esprits, et deviennent toutes-puissantes ?  […] Il a besoin de donner aux abstractions un corps et une âme ; il est mal à son aise dans les conceptions pures, et veut toucher un être réel. […] L’homme a perdu son âme et cherche en vain le sel antiputride qui empêchera son corps de pourrir.

1049. (1864) Le roman contemporain

Notre armée et l’armée russe, acharnées au combat comme deux lutteurs, tantôt se mesuraient des yeux, tantôt se prenaient corps à corps, soit dans les mines et les contre-mines, soit dans les tranchées, contre lesquelles les Russes, devenus assiégeants d’assiégés, se ruaient avec un courage désespéré et recommençaient sans cesse leurs attaques de nuit. […] Naguère vous revendiquiez pour votre sexe l’indépendance du corps, vous réclamez maintenant contre lui l’esclavage de l’âme. […] Le corps serait tout, l’âme ne serait rien, et quand ce rien manque à ce tout, les nations se dissolvent et les civilisations s’en vont en poussière ! […] Flaubert l’ignore peut-être, les ait plus scrupuleusement étudiées qu’un médecin n’a étudié les maladies du corps. […] Il a des asiles pour les âmes blessées comme pour les âmes innocentes, des abris, des refuges pour toutes les souffrances de l’âme et du corps.

1050. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Mon devoir consciencieux est de lutter à mort contre les iniquités, les humiliations, les calomnies, les avanies de toute nature dont la France me déshonore et me travestit en retour de quelques erreurs peut-être, mais d’un dévouement, corps, âme et fortune, qui ne lui a pas manqué dans ses jours de crise, à elle. […] Mais, telle qu’un enfant dans ses langes qui parfois pleure et ne sait pourquoi, j’ai quelque chose, dit-elle, qui me tourmente ; cela m’ôte le voir et l’ouïr ; mon cœur en bout, mon front en rêve, et le sang de mon corps ne peut rester calme.” […] Enfin, sentant son corps de fer ployer vers le cimetière, il voulut, comme c’était son devoir, se confesser à l’ermite de Saint-Eucher. » Il avait tout oublié dans son isolement, depuis ses premières Pâques jusqu’à ses prières. […] Moi, de l’écorce d’un grand chêne je me vêtirai dans la forêt sombre. » « Ô Magali, si tu te fais l’arbre des mornes, je me ferai, moi, la touffe de lierre ; je t’embrasserai. » — « Si tu veux me prendre à bras le corps, tu ne saisiras qu’un vieux chêne… je me ferai blanche nonnette du monastère du grand saint Blaise. » « Ô Magali, si tu te fais nonnette blanche, moi, prêtre, je te confesserai et je t’entendrai. » « Là les femmes tressaillirent, les cocons roux tombèrent des mains, et elles criaient à Nore : Oh !

1051. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

Quant à son aspect contemplé du dehors, rien n’annonçait ni prétention ni orgueil dans le style ou dans la construction du Cayla ; il ne se distinguait des grosses fermes du pays que par un porche à moitié démoli avançant sur le perron, par les deux rainures d’un pont-levis sur le milieu desquelles le marteau symbolique de 1793 avait effacé les vieilles armoiries de la famille des Guérin, et par un large pan de toit qui recouvrait le principal corps de bâtiment entre les constructions inégales et successives des derniers siècles. […] Les moins nombreux encore sont-ils ceux que l’on voit ; nos dents, notre peau, tout notre corps, dit-on, en est plein. Pauvre corps humain, faut-il que notre âme soit là-dedans ! […] Mademoiselle de Guérin avait vingt-huit ans ; elle n’était pas jolie, selon le vulgaire, bien que les yeux, où se reflète le génie, la bouche, où s’épanouit la bonté, le contour harmonieux et délicat du visage, qui encadre le caractère, les cheveux, grâce de la figure, la taille svelte et souple, qui fait ressortir les formes du corps, la vivacité de la démarche, qui transporte la personne avec la rapidité de la pensée, fissent de cet ensemble un aspect très agréable, plus que suffisant au bonheur d’un époux.

1052. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Elle y mêle des digressions contre les princes, Dont le corps ne vault une pomme, Outre (plus que) le corps d’un charraier (charretier) Ou d’un clerc, ou d’un escuyer. […] De nouveaux larcins, dont il s’excuse sur la faim qui « fit une si rude guerre à son corps », le firent tomber de nouveau dans les mains de la justice. […] Corps féminin, qui tant es tendre, Polli, souef si précieux Te faudra-t-il ces maux attendre ?

1053. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Contemplez ce que souffre un homme qui a tous les membres brisés et rompus par une suspension violente, qui, ayant les mains et les pieds percés, ne se soutient plus que sur ses blessures, et tire ses mains déchirées de tout le poids de son corps antérieurement abattu par la perte du sang ; qui, parmi cet excès de peine, ne semble élevé si haut que pour découvrir de loin un peuple infini qui se moque, qui remue la tête, qui fait un sujet de risée d’une extrémité si déplorable67 !  […] Quelle devait être, sous la parole révélatrice de Bourdaloue, l’attente de tous et l’anxiété de quelques-uns, à mesure que la morale allait prenant un corps, et se personnifiant de plus en plus ! […] Dans ces quatre grands moralistes, ce qui fait l’autorité, c’est une règle uniforme, et cette règle est comme un corps de prescriptions contre les passions. […] La sévérité, l’ironie, la prévention qui tient en haleine même l’innocence, tout sert, tout est bon pour cette défense incessamment nécessaire de la conscience contre l’appétit, de l’âme contre le corps.

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