D’autres esprits cependant prirent l’alarme ; ce procédé didactique mettait trop en lumière le désaccord de quelques opinions de l’auteur avec sa condition de prêtre et de théologien ; et comme l’a dit Voltaire : Montaigne, cet auteur charmant, Tour à tour profond et frivole, Dans son château paisiblement, Loin de tout frondeur malévole, Doutait de tout impunément, Et se moquait très librement Des bavards fourrés de l’école ; Mais quand son élève Charron, Plus retenu, plus méthodique, De sagesse donna leçon, Il fut près de périr, dit-on, Par la haine théologique. […] C’est aussi l’inverse de cet autre mot connu : « Il y a quelqu’un qui a plus d’esprit que Voltaire, c’est tout le monde. » 43.
C’est auprès d’un de ces vieillards respectables, M. de Caumartin, ancien conseiller d’État, que Voltaire, pendant un séjour à la campagne, se prit d’enthousiasme pour cette grande renommée royale ; et il se mit aussitôt à la célébrer, tout en l’accommodant à sa manière et en la traitant dans le goût des temps nouveaux : il fit La Henriade, et plus tard le chapitre de l’Essai sur les mœurs, intitulé : « De Henri IV ». […] De même, dans la harangue de Henri IV à l’assemblée des notables de Rouen, Voltaire semblait prendre au pied de la lettre cette gracieuse et débonnaire promesse de se mettre en tutelle entre leurs mains, tandis que Henri entendait bien ne faire là qu’une politesse ; et comme Gabrielle, au sortir de cette séance, s’étonnait qu’il eût ainsi parlé de se mettre en tutelle : « Il est vrai, répondait-il, mais, ventre saint-gris !
Voltaire, avec son Dieu qui crée l’homme et le laisse faire ensuite comme le plus méchant des singes, exposé d’ailleurs à tous les hasards et à tous les fléaux, Voltaire est inconséquent, et son déisme ne porte sur rien.
Qu’on se rappelle Voltaire quand il s’adresse à des souverains : « Au général Bonaparte. […] Adieu : amitié, admiration, respect, reconnaissance ; on ne sait où s’arrêter dans cette énumération. » Il me semble encore une fois lire du Voltaire, dans sa lune de miel avec le grand Frédéric.
D’abord, par exemple, on étudiait peu ou du moins on entendait mal le théâtre grec ; on l’admirait pour des qualités qu’il n’avait pas ; puis, quand, y jetant un coup d’œil rapide, on s’est aperçu que ces qualités qu’on estimait indispensables manquaient souvent, on l’a traité assez à la légère : témoin Voltaire et La Harpe. […] Ainsi la monarchie de Louis XIV, d’abord admirée pour l’apparente et fastueuse régularité qu’y afficha le monarque et que célébra Voltaire, puis trahie dans son infirmité réelle par les Mémoires de Dangeau, de la princesse Palatine, et rapetissée à dessein par Lemontey, nous reparaît chez Saint-Simon vaste, encombrée et flottante, dans une confusion qui n’est pas sans grandeur et sans beauté, avec tous les rouages de plus en plus inutiles de l’antique constitution abolie, avec tout ce que l’habitude conserve de formes et de mouvements, même après que l’esprit et le sens des choses ont disparu ; déjà sujette au bon plaisir despotique, mais mal disciplinée encore à l’étiquette suprême qui finira par triompher.
Il n’aime pas les beaux esprits de son temps, raisonneurs et critiques ; il ne manque guère une occasion d’égratigner Voltaire. […] Chaque philosophe met sur le roman l’empreinte de son tempérament comme de sa doctrine : Voltaire y porte son esprit mordant, sensé, léger, son ironie dissolvante et meurtrière, peu de sensibilité, peu de tirades ; il excelle à trouver les faits menus, secs et précis, qui font apparaître l’absurdité d’une opinion.
Au siècle dernier, en 1755, le tremblement de terre qui détruisit Lisbonne devint aussitôt l’occasion d’un tournoi fameux entre deux rois de l’opinion, Voltaire et Rousseau. […] Voltaire ne répondit pas sur-le-champ ; mais sa réponse vint plus tard sous une forme inattendue.
[NdA] Se rappeler la lettre du marquis d’Argenson à Voltaire, écrite du champ de bataille de Fontenoy (Commentaire historique… au tome I des Œuvres de Voltaire).
Comment veut-on que Voltaire, toutes raisons à part d’animosité et d’amour-propre, trouve bonne la Nouvelle Héloïse et bon l’Émile ? […] Je ne suis pas tout à fait de l’avis de Voltaire sur ce point.
Trublet leste, jamais ennuyeux comme le bêta dont se moquait Voltaire, mais comique plutôt ; car il a l’impayable émotion de cette science acquise hier et si contente d’être aujourd’hui, qui, comme l’Ève de Milton, mais plus drôle qu’elle, se régale des premières ivresses de la vie ! […] Au lieu de cette grosse explication qu’on a appelée longtemps la Nature, et dont Joseph de Maistre, notre Voltaire, à nous autres chrétiens, s’est moqué avec une gaieté si peu piémontaise, Michelet a parlé « d’animaux se faisant eux-mêmes et se faisant par pièces et morceaux », ce qui serait plus fin, à la vérité, si Michelet, en toute matière, ne pressait pas toujours le ressort jusqu’à ce que le grotesque jaillisse.
Voltaire, Voltaire en personne n’aurait pas parlé autrement. » Ajoutons qu’alléché par cette critique j’ai lu avec soin les débats, mais que je n’ai rien trouvé qui rappelât le moins du monde Voltaire. […] About sais que le nom de Voltaire s’y trouvât, parfois avec un qualificatif tempérant un peu l’éloge, — on disait Voltaire déclassé, ou bien Voltaire de l’École normale, — mais enfin on disait Voltaire. […] On devine que je veux parler du Comte de Boursoufle, cette prétendue comédie de Voltaire. […] Je crois, pour moi, que Voltaire en savait plus long, tout jeune qu’il était. […] Voilà donc Voltaire bien disculpé, — au sujet de Sheridan surtout.
Il s’abstiendrait pour vous et vous jouiriez pour lui. » Et en effet, telle était bien, comme on sait, la religion de Voltaire. Bonne pour la « canaille », ce que Voltaire ne pardonnait pas à la religion chrétienne, c’était tout justement l’humilité de ses origines. […] Mais si cela prouve que Louis XV, Voltaire et Hugo ont manqué de sens ou de perspicacité politique, M. […] Il suit son siècle, comme autrefois Voltaire, ou plutôt il va où l’entraîne la foule. […] Renan semble avoir écrit pour venger « le déclamateur Bossuet » des sarcasmes inconvenants de Voltaire et de son école.
Frédéric II a enchanté Voltaire. Il suffit de lire les Mémoires de Voltaire pour voir comment le péril prussien, que Louis XIV pressentait en 1701, Voltaire ne le soupçonnait pas après Rosbach. […] Les amis de Voltaire ne lui sont guère plus sympathiques. […] … » Il a relu ou lu les œuvres de Voltaire. […] Il déteste Pascal et Voltaire.
Sans doute de tout temps il y a eu des regrets sur la fuite des années légères : Voltaire en cela ne faisait que suivre Horace et il l’égalait même le jour où il chantait à demi-voix : Si vous voulez que j’aime encore… Fontanes a fait aussi sur ce ton une pièce mélancolique et presque morose intitulée La Cinquantaine.
Voltaire répète très souvent, dans son Dictionnaire philosophique, une maxime de Zoroastre : « Lorsque tu doutes si une action que tu es sur le point de faire est bonne ou mauvaise, abstiens-toi ».
Ce terme grossier, dit Voltaire, n’est pas tolérable71.
L’auteur du Fils de Giboyer avait le droit, sinon la puissance, d’être féroce comme Aristophane contre Socrate, comme Voltaire contre Fréron, sans avoir besoin de demander pardon pour l’atrocité de son génie dans une préface sans esprit, sans style et sans fierté.
Mais à peine les plus grands, Rousseau, Diderot, Voltaire, étaient-ils descendus dans la tombe, le peuple, instruit par eux, brisait ces rois, ces nobles et ces prêtres, qu’on lui avait représentés comme des tyrans et des imposteurs. […] C’est l’âge de la destruction du Christianisme et de la Féodalité, du renversement des rois, des nobles et des prêtres ; c’est le Dix-Huitième Siècle, c’est l’âge de Voltaire. […] Croyez-vous que sainte Thérèse ne soit pas en état de vous comprendre, de lire les livres de vos bibliothèques ; et lui interdirez-vous D’Holbach, Fréret, Voltaire, ou Cabanis ! […] Toutes nos plaintes, à nous, et tous nos rires amers, ne sont que l’écho prolongé de cette moquerie de détresse de Voltaire, se faisant manichéen, lorsqu’il quittait un instant ses armes de destruction, et de cette lamentable voix de Jean-Jacques, disant anathème à la société, et se rejetant dans la Nature, comme si la Nature sans l’Humanité, c’était le sein de Dieu. Unanimes aujourd’hui, poètes, philosophes, et peuples, ne font que répéter d’une voix immense, et comme à plein chœur, le rire sardonique et le gémissement de ces deux grands génies : inquiets comme Jean-Jacques, ironiques comme Voltaire.
Quand le genre est « noble », Voltaire plus tard sacrifie encore à ces exigences. […] C’est Voltaire, revu par Renan, mais bien plus Voltaire que Renan. […] N’en est-il pas déjà de même de Voltaire, de Rousseau, dont ces peuples s’enivrent, alors que nous avons digéré, mithridatisé ce que certains chez nous appellent encore leur venin. […] Jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, les hommes restaient plus ou moins de l’avis de Voltaire : ils tenaient, ou du moins prétendaient tenir ce genre pour inférieur, frivole, futile. Voltaire a pourtant écrit Candide et La Princesse de Babylone.
Cet enfant de Paris est en outre un enfant du xviii siècle ; non pas du xviiie siècle passionné de Jean-Jacques Rousseau, mais de l’autre, du xviiie siècle sceptique, de celui de Voltaire. […] Et si, un peu plus tard, il apostrophe Voltaire de la façon que vous savez : Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire Voltige-t-il encore sur tes os décharnés ?…… si Alfred de Musset éprouve le besoin d’adresser à l’ombre de Voltaire cette apostrophe violente, c’est apparemment qu’il sentait en lui encore vivante cette influence de Voltaire, et c’est qu’il pouvait bien protester contre elle ; mais il protestait d’autant plus qu’il la sentait en lui et qu’il n’arrivait pas à s’en débarrasser. […] Au xviiie siècle, c’est Voltaire qui écrit La Henriade, et certainement, Voltaire, qui avait d’autres qualités, manquait par excellence des qualités épiques. Si quelqu’un n’a pas eu la tête épique, c’est certainement Voltaire.
Et, s’il traite ainsi Buffon, comment va-t-il arranger de bien autres fils de Caïn, Rousseau et Voltaire ? […] Et Sainte-Beuve, qui est si dur, implacable même pour Talleyrand, n’a plus de sévérité pour Voltaire ? […] « Voltaire ? […] Veuillot, qui exècre Voltaire, le préfère encore à J. […] Scribe, il ne la comparait point à celle de Voltaire.
Boileau, s’il en faut croire un sonnet fameux, Voltaire et bien d’autres en surent quelque chose. […] Imaginez-vous qu’un bon catholique puisse juger Voltaire comme un incroyant ? […] Il la partage d’ailleurs avec Voltaire et Rousseau. […] Brunetière veut écraser Voltaire, il le compare à Bossuet. […] Il blâme « la scurrilité » de Voltaire.
Voltaire, type banal de l’écrivain abstrait, est certainement un visuel, presque autant qu’un émotif. […] Albalat entend le style sans rhétorique ; à cette idée, il songe à Voltaire . Qui fut, au contraire, plus gonflé de rhétorique que Voltaire ? […] Le naturel de Voltaire est fait de grimaces, pénibles quand elles n’amusent pas. Voltaire n’est pas simple ; ce n’est pas un vice particulier aux gens spirituels.
Disciples amoindris des Suard et des Morellet, ils glanent çà et là dans Addison, dans Franklin, dans Voltaire ; ils ont une manière qui louvoie entre toutes les qualités, qui se ménage entre tous les défauts ; ce sont les modèles du style négatif.
César, dans ses Commentaires, Voltaire, dans sa prose, La Fontaine, dans ses Fables, nous offrent de merveilleux exemples de ce mérite, qu’ils ont possédé tous les trois dans un degré éminent.
Ils se moquèrent, avec le rire de ce singe de Voltaire, des histoires à l’usage des Dauphins… ad usum Delphini.
A propos de la réimpression faite à Londres du Poëme des Jardins, on engageait le Virgile français à rompre enfin un exil désormais volontaire, à revoir au plus vite cette France digne de lui : on lui citait l’exemple de Voltaire qui, réfugié en son temps à Londres, n’avait point prolongé à plaisir une pénible absence. […] Voltaire insultait Jean-Jacques, et c’est la voix seule du genre humain (pour parler comme Chénier) qui les réconcilie. […] Ce que le séjour de Ferney fut pour Voltaire, celui de Coppet l’est pour Mme de Staël, mais avec bien plus d’auréole poétique, ce nous semble, et de grandiose existence. […] On jouait souvent à Coppet des tragédies, des drames, ou les pièces chevaleresques de Voltaire, Zaïre, Tancrède si préféré de Mme de Staël, ou des pièces composées exprès par elle ou par ses amis. […] Il est difficile d’introduire un nouveau style dans les langues et d’y réussir, principalement quand ces langues sont montées à leur perfection, comme la nôtre l’est aujourd’hui. » Voltaire n’eut d’abord que la réputation d’un libertin spirituel ; Jean-Baptiste appelait ses ouvrages des fragments mal cousus où le bon sens est compté pour rien.
On est presque toujours dans la raillerie avec Voltaire, dans le romanesque avec Rousseau, dans le scepticisme nonchalant avec Montaigne. […] Voltaire trouve néanmoins du bien à dire d’un très médiocre portrait satirique que fit ce duc de l’abbé de Rancé, le réformateur de la Trappe. À la vérité, ce sont des vers de grand seigneur, et il y est mal parlé d’un moine : double mérite aux yeux de Voltaire. […] Bossuet, Voltaire, sont les représentants les plus éminents de ces deux branches de la même famille ; et Bossuet, en particulier, a été le plus avantagé parmi ces aînés du génie. […] Voltaire a bien voulu protéger certaines d’entre elles, mais y croire par la foi et s’y dévouer, il ne l’a pas pu.
Notre langue peu accentuée ne saurait admettre le vers blanc, et ni Voltaire, vice-roi de Prusse en son temps, ni Louis Bonaparte, roi de Hollande au sien, ne me sont des autorités suffisantes pour hésiter, fût-ce un instant, à ne me point départir de ce principe absolu. […] La Fontaine lui a donné le fatal exemple et leur génie ne les absout pas plus que son esprit — en prose, n’absout Le d’ailleurs « affreux Voltaire ». […] Par rime mauvaise je veux dire, pour illustrer immédiatement mes raisons, des horreurs comme celles-ci qui ne sont pas plus « pour » l’oreille (malgré le Voltaire déjà qualifié) que « pour » l’œil : falot et tableau, vert et pivert, tant d’autres dont la seule pensée me fait rougir, et que pourtant vous retrouverez dans maints des plus estimables modernes. […] Shakespeare, à première vue de gens de vue courte, l’antithèse de Racine, ce Shakespeare tant vilipendé de Voltaire, qui l’avait nommé de tous les noms, « sauvage ivre », « ignorant », etc. Voltaire, — au fond grand homme et peu voltairien — les jours où il se livrait à sa verve contre l’auteur d’Othello (qu’il travestit en Zaïre), les jours pires encore où il méritait ces éloges de Frédéric II de Prusse : « Vous avez bien fait de refaire, selon les principes, la pièce informe de cet Anglais » (la pièce informe c’était Jules César), Voltaire, certes était alors voltairien dans le sens mesquin, étroit, parlons franchement, bête du mot.
, comme plus tard on lapidera Racine avec Corneille, Voltaire avec Racine, comme on lapide aujourd’hui tout ce qui s’élève avec Corneille, Racine et Voltaire. […] D’ailleurs, Voltaire, qui ne veut pas de Shakespeare, ne veut pas des grecs non plus. […] Mais non, encore une fois, il n’a ni le talent de créer, ni la prétention d’établir des systèmes. « Les systèmes, dit spirituellement Voltaire, sont comme des rats qui passent par vingt trous, et en trouvent enfin deux ou trois qui ne peuvent les admettre. » C’eût donc été prendre une peine inutile et au-dessus de ses forces. […] Vous trouvez, par exemple, des hommes vivants qui vous répètent cette définition du goût échappée à Voltaire : « Le goût n’est autre chose pour la poésie que ce qu’il est pour les ajustements des femmes. » Ainsi, le goût, c’est la coquetterie.
Le petit avis au lecteur y répond bien mieux d’un seul mot : « Il faut prendre garde…, il n’y a rien de plus propre à établir la vérité de ces Réflexions que la chaleur et la subtilité que l’on témoignera pour les combattre141. » Voltaire, qui a jugé les Maximes en quelques lignes légères et charmantes, y dit qu’aucun livre ne contribua davantage à former le goût de la nation : « On lut rapidement ce petit recueil ; il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. […] Il a cette netteté et cette concision de tour que Pascal seul, dans ce siècle, a eues avant lui, que La Bruyère ressaisira, que Nicole n’avait pas su garder, et qui sera le cachet propre du dix-huitième siècle, le triomphe perpétuellement aisé de Voltaire. […] Montesquieu a dit des Maximes de La Rochefoucauld : « Ce sont les proverbes des gens d’esprit. » Et Voltaire : « C’est moins un livre que des matériaux pour orner un livre. » Ce sont des pierres fines gravées qu’on enchâsse ensuite dans le discours.
Il balaye pèle-mêle Montesquieu, Voltaire, Rousseau. […] Il ne doit guère moins à Voltaire, qu’il contredit, que Courier, qui le continue. […] Mais la plupart des graves et sérieux bourgeois qui abordaient la tribune, les libéraux notamment, étaient des hommes de goût classique, formés à l’école du xviiie siècle et des idéologues, nourris de Voltaire et de Montesquieu, philosophes, juristes, dialecticiens, de sensibilité médiocre ou restreinte, d’imagination froide, et plus que modérément artistes.
J’imagine ce bout de dialogue auquel il ne manque que l’esprit et le tour de main de Voltaire : « … Ce mandarin parle si bien, reprit Kou-Tu-Fong, qu’il fait courir à ses leçons toutes les dames de Pékin Ce qu’il dit est donc bien neuf ? […] Et on peut le dire, je crois, même de Voltaire, tout compensé ; même de Rousseau, si l’on tient compte de sa maladie mentale. […] Quand j’irais, comme Voltaire un jour, jusqu’à préférer secrètement la vieille Athalie, cette Elisabeth, cette Catherine, cette terrible femme qui porte si fièrement ses vengeances politiques et qui a, du reste, des retours de faiblesse féminine et presque de tendresse, je n’en serais peut-être pas moins subjugué par la grande allure de Joad, par sa foi absolue, par son impérieux et héroïque dévouement à cette foi.
Il y a du Dante, en effet, dans l’auteur des Fleurs du mal, mais c’est du Dante d’une époque déchue, c’est du Dante athée et moderne, du Dante venu après Voltaire, dans un temps qui n’aura point de saint Thomas. […] N’est-ce pas le sublime du genre scolastique et académique que d’emprunter la pompe à Bossuet, la concision à la Bruyère, la profondeur à Pascal, l’ironie à Voltaire, la passion à Rousseau, etc., etc. ? […] Quel profit Voltaire, eût-il eu tout le génie poétique qui lui manquait, pouvait-il attendre de sa Henriade alors que les mémoires sur la Ligue étaient déjà dans toutes les mains ?
Témoin, dans les dernières années de sa vie, de la Révolution française, il se plaisait à adhérer en tout à la profession de foi de Burke : « J’admire son éloquence, disait-il, j’approuve sa politique, j’adore sa chevalerie, et j’en suis presque à excuser son respect pour les établissements religieux. » Et il ajoutait qu’il avait quelquefois pensé à écrire un dialogue des morts, dans lequel Lucien, Érasme et Voltaire se seraient fait leur confession, seraient convenus entre eux du danger qu’il y a à ébranler les vieilles croyances établies et à les railler en présence d’une aveugle multitude. […] Et, par exemple, en voyant Voltaire jouer de sa personne la tragédie à Lausanne où il était en ces années, et tout en convenant que sa déclamation était plus emphatique que naturelle, Gibbon sentit se fortifier son goût pour le théâtre français : « et ce goût, confesse-t-il, a peut-être affaibli mon idolâtrie pour le génie gigantesque de Shakespeare, laquelle nous est inculquée dès l’enfance comme le premier devoir d’un Anglais ».
Voltaire, par exemple, n’a jamais pu entrer dans l’idée de d’Holbach ou de Diderot, d’une éternité des choses ; cela ne trouve aucune case dans son cerveau pour s’y loger ; il veut absolument quelqu’un qui, à l’origine, ait créé l’univers, et qui, de près ou de loin, continue d’y présider. Jean-Jacques Rousseau pensait de même, et avec moins d’inconséquence que Voltaire, lequel, dans le détail, se moquait sans cesse, et avait l’air de triompher de tous les désaccords, comme si la Providence n’était pas.
Voltaire n’est jamais si loin de nous ; on y retourne. Que dis-je, Voltaire ?
Avez-vous lu Voltaire ? […] Elle a tout à la fois des Pères de l’Église et du Voltaire, et du roman noir dans sa tête et du Byron, et avec cela de brusques éclats de joie enfantine ; mais ils sont courts.
Je pensai que si la reine de France faisait ainsi tous ses repas, je n’aurais pas envié l’honneur d’être son commensal. » De son côté, Voltaire, dont l’esprit était un peu cousin de celui de Casanova, ne put se taire sur cet ennui qui s’exhalait à Versailles autour du jeu de la reine, et il fit ces vers dont il voulut ensuite se justifier, mais qu’elle ne put s’empêcher de prendre pour elle, car elle jouait tous les soirs au cavagnole : On croirait que le jeu console, Mais l’ennui vient à pas comptés S’asseoir entre des Majestés, À la table d’un cavagnole. […] Ce n’est pas un Voltaire qui eût été homme à se plier à de pareils jeux avec cette facilité de société, et l’on ne se serait pas fié à lui non plus.
Il a lu, — ce qui s’appelle lu, — les savants ouvrages des La Place et des La Grange, les mémoires des Clairaut, des d’Alembert, des Poinsot ; il y a ajouté peut-être sur quelques points, et il sait par cœur Voltaire et Alfred de Musset. […] Rien de plus humiliant pour l’esprit, et j’avoue que lorsqu’on se voit d’une telle infériorité (fût-on Voltaire ou Gœthe, car il n’y a guère ici de degrés), devant les maîtres de l’analyse, on est tenté de désirer que cette langue des nombres soit une de celles dont l’enseignement devienne obligatoire de bonne heure à toute intelligence digne et capable d’y atteindre.
Le maréchal de Noailles, en cette crise troublante, ne fait rien qui vaille en Alsace, et s’il est vrai que Louis XV ait dit au comte d’Argenson : « Écrivez de ma part au maréchal de Noailles que, pendant qu’on portait Louis XIII au tombeau, le prince de Condé gagna une bataille » ; si ce mot, qui a tout l’air de ceux qu’on fait après coup et qu’on prête aux rois, n’est pas de l’invention de Voltaire, le maréchal répondit mal à l’appel ; il ne répondit certainement pas à l’intention ; il a manqué là le moment rapide, le moment illustre ; il n’est pas Turenne, et dès cet instant le prestige de son grand crédit s’évanouit. […] Pour ce qui est de sa langue écrite, elle n’offre aucune qualité ; elle n’a rien, absolument rien d’un contemporain de Montesquieu ou de Voltaire, ou même de Duclos ; aucun tour, aucune netteté, aucune vivacité.
. — Voltaire, Politique et législation, supplique des serfs de Saint-Claude. […] Beugnot, Mémoires , I, 142. — Voltaire, Mémoire au roi sur les serfs du Jura.
Aucun esprit ferme, au nom de l’école de Hume et de Voltaire, au nom de celle de l’expérience et du bon sens, au nom de l’humilité humaine, n’est venu lui dérouler les objections qui n’auraient rien diminué de ses mérites vigoureux de penseur et d’ordonnateur, qui auraient laissé subsister bien des portions positives de son œuvre, mais qui auraient fait naître quelques doutes sur le fond de sa prétention exorbitante. […] Il a, chemin faisant, mainte maxime d’État, mais aucune de ces réflexions morales qui éclairent et réjouissent, qui détendent, qui remettent à sa place l’humanité même, et comme il en échappe sans cesse à Voltaire.
Quand on lit Racine, Voltaire, Montesquieu, on n’a pas trop l’idée de se demander s’ils étaient ou non robustes de corps et puissants d’organisation physique. […] Canova vivait dans son atelier comme Voltaire a vécu dans son cabinet.
Il y en a un sur Goldsmith, sur Atterbury, sur Bunyan, sur Addison, vu jusqu’au fond de son dernier sourire comme à travers un cristal, — cet Addison, un Voltaire doux et pur, absolument comme Fénelon était un serpent sans venin, — et enfin sur Johnson, ce Samson anglais par la force de l’esprit comme par la force du corps, un grand critique anglais, mais, hélas ! […] Demandez-vous ce qu’elle était, en France, du temps de Boileau et même de Voltaire, critique dans son Commentaire sur Corneille ?
Je ne sache guères en toutes ses œuvres qu’une page de colère enflammée, et c’est le célèbre portrait de Voltaire, écrit avec la griffe d’un tigre trempée dans du vitriol ; seulement, remarquez que, dans ce portrait, de Maistre ne parle pas en son nom personnel, mais au nom et par la bouche des personnages du dialogue de ses Soirées de Saint-Pétersbourg. […] Restent donc, au compte de ce tortionnaire innocent, quelques épigrammes bien appliquées, pour sa défense personnelle, à des hommes qui l’avaient, comme Condillac et Locke, férocement ennuyé, et ce rictus épouvantable établi sur la bouche de Voltaire, mais qui, ma foi, n’en a pas beaucoup changé le sourire, et qui ne l’a pas, pour que l’on s’en plaigne, si prodigieusement défiguré !
Heureux Voltaire quand il fait un conte et non pas une comédie ! […] Voltaire a commencé cette révolution dans les produits de l’imagination et de la pensée. […] que Voltaire ne perdait pas l’esprit qu’il avait l’air de jeter à tous les vents et à toutes les coteries. […] Cependant, le Voltaire de Houdon est devenu le Voltaire véritable. Aujourd’hui, le Voltaire en culotte courte et la tabatière à la main, ne serait plus qu’une horrible charge.
. — Pour les jugements littéraires j’ai pensé dès longtemps qu’on ne les aurait tout à fait libres et indépendants sur les hommes de France, qu’en étant à la frontière, à Genève, à Bruxelles, — à Liége. » C'était aussi l’opinion de Voltaire et, avant lui, comme on va le voir, celle d’un esprit de la même famille, Bayle, l’illustre réfugié protestant du xviie siècle, avec lequel Sainte-Beuve avait tant d’affinité3.
Il oublie ce qu’il a été, lui prêtre, et parle comme ferait Voltaire ou Jean-Jacques.
Corneille, plus rapproché des temps orageux de la Ligue, montre souvent dans ses tragédies le caractère républicain ; mais quel est l’auteur du siècle de Louis XIV dont l’indépendance philosophique peut se comparer à celle des écrits de Voltaire, de Rousseau, de Montesquieu, de Raynal, etc. ?
De là un déluge de plaisanteries sur la religion ; l’un citait une tirade de la Pucelle ; l’autre rapportait certains vers philosophiques de Diderot… Et d’applaudir… La conversation devient plus sérieuse ; on se répand en admiration sur la révolution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’était là le premier titre de sa gloire. « Il a donné le ton à son siècle, et s’est fait lire dans l’antichambre comme dans le salon. » Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, qu’un coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant : « Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre » On conclut que la révolution ne tardera pas à se consommer, qu’il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place à la philosophie, et l’on en est à calculer la probabilité de l’époque et quels seront ceux de la société qui verront le règne de la raison Les plus vieux se plaignaient de ne pouvoir s’en flatter ; les jeunes se réjouissaient d’en avoir une espérance très vraisemblable, et l’on félicitait surtout l’Académie d’avoir préparé le grand œuvre et d’avoir été le chef-lieu, le centre, le mobile de la liberté de penser. « Un seul des convives n’avait point pris de part à toute la joie de cette conversation… C’était Cazotte, homme aimable et original, mais malheureusement infatué des rêveries des illuminés.
« Quiconque veut se faire un style durable, disait très bien Joubert, ne doit en user qu’avec une extrême sobriété. » C’est dans la langue commune, héréditaire, vraiment nationale, langue de nos pères qui sera la langue de nos fils, dans cette partie immuable du vocabulaire que Pascal a transmise à Racine et que Voltaire a livrée à Chateaubriand, qu’il faut chercher les expressions qui rendent nos idées.
Autres temps… Bossuet était évêque, La Bruyère précepteur, Vauvenargues officier, Voltaire brasseur d’affaires et rentier.
L’amour, dit Voltaire, faisait et défaisait les partis.
La critique de Boileau, par exemple, et celle de Voltaire, sont inséparables de la notion de la tragédie racinienne.
» se demande Voltaire. […] » Non, Voltaire ne peut pas aller jusque-là. […] Ainsi me paraît avoir pensé Voltaire, beaucoup plus rapidement que je viens de l’analyser, quand il a écrit ce jugement sur Molière. […] Voltaire dit que Molière a été le législateur des bienséances ; Rousseau dit qu’il n’a été législateur que de cela ; et il lui reproche d’avoir réduit le devoir aux bienséances. […] Il est curieux de voir comme Voltaire en parle : « A la première représentation, il y avait une scène entre Don Juan et un pauvre.
La tragédie de Sophocle semblait à Corneille d’une simplicité un peu enfantine, et Voltaire n’y voyait qu’une œuvre informe et barbare. […] « Et voilà, reprend Voltaire, la pièce finie une seconde fois ! […] Si c’était le ricanement de Swift, de Voltaire ou de Heine ! […] Par exemple, ayant expliqué pourquoi Voltaire n’a pas excellé dans la comédie, il se fait à lui-même cette objection : « Mais, dira-t-on, Voltaire a réussi dans la tragédie ? […] Les effets sont ceux qu’aimait et que recherchait Voltaire (voyez Alzire, Zaire et Tancrède).
Ils ont continué d’aimer les crises psychologiques dont Corneille et Racine leur avaient donné le modèle, et dont Voltaire avait prolongé le goût et le succès. […] Rousseau, que par les Essais de Pope, que par les tragédies de Voltaire, que par les vers agiles dont les correspondances s’ornent encore quelquefois : et ce sont les moins mauvais peut-être, puisqu’ils sont sans prétention. […] Lesage, Cours abrégé de physique, Genève, 1722, p. 250 ; Voltaire, Zadig, chap. […] Voltaire, Discours sur l’homme, 1739, v. (La note de Voltaire, que nous citons en tête de ses vers, est de 1742.)
Voltaire blâme, au moins avec sévérité, Shakespeare d’avoir présenté sous une forme comique la scène des Lupercales, dont le fond, dit-il, « est si noble et intéressant ». […] Or les faits sont précisément ce que Voltaire n’a pas emprunté à Shakspeare. […] Ce qui a frappé Voltaire, ce qu’il a fallu reproduire, c’est la passion, la jalousie, son aveuglement, sa violence, le combat de l’amour et du devoir, et ses tragiques résultats. […] De cette manière de concevoir le sujet, Voltaire a tiré des beautés admirables. […] Il faut obéir à la nécessité. » Ces deux vers ont frappé Voltaire, il les imite ; mais en les imitant, que fait-il dire à Orosmane, aussi heureux et confiant ?
Nous continuons par conscience, et, dans la peinture de la Mélancolie et de son palais, nous trouvons des figures bien autrement étranges : « une jarre qui soupire, un pâté d’oie qui parle, des hommes qui, travaillés par l’imagination, se disent en mal d’enfant, des filles qui se croient changées en bouteilles et demandent à grands cris un bouchon1117. » Nous nous disons alors que nous sommes en Chine ; qu’à une si grande distance de Paris et de Voltaire il ne faut s’étonner de rien, que ces gens ont d’autres oreilles que les nôtres, et qu’à Pékin un mandarin goûte avec délices un concert de chaudrons. […] Elle se trouve impuissante quand il faut peindre ou mettre en scène une action, quand il s’agit de voir et de faire voir des passions vivantes, de grandes émotions vraies, des hommes de chair et de sang ; elle n’aboutit qu’à des épopées de collége comme la Henriade, à des odes et des tragédies glacées comme celles de Voltaire et de Jean-Baptiste Rousseau, comme celles d’Addison, de Thompson, de Johnson et du reste. […] Son autre poëme, très-hardi et très-philosophique, contre les vérités et les pédanteries officielles, est une conversation bouffonne sur le siége de l’âme, où Voltaire a pris beaucoup d’idées et beaucoup d’ordures ; tout l’arsenal des sceptiques et des matérialistes était bâti et rempli en Angleterre, quand les Français y sont venus ; Voltaire n’a fait qu’y choisir, affiler des flèches.
Gibbon s’est appesanti avec une complaisance assurément malicieuse sur les misères et les subtilités théologiques, sur l’infinie division des sectes qui partagèrent les esprits dans le Bas-Empire, mais ce n’est pas à la façon de Voltaire qu’il s’y prend. Voltaire a le rire sarcastique et l’éclat du ricanement ; Gibbon a le rire composé et silencieux ; il le glisse au bas d’une note (voir celle, entre autres, qui termine ce qu’il dit de saint Augustin). — Comme Bayle, il se délecte (mais toujours en note) à la citation de quelques passages d’une obscénité érudite et froide, et il les commente avec une élégance recherchée (voir ce qu’il dit sur Théodora).
Dans une même tête on trouve amassées les opinions de Pythagore et la philosophie de Kant, le pyrrhonisme de Voltaire et la croyance aux enchantements, etc. […] Du temps qu’elle le voyait, elle lui disait quelquefois, à propos de ses colères d’enfant à l’Académie : « Vous n’êtes que furibond, vous n’êtes pas furieux. » Voltaire aurait dit, selon Pougens, en apprenant cette conversion de Mme de Créqui : « Ah !
Je dirai tout ce que je pense, en me replaçant dans l’esprit de l’ancien système français, inauguré par Corneille, et qui a régné sur notre scène jusqu’à Voltaire et ses disciples. […] Corneille avait dans sa bibliothèque, nous dit Fontenelle, le Cid traduit en toutes les langues d’Europe : sa pièce fut même retraduite en espagnol, elle fut imitée du moins par Diamante, que Voltaire a cru trop à la légère un des devanciers de Corneille.
ressemble à quelque épître amicale et tendre de Voltaire. […] — Malherbe, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, Regnard et Voltaire. » — Il faisait cette énumération sans rire.
Tandis que la postérité acceptait, avec des acclamations unanimes, la gloire des Corneille, des Molière, des Racine, des La Fontaine, on discutait sans cesse, on revisait avec une singulière rigueur les titres de Boileau au génie poétique ; et il n’a guère tenu à Fontenelle, à d’Alembert, à Helvétius, à Condillac, à Marmontel, et par instants à Voltaire lui-même, que cette grande renommée classique ne fût entamée. […] Le mot de Voltaire, Ne disons pas de mal de Nicolas, cela porte malheur, fit fortune et passa en proverbe ; les idées positives du xviiie siècle et la philosophie condillacienne, en triomphant, semblèrent marquer d’un sceau plus durable la renommée du plus sensé, du plus logique et du plus correct des poëtes.
Que lui importe le xviiie siècle et que Voltaire soit venu ? Voltaire ne lui paraît que le plus grand des beaux esprits .