Quoi, nous sommes ce peuple qui, à la fin du dernier siècle, — hier, au moment où nos pères venaient de naître, — illumine le monde entier par les éclats merveilleux de la plus sublime révolution qui se soit jamais accomplie ; nous sommes ce peuple qui, traversant l’Europe au bruit du canon, va porter à toutes les nations les germes d’une liberté encore endormie peut-être, mais que j’entends sourdre sous la terre ; nous sommes ce peuple qui se débat glorieusement à travers les neiges meurtrières et qui force, par sa défaite même, toutes les races à venir s’asseoir chez lui au grand banquet de la civilisation ; nous sommes ce peuple qui souffre d’une gestation d’avenir ; nous sommes ce peuple qui a eu tant de gloires magnifiques, tant de poignantes humiliations, et il faut donner des récompenses nationales à ceux qui chantent en français de cuisine les Grecs et les Romains !
Supposons en effet que la fausse reconnaissance proprement dite — trouble toujours passager et sans gravité — soit un moyen imaginé par la nature pour localiser en un certain point, limiter à quelques instants et réduire ainsi à sa forme la plus bénigne une certaine insuffisance qui, étendue et comme délayée sur l’ensemble de la vie psychologique, eût été de la psychasthénie : il faudra s’attendre à ce que cette concentration sur un point unique donne à l’état d’âme résultant une précision, une complexité et surtout une individualité qu’il n’a pas chez les psychasthéniques en général, capables de convertir en fausse reconnaissance vague, comme en beaucoup d’autres phénomènes anormaux, l’insuffisance radicale dont ils souffrent.
Littré sait pourtant gré à l’homme de sa laborieuse destinée, oubliant que ce labeur dont l’homme souffre n’est que le travail forcé d’une machine qui serait douée de sensibilité.
Si le livre ne souffrit pas de ce coup d’état d’une élite, le théâtre tel qu’il se formait ne pouvait, hélas ! […] MARTINE Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie et que je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines etc… À propos de Corneille et de Racine, Péguy parlait du « départ en falaise », le souverain accent des premiers mots, abrupts, qui posent l’action et nous y font entrer dans la seconde : Impatients désirs d’une illustre vengeance… Ou bien : Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle… Ou bien encore : Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel.
Il souffre même de prendre ma religion en défaut. […] La question serait à débattre de savoir si la poésie de l’espace n’a pas souffert plus que la poésie du temps du prosaïsme, du rationalisme isolant de l’idée.
La page sur laquelle il avait pensé et travaillé, espéré et désespéré, triomphé et souffert, elle me paraissait bien une des pages utiles et normales d’une littérature. […] « L’univers ne peut souffrir un seul instant d’être ce qu’il est.
« Il a retiré de tout cela une expérience multiple, sur les femmes pour en avoir aimé, sur les hommes pour en avoir vu, sur lui-même pour avoir souffert ; il a gardé juste assez d’élan pour arriver au fait, assez d’amour même pour sentir le plaisir ; cette gymnastique a été assez rude pour le fortifier, pas assez pour l’énerver. » Pendant ce temps, Jules, qui fait solitairement de la littérature en province et y noircit fiévreusement du papier, a été refoulé en lui-même par le double échec d’un amour trompé et d’une vocation contrariée, deux sentiments qui se sont fondus, se sont « pénétrés de tendresse et l’un l’autre décorés de poésie ». […] Il faut le regretter, pour eux d’abord, car ils en souffrirent, pour nous ensuite, car c’est le moment où Flaubert écrit la première Tentation, et ses lettres à Louise Colet nous eussent tenus à peu près au courant de son travail, comme elles feront au temps où il écrira Madame Bovary. […] Ce qui est sûr et ce qui importe ici, c’est, comme il l’écrit en 1853, que « ma pauvre Bovary sans doute souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même75 ». […] Il satisfait son égoïsme, mais ne cherche nullement à faire souffrir Emma. […] Quand elle accouche, Frédéric se reproche « comme une monstruosité de trahir ce pauvre être, qui aimait et souffrait de toute la tendresse de sa nature ».
Ceux qui parlent ainsi sont les débutants très-pauvres qui souffrent de ne pouvoir vivre encore de leur plume, ou les écrivains qui n’ont jamais connu le besoin et qui traitent la littérature en maîtresse, à laquelle ils ont de tout temps payé des soupeurs fins. […] Il n’y a pas d’excuse aux encouragements, s’il n’est pas sous-entendu qu’on cherche à faciliter la venue des hommes supérieurs qui se trouvent confondus et qui souffrent dans la foule. […] Tant mieux s’ils souffrent, s’ils désespèrent, s’ils se fâchent. […] Il se casse les deux jambes, il ne peut plus travailler, et Gianni le voit tellement souffrir d’une étrange jalousie, lorsque lui-même touche un trapèze, qu’il renonce de son côté à son art.
Sa santé, assez faible, avait souffert d’un voyage d’hiver en Angleterre, où il était allé se marier, et d’un retour brusque dans un appartement pas préparé en plein froid décembre. […] Poictevin de donner à ses livres une affabulation compliquée ; l’extériorité du drame est toujours, en tous ses livres, homologue : un être souffre ou jouit de la réaction des choses ; deux êtres unis souffrent ou jouissent de la réaction du présent et des souvenirs et des sites sur eux, et vivent d’une vie commune remplie par les rêves divergents qu’inspirent les mêmes faits et les mêmes lignes vues par des cerveaux différents. […] Il y présente un Verlaine, doux poète, et qui se met en peine de prouver l’unité de son art, aux doubles voltes catholiques et païennes ; il nous semble que le catholicisme de Verlaine se compose du fort mysticisme inhérent à tout poète, surtout qui a pratiquement et virtuellement souffert, que ce mysticisme imbibé de tendresse et de charité envers le prochain c’est du bon socialisme, chez ceux qui ne tiennent pas à appeler Dieu cet état de croyance à des entités philosophiques. […] Il semble qu’en le livre ci-étudié une part surtout souffre déjà l’injure du temps, et cela parce qu’elle fut plus vivement écrite, plus imprégnée du souffle contemporain. […] Ce n’est point le phalanstère des Cœurs nouveaux qui peut nous arrêter une minute ; l’idée de phalanstère nous est trop connue ; mais nous regarderons avec curiosité la forme, le détail architectural de ce phalanstère, les paysages qui l’entourent, le rêve de l’homme qui fit de l’édification de ce phalanstère le but de sa vie, et c’est parce qu’il ne réussit point, et qu’il souffre dans son âme de la ruine de son essai de matérialisation de son rêve, que cet homme nous intéresse.
Ils préfèrent « renoncer à la Beauté plutôt que la souffrir restreinte et limitée » et se réfugient dans l’Expression. […] Après avoir souffert d’un excès de naturalisme, nous manquâmes mourir d’un excès d’idéalisme. […] Souffrons qu’il s’oxygène en paix67.
J’en souffrais peu pour mon compte.
. — En ce moment, je souffre de la migraine, ou je goûte un bon fruit, ou je me délecte à chauffer mes membres au coin du feu ; j’imagine ou je me souviens, je suis contrarié ou égayé par une idée, je me décide à faire une démarche.
« Avec toi l’on apprend à souffrir l’indigence, À jouir sagement d’une honnête opulence, À vivre avec soi-même, à servir ses amis, À se moquer un peu de ses sots ennemis, À sortir d’une vie, ou triste ou fortunée.
… Je vivais heureuse de mon sort, aimée, jeune, riche, honnête et belle ; je suis maintenant avilie, misérable, malheureuse… Mon père allait assister à quelque tournoi dans la ville de Bayonne ; parmi les chevaliers qui venaient pour y figurer, soit qu’Amour me le fît ainsi apparaître, soit que sa valeur éclatât d’elle-même en lui, le seul Zerbin me sembla digne de louange ; c’était le fils du grand roi d’Écosse, « Pour lequel, après qu’il eut donné dans la lice des preuves merveilleuses de sa chevalerie, je me sentis prise d’amour, et je ne m’aperçus que trop tard que je n’étais plus à moi-même ; et, malgré tout ce que je souffre pour lui, je ne puis m’arracher de l’esprit que je n’avais pas mal placé mon cœur, mais que je l’avais donné au plus digne et au plus beau des paladins qui soit sur la terre. » Elle raconte comment ils s’aimèrent.
Mahomet, le législateur de l’Arabie, voyagea dix ans, recueillit sa religion et ses lois chez les juifs et les chrétiens, en leur vendant ses chameaux et ses épices, et ne commença à prophétiser qu’après avoir souffert la persécution, première vertu de l’homme qui s’immole à sa patrie et à son Dieu.
Autant que la pensée, le style et la composition littéraire souffrirent des habitudes de l’École.
» Alors il va s’asseoir sur un banc du Pont des Arts, et contemple longuement ce bête de monument, tel qu’il apparaît sur les couvertures des éditions Didot, et se remémorant tout ce qu’il a souffert de par cette bâtisse il s’écrie : « Ça, une m… !
Ai-je dit à l’argile inerte : Souffre et pleure !
Que les gens soient sans éducation, sans capacités, sans caractère, ridicules, stupides, laids, faibles d’âme et de corps, bas, écervelés et totalement nuls, Dickens les aimera ; pourvu qu’ils ne fassent souffrir personne directement dans leur carrière inutile ou ignoble, le romancier leur réservera ses sympathies, badinera avec eux, les fera plaisants ou amusants et donnera sans cesse ces humbles en exemple ; il sourit à leurs manies, les prend sous sa protection spéciale et grossit encore leurs rangs de quelques couples de braves idiots et de vertueux aliénés.
Il peinait, il souffrait ; les minuties toujours mieux aperçues de son métier, bornaient de plus en plus son horizon intellectuel ; il souhaita des succès de livres, puis des succès de pages, puis des succès de phrases5 ; il sacrifia graduellement toute sa vie à sa passion ; il vécut dans le sourd malaise des phénomènes, qui logent en leurs corps une âme hétéroclite, jusqu’à ce que cette despotique activité cérébrale, après avoir imposé au corps, sans en être atteinte, une maladie nerveuse l’épilepsie transitoire6 de sa jeunesse ; et de sa vieillesse l’anéantit et le foudroyât au pied de sa table de travail par une dernière et délétère victoire d’un organe sur un organisme.
Elle veut qu’on lui arrache ce qu’elle donne, c’est-à-dire que, comme les instruments de musique les plus parfaits, elle ne souffre pas la médiocrité ; elle veut des chefs-d’œuvre ou rien.
Tu vois nos pressants dangers : Donne à ton nom la victoire ; Ne souffre point que ta gloire Passe à des dieux étrangers.
Ô mon fils, de ce nom j’ose encor vous nommer, Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes Que m’arrachent pour vous de trop justes alarmes.
Richelieu a souffert pour la Fonction, pour l’État qu’il a créé, pour la Royauté dont il fut l’homme-lige et inviolablement fidèle.
Et, en effet, Edgar Poe appartient à la famille de ces esprits chez qui les sensations, les manières de voir et presque la manière de souffrir, tout, enfin, est marqué au coin de cette originalité effrayante qui ne vient ni de la hauteur, ni de la profondeur, ni de l’expression inattendue du génie, mais qui semble venir plutôt d’une différence spécifique dans la nature même de la pensée.
Decamps qui les lui a enseignés, nous souffrons devant un Decamps de penser à M.
La réputation naissante de Molière souffrit beaucoup de cette disgrâce, et ses ennemis triomphèrent quelque temps.
Peut-être même, dans un accès de fierté, est-il allé jusqu’à se dire : Personne encore n’a souffert autant que moi ; personne n’a aimé d’un amour aussi ardent, aussi fidèle, aussi persévérant, aussi désintéressé ; personne n’a élevé dans son cœur à la femme préférée un temple aussi magnifique, personne ne lui a rendu un culte aussi fervent. […] Quand une femme est détrônée par la gloire dans le cœur de son amant, elle peut se plaindre, elle peut s’étonner, elle peut souffrir dans son orgueil humilié ; elle n’a vraiment rien à regretter ; le cœur qui lui échappe ne valait pas la peine d’être disputé. […] Et vous souffrez que cette race vous surpasse en intelligence et répande à flots votre sang, cette race que Dieu avait faite pour vous obéir, et qui maintenant se nourrit de vos discordes ! […] Il n’y a, en effet, dans son dévouement, dans son abnégation, ni déclamation, ni emphase : il souffre et se résigne sans murmurer contre la Providence ; il accepte, avec une soumission absolue, les épreuves que Dieu lui envoie, et ne devine pas même la grandeur et l’héroïsme de sa docilité. […] Adrienne a beau ajouter à l’autorité de ses conseils l’autorité de son exemple, elle a beau dire à Gabrielle : Tu vois ce que j’ai souffert pour avoir préféré la passion au devoir ; ses paroles ne respirent pas une affection assez ardente, une sympathie assez profonde pour que sa nièce, en l’écoutant, renonce à toutes ses espérances, à toutes ses illusions.
Aussi, dès les premières pages de ce drame gigantesque, il est visible que l’auteur est à l’aise, qu’il a ses coudées franches, et qu’il touchera sans souffrir aux dernières limites de sa pensée. […] Delavigne, on a grand-peine à comprendre le travail de sa pensée ; le duc de Glocester souffre, avec une patience exemplaire, les railleries d’un marmot qu’il pourrait d’une parole réduire au silence. […] Don Juan souffre patiemment l’injure qui lui est infligée ; il appelle la gloire qui lui échappe, et lutte sans colère contre la jalousie du roi. […] Enfin, quand elle a résolu la mort du favori, doit-elle souffrir qu’on escamote sa victime ? […] Quoiqu’elle n’écoute jamais sans trembler la voix de son maître, elle garde pour le serment qu’elle a prononcé un respect religieux : elle souffre silencieusement, et n’entrevoit pas l’adultère comme le terme de ses douleurs.
Cette attitude n’empêche ni la cordialité des relations, ni l’estime, ni l’admiration ; mais elle éviterait des erreurs dont souffrent les deux partis. […] En somme, Léopardi, comme bien d’autres hommes, humbles on supérieurs, souffre de n’être pas heureux ; son originalité est, moins de se complaire dans sa souffrance, ce qui n’est pas très rare, que de trouver des raisons à cette complaisance et de les exposer avec logique et décision. […] Une femme et même un homme nerveux peuvent éprouver un grand malaise, peut-être une syncope, en s’imaginant qu’on leur coupe la jambe, qu’on leur râcle les os ; de durs soldats ont souffert sans broncher de telles amputations. […] Ne souffrez pas de conseils ; repoussez-les, bouchez-vous les oreilles : laissez vos yeux maîtres de leur choix.
Pierre Il ne souffre pas qu’on touche à ses dieux.
Mon âme souffrait en moi de ce contraste forcé entre un homme qui entre au théâtre, pour y chercher l’ivresse d’une jouissance, et ce même homme qui, plongé dans une mer d’angoisses, voudrait ramener son manteau sur ses yeux pour que personne ne pût lire sa tristesse sur son visage.
Je ne vous le dissimule point, c’est un homme d’une taille au-dessus de l’ordinaire et d’une figure qui n’a rien d’attrayant ; il est d’une humeur sévère, et ne souffre pas volontiers d’être contrarié ; outre cela, il est d’un âge déjà fort avancé.
” Alors je souffrais beaucoup ; j’avais la tête chargée, fatiguée, aplatie par l’énorme poids du rien.
Le volume de 1860 n’en souffrira pas ; nous suppléerons à l’inconvénient en publiant, comme aujourd’hui, deux Entretiens à la fois, de manière que les douze Entretiens de l’année soient toujours complétés avant le 1er janvier de l’année suivante.
Le souvenir, le culte même des peuples consacrent leurs noms à l’immortalité ; et vous, loin de décerner des honneurs au conservateur d’un si grand peuple, au vengeur de tant de forfaits, vous souffririez qu’on le traîne au supplice !
Puis, ajouta Cobenzel, j’aime à penser que votre désir de donner la paix à l’Europe, comme vous me l’avez souvent promis, vous décidera à renoncer à cette détermination de ne souffrir aucune addition, aucun retranchement à cet article, d’autant plus que c’est vraiment une calamité de consommer une aussi regrettable rupture pour un seul article, quand on a combiné tout le reste à l’amiable.
Quelque temps il souffrit d’un désespoir profond, sous son nouveau maître ; mais, ayant retenu dans sa mémoire le nom des diverses personnes qui avaient acheté chacune une partie de sa chère famille, il feignit une maladie, si l’on peut appeler feint l’état d’un homme dont les affections avaient été si cruellement brisées, et refusa de se nourrir pendant plusieurs jours, regardé de mauvais œil par l’intendant, qui lui-même se trouvait frustré dans ce qu’il avait considéré comme un bon marché.
J’avais vécu, j’avais aimé, et j’avais beaucoup souffert !
Le tout est de savoir, si un homme qui meurt de male amour ou de male ambition, souffre plus qu’un homme qui meurt de faim.
Cette salle, cette chambre, est le musée le plus complet de glaives, de chevalets, de fauteuils capitonnés de pointes, de brodequins à vis, de poires d’angoisse, de toutes les imaginations d’une mécanique meurtrière, pour faire, savamment et diversement, souffrir la chair humaine.
Ce parent, était le représentant de la grande bourgeoisie française, qui souffre des poèmes créés par le poète, des victoires gagnées par le général, des découvertes mises au jour par le savant.
Il n’eut, pour le soutenir en France, d’écrivain de distinction, que Fontenelle dont la réputation naissante souffrit alors quelque éclipse.
Ames solitaires heurtées sans pénétration — mêlée sans mélanges— en éclats douloureux, d’autant moins conscientes de leur solitude que moins intellectuelles, le vieux Vockerat et sa femme, simples par l’esprit, souffrent le moins — et ils ont où se cramponner, Kaethe, l’Idolâtré englouti, tombe les mains s’effarant au vide du piédestal.
Lui, le fils pieux, il a dû souffrir d’être réduit à flétrir la mère si dévouée à ses enfants, qui les éleva et les soigna si tendrement alors que le père les abandonnait, qui les laissa librement se développer et obéir aux impulsions de leur nature.
Sans dire ici (ce n’est pas la place) ce que nous croyons entrevoir sur le résultat de cet enfantement de plusieurs siècles, nous sommes convaincu que l’Europe souffre pour mettre au monde, quoi ?
« Quant à nous, comme Voltaire, nous n’avons trouvé, dans le Dante, qu’un grand inventeur de style, un grand créateur de langue égaré dans une conception ténébreuse, un immense fragment de poète dans un petit nombre de morceaux gravés plutôt qu’écrits avec le ciseau de ce Michel-Ange de la poésie, quelquefois une grossière trivialité qui se dégrade jusqu’au cynisme du mot (le papier français n’en souffrirait pas ici la reproduction et la preuve), une quintessence de théologie scolastique qui s’élève jusqu’à la vaporisation de l’idée ; enfin, pour dire notre sentiment d’un seul mot, un grand homme et un mauvais poème !
. — On a dit que chaque bataille est un gain pour la civilisation ; mais en fait la civilisation n’a-t-elle pas plutôt souffert de ces guerres interminables qui mirent l’Italie sous les pieds des conquérans espagnols, français, allemands ?
Un père qui, après avoir exposé cent fois sa vie pendant la durée d’une guerre longue et cruelle, a été poursuivi sur les mers et sur les terres, par la colère des dieux qui s’étoient plu à mettre sa constance à toutes les épreuves possible ; une mère, une épouse qui croyoit avoir perdu son fils et son époux, et qui avoit souffert, pendant leur absence, toutes les insolences d’une multitude de princes voisins.
Quoique d’une constitution résistante où la sécheresse marquait le nerf et le muscle, Audin, comme tous les grands travailleurs, avait un corps qui souffrait de l’activité de son âme.
. — Molière, tout au rebours : il a été grave, sérieux, austère pendant tout le cours de la pièce ; il a oublié bien souvent qu’il nous avait promis une comédie, et maintenant que justice est faite, que le scélérat est englouti, Molière se souvient qu’il a voulu en effet écrire une comédie, et qu’il doit, tout au moins, nous laisser sur un trait plaisant ; hé bien, ce trait plaisant, au milieu du souffre qui brûle encore, il le tire du trembleur Sganarelle. […] « Sincerum fuit sic eorum judicium, nihil ut possint nisi incorruptum audire et elegans : eorum Religioni cum serviret orator, nullum verbum insolens aut odiosum ponere solebat. » Ceci est un beau passage de Cicéron, et ce que dit l’orateur romain des orateurs athéniens, on le dira quelque jour des journalistes de Paris, lorsque les esprits seront accoutumés à ne rien souffrir que de pur, d’élégant et d’achevé ; lorsque cette intelligente nation aura forcé les écrivains, par son discernement même, à ne rien avancer, qui ne soit d’un sens exquis, et contenu dans les justes limites d’une langue obéissant aux lois les plus strictes de la grammaire, aux instincts les plus exigeants de l’esprit.
Ainsi, le poète s’envoie à soi-même une de ces épreuves que l’unanimité juge don de la Providence, à qui se doit, par vocation, de souffrir jusqu’au lyrisme. […] Lui, petit lambeau de sentimentalités diaphanes, il s’estime assez peu pour accepter de souffrir, en l’honneur du mâle, son principe congestionné d’omnipotence.
C’était toujours une des tantes ; grand-père, qui souffrait d’un catarrhe, ne sortait pas le soir. […] Selon mon habitude je ne criais pas, je ne souffrais d’ailleurs nullement, je riais même, devant la drôle de grimace que faisait la petite figure pâlotte de ma sœur, prête de pleurer. […] Je fis exprès de rendre en dernier la visite obligatoire à la supérieure ; elle me détestait et je ne pouvais pas la souffrir.
Si elle est mauvaise, l’organisme qui souffre fait un effort et s’en débarrasse. […] Loin que son œuvre soit impersonnelle, les rôles sont ici renversés : c’est l’homme qui est vague et tissé d’incohérences ; c’est l’œuvre qui vit, respire, souffre et sourit noblement. […] Nul n’a plus aimé la femme que Michelet : s’il a été trahi dans sa littérature par celle-là même qu’il avait élue entre toutes les femmes, ce n’est pas lui qui doit en souffrir devant la postérité.
Assister à cette bataille, combattre obscurément dans un coin pour la bonne cause était notre vœu le plus cher, notre ambition la plus haute ; mais la salle appartenait, disait-on, à l’auteur, au moins pour les premières représentations, et l’idée de lui demander un billet, nous rapin inconnu, nous semblait d’une audace inexécutable… Heureusement Gérard de Nerval, avec qui nous avions eu au collège Charlemagne une de ces amitiés d’enfance que la mort seule dénoue, vint nous faire une de ces rapides visites inattendues dont il avait l’habitude et où, comme une hirondelle familière entrant par la fenêtre ouverte, il voltigeait autour de la chambre en poussant de petits cris et ressortait bientôt, car cette nature légère, ailée, que des souffles semblaient soulever comme Euphorion, le fils d’Hélène et de Faust, souffrait visiblement à rester en place, elle mieux pour causer avec lui c’était de l’accompagner dans la rue. […] Mettez qu’ils soient de notre collaborateur, pour que notre modestie ne souffre pas trop, et vous serez dans le vrai. […] Ce stoïque de l’art, qui avait souffert si patiemment pour le beau, dont l’amour-propre avait dû saigner tant de fois, ne put résister à la perte d’un fils adoré. […] Nous connaissions à peine madame Dorval, et, cependant, il nous semble avoir perdu une amie intime : une part de notre âme et de notre jeunesse descend dans la tombe avec elle ; lorsqu’on a de longue main suivi une actrice à travers les transformations de sa vie de théâtre, qu’on a pleuré, aimé, souffert avec elle, sous les noms dont la fantaisie des poètes la baptise, il s’établit entre elle et vous, — elle figure rayonnante, vous spectateur perdu dans l’ombre, — un magnétisme qu’il est difficile de ne pas croire réciproque.
Nous avons eu lieu d’observer que la Rochefoucauld était valétudinaire, — et il faut ajouter que c’est le cas de la plupart des moralistes ; c’est cela même qui les dispose à moraliser : Horace souffrait de l’estomac ; Sénèque, de même ; Lucien avait la goutte, Montaigne la gravelle, Bossuet la pierre, — et la Rochefoucauld était perclus de rhumatismes, ressouvenirs de ses diverses aventures : fructus militiae ! […] Sa candeur l’empêcha de s’apercevoir et de souffrir de la société où il vivait… Ame innocente, l’inspiration fut le plus grand bonheur, la plus grande récompense que Dieu pût lui accorder : jamais il ne se mettait à son piano sans faire sa prière. […] Sa voix n’en est que plus secourable : plus il a souffert, plus elle devient tendre, pénétrante. […] Dans sa vieillesse il eut à souffrir de la gravelle.
Il me semble aussi que ceux qui ont l’esprit fait entendent tout ce qu’on dit, et qu’il ne leur faut plus après cela que de bons avertisseurs. » Quand le Dictionnaire de l’Académie, continué par nos petits-neveux, en sera au mot incompatible, quel meilleur exemple aura-t-on à citer, pour le sens absolu du mot, que ce trait du chevalier contre les raffinés qui ne savent causer, dit-il, qu’avec ceux de leur cabale, et qui voudraient toujours être en particulier, comme s’ils avaient à dire quelque mystère : « Je trouve d’ailleurs que d’être comme incompatible, et de ne pouvoir souffrir que des gens qui nous reviennent, c’est une heureuse invention pour se rendre insupportable à la plupart des dames, parce que, d’ordinaire, elles sont bien aises d’avoir à choisir. » Je pourrais continuer ainsi et varier les détails sur ce mérite d’écrivain et presque de grammairien du chevalier, qui s’en piquait tant soit peu ; mais il ne faut pas abuser.
Vingt fois, en 1790, on lit sur son journal que tel jour le cerf chasse à tel endroit ; il souffre de n’y pas être.
« Jouet longtemps d’une trompeuse espérance, je souffris les rebuts et les dégoûts ; enfin mes beaux jours s’écoulèrent, et avec eux mon espoir et mon ambition.
Il n’avait pas encore terminé son Don Carlos et venait d’arriver de Souabe ; il paraissait être très malade et beaucoup souffrir des nerfs.
Mais il n’en est point ainsi : quand nous jouissons, souffrons, voulons, nous avons le sentiment du courant de la vie.
Lorsque ce grand nombre d’espèces n’existe pas, on peut être à peu près certain que le genre a déjà souffert beaucoup d’extinctions.
Cette seconde expérience prouve que, si les Abeilles construisaient elles-mêmes une mince muraille de cire, elles donneraient aux cellules qu’elles y creuseraient la forme accoutumée en commençant leur travail exactement à la distance les unes des autres exigée par la théorie, et qu’elles travailleraient à peu près avec la même vitesse des deux côtés en s’efforçant de faire toutes leurs excavations exactement sphériques, sans souffrir que ces sphères anticipent les unes sur les autres de manière à communiquer.
Elle consiste d’abord à se mettre par la pensée à la place des autres, à souffrir de leur souffrance.
On pourrait aisément retourner toute l’argumentation de Brunetière et prouver que les souverains sont moins libres que leurs sujets ; les bonnes fortunes leur sont faciles, l’amour-passion leur est interdit, et ils n’ont pas l’air d’en souffrir beaucoup.