Il débuta par la eune Amérique, journal de route, recueil de sensations éprouvées et notées à travers les villes, les vastes cultures, les exploitations minières du Chili et de la Bolivie. […] C’est seulement à l’éloquent auteur de ce livre de sensations, où les idées abondent, qu’il faut laisser le soin de l’expliquer : « Quand je la compare au Danemark et à la Norvège, la Suède m’apparaît comme la lourde arrière-garde de la race scandinave. […] Et, en effet, si Beaunier joue avec ses souvenirs, s’il se raconte ici, comme partout ailleurs, à la façon renanienne, c’est-à-dire cum grano salis, il n’invente pas, assurément, cette sensation de crainte, ce mouvement de recul, à la seule pensée de s’engager dans la forêt obscure. […] Plus d’intermédiaire, cette fois, au moins dans les meilleures pages du recueil, entre le poète et les sensations qu’il prend à tâche de traduire. […] Somme toute, ce naturel nous laisse, malgré nous, comme une sensation de nudité : la nudité, qui ne s’étale pas superbement, court le risque de paraître pauvre.
Presque tous ses poèmes expriment, disposent ou mieux juxtaposent, des images, à l’origine desquelles sont des sensations nues. […] Un artiste écarte de ses sensations, quand il s’agit de les exprimer, à la fois ce qui est trop individuel et ce qui est trop banal. […] Vivant dans un monde subtil de sensations et d’idées, il ne donnait pas au mot exister, ou plutôt il n’éprouvait pas dans ce mot sa signification usuelle. […] Or la logique de Mallarmé consiste à respecter la suite des sensations, à réfléchir longuement et ingénieusement sur elle, à se demander si ce hasard ne serait pas l’ordre unique. […] Dans le Lamartine de M. de Pomairols quelques indications fort bonnes sur l’allégement de la sensation rallient un peu cet ordre d’idées.
C’est ici la séve du pays humide, grossière et puissante, qui coule dans l’homme comme dans les plantes, et par la respiration, la nourriture, les sensations et les habitudes, fait ses aptitudes et son corps.Cette terre ainsi faite a un ennemi, la mer. […] La pesante brute humaine s’assouvit de sensations et de bruit.Pour cet appétit, il y a une pâture plus forte, j’entends les coups et les batailles. […] Dans leur langue, les flèches « sont les serpents de Héla, élancés des arcs de corne », les navires sont « les grands chevaux de la mer », la mer est la coupe des vagues, « le casque est « le château de la tête » ; il leur faut un langage extraordinaire pour exprimer la violence de leurs sensations, tellement que lorsque avec le temps, en Islande où l’on a poussé à bout cette poésie, l’inspiration primitive s’alanguit et l’art remplace la nature, les Skaldes se trouvent guindés jusqu’au jargon le plus contourné et le plus obscur. […] C’est que tout le talent d’une âme inculte gît dans la force et dans la sincérité de ses sensations.
Le tout n’est pas, surtout pour vous, de pénétrer l’homme à fond, de mesurer sa grandeur ou de démêler sa complexité : c’est d’avoir et de donner la sensation du vivant : c’est d’avoir vraiment pris son contact ; et l’eût-on vu de profil, n’en eût-on vu que l’ombre, cela vaudrait mieux encore que d’avoir calqué une photographie antérieure.
Quand vous avez regardé cette bonne et ouverte face d’honnête savant que porte Rabelais, passez à Calvin : ce profil fin et dur, ces lèvres minces, cette jolie main effilée et nerveuse, qui se lève impérieusement pour enfoncer un argument, vous donnent la sensation de l’homme.
Vielé-Griffin montrent comme une défiance des choses, leurs formes extérieures peu-à-peu apprises, puis une recherche encore tâtonnante de leur sens réel qui hâtivement conclut, par des sensations d’infériorité devant elles, à un pessimisme révolté.
Cela tient à ce que la foule demande surtout au théâtre des sensations ; la femme, des émotions ; le penseur, des méditations.
Cela est vrai, raisonnable, sans exagération, sans affectation de cynisme ; aussi cet endroit-là ne fera presque pas de sensation.
Eh bien, c’est cette sensation d’un seul soir que j’ai retrouvée, non plus à propos de quelques vers isolés et bientôt dits, mais à propos de beaucoup de pages de prose, à vingt places de ces Portraits après décès où la Critique peut constater des empreintes d’âme à renverser toutes les idées qu’on se fait de Monselet et de son talent !
Alors que la littérature matérialisée se dit naturaliste, quand elle se fait tout bêtement abjecte et n’aspire plus qu’à donner aux hommes les plus ignobles sensations ; alors que le public, plus stupide encore qu’elle n’est abjecte, trouve cette littérature toute-puissante, un livre comme celui de Paul de Saint-Victor, haut d’inspiration, spirituel dans tous les sens du mot, idéal et grandiose, doit nécessairement avoir l’honneur de l’insuccès… Et s’il ne l’a pas, j’ose le dire !
il n’est jamais inconséquent dans ses instincts et ses sensations.
Il y a même sous cette plume de paysan, qui vous donne, d’ordinaire, dans cette histoire, la sensation d’une hache de bûcheron pour le coupant et la force du coup, des mots spirituels et jolis qui sentent leur Beaumarchais fruste, mais enfin leur Beaumarchais !
… Quant à nous, nous sommes d’une sensation contraire.
Sismondi, — rendons-lui cette justice, — malgré son épaisseur, fut encharmé de ces conversations parisiennes, comme l’ours de Berne qui entendrait l’harmonica, et il n’oublia jamais cette sensation quand il fut revenu dans son pays.
… Quant à nous, nous sommes d’une sensation contraire.
Le voluptueux siècle qui n’avait pas trop de sifflets pour l’ascétisme chrétien, qui cultivait la sensation et qui en écrivit la philosophie, n’a tenu compte de rien à Mahomet, pas même de cette excellente polygamie, en comparaison de laquelle le divorce est une bien petite invention.
Mais quelqu’un d’aussi littéraire que Feuillet de Conches, quelqu’un qui passe sa vie en habit de soie dans le détail d’une fonction de cour qui demande un perpétuel sous les armes, ne pouvait pas aller chercher le conte où il est réellement le plus, et où de mâles observateurs comme Fielding, le juge de paix, et Walter Scott, le greffier, sont allés le chercher, au péril de leurs habitudes de gentlemen tirés à quatre épingles, de la délicatesse de leurs sensations, et parfois de leur dignité.
À la vérité, ne les saisissant que dans les sensations que j’en ai, je reconnais que ce n’est point les saisir, et que je ne prends possession que de mes sensations seules. […] Ce que nous connaissons le mieux, c’est nous-mêmes ; or, comme nous l’avons vu plus haut, nous ne nous connaissons pas ; nous nous sentons ; rien de plus ; nous nous saisissons, non en nous-mêmes, non en notre fond, mais en chacune de nos sensations, ou dans le souvenir de nos sensations, ou dans un agrégat de nos sensations passées, conservées par le souvenir. […] Le discord et la discordance dont on avait autrefois la sensation quand les personnages de M. […] Mais aucune sensation n’a passé d’elle à lui, ni de lui à nous. […] La première sensation que l’on éprouve, après avoir lu le dernier livre de M.
Elle découvre en un clin d’œil une foule d’aperçus, dont la piquante variété ne semble point impliquée dans la sensation simple du comique ou du beau, et l’on ne conçoit pas par quelle mystérieuse analyse elle a su tirer tant de choses, du fait d’être émue et d’admirer. […] Car « la trame de nos sensations est si compliquée, qu’à grand-peine l’analyse la plus subtile en peut-elle saisir un fil bien séparé et le suivre à travers tous ceux qui le croisent. […] Il n’existe, pas dans la nature de sensations absolument simples.
En un instant nos catalogues, nos raisonnements, tout l’attirail des souvenirs et des préjugés disparaît de sa mémoire ; les choses lui semblent neuves ; il est étonné et il est ravi ; un flot impétueux de sensations arrive en lui et l’oppresse ; c’est la séve toute-puissante de l’invention humaine qui, arrêtée chez nous, recommence à couler chez lui. […] L’accumulation des sensations et de la fatigue tend à l’excès leur machine nerveuse, et leur vernis de gaieté mondaine s’écaille vingt fois par jour pour laisser voir un fonds de souffrance et d’ardeur. […] Il a senti, au moins cette fois dans sa vie, cette tempête intérieure de sensations profondes, de rêves gigantesques et de voluptés intenses dont le désir l’a fait vivre et dont le manque l’a fait mourir.
Par des sensations aussi, par des « notations musicales » ; telle désinence avait, paraît-il, un éclat voilé qui éveillait dans l’âme mille retentissements prolongés ; telle voyelle équivalait à tel instrument ; A donnait le son de l’orgue, E de la harpe, U de la flûte ; il s’ensuivait qu’on pouvait orchestrer un poème comme le compositeur marie dans une symphonie les cors, les fifres et les hautbois. […] Il prodigue, pour exprimer ses sensations, les termes de métier empruntés à l’architecture, à l’archéologie. […] Plus nerveux que Gautier, ils ajoutent à la vision nette des choses et des gens la sensation aiguë que donne tel aspect fugitif d’une personne ou d’un site.
Même, pour ce tableau le plus antique, le retour du printemps, que l’on prenne, dans Anna Karénine, la sortie du propriétaire Lévine, allant, par la première journée douce de renouveau, inspecter les champs aux molles noires, les enclos où meuglent les bestiaux étourdis et ivres de leur sortie au grand air, puis sa course à cheval par ses bois, dans la brise molle et crue cependant de la fonte des neiges, dont l’eau claire court, à peine salie sur le sol gelé ; les faits familiers mais précisés, les sensations vives fraîchement remémorées d’une observation plus attentive et plus charmée, plus immédiatement vraie que dans la plupart des romans réalistes, s’y pressent comme pris à même avec de grosses et bonnes mains, sans qu’il y ait cependant à vrai dire de passages descriptifs, sans qu’on puisse séparer la série de traits formant tableau de la série des pensées du personnage dont la présence dans cette scène en cause le narré. […] Comme on le reconnaît par ces exemples, il n’y a guère chez Tolstoï de descriptions pures ; la nature n’est pour lui que le théâtre des actions humaines, un milieu montré dans la mesure où il modifie et détermine les sensations, les volontés et conditionne les actes. […] Nul comme cet auteur ne suscite sans cesse la sensation de la simple chaire humaine blanche, rose, rouge et molle, imbibée de sang, traversée d’os et de nerfs, arrondie en forme de membres gros ou menus, produisant cette notion presque animale de communauté, de tiède contact qui naît du milieu des foules, sur les champs de bataille, dans les hôpitaux, partout où les hommes sont prostrés ou amalgamés dans la perte de tout ce qui les érige en individualités distinctes.
Le cheval, quelle indicible sensation d’écrasement ! […] Comme plus tard il tirera à un Fourmies quelconque, parce qu’il a associé tel monosyllabique commandement à une crispation de la deuxième phalange de l’index dextre, ce à quoi il ne doit se refuser, puisqu’il a cru lire Darwin et Spencer. — Sensation ennuyeuse : trop de faits-divers superposés en tiroirs, explosions célèbres, etc. […] N’avons-nous pas le droit de considérer au nôtre la foule — qui nous dit aliénés par surabondance, par ceci que des sens exacerbés nous donnent des sensations à son avis hallucinatoires — comme un aliéné par défaut (un idiot, disent les hommes de science), dont les sens sont restés si rudimentaires qu’elle ne perçoit que des impressions immédiates ?
Se suicident ceux-là qui n’ont point la quasi universelle lâcheté de lutter contre certaine sensation d’âme si intense qu’il la faut bien prendre, jusqu’à nouvel ordre, pour une sensation de vérité. […]/ J’ai voulu ouvrir la porte et n’ai pas osé. […] Il s’agit bien ici de contester l’idée de « crise de l’esprit » brandie contre les avant-gardes qui ont érigé en valeurs l’émotion et la sensation, non sans se réserver le droit de libre examen des vérités reçues .
Leur style n’est plus qu’un instrument à noter des sensations. Or, on peut exaspérer celles-ci jusqu’à l’acuité morbide, ce ne seront jamais que des sensations, c’est-à-dire l’étoffe rudimentaire de notre activité intellectuelle. […] Une foule de pensées et d’images, de sensations et de sentiments, de vagues réminiscences ataviques et de beaux souvenirs de famille ou de patrie l’agitaient et le travaillaient obscurément.
Je vais fermer les yeux, boucher mes oreilles, éteindre une à une les sensations qui m’arrivent du monde extérieur : voilà qui est fait, toutes mes perceptions s’évanouissent, l’univers matériel s’abîme pour moi dans le silence et dans la nuit. […] Je suis encore là, avec les sensations organiques qui m’arrivent de la périphérie et de l’intérieur de mon corps, avec les souvenirs que me laissent mes perceptions passées, avec l’impression même, bien positive et bien pleine, du vide que je viens de faire autour de moi. […] J’atténuerai de plus en plus les sensations que mon corps m’envoie : les voici tout près de s’éteindre ; elles s’éteignent, elles disparaissent dans la nuit où se sont déjà perdues toutes choses. […] J’éprouve une sensation ou une émotion, je conçois une idée, je prends une résolution : ma conscience perçoit ces faits qui sont autant de présences, et il n’y a pas de moment où des faits de ce genre ne me soient présents. […] La seconde implique que l’on connaît le sec, qu’on a éprouvé les sensations spécifiques, tactiles ou visuelles par exemple, qui sont à la base de cette représentation.
Les précoces étrangetés de sensation et de désir qu’il nous avoue avoir été la hantise de son enfance ont leur source au fond de lui-même, tels les gaz émanés d’un cadavre. […] Elle glisse de toutes parts à une sorte de fluidité qui, multipliant son contact avec toutes les émanations de la terre, du ciel et de l’eau, met comme un infini dans ses sensations. […] Il se refuse à tout concept, à tout désir moindres que cette infinité de sensation. […] A Paris, ses sensations sont horribles. […] Mais la sensation n’est pas assez étourdissante encore.
A travers un rapide récit, où Xipharès expose toutes les circonstances par lesquelles son rôle est déterminé, soudain il s’arrête un moment sur les victoires de son père : Et des rives du Pont aux rives du Bosphore, Tout reconnut mon père… De ce triomphe l’orgueil filial de Xipharès est enivré, et le sentiment suscite un réveil de sensations, la vision d’une mer sans ennemis, où les flottes du roi déploient joyeusement leurs voiles : ….Et ses heureux vaisseaux N’eurent plus d’ennemis que les vents et les eaux. […] Phèdre a une poésie plus prestigieuse encore : on ne saurait citer tous les vers qui créent, autour de cette dure étude de passion, une sorte d’atmosphère fabuleuse, enveloppant Phèdre de tout un cortège de merveilleuses ou terribles légendes, et nous donnant la sensation puissante des temps mythologiques : Noble et brillant auteur d’une triste famille.
Peintre excellent de sensations vivantes et personnelles, M. […] Les deux profils même, comme cela est constant dans la nature, n’ont pas la même expression ; l’un est plus sévère, l’autre plus serein, et l’ensemble donne bien la sensation de celui qui fut ensemble, et si éminemment, homme de pensée et homme d’action.
La compréhension (Verstand) nous dit : « Cela est maintenant », tandis que la sensation (Gefühle) nous a dit : « Cela doit être ». […] Cette étude se divisera donc en deux parties : le Gefühle (sensation) et le Verstand (compréhension).
Sans doute, comme elle ne parvient pas présentement à atteindre l’individu, elle ne peut nous fournir que des indications générales qui ne peuvent être diversifiées convenablement que si l’on entre directement en contact avec le particulier par la sensation. […] Dans des circonstances où un homme sain souffrirait, il arrive au neurasthénique d’éprouver une sensation de jouissance dont la nature morbide est incontestable.
V3 Je vais me donner une sensation nouvelle. […] Il n’est pas, il ne fut jamais, il ne pourrait pas être, un grand écrivain de nature humaine, qui la prend aux entrailles et la secoue avec puissance, mais il est très bien l’écrivain d’une petite société incapable de fortes sensations.
Le corps n’avait déraison d’être que dompté par l’âme ; la chair, aux libres sensations, n’était que la prison d’une étincelle divine, en perpétuelle mélancolie de son exil terrestre. […] Certaines de ses créations, même parmi les plus robustes d’aspect, donnent l’impression d’un « plaqué » sur la vie, sortant assurément de la main d’un puissant ouvrier, plutôt que l’impression de la vie elle-même, dans la richesse de ses couleurs et l’infinie variété de ses formes L’intime vérité de la nature nous donne une autre sensation, à la fois plus simple et plus variée.
Si je puis comparer les sensations de l’oreille à celles de la vue, le silence répandu sur les grands espaces est plutôt une sorte de transparence aérienne, qui rend les perceptions plus claires, nous ouvre le monde inconnu des infiniment petits bruits, et nous révèle une étendue d’inexprimables jouissances. » Fromentin ira dans cette voie jusqu’à noter le souffle aigu du vent dans les canons du fusil qu’il porte à la bretelle. […] Il les a ployés au service d’idées et de sensations nouvelles ; il les a détournés du sens habituel, groupés en combinaisons ingénieuses ; il a pris à l’atelier, pour les faire entrer dans la littérature, les termes d’argot vraiment pittoresques et méritants : il a créé une langue pour la critique d’art, dont il est à la fois l’inventeur et le modèle.
Mais que ces révélations, d’ordinaire fugitives et rares, se succèdent et se reproduisent incessamment dans une âme ; qu’elles se mêlent à toutes ses idées et à toutes ses passions ; qu’elles jaillissent, éblouissantes et lumineuses, de chaque endroit où se porte la pensée, des récits de l’histoire, des théories de la science, des plus vulgaires rencontres de la vie ; que, cédant enfin à ces innombrables sensations qui l’inondent, l’âme se mette à les répandre au dehors, à les chanter ou à les peindre, là est le signe, là commence le privilège du poète.
La comédie de Molière est trop imbibée de satire, pour me donner souvent la sensation du rire gai, si je puis parler ainsi.
Quelques retouches conviendraient au décor l’année suivante, pour donner aux mondains tout ensemble la sensation du nouveau et celle du recommencement.
Son operation prévient donc tous les raisonnemens, ainsi que l’operation de l’oeil et celle de l’oreille les dévancent dans leurs sensations.
bien, dans ces pages que le pédantisme peut appeler des œuvres, mais qui n’en sont pas, il n’y a que pensées de femme, sensations de femme, expérience de femme, mélancolie de femme à travers ses gaietés… de femme !
Par un pareil temps, un peu de pureté, cela peut paraître bon… Un peu de bonne compagnie, après les goujats et les filles publiques qui regorgent depuis trop longtemps dans notre littérature, c’est un changement de sensation !
À nos yeux, à nous, qui sommes surtout littéraires, et pour qui les idées, dans leur essence poétique ou rationnelle, doivent passer bien avant les formes plastiques qu’on peut leur donner, la Revue générale de l’Architecture a une importance que ne saurait avoir un monument isolé, lequel, après tout, fût-il de génie, ne nous donnerait jamais que des sentiments élevés ou de puissantes sensations.
Il fallut deux choses et les deux choses les plus puissantes que je connaisse dans une âme humaine : la sensation d’une épouvante et le sentiment d’un devoir.
Il est, enfin, non moins épouvantablement certain que cette philosophie de lâche est aussi dans la sensation recherchée des peuples abêtis et énervés qui n’ont ni Dieu pour couronnement de leurs civilisations, ni devoir, ni sens moral, ni rien de la substance qui fut une âme, et qu’ils sont dégoûtés jusque de porter le poids de leurs dernières corruptions !
Ce sera tout ce que vous voudrez, des impressions personnelles, les impressions d’un Ostrogoth ou d’un Gépide, — mais d’un Ostrogoth ou d’un Gépide à sensations fortes, et qui, d’ailleurs, a été baptisé, ce qui est de rigueur pour apprécier un travail sur la Bible.
Créatures de courte mémoire, qui ne peuvent pas même avoir peur longtemps, et dont les sensations ne sont que des éclairs qui passent, les hommes oublient ces deux questions redoutables, malgré l’impression qu’ils en reçoivent quand on les soulève devant eux.
II Elle y est, en effet, cette manie, un des derniers gestes de la décrépitude d’une société tout à la fois curieuse et blasée… Vieux de race, hébétés de civilisation, énervés, blasés, ennuyés, dégoûtés, ayant besoin pour nous secouer d’une originalité dont nous n’avons plus la puissance, nous ne comprenons plus rien à la beauté de la ligne droite dans les choses humaines, et nous la courbons, nous la tordons, nous la recroquevillons en grimaçantes arabesques, pour qu’elle puisse donner une sensation nouvelle à nos cerveaux et à nos organes épuisés… La simplicité du génie et de ses procédés nous échappe.
Elle est une cariatide froncée, écrasée, et bien ennuyée de porter son lourd entablement, et le pis de tout cela, c’est qu’on est de son avis et qu’on partage sa sensation, à cette cariatide !
Je n’ai point à refaire ici, en la racontant, cette histoire… Il faut en laisser toute la sensation, qui en vaut la peine, au lecteur.
Il serait curieux de savoir quelles furent les sensations de Victor Hugo quand il lut, pour la première fois, ces Contes épiques, que La Légende des siècles avait inspirés.
IV Ainsi, en plein cœur de son propre talent, pour le diminuer et le piquer de sa tache, voilà que nous rencontrons le Bohême, c’est-à-dire l’homme qui vit intellectuellement au hasard de sa pensée, de sa sensation ou de son rêve, comme il a vécu socialement dans cette cohue d’individualités solitaires, qui ressemble à un pénitentiaire immense, le pénitentiaire du travail et de l’égoïsme américain !
Les plus furtives des sensations charnelles, il les a mises d’accord avec les fins universelles. […] L’auteur nous fait pénétrer dans un monde inexploré de sensations. […] Et nous serions pareils à ces tristes vieillards, qui après avoir épuisé toutes les sensations, toutes les pratiques et tous les vices, tombent en enfance, et, comme de petites filles, s’amusent à la poupée. […] Il ne s’est pas fait un vocabulaire, il n’a pas trouvé de modes d’expression qui correspondent vraiment à ses sensations. […] Certes, les Romans ont raison de blâmer certains poètes comme les Ghéon et les Jammes, qui semblent s’efforcer de défigurer le naturisme et s’amusent à enfiler, sans art, les sensations les unes au bout des autres.
Elle le côtoie sans cesse, d’ailleurs, dans la sensation. […] Bornons-nous à rappeler que l’extension admet des degrés, que toute sensation est extensive dans une certaine mesure, et que l’idée de sensations inétendues, artificiellement localisées dans l’espace, est une simple vue de l’esprit, suggérée par une métaphysique inconsciente bien plutôt que par l’observation psychologique. […] Si je la déclare une, des voix intérieures surgissent et protestent, celles des sensations, sentiments, représentations entre lesquels mon individualité se partage. Mais si je la fais distinctement multiple, ma conscience s’insurge tout aussi fort ; elle affirme que mes sensations, mes sentiments, mes pensées sont des abstractions que j’opère sur moi-même, et que chacun de mes états implique tous les autres.
Mais ils ne sont pas allés jusqu’à la sensibilité pure, comme on dirait aujourd’hui ; encore moins jusqu’aux sensations primitives qui échappent à la conscience claire. […] Il dira donc : inquiétude ; mais, pour montrer qu’il n’est pas entièrement satisfait de ce terme, chaque fois que le mot viendra sous sa plume, il le soulignera… Le jour où Locke dignifie la sensation, en faisant d’elle le point de départ unique de notre vie morale, il opère un changement de valeurs qui est une révolution. […] Mais ces sensations, qui sont elle, ont pourtant un contenu propre, c’est à dire un certain caractère affectif, plaisir ou peine, jouissance ou souffrance. […] « En conséquence de cette sensibilité sourde, et de la différence des configurations, il n’y aurait eu pour une molécule organique quelconque qu’une situation la plus commode de toutes, qu’elle aurait sans cesse cherchée par une inquiétude automate… » Dès lors, Maupertuis aurait dû définir « l’animal en général, un système de différentes molécules organiques qui, par l’impulsion d’une sensation semblable à un toucher obtus et lourd… se sont combinées jusqu’à ce que chacune ait rencontré la place la plus convenable à sa figure et à son repos88… » Ou, mieux encore : « Il n’y a que la vie de la molécule ou sa sensibilité qui ne cesse point ; c’est une de ses qualités essentielles89… » — La sensibilité : Diderot l’a montrée non seulement dans le cœur de l’homme, ou, suivant quelques-unes de ses expressions familières, dans son diaphragme, dans ses fibres ; mais dans les éléments organiques des animaux, des plantes, de ce marbre qui, réduit en poussière et mêlé à la terre, redeviendra vie et recréera la vie90 ; allant de l’atome d’Épicure à la molécule de Hobbes91, et à la monade de Leibniz, il en a fait le principe de tout l’univers. […] Ce même philosophe esquisse aussi la psychologie de l’ennui. « Traite des Sensations », Œuvres, II, 75 ; à propos de la statue sentante : « Enfin, si le besoin a pour cause une de ces sensations qu’elle s’est accoutumée à juger indifférentes, elle vit d’abord sans ressentir ni peine ni plaisir.
Il parle, avec de l’amertume dans un coin de la bouche, de la longueur de sa vie, et des différents individus qui l’ont habité, disant qu’il est très sensible à la température, et qu’il ne retrouve de l’ancien Coppée, que les jours, où il fait la température de son ancien passé, et il s’écrie à propos des prétendus cent ans de son existence : « J’ai vu, j’ai éprouvé trop de choses, en un mot, j’ai eu trop de sensations ! […] De cet appartement, où j’ai vu, pour la première fois, ma tante, il ne me reste qu’un souvenir, le souvenir d’un cabinet de toilette, à la garniture d’innombrables flacons en cristal taillé, et, où la lumière du matin mettait des lueurs de saphirs, d’améthyste, de rubis, et qui donnaient à ma jeune imagination, au sortir de la lecture d’Aladin ou la Lampe merveilleuse, comme la sensation du transport de mon être, dans le jardin aux fruits de pierre précieuse. […] » Samedi 5 novembre Je reconnais que j’ai la fièvre, non pas tant à la chaleur de mes mains, qu’à la sensation de mes yeux jetant des éclairs : sensation, que je n’ai pas besoin de vérifier, pour en avoir la certitude.
André Thérive se révèle opposé au cubisme, trop intellectuel, et promeut le compromis entre sensation et construction que représente par excellence à ses yeux la peinture de Derain. […] Et il arrive aux musiciens, faute de pensée, et dans leur vaine effusion, d’ennuyer par leur vide et leur fadeur sentimentale : car beaux rêves du sentiment ne sont pas faits que de sensation. […] Tout part de la sensation, mais rien d’accompli n’y reste. […] Il ne se contente plus de l’Europe, il lui faut l’Amérique et le Far West, il lui faut toutes les sensations et tous les dégoûts.
Qui pourroit, en effet, résister aux charmes séducteurs d’une élocution qui pénetre l’ame, la remue, l’échauffe, & lui fait éprouver sans fatigue les sensations les plus douces & les plus variées ?
Ceux qui ignorent les sensations que l’harmonie porte à l’âme diront que j’ai plus d’oreille que de jugement ; ils seront plaisans, mais j’ouvrirai l’énéide, et pour réponse à leur mot je lirai : o ter quaterque beati, … etc. je porterai à leur organe le son de l’harmonie.
Mais comme on a su réduire à un petit nombre de sensations l’origine de nos connaissances, on peut de même réduire les principes de nos plaisirs en matière de goût, à un petit nombre d’observations incontestables sur notre manière de sentir.
Il n’y a rien de moins homme que ces Lettres, et je défierais bien le plus neuf en sensation, donnée par le style, de se faire illusion une minute sur le sexe de la main qui a écrit de si délicieuses frivolités !
Il a des sensations qui valent mieux que ses idées, et l’on se trouve, comme il se trouve lui-même, toujours du côté de ses instincts contre ses raisonnements.
Vous les retrouveriez, trait pour trait et presque mot pour mot, dans cette Histoire de la Révolution française maintenant terminée, si vous vouliez les y chercher… et telle est la première sensation désagréable que nous cause ce livre, fait avec un autre livre, dans lequel la pensée, devenue inféconde, se reprend à couver la coquille vidée d’un œuf éclos.
Traduit et retraduit, commenté et recommenté, Goethe donne la sensation d’être pères à tous les chapons littéraires qui couvent des oeufs qu’ils n’ont pas pondus… La durée de sa gloire a donc pour garantie l’impuissance de ceux qui l’admirent.
Oui, c’est cette désagréable sensation d’être attrapé qui vous saisit après avoir lu ces Mémoires, et ce n’est pas tout, on se demande, sans pouvoir se répondre, au profit de qui on a été si complètement attrapé.
Sa prose, dans mes sensations à moi, ne brille ni ne brûle tant que cela… Quand on la lit, et je viens de la lire, on est même frappé des qualités entièrement opposées à celles de cette poésie dont elle est la sœur, et qui, colorée et toujours chaude, a fini, sous la pression d’un temps maudit, par s’embraser comme les feux du Styx pour les scélérats que le poète, exaspéré de cette poésie terrible, y plongea.
En un pareil homme, les opinions ne furent jamais que les sensations de l’orgueil souffrant, car la fierté ne souffre pas, et son talent, quand il en eut, le mouvement d’un sang irrité et jaloux.