Dans les phases de cette carrière, ce passage successif de cette contemplation passionnée de la vie à ce détachement attristé, à cette fuite dans la simplicité, l’abêtissement, l’humilité grossement affectueuse d’une religion populaire, se marque, il semblera, l’évolution préétablie d’une âme qui contint toujours virtuellement et la compréhension, et l’amour, et la haine du réel. […] Il le considère, le dégage et le restitue, avec une âme prise d’abord d’amour jusqu’aux moelles, puis déprise, inintelligente, déçue et dédaigneusement détachée, puis fuyant au loin et s’apaisant dans l’humilité d’une religion dont les doctrines concilient son amour avec son erreur. […] Déviant au préjudice de nous tous, qui ne compterons pas de sitôt un artiste si prêt d’être complet, de la description objective de la vie, impuissant à en reproduire toutes les manifestations les plus malfaisantes, comme les louables, Tolstoï a passé de la grande épopée de La Guerre et la Paix à l’œuvre plus réduite et plus fausse d’Anna Karénine, pour verser dans les petits contes moraux de ces derniers temps et pour en venir enfin aux ouvrages doctrinaires : Ma Religion et Que faire ? […] Un grand nombre se contentent vaguement des promesses de la religion. […] Il fallait donc que Tolstoï admît qu’il n’en est point ainsi et recourût à la réponse traditionnelle des religions ; mais cet espoir n’eût en rien atténué ses souffrances d’observateur essentiellement réaliste : ou que, par une haute opération intellectuelle, il accolât à l’idée générale de l’existence du mal, l’idée de sa nécessité, de son utilité, de sa diminution graduelle par l’effet de lentes causes auxquelles lui-même coopère, et qu’il se sentît participant à celle futurition d’un bien universel, par la notion de sa permanence dans le tout ; mais le cerveau de Tolstoï était incapable de ces spéculations, et ni ses observations en se fondant en types, ni sa faculté verbale en substituant à chaque chose individuelle sa désignation générique, ne l’ont conduit aux généralisations et aux idées.
Il était de ceux qui fermaient les ateliers nationaux, qui jetaient les ouvriers dans la rue, pour noyer dans le sang les idées sociales, qui mitraillaient et déportaient les insurgés de juin, qui votaient les poursuites contre les députés soupçonnés de socialisme, qui soutenaient le prince Napoléon, qui voulaient un pouvoir fort pour contenir les masses, terroriser les socialistes, rassurer les bourgeois et protéger la famille, la religion, la propriété menacées par les communistes, ces barbares de la civilisation. […] Il se fait l’apôtre du libéralisme, cette religion bourgeoise qui amuse le peuple avec des principes, lui inculque des devoirs, et le détourne de ses intérêts et de ses droits ; qui lui fait abandonner la proie pour l’ombre. […] L’adoration du Dieu-Propriété, c’est la religion de Victor Hugo. […] Il étrangle alors son voltairianisme et chante la religion catholique, ses pompes et ses pensions24. […] Heureusement que Chateaubriand, suivant l’exemple donné par les royalistes des Actes des apôtres qui avaient soutenu le trône et l’autel dans le langage des halles, défendit, au grand scandale des puristes, la réaction et la religion avec la langue et la rhétorique enfantées par la révolution.
La Religion et la Science. […] — intitulées : De la méthode expérimentale en Religion. […] La religion est la société des hommes et de Dieu. […] L’unique religion possible est le christianisme. […] — Celui qui vous le livre ne vous dit pas : « Il y a une religion catholique et elle est la vérité. » Il vous dit : « Il y a une religion catholique en France et elle est un fait.
Assurément, il est affranchi de toute religion positive. […] Quelle philosophie ou quelle religion lui ouvre les demeures des âmes ? Ni religion ni philosophie aucune. […] Je disais qu’il n’a point de religion. […] On s’accorde moins bien sur le caractère de la religion qu’il professait.
En butte aux attaques des hypocrites de religion, il songeait déjà au Tartuffe, et, observateur profond, il trouva le germe de la scène entre Orgon et Dorine dans une exclamation plaisante de Louis XIV. […] Il y a bien près de l’hypocrite en religion à l’hypocrite en vertu. […] Après Le Festin de Pierre, Molière n’eut que trop d’occasions de se confirmer dans les opinions qu’il avait prêtées à Dom Juan sur l’inviolabilité des charlatans de religion. […] Quelques injures qu’on puisse dire à un innocent, on craint de le défendre lorsque la religion y est mêlée ; l’imposteur est toujours à couvert sous ce voile, l’innocent toujours opprimé, et la vérité toujours cachée. […] Non, Molière, qui a donné tant de preuves de son respect pour les convenances, ne les eût point violées à l’égard d’un citoyen chez qui la vertu était austère, mais sans rudesse, la religion zélée, mais sans aveuglement.
Quel magnifique pouvoir que celui qui soumet à la voix d’un seul homme les mouvements de tout un peuple, la religion des juges et la dignité du sénat ! […] Rien n’est plus hardi et plus net que la pensée de Cicéron, hautement exprimée, sur les mystères de la religion de son temps. […] Le philosophe se moquait de la religion officielle du citoyen. […] Mes écrits ont remplacé mes harangues au sénat et au peuple, et j’ai substitué les méditations de la philosophie aux délibérations de la politique sur les destinées de la patrie. » On voit par les lignes suivantes combien la philosophie, la religion raisonnée et le patriotisme en vue des devoirs imposés à l’homme par la Divinité, étaient pour Cicéron une même et sainte chose. […] Sur ce principe, que deviendraient la piété, la sainteté, la religion ?
» * * * — Lorsque l’incrédulité devient une foi, elle est moins raisonnable qu’une religion. […] Et elle me confie ingénument qu’elle lui creusa alors une tombe sur laquelle elle mit une petite croix — et qu’elle ne voulait plus prier, plus aller à la messe ; enfin que sa religion était morte, tant l’enfant, chez elle, était révolté de l’injustice de cette mort. […] Ce sont des causeries qui sautent de sommets en sommets, remontent aux origines des mondes, fouillent les religions, passent en revue les idées et les hommes, vont des légendes orientales au lyrisme d’Hugo, de Boudha à Goethe. […] * * * — Lorsque l’incrédulité devient une foi, elle est plus bête qu’une religion. […] * * * — Une religion sans surnaturel, — cela me fait penser à une annonce que j’ai lue, ces années-ci ; dans les grands journaux : vin sans raisin.
Pour eux l’imitation du réel n’est qu’un moyen mis à la disposition de la religion ou de la morale. En Égypte les sculpteurs de la période memphite sont les serviteurs dociles de la religion. […] La religion se ressent du mouvement qu’elle a déterminé. […] Il ne s’inspire ni d’une religion ni d’une philosophie déterminées. […] À la morale, à la religion il ne doit aucun compte.
La tendance de cet éclectisme a été de se rédiger en une sorte de religion philosophique officielle, il a essayé même un jour d’avoir son catéchisme.
J’y trouve une vive intelligence de l’histoire, une sympathie abondante, une forme digne d’André Chénier ; et je doute qu’on ait jamais mieux exprimé la sécurité enfantine des âmes éprises de vie terrestre et qui se sentent à l’aise dans la nature divinisée, ni, d’autre part, l’inquiétude mystique d’où est née la religion nouvelle.
Ce ne sont pas des hommes de cette trempe que la Religion nous présente dans ses Maîtres & dans ses défenseurs.
Recueillir, mettre en ordre, corriger, éclaircir ; telle a été la tâche que son zele infatigable a remplie ; &, ne fût-il connu que par cette seule édition, c’en seroit assez pour lui concilier la reconnoissance de tous les Savans : ajoutons que son respect pour la Religion lui a mérité l’estime des honnêtes gens, &, ce qui n’est pas moins honorable, les injures du Garasse * de la moderne Philosophie.
Cette attention est sur-tout nécessaire dans son Examen des Apologistes de la Religion Chrétienne, Ouvrage où il empoisonne & altere tous les faits qui contredisent ses idées, à peu près comme certains tempéramens convertissent en humeurs malignes tous les alimens qu’ils prennent, Sa Lettre de Trasibule à Leucipe est encore plus dangereuse.
Il ne s’est jamais permis le moindre trait contre la Religion ; mais ce qui honore bien davantage la mémoire de ce véritable Bel-Esprit, comme l’a fort bien remarqué M. l’Evêque de Senlis*, « c’est que pouvant monter facilement aux premieres dignités de l’Eglise qui vinrent le chercher de bonne heure, il résista par probité aux offres les plus flatteuses.
La Philosophie et la Religion, ces deux pôles de la raison humaine, sont l’objet des deux dernières études.
Le xvie siècle eut pour mission de réparer ce désordre, de réorganiser la société, la religion, la résistance ; à partir d’Henri IV, il s’annonce ainsi, et dans sa plus haute expression monarchique, dans Louis XIV, il couronne son but avec pompe. […] La Fontaine lui-même, au milieu de sa bonhomie et de ses fragilités, et tout du xvie siècle qu’il est, a des accès de religion lorsqu’il écrit la Captivité de saint Malc, l’Épître à madame de La Sablière, et qu’il finit par la pénitence. […] Il était de bonne foi quand il s’indignait des insinuations malignes qu’à partir de l’École des Femmes ses ennemis allaient répandant sur sa religion. […] C’est lui aussi qui, causant avec Chapelle de la philosophie de Gassendi, leur maître commun, disait, tout en combattant la partie théorique et la chimère des atomes : « Passe encore pour la morale. » Molière était donc simplement, selon moi, de la religion, je ne veux pas dire de don Juan ou d’Épicure, mais de Chrémès dans Térence : Homo sum. […] La Critique de l’École des Femmes et l’Impromptu de Versailles en apprennent suffisamment sur le premier démêlé, qui fut surtout une querelle de goût et d’art, quoique déjà la religion s’y glissât à propos des commandements du mariage donnés à Agnès.
Comment ferait-il pour sortir de sa religion jusqu’à reproduire avec indifférence les puissances de l’indifférente nature ? […] En Angleterre, la dureté du climat, l’énergie militante de la race et la liberté des institutions prescrivent la vie active, les mœurs sévères, la religion puritaine, le mariage correct, le sentiment du devoir et l’empire de soi. En Italie, la beauté du climat, le sens inné du beau et le despotisme du gouvernement suggéraient la vie oisive, les mœurs relâchées, la religion imaginative, le culte des arts et la recherche du bonheur. […] » Qu’est-ce qu’il découvre dans la science, sinon ses lacunes, et dans la religion, sinon ses momeries1324 ? […] Dans cet emploi de la science et dans cette conception des choses il y a un art, une morale, une politique, une religion nouvelles, et c’est notre affaire aujourd’hui de les chercher.
Jules Simon, dans son livre sur la Religion naturelle, avaient montré la voie est M. […] La doctrine épicurienne chez Lucrèce ne ressemble-t-elle pas à une sorte de religion ? […] Ô religion ! […] Il ne faut pas que, par lassitude des théories qui ont longtemps régné, on s’impose à soi-même et l’on propose aux autres de plus obscurs mystères qu’aucun de ceux qu’ait jamais proposés aucune religion. […] C’est par là que la philosophie se distingue de la religion.
Un tel Discours ne peut être que le fruit de l'érudition la plus étendue, d'une connoissance réfléchie de l'Histoire, de la Politique, de la Morale, & de la Religion.
Robé n'a-t-il pas bonne grace de nous accuser de poltronnerie & de lâcheté, lorsque le courage avec lequel nous avons défendu les principes du Goût, de la Morale, & de la Religion, contre une Secte d'autant plus dangereuse qu'elle est plus puissante, a fait l'étonnement de quiconque connoît les intrigues & le fanatisme persécuteur de la plupart de ceux qui la composent ?
Rien n’est beau comme les soupirs que nos maux arrachent à la religion.
Le christianisme a été l’ancre qui a fixé tant de nations flottantes ; il a retenu dans le port ces États qui se briseront peut-être, s’ils viennent à rompre l’anneau commun où la religion les tient attachés.
Mais on s’est plaint que cet ouvrage peu méthodique est un labyrinthe sans fil ; que le vrai & le faux y sont trop souvent mêlés ensemble ; que presque toutes les citations sont fausses ; que ses idées systématiques sur le climat, sur la religion, souffrent beaucoup de difficultés ; que tout le livre est fondé sur une distinction chimérique, &c.
Il y a deux sortes d’écoles publiques : les petites écoles ouvertes à tous les enfants du peuple au moment où ils peuvent parler et marcher ; là ils doivent trouver des maîtres, des livres et du pain, des maîtres qui leur montrent à lire, à écrire et les premiers principes de la religion et de l’arithmétique ; des livres dont ils ne seraient peut-être pas en état de se pourvoir ; du pain111 qui autorise le législateur à forcer les parents les plus pauvres d’y envoyer leurs enfants.
La religion, fluide aux premiers siècles, se fige en un cristal roide, et le contact grossier des barbares vient poser par-dessus une couche d’idolâtrie : on voit paraître la théocratie et l’inquisition, le monopole du clergé et l’interdiction des Écritures, le culte des reliques et l’achat des indulgences. […] Même les croyants, les sincères chrétiens, comme Bacon et Browne, écartent tout rigorisme oppressif, réduisent le christianisme à une sorte de poésie morale, et laissent le naturalisme subsister sous la religion. […] Avec lord Herbert apparaît le déisme systématique ; avec Milton et Algernon Sidney apparaîtra la religion philosophique ; Clarendon ira jusqu’à comparer les jardins de lord Falkland à ceux der l’Académie. […] Comme les littératures et les religions, les méthodes et les philosophies sortent de l’esprit du siècle ; et c’est l’esprit du siècle qui fait leur impuissance comme leur pouvoir. […] Aussi certaines lettres privées décrivent la cour d’Élisabeth comme un endroit où il y avait « peu de piété et de pratique de la religion, et où toutes les énormités régnaient au plus haut degré. » 256.
La pensée principale de ces temps, la religion fut plus éloquente dans les monuments que dans les écrits. […] En effet, ce n’est pas la religion juive en elle-même, mais les sectes dissidentes, les sociétés secrètes et nouvelles que cet empereur paraît avoir persécutées. […] Par une vocation meilleure, elle devint plus tard une espèce de religion qu’embrassaient les âmes fortes. […] À quinze siècles de distance, sous des religions et des civilisations différentes, la même tyrannie dégrade et fausse également les talents. […] C’était le christianisme à sa naissance ; c’était la liberté morale réfugiée dans la religion.
C’est un combat perpétuel et déchirant entre l’amour et la religion, qui n’avait alors rien perdu de sa force. […] Il ne faut aussi qu’un peu de sens commun pour savoir qu’on n’écrit jamais contre le fanatisme, quand le fanatisme règne ; que la peinture des abus de la religion ne divertit que ceux qui ont peu ou point de religion ; par conséquent la supposition de l’homme de beaucoup d’esprit est impertinente, et la conclusion qu’il en tire n’est pas plus ingénieuse. […] On sait que le propre du fanatisme est de flétrir par ses excès la religion qu’il prétend honorer ; le vers en question n’est ni joli ni sensé, parce qu’il porte sur une idée triviale ou fausse. […] » Leur haine seule contre nos institutions religieuses est extrêmement funeste à la société, puisque la religion, suivant J. […] Tout le rôle de la reine est un acte de contrition, entremêlé cependant de boutades d’orgueil, parce qu’il est rare que la religion n’échoue pas devant l’amour-propre.
C'est cette religion officielle de l’éclectisme et du charlatanisme qui est un peu impatientante.
. — La Religion de la science et l’Esprit pur (1897). — Ultimum Organum (1897).
Mais, si la science est la chose sérieuse, si les destinées de l’humanité et la perfection de l’individu y sont attachées, si elle est une religion, elle a, comme les choses religieuses, une valeur de tous les jours et de tous les instants.
Quand Racine fils, plus tard, dans son Poème de la Religion, a fait de si tendres peintures des instincts et de la couyée des oiseaux, il se ressouvenait plus de Fénelon que des pures doctrines de Saint-Cyran. […] Quand la religion précise et pratique n’intervient pas pour tout transformer en épreuve et en sujet de bénédiction, il y a danger que les plus grandes tendresses soient justement celles qui s’infiltrent et s’aigrissent le plus. […] Le succès en fut prompt et immense ; l’influence croissante de Rousseau et des idées de sensibilité et de religion naturelle avait préparé les esprits à saisir avidement de telles perspectives. […] Le point de vue des causes finales n’est jamais fécond pour la science, et rentre tout entier dans la poésie, dans la morale, dans la religion ; ce ne peut être au plus que le moment de prière du savant, après quoi il faut qu’il se remette à l’examen, à l’analyse.
. — Religion et Religions (1880). — Les Quatre Vents de l’Esprit (1882) […] l’amour peut être une religion et elle peut être aimée ! […] Il se devait à sa propre religion ; il était comme un dieu qui serait en même temps son prêtre à lui-même.
Ainsi Descartes conclut de l’idée de l’infini l’existence de Dieu ; et cette quatrième vérité, dont la démonstration est le titre le plus glorieux de Descartes, couronne l’édifice reconstruit de la religion naturelle. […] Cette croyance ne dépend ni du pays, ni du temps, ni des religions établies, ni de la forme des sociétés, bien qu’elle puisse s’accommoder de toutes ces circonstances. […] On se réglera par le respect des coutumes, par la religion établie, par les opinions modérées ; on tâchera d’être ferme dans ses actions, de se vaincre plutôt que sa fortune, « à cause, dit-il, qu’on n’est maître que de ses pensées », de ne rien désirer qu’on ne puisse avoir. […] Quant à ceux qui, à son exemple, continuant de tenir la science séparée de la foi, gardèrent, dans la plus entière soumission d’esprit sur les choses de la religion, la plus grande indépendance sur toutes les choses de la raison, à quoi en furent-ils redevables, sinon à sa méthode, qu’ils eurent la force d’appliquer à la conduite de leurs pensées et de leur vie ?
Les moralités, en grande partie tirées des vies des saints, participaient des mystères par le mélange de la religion, des soties par les allusions satiriques. […] Deux choses alors remplissent le moment présent : la foi sans la science de la religion, sans l’intelligence de ses rapports avec la civilisation ; la critique, qui n’a pas d’idées générales, et n’est guère que l’impression vive d’un malaise actuel. […] Le petit nombre des pièces de Racine pourrait s’expliquer par la rareté des sujets tout aussi bien que par ses scrupules de religion. […] Corneille lui-même se vantait de préférer le reproche d’avoir fait ses femmes trop héroïques à la louange d’avoir efféminé ses héros Il fallait que, dans un pays où la religion et les mœurs ont fait de la femme l’égale de l’homme, la tragédie nous en fît voir de vivantes images dans les passions qui lui sont propres, ou dans celles qui lui sont communes avec l’homme : dans l’amour violent, ou dans l’amour timide et chaste ; dans la tendresse maternelle, ou dans la passion de dominer ; dans le crime, ou dans la vertu.
Dimanche 5 mars Aujourd’hui Tourguéneff est entré chez Flaubert, en disant : « Je n’ai jamais si bien vu qu’hier, combien les races sont différentes : ça m’a fait rêver toute la nuit… Nous sommes cependant, n’est-ce pas, nous, des gens du même métier, des gens de plume… Eh bien, hier, dans Madame Caverlet, quand le jeune homme a dit à l’amant de sa mère qui allait embrasser sa sœur : « Je vous défends d’embrasser cette jeune fille. » Eh bien, j’ai éprouvé un mouvement de répulsion, et il y aurait eu cinq cents Russes dans la salle, qu’ils auraient éprouvé le même sentiment… et Flaubert, et les gens qui étaient dans la loge, ne l’ont pas éprouvé ce moment de répulsion… J’ai beaucoup réfléchi dans la nuit… Oui, vous êtes bien des latins, il y a chez vous du romain et de sa religion du droit, en un mot, vous êtes des hommes de la loi… Nous, nous ne sommes pas ainsi… Comment dire cela ? […] À ce propos, il nous contait cette histoire personnelle, attestant l’autorité d’une institution qui est comme la religion actuelle de l’ouvrier. […] Oui, les corps pour lesquels on a une religion, on leur voudrait le néant de cendre des anciens. […] Il y aurait chez les deux frères une religion du muscle, qui les ferait s’abstenir de la femme, et de tout ce qui diminue la force.
Puisqu’il a la prétention d’être un métaphysicien et qu’il nous force à lui parler métaphysique, il ne veut pas voir que Religion révélée ou Justice innée, c’est toujours la question du Juste vivant, du verbe Justice, fait chair par Miséricorde. […] Seulement, et ceci est d’un ragoût délicieux, l’homme apparaît, et, je l’ai dit, le bonhomme, et je pourrais ajouter le gros bonhomme, à travers cet effroyable révolutionnaire qui compte bien faire sauter un de ces jours la société tout entière : religion, lois et mœurs ! […] L’ours donne la patte comme il peut la donner… Le grand Sagittaire qui savait tendre l’arc d’Hercule contre le capital, la propriété, la religion et tous les systèmes qui ne sont pas le sien, le détend et joue avec sa corde détendue, non pas gracieusement, — car la grâce n’a pas été plus accordée à Proudhon qu’à Rousseau, ces lourds, — mais avec une bonne humeur charmante, une gaieté gauloise que ne connaissait pas l’aigre Genevois sorti de Calvin. […] Grâce à cette Correspondance, je l’ai mis debout devant vous, ce naïf, ce cordial, ce vertueux, cet Alceste sans talon rouge et sans rubans verts, et cet Orgon aussi, cet Orgon qui croyait aux peuples et à l’égalité absolue aussi bêtement qu’Orgon croyait à Tartufe ; je vous l’ai montré lui-même, ce bonhomme, ce bon ours, qui casse la tête de l’homme, de son ami, avec le pavé de ses théories, pour lui ôter les mouches qui le dévorent, croit-il, et qu’il a sur le nez : les religions, le capital, les polices, les hiérarchies, les gouvernements !
Une fois il regrette de n’avoir pas fait tout exprès le pèlerinage du Perche pour y connaître la fille de Fernel, qui y était morte il y avait peu d’années ; il aurait voulu se donner l’honneur de la voir et de lui baiser les mains : « On nous fait baiser bien des reliques qui ne valent pas celle-là. » Telle est la religion littéraire dans laquelle Gui Patin a été nourri et dans laquelle il persévère jusqu’à la fin, entouré d’amis qui la partagent plus ou moins, des Gassendi, des Gabriel Naudé et autres de cette race, de ce qu’il appelle les restes du siècle d’or. […] On ne connaît jamais bien l’homme qu’on étudie, tant qu’on ne s’est pas demandé quelle est sa religion et qu’on ne s’est pas fait la réponse. […] Si nous parlons de la religion ou de l’État, ce n’est qu’historiquement, sans songer à réformation ou à sédition.
La nature veut qu’il y ait des spectacles, et la religion n’est qu’une perfection de la loi naturelle. […] Un abbé Le Clerc, de Lyon, un prêtre sulpicien, avait été scandalisé, non sans quelque raison et motif, des réflexions de Bayle en matière de religion et de son penchant aux libres propos (turpiloquium) ; ce premier scrupule l’avait conduit à faire des ouvrages de Bayle toute une critique étendue et minutieuse. […] Je lui avais bien dit que, pour vérifier sa critique, on irait à Bayle et qu’on resterait sur Bayle sans retourner à sa critique : c’est ce qui m’est arrivé, car l’article censuré m’amuse, puis me mène au suivant, et j’oublie M. l’abbé… » Marais n’est pas précisément un esprit fort ; il a des principes de religion ; ce n’est pas un pyrrhonien pur : il trouve précisément dans Bayle comme un moyen terme à son usage.
Euripide lui-même laisse beaucoup sans doute à désirer pour la vérité ; il a déjà perdu le sens supérieur des traditions mythologiques que possédaient si profondément Eschyle et Sophocle ; mais du moins chez lui on embrasse tout un ordre de choses ; le paysage, la religion, les rites, les souvenirs de famille, constituent un fond de réalité qui fixe et repose l’esprit. […] Toutefois, malgré la parenté des religions et la communauté de certaines croyances, il y a dans le judaïsme un élément à part, intime, primitif, oriental, qu’il importe de saisir et de mettre en saillie, sous peine d’être pâle et infidèle, même avec un air d’exactitude : et cet élément radical, si bien compris de Bossuet dans sa Politique sacrée, de M. de Maistre en tous ses écrits, et du peintre anglais Martin dans son art, n’était guère accessible au poëte doux et tendre qui ne voyait l’ancien Testament qu’à travers le nouveau, et n’avait pour guide vers Samuel que saint Paul. […] De la poésie, c’est possible ; mais de la religion, certes, il en avait pénétré l’essence.
Etrangère à la conception juridique et politique du christianisme romain, l’Eglise celtique laissa l’âme de la race façonner une religion nationale à son image. […] Les aventures, les exploits, la chevalerie, les tournois, la religion, n’y tiennent que peu ou point de place, encore que l’on y trouve des évêques et des couvents, et que les mœurs extérieures soient celles de l’Angleterre et de la France du xiie siècle. […] C’en est fait dès lors : plus fort que leurs volontés, plus fort que le devoir, plus fort que la religion, l’amour souverain les lie jusqu’à la mort.
Rien ne le retient : religion, piété, intérêt public, probité, ce ne sont pour lui que des moyens. […] On sait comment elle fonda Saint-Cyr, pour élever gratuitement deux cent cinquante demoiselles nobles, à qui le roi assurait ensuite des dots pour se marier ou entrer en religion. […] Même le sujet, c’est Polyeucte moins la religion : une honnête femme qui aime un autre que son mari, et qui va chercher auprès de son mari un appui contre l’amour.
la critique des abus fondamentaux de la société du xviie siècle : abus dans la noblesse, qui s’achète, et qui n’est plus qu’un moyen de ne pas payer l’impôt quand on est riche ; abus dans la religion, tournée en spectacle mondain ; abus dans la famille, où la vanité et l’intérêt ruinent l’institution du mariage, où les filles sont inhumainement sacrifiées à l’orgueil social, et cloîtrées sans vocation ; abus dans la justice, lente, coûteuse, injuste, etc. […] Amour-propre, esprit de domination, intolérance, idées réactionnaires en politique, ultramontaines en religion, théories larges et incohérentes, pratique souvent étroite et dure, raison flottante, logique douteuse, fureur d’avoir le dessus plutôt que d’avoir raison : tout cela est dans Fénelon ; et cela n’empêche pas de l’aimer ; tout cela n’empêche pas même de lui trouver un certain air libre et libéral, qui le rapproche de nous. […] Et ce prêtre mystique, ce grand seigneur porte en lui bien des germes de l’avenir, de ce xviiie siècle qui va tuer la noblesse et mettre en péril la religion.
Le titre de Religion naturelle, donné d’abord au poème, déplaît à Frédéric ; Voltaire essaye d’en atténuer le sens par ses explications. […] Ce n’est plus la Religion, mais la Loi naturelle, et encore Voltaire en réduit-il les prescriptions à être bon père, bon ami et bon voisin. […] C’est la civilisation, comme il la voulait pour lui et à sa main, une surface brillante, du luxe, des arts, des carrosses à glaces, de la politesse, des manières, une religion pour ceux qui n’ont pas le frein de l’éducation ou d’une modération naturelle, une justice douce par des magistrats qui ne se croient pas trop innocents ni les criminels trop pervers ; les lettres, les théâtres, et, pour tout dire, tous ses goûts satisfaits, toutes ses gênes supprimées ; une société où ses passions et ses fautes ne lui auraient pas donné plus d’embarras qu’ils ne lui donnaient de scrupules.
Nous ne nous abordâmes point de front ; nous ne fîmes qu’exposer, moi, la nature de mes doutes lui, le jugement qu’il devait en porter comme orthodoxe. fut extrêmement sévère et me déclara nettement 1ºqu’il n’était nullement question de tentations contre la foi, terme dont je m’étais servi dans ma lettre, par l’habitude que j’avais contractée de me conformer à la terminologie sulpicienne pour me faire entendre, mais bien d’une perte totale de la foi ; 2º que j’étais hors de l’Église ; 3º qu’en conséquence je ne pouvais approcher d’aucun sacrement, et qu’il ne m’engageait pas à pratiquer l’extérieur de la religion ; 4º que je ne pouvais sans mensonge continuer un jour de plus à paraître ecclésiastique, etc. […] D’autres croient en rhéteurs, parce que les auteurs auxquels ils ont voué un culte ont été de cette opinion : sorte de religion classique, littéraire. […] À ces époques-là, on devait croire aux religions.
Or, un jour vint (c’était hier, au xviiie siècle) où, par un heureux contrecoup des persécutions aussi atroces qu’inutiles exercées au nom de la religion, grâce aux efforts des philosophes et de Voltaire en particulier, cette ancienne vertu parut sauvage, horrible, souillée du crime de lèse-humanité. […] Si l’on admet que l’art doive être « fainéant », comme dit Victor Hugo, si l’on veut qu’il ressemble aux lys des champs, qui ne travaillent ni ne filent et sont pourtant velus de splendeur, si l’on exige qu’il plane, indifférent et superbe, au-dessus des vils intérêts humains, sans avoir ni patrie, ni religion, ni préférence politique ou philosophique, on supprime, on retranche de la littérature plusieurs genres qui comptent pourtant plus d’un chef-d’œuvre. […] Article « Religion ».
Ce ne sont qu’évêques dégingandés au pas saltateur de Dupré, grands prêtres de bacchanales, anges qui tiennent le saint-ciboire avec le geste d’un arc qu’un Amour détend, saints qui se renversent sur le crucifix avec des attitudes de violonistes, effets de lumière derrière les autels qui ressemblent à une gloire derrière une conque de Vénus : toute une religion descendue du Corrège, et que Noverre semble avoir réglée comme le plus délicieux opéra de Dieu ; — si bien qu’au son des flûtes, des bassons, de la musique la plus chatouillante, la plus enivrante, la plus ambrée, si l’on peut dire, on s’attend à voir un joli homme d’évêque, avec le geste sautillant d’un marquis tirer l’hostie d’une boîte d’or, et l’offrir comme une pastille ou une prise de tabac d’Espagne. […] Une odeur d’Orient et l’apparence d’une religion heureuse. […] La prière dans la religion catholique a toujours l’air de demander pardon d’un crime.
Par le sang de sa mère, la religion coulait dans son cœur, comme la poésie y affluait par le sang de son père, le sang des troubadours et des Guarini d’Italie. […] La haute raison des libres-penseurs ne se déformera pas beaucoup en découvrant que ce fut la routine d’une religion timorée, comme si tout ce qui ne change pas, tout ce qui se suit et ce qui dure n’était pas aussi une routine, depuis la fidélité dans l’amour jusqu’au train du ciel étoilé au-dessus de nos têtes, depuis la persévérance dans la volonté de l’homme jusqu’à l’adoration perpétuelle des Anges devant le trône de Dieu ! […] Gardons-nous de le croire et de mettre des bornes au ciel. » Cette bonne pensée, sous une forme grande, ne révèle pas seulement une large intelligence chrétienne, mais tout Mlle Eugénie poëte et dévote (nous n’avons pas peur de ce mot et nous ne demandons pas excuse pour ce qu’il exprime), Mlle Eugénie n’est ni une ascète de religion, ni une ascète de poésie.
Les Français de religion protestante ont prouvé dans cette guerre qu’ils aimaient la France, le protestantisme et la justice du même amour : ils deviennent également chers à tous les Français. […] L’unité française se forme dès lors, ainsi qu’une fois déjà elle s’est formée à la Fédération du 14 juillet 1790, non pas sur la même religion sociale exprimée, mais sur le même amour de la France, sur le même amour de la justice… Cette conciliation ne deviendra jamais sans doute une assimilation et une confusion : il faut des fleurs diverses au jardin de la terre. […] En 1903, à vingt ans, Thierry, s’était déjà voué à l’établissement de la paix par un code, ou mieux une religion du travail ; mais, se hâtait-il d’ajouter, ne vous méprenez pas : « Il y a un amour de la paix optimiste, conservateur et lâche ; je le redoute.
Sa famille, la terre de France, ses compagnons d’armes, sa religion, voilà ce qui remplit cet enfant harmonieux et lui conseille de faire son devoir. […] Avec ses dix-huit ans et couvé dans cette chaleur de religion, il va mêler sa piété à toute sa vie si brève de guerre. […] Sans doute, mais ils sont de religion différente et ils s’accordent.
Ils nous parlent d’une « religion » encore à naître, d’une « nature » encore incomprise, d’une « vie » plus large. […] Voilà comment ils ont « compris » la nature, comment ils ont pressenti la « divinité » de l’homme solidaire des êtres et des choses, comment ils ont donné l’éveil à une « religion » dont le panthéisme grandiose embrasse et pénètre le monde infini des vivants, qui est un réel sentiment vécu de nos liens avec le tout, une pénétration et une assimilation par nous, êtres infimes ou êtres d’élite, du tout vivant : religion dont nous pressentons l’épanouissement futur.
Les premiers Pères, il est vrai, avaient noté dans la République comme imités de ces livres la recommandation exclusive et absolue de la poésie lyrique consacrée à la religion, le blâme de toute autre poésie, cette idée enfin de soumettre le chant et la musique à des juges désignés, aux conservateurs des lois, comme dans Israël, où des magistrats veillaient au choix des hymnes et au maintien des mêmes tons dans le chant. […] Là s’étudiaient, avec la religion, la musique et la poésie. […] Dieu est sorti de Canaan, et le Saint s’est avancé des monts Paranéens ; sa gloire a voilé les cieux, et la terre a été inondée de sa lumière. » Tel était le langage que le zèle de la religion, l’amour de la patrie, la joie de la victoire et de la délivrance, mettaient dans la bouche d’une femme, chez ce petit peuple hébreu, encore presque ignoré du monde qu’il devait renouveler.
Il n’écrit pas pour écrire, il n’a nulle démangeaison d’être imprimé ; il n’écrit généralement que forcé par quelque motif d’utilité publique, pour instruire ou pour réfuter, et si le motif cesse, il supprime ou du moins il met dans le tiroir son écrit. « Il n’y avait de grand à ses yeux que la défense de l’Église et de la religion. » Tel il nous apparaît de plus en plus dans le tableau de l’abbé Le Dieu, et tel il sera jusqu’à sa mort. […] M. de Maistre a appelé quelque part Bossuet une des « religions françaises » : et l’on conçoit très bien en effet qu’il soit devenu cela.
Élève de Louis Racine, qui lui avait légué le culte du grand siècle et celui de l’antiquité, nourri dans l’admiration de Pindare et, pour ainsi dire, dans la religion lyrique, il était simple que Le Brun s’accommodât peu des mœurs et des goûts frivoles qui l’environnaient ; qu’il se séparât de la cohue moqueuse et raisonneuse des beaux-esprits à la mode ; qu’il enveloppât dans une égale aversion Saint-Lambert et d’Alembert, Linguet et La Harpe, Rulhière et Dorat, Lemierre et Colardeau, et que, forcé de vivre des bienfaits d’un prince, il se passât du moins d’un patron littéraire. […] De religion à proprement parler, et de rien qui y ressemble, Le Brun en avait même moins qu’il ne convenait à son temps.
Cette même religion était aussi d’un puissant secours pour les divers chefs-d’œuvre de la littérature. […] Les Grecs honoraient les morts ; les dogmes de leur religion ordonnaient expressément de veiller sur la pompe des funérailles ; mais la mélancolie, les regrets sensibles et durables ne sont point dans leur nature ; c’est dans le cœur des femmes qu’habitent les longs souvenirs.
Le fanatisme de la religion ou de la politique a fait commettre d’horribles excès, en remuant les assemblées par des paroles incendiaires ; mais c’était la fausseté du raisonnement, et non le mouvement de l’âme, qui rendait ces paroles funestes. Ce qui est éloquent dans le fanatisme de la religion, ce sont les sentiments qui conseillent le sacrifice de soi-même pour ce qui est bien, pour ce qui peut plaire à l’être bienfaisant, protecteur de cet univers ; mais ce qui est faux, c’est le raisonnement qui vous persuade qu’il est bien d’assassiner ceux qui diffèrent de vos opinions, et qu’une intelligence d’une vertu suprême exige de tels attentats.
Au commencement, pendant les quatre premiers siècles, il avait fait la religion et l’Église : pesons ces deux mots pour en sentir tout le poids. D’une part, dans un monde fondé sur la conquête, dur et froid comme une machine d’airain, condamné par sa structure même à détruire chez ses sujets le courage d’agir et l’envie de vivre, il avait annoncé « la bonne nouvelle », promis « le royaume de Dieu », prêché la résignation tendre aux mains du père céleste, inspiré la patience, la douceur, l’humilité, l’abnégation, la charité, ouvert les seules issues par lesquelles l’homme étouffé dans l’ergastule romain pouvait encore respirer et apercevoir le jour : voilà la religion.
La religion ne lui est point une règle de vie, mais un costume historique et un habit de théâtre où il se drape en Scapamonte. […] C’est pourquoi, depuis Baudelaire, beaucoup de poètes et de romanciers se sont plu à mêler les choses de la religion à celles de la débauche et à donner à celle-ci une teinte de mysticisme.
Et il conclut : « Ces quelques planches de Gerbe, cet atlas étonnant, unique, est un temple de l’avenir, qui, plus tard, dans un temps meilleur, remplira tous les cœurs de religion. […] Tout cela n’est qu’une phraséologie propre à ce siècle où les ennemis des religions ont eu presque tous la manie de fourrer partout le sentiment religieux.
Mais souvent, dans les tragédies chrétiennes qu’on nous fait encore, les martyrs semblent verser leur sang pour un « idéal » aussi peu formulé que celui des poètes romantiques, ou, tout au plus, pour la religion de Pierre Leroux et de George Sand, et quelquefois pour celle du prince Kropotkine. […] Et nous nous disons que le jeune Ponticus se fera sans doute prier avant de céder Blandine à Jésus ; qu’Attale et Æmilia, passionnément amoureux l’un de l’autre, ne semblent pas dans les meilleures conditions pour embrasser la religion du crucifié, et qu’ils y feront quelque résistance ; ou bien qu’Æmilia se convertira seule, et que sa lutte contre Attale sera, du moins, l’un des principaux épisodes de cette tragédie… Mais rien de tout cela.
Les premiers chrétiens sont des visionnaires, vivant dans un cercle d’idées que nous qualifierions de rêveries ; mais en même temps ce sont les héros de la guerre sociale qui a abouti à l’affranchissement de la conscience et à l’établissement d’une religion d’où le culte pur, annoncé par le fondateur, finira à la longue par sortir. […] C’était la religion pure, sans pratiques, sans temple, sans prêtre ; c’était le jugement moral du monde décerné à la conscience de l’homme juste et au bras du peuple.
que Racine fils, nourri dans la pureté et la religion du foyer domestique, s’entendait mieux à cette pudeur qui accompagne toute vraie piété ! […] Necker, disait Mme de Vincy ; nous sommes de la religion du passé.
Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens : j’entends les bons, car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocités, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez ; si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la Vierge Marie avait été la mère du plaisir ; ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux tétons, ses belles fesses qui eussent attiré l’Esprit Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Magdelaine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si aux noces de Cana le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noces et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu, et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption.
Il est le premier qui nous ait donné une Traduction du Paradis perdu, généralement préférée à celle qu’en a donnée depuis l’Auteur du Poëme de la Religion.
L’esprit d’anarchie s’est répandu sur tous les genres : en matiere de goût, comme en matiere de raison, tout se réduit à l’arbitraire ; le plus grand nombre des Ouvrages d’agrément annoncent l’oubli des regles, l’amour des systêmes, le renversement des principes reçus ; les Ouvrages de morale ne sont le plus souvent que le fruit d’une imagination indépendante, qui assujettit à ses caprices les sentimens, les devoirs, les bienséances ; dans les Ouvrages de raisonnement, le sophisme triomphe, la Philosophie attaque les vérités les plus certaines, mine avec activité les fondemens de la Religion, des Mœurs, des Loix, rompt les nœuds de la Société, & obscurcit jusqu’aux notions les plus claires de la Nature.
Palissot a réparé depuis cette injustice, en convenant, dans la derniere édition de ses Œuvres, que M. l’Abbé Trublet ne manquoit ni d’esprit ni même d’une certaine finesse ; & que, si au lieu de marquer du respect pour la Religion & les mœurs, il se fût jeté dans le parti de la nouvelle Philosophie, il eût eu son Brevet de célébrité comme tant d’autres ; peut-être même, ajoute-t-il, en eût-on fait un homme de génie.